L’écoresponsabilité des expositions : au-delà des mesures techniques, une révolution axiologique

par Céline Schall

 

Céline Schall est docteure en Sciences de l’Information et de la Communication (France) et PhD. en Muséologie, Médiation, Patrimoine (Canada). Ses travaux de recherches ont d’abord porté alors sur les publics de la culture et la notion de médiation de la culture. Elle est actuellement chercheure à l’Institut d’Histoire de l’Université du Luxembourg, et financée par la Ville d’Esch-sur-Alzette pour développer des recherches sur la transition écologique et sociale de la culture. Elle s’intéresse donc notamment aux changements de pratiques professionnelles dans le secteur culturel, induits par la transition. Elle est actuellement en charge des recherches-actions du projet Interreg Atract-AB (lien : https://zf-interreg.gectalzettebelval.eu/atract-ab/). —

 

L’écoresponsabilité des expositions et des musées est un sujet dont l’importance et la visibilité ont été accentuées par la crise sanitaire de 2020. Cette contribution vise modestement à synthétiser les questions que pose la transition de l’exposition : pourquoi et comment favoriser la transition de l’exposition ? Que manque-t-il au secteur pour y parvenir ? Nous explorerons d’abord les liens entre exposition et environnement (1) puis les leviers d’action connus pour opérer cette transition (2), pour enfin identifier les principaux freins existants (3). En conclusion, nous tenterons de dessiner les chantiers prioritaires qu’on pourrait opérer, notamment au sein d’organes de recherche comme l’Université.

1. Les liens entre exposition et environnement

Le rapport entre l’exposition et ce qu’on peut appeler la « crise environnementale » (c’est-à-dire non seulement le changement climatique, mais aussi par exemple l’érosion de la biodiversité, la disparition d’écosystèmes ou la pollution du sol, de l’eau et de l’air) est double : l’exposition est un média puissant pour sensibiliser les publics, mais elle est aussi une pratique problématique pour l’environnement.

L’exposition, une chance pour l’environnement

L’exposition peut être considérée comme un dispositif spécifique de plusieurs points de vue[1]. Une de ces spécificités est qu’elle met en relation des visiteurs et des objets dans un même espace. L’authenticité des objets exposés et la véracité des savoirs mobilisés sont des éléments importants du pacte de confiance qui se tisse avec le visiteur[2]. Les publics considèrent d’ailleurs ces derniers comme des sources d’information crédibles[3].

Par ailleurs, si, longtemps, l’exposition[4] a tenu à distance les émotions, « au motif qu’elles troublaient la compréhension et les apprentissages des visiteurs », on observe depuis une vingtaine d’années un « tournant émotionnel » en sciences humaines et sociales : dans les expositions, l’émotion devient « un moyen pour susciter une empathie […] et atteindre des objectifs comportementaux, éducatifs, civiques, voire moraux, de transformation des attitudes et des représentations[5] ». Notamment, la stratégie qui consiste à rapprocher, confronter, ou simplement mettre en parallèle les arts contemporains et les sciences ou techniques permet de « sensibiliser les visiteurs, par l’émotion esthétique, à un sujet politique ou social », même si, comme le montrent les auteurs, les effets ne sont pas mécaniquement assurés.

Ainsi, quand l’exposition porte un discours positif sur l’environnement pour sensibiliser les visiteurs à sa valeur, ou alerte sur l’état de la planète, elle peut jouer sur plusieurs registres : la diffusion de connaissances scientifiques (registre cognitif), le réveil d’émotions positives à l’égard du Vivant ou négatives à l’égard des causes de sa détérioration (registre affectif) ou le changement de comportements (registre conatif), le tout en utilisant une vaste palette de textes, images, sons, lumières, ou même odeurs, sensations… Cette médiagénie[6] de l’environnement dans l’exposition explique, au moins en partie, la forte visibilité de l’activisme environnemental dans les musées.

Ainsi, de nombreuses expositions portent ou ont porté, depuis des décennies, ce discours de sensibilisation : l’art contemporain dénonce volontiers les effets destructeurs du capitalisme sur la nature, des expositions scientifiques dans les aquariums ou les musées de sciences naturelles décrivent l’écocide actuellement mené par l’Homme, des expositions d’architecture montrent les transformations à opérer pour créer des constructions durables, des expositions scientifiques et techniques montrent les ordres de grandeur de l’impact environnemental des activités, etc.

À côté des expositions qui thématisent directement la crise environnementale, certaines créent des univers ou des récits décarbonés, qui valorisent des mondes inclusifs, divers, des temporalités plus longues, des distances plus proches. À l’inverse, certaines expositions (d’art contemporain surtout) prennent pour objet des mondes dystopiques plus ou moins clairement reliés aux problèmes climatiques. Et, quand l’environnement n’est pas le sujet de l’exposition, c’est aussi un nouveau lien aux objets de musées qui est mis en place, comme au musée des Beaux-Arts de Montréal, qui illustre des objets en ivoire par une vidéo sur le braconnage[7] et questionne ainsi la dimension patrimoniale d’un objet à l’aune de questions écologiques.

Les études de réception menées sur ces expositions montrent qu’elles remplissent un rôle de sensibilisation[8], même s’il n’a pas encore été prouvé, à notre connaissance, qu’elles infléchissent aussi les comportements des visiteurs à long terme.

On pourrait toutefois objecter que les publics libres des expositions et musées (c’est-à-dire les publics « non-captifs ») font plutôt partie de catégories sociales dotées d’un fort capital économique et culturel[9], alors que ce sont les mêmes personnes qui se soucient déjà le plus de l’environnement[10] et donc s’interroger sur l’efficacité de ce média à convaincre des personnes « pas encore convaincues ».

Deux pistes de réponse peuvent être données : d’abord, les expositions hors-les-murs, dans l’espace public, peuvent, dans certaines conditions, toucher des catégories plus larges de publics[11] ; et ensuite, les publics déjà convaincus sont aussi ceux qui doivent faire le plus d’efforts pour réduire leur empreinte écologique[12]. Leur proposer d’autres imaginaires n’est donc pas inutile. Par ailleurs (et c’est un point important), on sait que les catégories les plus défavorisées économiquement sont aussi celles qui sont et seront les plus touchées par les effets de la crise écologique[13]. La transition écologique (de l’exposition notamment) se double donc nécessairement d’une transition sociale : l’ouverture et l’inclusivité de l’exposition en sont des enjeux centraux.

L’exposition, un problème pour l’environnement

Le secteur de l’exposition est particulièrement actif et se développe. Depuis une trentaine d’années, le nombre de musées dans le monde a explosé : l’organisation internationale des musées (Icom) en compte plus de 104.000 en 2015[14]. L’exposition est aussi un secteur qui emploie des scénographes, conservateurs, médiateurs, régisseurs, personnel d’accueil mais aussi – en « dehors » des personnels des institutions – critiques d’art, artistes, conservateurs / commissaires / médiateurs indépendants, collectionneurs, étudiants ou chercheurs es sciences de la culture. Les expositions contribuent directement ou indirectement à près de 10% de toute l’activité culturelle en France, avec un poids économique direct considérable : « Avec 12.300 expositions culturelles par an en moyenne, le secteur de l’exposition a engrangé presque 117 millions de visiteurs pour l’année 2019. Par comparaison, c’est plus que le théâtre (11 millions), et cela représente plus de la moitié des entrées au cinéma (213,2 millions)[15]. »

Cette vitalité explique l’empreinte environnementale significative du secteur. Si elle est difficile à évaluer de manière précise, une étude estime que l’empreinte carbone mondiale du monde de l’art serait de l’ordre de 70 millions de Tonnes Équivalent CO2 par an[16]. En France, le collectif Les Augures estime qu’un grand musée émet environ 9.000 tonnes de CO2 par an, soit l’empreinte annuelle de 800 Français[17]. Ces chiffres, même s’ils sont indicatifs, pointent le rôle du secteur de l’exposition dans la production de gaz à effet de serre. Par ailleurs, elle contribue aussi à la pollution, l’appauvrissement des sols, la raréfaction des ressources, l’écocide, etc.

Le rapport Décarbonons la culture !, produit par le « laboratoire d’idée » ou « Think tank » Shift project[18], propose, à notre connaissance, la meilleure synthèse des éléments des expositions qui sont les plus problématiques en termes d’atteinte environnementale. On peut les synthétiser ainsi : la mobilité est le premier poste émetteur de gaz à effet de serre (GES) pour l’exposition – celle des publics, puis (largement derrière en général), le transport, le conditionnement et le convoiement des œuvres. Cette mobilité des publics peut représenter plus de 90% du bilan carbone d’un très grand musée. Vient ensuite la question des bâtiments et spécifiquement la consommation d’énergie (éclairage, chauffage / climatisation), liée à des normes internationales de conservation (température constante de 20 degrés et hygrométrie de 50%). On trouve après la question des matériaux utilisés pour les expositions, qui peuvent être très émetteurs de GES et polluants (la moquette, le polyane par exemple) ou qui ne sont pas spécifiquement émetteurs de GES, mais qui peuvent être un facteur de déforestation (ce qui accentue évidemment le problème climatique), de pollution ou de consommation d’eau (c’est le cas par exemple des cimaises en bois aggloméré). Enfin, les questions de l’alimentation, des achats, de la consommation d’eau, du traitement des déchets ou du numérique pourraient constituer une quatrième catégorie, moins impactante en proportion, mais toutefois significative.

Évidemment, ces impacts varient en fonction du type de structure, de la nature du bâtiment ainsi que de la programmation ou surtout de la visée internationale ou locale de l’institution. Ainsi, plus le musée vise une audience internationale et plus la mobilité des publics représente un enjeu important. C’est le cas (souvent cité) du Louvre, qui impute 98% de son bilan carbone aux déplacements de ses visiteurs. Par comparaison, la Réunion des Musées Nationaux Grand Palais n’impute qu’un tiers de son bilan carbone à la mobilité des publics.

Les évolutions du secteur observées ces dernières décennies vont dans le sens d’une aggravation de ces impacts. Le rythme des expositions temporaires et des événements s’est fortement accéléré, pour répondre aux attentes d’un système économique toujours plus exigeant. En 2013 déjà, Daniel Jacobi posait la question du sens d’une « accélération, qui dépasse le rythme d’adaptation des acteurs qui sont censés la faire vivre » et d’un musée qui, dans ces conditions, ne peut plus être « en phase avec ses missions premières[19] ».

À l’accélération tendancielle du nombre d’expositions et, conséquemment, au raccourcissement de leur durée, on peut ajouter une logique d’événementialisation croissante avec de plus en plus d’expositions blockbusters qui mobilisent des publics internationaux dans une optique de visibilité des territoires.

L’augmentation de la place du numérique (numérisation des œuvres et des expositions, dispositifs de médiation, NFT, metaverse, etc.), accentuée par la crise sanitaire de 2020, est aussi une partie du problème, alors qu’elle est souvent présentée comme une solution, via par exemple la visite d’expositions à distance ou encore la création d’expositions numériques.

Enfin, on peut penser que, dans le contexte de marchandisation des expositions qui est le nôtre, les musées, centres culturels et a fortiori les galeries collaboreraient peu les uns avec les autres, et encore moins à l’échelle d’un territoire réduit. Cela conduirait à une absence de coordination pour la circulation des œuvres, des expositions ou même des artistes invités.

Du côté des personnels, l’épuisement est palpable dans une partie des institutions[20] : il est notamment dû à l’externalisation des métiers de l’entretien, de la sécurité, mais aussi des équipes techniques, de montage, de transport et de médiation, et à leur précarisation, et aussi à une baisse des effectifs et des moyens pour réaliser de plus en plus d’événements[21].

Du côté des publics, il n’a pas été prouvé que cette accélération puisse générer une démocratisation des musées ou expositions[22] : comme dit précédemment, la réponse à l’offre culturelle reste plus forte parmi les catégories sociales disposant d’un revenu plus élevé et chez les personnes ayant un haut niveau de scolarité[23]. Se pose alors, à nouveau, la question du sens de ces évolutions.

L’enjeu éthique lié à la destruction du Vivant devrait donc à lui seul motiver une (ré)action massive et immédiate du secteur. Mais cet enjeu n’est pas le seul qui pourrait provoquer cette action immédiate. La raréfaction des ressources énergétiques (pétrole / gaz) et le réchauffement climatique pourraient conduire prochainement à une série de problèmes pour l’exposition : impossibilité de déplacer des œuvres et surtout des publics, coupure d’énergie (et donc problème de conservation mais aussi fermeture[24]) ou encore multiplication de crises sanitaires (et donc fermetures répétées). Enfin, des coupes budgétaires sont à craindre pour un secteur qui n’est (on en est maintenant certains) pas un « secteur prioritaire ». En somme, si l’exposition doit fournir des efforts pour minimiser ses atteintes au Vivant, ce n’est pas que par souci éthique : c’est une question de survie, surtout pour les petites et moyennes structures.

2. Les leviers d’action

Le rapport du Shift Project en France, Décarbonons la culture ! est un outil fondamental pour mettre en place des mesures écoresponsables pour le secteur culturel. D’autres outils existent aussi, spécifiquement adaptés à l’exposition : les chartes, labels et guidelines ne manquent pas[25] et plusieurs structures comme Les Augures, Karbone Prod, Solinnen, Art of Change 21, ou des écoconseillers accompagnent les musées dans leur transformation.

Sans viser l’exhaustivité, examinons quelques dynamiques de transformation nécessaires et des exemples de mesures à appliquer en fonction de la simplicité de leur mise en œuvre et de leur impact.

Les dynamiques et mesures

Le rapport Décarbonons la culture ! propose d’inscrire le secteur culturel dans quatre dynamiques générales : relocaliser les activités ; ralentir les déplacements ; diminuer les échelles (des jauges notamment) et écoconcevoir.

Ces dynamiques traversent quatre types de mesures à mettre en place :

1) les mesures dites « transparentes[26] » (court terme, faciles à mettre en œuvre) consistent par exemple à rédiger une charte d’engagement ou à substituer les protéines animales par des protéines végétales dans les menus proposés aux personnels et publics. On pourrait y adjoindre une série de gestes essentiellement techniques, comme le tri des déchets, l’alimentation locale, le remplacement des dispositifs énergivores par des appareils basse consommation, etc.

2) Les mesures « positives » (assez faciles à mettre en œuvre) recouvrent : l’adjonction de critères environnementaux pour les sous-traitants et fournisseurs ou dans le processus de recrutement, la formation des personnels et futurs engagés aux enjeux de la transition, l’accroissement des échanges entre le secteur professionnel et le monde de l’enseignement, la valorisation des mobilités décarbonées à destination des publics, le recours aux ressourceries pour la création des muséographies, la mise en vente de produits dérivés à faible impact, etc.

3) Les mesures dites « offensives » (qui supposent de réorganiser les modes de travail) peuvent être : la mise en place d’une stratégie de production des expositions incluant les enjeux de la transition, le travail sur la performance énergétique des bâtiments (y compris des mesures de conservation), la prise en compte du budget carbone des expositions temporaires, l’écoconception des expositions, le groupement des transports d’œuvres, la modification des pratiques de transport et de convoiement des œuvres et de déplacement des publics, l’assouplissement des normes internationales de conservation, ou encore la diminution du nombre d’expositions temporaires et l’allongement de leur durée. En outre, on pourrait ajouter que la transition écologique ne se fera pas sans une transition sociale : l’inclusion des publics et l’engagement de l’institution dans le sens du care[27] est une nécessité qui suppose notamment tout un travail sur la chaîne d’accessibilité des expositions.

4) Les mesures dites « défensives » enfin impliquent un renoncement au transport de certaines œuvres (venant de loin ou pour un temps très court), à des matériaux carbonés, à certaines technologies (UHD, 4K ou 8K, vidéos en ligne), ou à des innovations technologiques carbonées (NFT par exemple). Béatrice Josse promeut par exemple la notion de « désinnovation » : il s’agit d’abandonner certaines innovations qui, par ailleurs (c’est nous qui l’ajoutons), peinent souvent à montrer un effet positif sur les publics[28]. On pourrait aussi citer le renoncement aux logiques d’exclusivité par la mise en place de la circulation d’expositions, via ce qu’on pourrait appeler la « coprogrammation », c’est-à-dire le fait de programmer dans plusieurs institutions une exposition, afin d’allonger sa durée de vie et de la diffuser mieux dans le territoire (et donc baisser les mobilités des publics[29]). On peut citer également le renoncement à la course à la fréquentation. L’abandon de certains financements du privé (des mécènes pollueurs adeptes d’artwashing[30]) est un sujet aussi important qu’épineux. Enfin, un ralentissement important, marquant, des activités (mais sans baisse de personnel) aurait aussi un impact sur le bien-être des personnels et des publics.

Ce qu’il reste à faire

On sait donc ce qu’il faut faire. Muni de ces outils, en toute logique, en quelques années, ce secteur devrait baisser drastiquement son atteinte à l’environnement et même participer à la transition écologique et sociale en créant, diffusant ou renforçant des imaginaires qui valorisent le respect du Vivant. Combien d’institutions ont effectivement pris ce chemin ?

En l’absence d’une étude quantitative sur le sujet, il est difficile d’estimer l’état d’avancement des institutions. En France par exemple, les « petits gestes » sont anciens, mais les actions d’ampleur sont plus récentes : le Louvre a été le premier musée à créer le poste de chargé de développement durable en 2011. Dernièrement, plusieurs musées comme le musée du Quai Branly ont signé la charte de Développement durable des Établissements et Entreprises publics ou se sont engagés dans un processus de labellisation européenne, et des musées plus petits écrivent leur propre charte. Autres exemples : Paris Musées réutilise désormais « entre 60 et 95% du matériel de ses expositions[31] » et le musée des Beaux-Arts de Lille est passé de deux expositions par an à une tous les deux ans, avec des éléments de scénographie réutilisés à 70% grâce à une ressourcerie. Au Palais de Tokyo enfin, on ne climatise plus les salles du rez-de-chaussée, situées sous des verrières : on les ferme une partie de l’été pour cause de fortes chaleurs et les expositions descendent au sous-sol. Les plus grands musées du monde réalisent et publient leur bilan carbone. Passées une certaine taille, toutes les institutions comptent désormais, dans leur équipe, des responsables RSE-RSO, voire des départements entiers dédiés à l’écoresponsabilité (même si le personnel éprouve parfois des difficultés à se former). À un autre niveau, le Conseil international des musées (Icom) propose des séminaires sur la durabilité (par exemple sur l’épineuse question des normes de conservation).

Les actions des musées semblent s’accélérer depuis la crise sanitaire et, dernièrement, face aux alertes qui se multiplient (crise énergétique, interpellations directes du monde de l’art, activistes écologistes exaspérés…). Si le sujet semble donc pris en charge par les plus grandes institutions, souvent avec sincérité dans la démarche, on observe néanmoins que 1) rares sont celles qui bouleversent leur façon de faire et vont jusqu’à des mesures offensives ou défensives : la plupart, par exemple, n’abandonnent pas les expositions temporaires internationales ; et 2) ce n’est pas encore le cas de tous les musées du monde et spécifiquement pas des structures plus petites ou moins visibles. Comment peut-on l’expliquer ?

3. Les principaux freins à l’action

En dehors du secteur culturel, Aurélien Barrau, sommé de répondre à la question « pourquoi ne fait-on rien[32] ? », cite différents blocages à l’action : la mécompréhension de la situation, le fait que les pouvoirs publics donnent l’illusion d’une transition qui n’existe pas, la bêtise de certains médias, le fait qu’il soit plus confortable de s’enfermer dans la négation, les échelles de temps géologiques qui ne coïncident pas avec le calendrier politique, le fait que nous ayons développé des dépendances qui échappent à notre contrôle, etc. Il est vraisemblable que ces freins expliquent aussi ceux du secteur culturel et spécifiquement du secteur de l’exposition. Mais dans ce dernier secteur, y aurait-il des freins plus spécifiques ? Nous pensons que oui, d’après les échanges formels et informels que nous avons eus avec ses acteurs. Il faudrait évidemment le vérifier scientifiquement pour affirmer et quantifier ces tendances : les pistes qui suivent sont issues d’une pré-étude sur le sujet.

Il existe d’abord des difficultés liées à des règles établies, nationales ou internationales, non compatibles avec les recommandations connues. C’est le cas par exemple des conditions de conservation (température et hygrométrie), de transport (conditionnement et convoiement) ou même de prêt des œuvres (certaines ne sont pas empruntables plus de 3 mois). Même si elles sont actuellement discutées, ces normes ne changent pas aussi vite que nécessaire[33].

L’idée selon laquelle ce n’est pas au secteur culturel de fournir des efforts, mais bien d’abord aux secteurs de l’industrie ou de l’agriculture, par exemple, est répandue dans le secteur culturel. Elle est d’ailleurs reliée à la suivante : on demande toujours beaucoup au secteur culturel et au musée. Comme en témoignent les différentes définitions dont il fut l’objet au cours de ce dernier siècle[34], ses missions ont évolué considérablement et ce qu’on attend de lui semble parfois extrêmement ambitieux. Les adaptations à faire pour une transition représentent encore une nouvelle série de bouleversements dont on peut comprendre qu’ils soient difficiles à mettre en place, surtout au vu de leur ampleur.

Très directement en lien avec cette (r)évolution du musée et la multiplication des missions qu’on lui impute, le manque de temps et de personnel est un frein puissant à l’enclenchement d’une transition du musée. Dans les petites et moyennes structures, un poste est rarement dédié à la transition et, même si c’est le cas, il est difficile de former l’ensemble du personnel…. déjà sous pression et débordé par son travail quotidien. Par ailleurs, engager un musée dans la transition suppose non seulement de mettre en place des « petits gestes » liés au tri ou à l’énergie, mais surtout un changement profond de politique au sein de l’institution. Le travail à réaliser à tous les niveaux et dans tous les métiers est donc considérable.

La transition est aussi parfois vue comme un « prétexte » pour justifier une politique d’économie. C’est le cas par exemple dans le spectacle vivant, qui craint un soutien moindre aux artistes avec l’argument (néanmoins bien réel) d’une surproduction. Dans le secteur de l’exposition, l’augmentation des jours de fermeture, la baisse des budgets pourraient également être en réalité des « prétextes » pour réaliser des économies.

Le manque d’informations ou de connaissances, également, est flagrant au sein du secteur culturel et de l’exposition. Les professionnels de la culture sont, certes, sensibles aux problématiques environnementales, mais en méconnaissent les enjeux : près de 88 % des professionnels et étudiants interrogés n’ont reçu aucune formation initiale ou continue aux « enjeux énergie-climat », même si 88 % des mêmes interrogés souhaitent être formés à ces enjeux[35].

Ce manque de formation pourrait d’ailleurs expliquer un sentiment d’impuissance, notamment face à l’enjeu majeur de la mobilité des publics. Ainsi, le bilan carbone d’un ensemble de grands musées indiquait en 2016 dans son introduction : « bien que les émissions de GES liées aux visiteurs aient été calculées, il a été choisi de prendre un périmètre d’analyse restreint ne prenant pas en compte ces émissions sur lesquelles il est difficile voire impossible d’agir. » (nous soulignons). Évidemment, il existe de nombreux leviers pour jouer sur la mobilité des publics et les institutions doivent prendre leur part de responsabilité dans ce problème. Toujours est-il que ce sentiment est un frein puissant.

Les institutions culturelles et notamment les musées sont aussi soumis à des injonctions contradictoires de la part des pouvoirs publics. Ils sont encouragés à opérer une transition écologique, mais aussi à l’innovation numérique, à la visibilité du territoire qui les finance, avec toujours plus d’événements, de communication, d’animations et d’expositions temporaires… Notons au passage que les injonctions contradictoires ont ceci de pervers qu’elles font reposer la responsabilité sur les destinataires de l’injonction (ce ne sont pas des ordres) et que, leur réalisation étant impossible, elles mènent à l’inconfort de ces derniers[36].

Enfin, les musées et expositions subissent aussi des pressions externes avec le désinvestissement des financements publics et l’augmentation de la part des financements privés. Or, il est difficile d’inclure, par exemple, dans une exposition sur l’espace financée par de grandes agences spatiales européennes, un discours scientifique sur les risques écologiques des voyages sur Mars…

On pourrait continuer à énumérer d’autres freins qui entravent une réelle et rapide transition du secteur. Mais, à ce niveau, nous retiendrons que :

1) la relative lenteur de la transition dans le secteur de l’exposition est le fruit de multiples freins : une action sur plusieurs plans, plusieurs échelles et avec plusieurs méthodes, auprès de plusieurs acteurs, est donc nécessaire.

2) On ne se forme pas parce qu’on n’est pas informé ; on n’est pas informé parce qu’on n’a pas le temps de se tenir informé ; on n’a pas le temps parce qu’on est tenu de travailler de plus en plus vite et de « produire » de plus en plus (notamment de plus en plus d’expositions temporaires), etc. – il semble évident que l’état d’épuisement du secteur (et de ses acteurs) ne constitue pas un terreau fertile à la réflexion et à l’action.

3) On l’a vu : même si des freins exogènes existent et sont puissants (injonctions, manque de temps et de personnel, manque de formations, rapports de force avec les financeurs, etc.), il existe aussi de nombreux freins endogènes, liés au ressenti ou aux représentations des professionnels eux-mêmes (peur du changement, méconnaissance des enjeux, etc.).

Pour toutes ces raisons, la transition écologique et sociale ne peut pas se décider : elle doit s’accompagner. Plus exactement, on peut décider de mettre en place des « petits gestes » techniques, mais qui ont peu d’impact réel sur le bilan environnemental de l’institution. Mais la mise en place de véritables mesures ayant des effets importants et à long terme (« offensives » et « défensives ») requiert un bouleversement des valeurs, de l’ethos professionnel et des « repères », et donc, une véritable transformation axiologique, c’est-à-dire une transformation des valeurs sociologiques et morales, qui sous-tendent les discours et les actions.

C’est une « révolution du désir » qu’il faut opérer selon Aurélien Barrau[37], au sens deleuzien, « c’est-à-dire en tant que valeur propre et non comme simple mode d’accès au plaisir ». La question de la coopération avec les autres institutions par exemple suppose un changement complet de praxis professionnelle et de mentalité. Un long travail autour des croyances est donc à opérer, à l’heure où on demande aux formations professionnelles des connaissances de plus en plus directement « applicables » et « pratiques ».

La notion de « permaculture institutionnelle », inventée au palais de Tokyo[38] et ensuite largement reprise par d’autres institutions, soutient, en partie au moins, cette idée de changement total de valeurs. Guillaume Désanges la définit comme une philosophie qui s’élabore dans le temps long, censée déboucher sur un changement institutionnel, qui envisage « des modes de pensées plus globaux, des perspectives plus longues, des philosophies de travail ». Elle repose notamment sur le partage et la collaboration plutôt que la concurrence, le temps long, la recherche de la diversité artistique et surtout sur un questionnement global : pour quoi agissons-nous ? Le curateur renouerait alors avec son rôle premier de « celui qui prend soin » (curateur vient du latin curator, qui signifie « soigner », « prendre soin de »), non seulement des œuvres, mais aussi des artistes, des personnels et des publics. Repenser les missions et les fonctionnements des institutions, c’est plus qu’un ensemble de règles à établir, comme l’écrit Guillaume Désanges dans son Traité, « c’est une éthique, un esprit insufflé à l’ensemble de l’institution : de la communication au bâtiment, du management à la programmation ».

Conclusions et pistes de réflexion

Comme on le voit, la question de la transition de l’exposition dépasse de loin la seule mise en place de mesures techniques de décarbonation : le problème est plus large, les solutions plus difficiles. En somme, le tournant attendu de l’exposition questionne tout son fonctionnement actuel et notamment le modèle des grands musées qui reposent entièrement sur des expositions et des publics internationaux.

Mais, à y regarder de plus près, la transition écologique et sociale apparait aussi comme un levier pour renégocier des enjeux anciens ou plus récents, comme ceux liés à l’entrée des musées dans une logique commerciale. En d’autres termes, remettre en cause le musée ou l’exposition tels qu’ils sont aujourd’hui serait difficile sans cette urgence d’agir. Il y a donc là une « occasion » à saisir : l’exposition doit se métamorphoser si elle veut survivre à long terme.

Quelle serait alors la stratégie à mettre en place pour opérer ce changement axiologique au sein des expositions ? La transition doit être menée de façon coordonnée, sur plusieurs fronts et à plusieurs échelles du territoire et des institutions. Les outils existent. Il est nécessaire de les utiliser et d’inciter le secteur à les utiliser, notamment, on peut le penser, en encourageant les efforts des structures engagées dans la transition, par de nouveaux soutiens.

Dans le milieu de la recherche (notamment à l’Université, mais aussi au sein de structures de recherche indépendantes), il nous semble que deux mouvements pourraient être centraux dans la transition, mais restent encore à développer.

1) Il faut coordonner des recherches-actions[39] pluridisciplinaires pour montrer les effets (techniques, sociétaux, psychologiques…) des changements attendus de la transition, au sein par exemple d’une équipe mixte, pluridisciplinaire et internationale ou d’équipes locales, mais toujours en lien avec le territoire et ses acteurs. Il est nécessaire d’évaluer scientifiquement l’effet de certaines actions sur le bilan environnemental d’une institution ou sur la conservation des œuvres : l’effet du ralentissement du rythme des expositions sur les personnels et les publics, des coprogrammations sur la fréquentation ou sur la mobilité des œuvres et des publics, de la relocalisation sur la participation culturelle ou, plus globalement encore, la congruence des intérêts écologiques et des intérêts des publics, des personnels,, etc. Même si certaines de ces hypothèses étaient invalidées, il serait pertinent de connaître les effets réels de ces changements pour que les institutions choisissent ou non, mais en toute connaissance de cause, de bouleverser leurs pratiques. De même, il faut systématiser les évaluations des dispositifs dits « innovants » afin de stopper la course à l’équipement parfois sans fondement à laquelle on assiste depuis des décennies ou pour la réorienter en questionnant nos objectifs. Enfin, des critères de réussite qui supplantent la fréquentation et le succès commercial seraient encore partiellement à inventer ou du moins à renforcer.

2) Les résultats de ces recherches doivent être diffusés largement. La formation des personnels et des publics doit être renforcée par la mise en place de programmes à différentes échelles du territoire et par leur communication massive. Cette formation ne doit pas uniquement être technique (les « petits gestes » directement applicables) et ne doit surtout pas évacuer la question des valeurs. Par ailleurs, les personnes à former doivent d’abord être celles qui ont un pouvoir de décision : à l’intérieur des institutions, non pas les responsables « durabilité » mais bien celles en charge de la politique générale de l’institution ; et au sein des pouvoirs publics, les élu∙e∙s en premier lieu.

Il nous semble que ces deux actions permettraient de lever certains freins (blocages légaux, peur de la transition comme prétexte, manque d’informations / de connaissances, sentiment d’impuissance, injonctions contradictoires…). En ce sens, l’Université a un rôle important à jouer dans cette question, en partenariat avec l’exposition et ses acteurs. Encore faut-il cependant qu’elle aussi s’interroge sur les changements de valeurs qu’elle doit opérer, mais il s’agit là d’une autre histoire…

Notes

* Tous les liens URL ont été consultés en novembre 2024.

  1. Davallon J., L’exposition à l’œuvre : stratégies de communication et médiation symbolique, Paris, L’Harmattan, 1999.
  2. Gob A., Drouguet N., « Les publics des musées », Gob A., Drouguet N. (dir.), La muséologie, Paris, Armand Colin, 2021, p. 137-160.
  3. Le projet Repenser les musées au Canada s’appuie sur une enquête qui montre que les musées sont des sources d’information crédibles pour 86% des interrogé·e·s, contre 48% pour les journaux papier. Loewen C., «Reconsidering Museums», Muse, automne 2021, en ligne : https://museums.ca/site/reportsandpublications/museonline/fall2021_reconsidering_museums.
  4. Les auteurs se réfèrent ici à l’exposition « en général » et pas seulement des expositions d’art ou de science.
  5. Crenn G., Vilatte J.-C. « Introduction », Culture & Musées, n° 36, 2020, p. 15-33.
  6. Selon la définition de Philippe Marion, la médiagénie d’un sujet définit sa capacité à « se réaliser de manière optimale en choisissant le partenaire médiatique qui [lui] convient le mieux » : Marion P., « Narratologie médiatique et médiagénie des récits », Recherches en communication. Vol. 7 : Le récit médiatique, 1997, p. 61-88.
  7. Le braconnage touche des espèces sauvages, dont certaines menacées. Conséquemment, des objets de musée en ivoire ou en fourrure par exemple sont directement liés à l’écocide et à la crise environnementale.
  8. Voir par exemple : Gasc C., Serain F., « La réception d’une exposition environnementale par les adolescents », La Lettre de l’Ocim, n° 105, mai-juin 2006, p. 11-18 ; Fracchetti J., Guai P.-A., « L’influence d’une exposition environnementale sur les représentations et pratiques des visiteurs-citoyens », La Lettre de l’Ocim, n° 134, mars-avril 2011, p. 14-21, également en ligne : https://journals.openedition.org/ocim/830.
  9. Voir par exemple : Donnat O., « Démocratisation de la culture : fin… et suite ? », J.-P. Saez (dir.), Culture et société : un lien à reconstruire, Toulouse, Éd. de l’Attribut, 2008, p. 55-71.
  10. CRÉDOC, Consommation & Modes de Vie. N° 303 : Consommation durable : l’engagement de façade des classes supérieures (dossier rédigé par Sessego V., Hébel P.), mars 2019.
  11. Voir par exemple : Chaumier S., Kurzawa M. (dir.), Le musée hors les murs, Dijon, EUD ; Ocim, 2019 ; Eidelman J., Jonchery A., « Sociologie de la démocratisation des musées », Hermès. N° 61 : Les musées au prisme de la communication, 2011, p. 52-60.
  12. CRÉDOC, Consommation & Modes de Vie, n° 303 : Consommation durable : l’engagement de façade des classes supérieures (dossier rédigé par Sessego V., Hébel P.), mars 2019.
  13. Chancel L., Bothe P., Voituriez T., Climate Inequality Report 2023. Fair Taxes for a Sustainable Future in the Global South, World Inequality Lab, 2023, en ligne : https://wid.world/news-article/climate-inequality-report-2023-fair-taxes-for-a-sustainable-future-in-the-global-south/.
  14. Rapport UNESCO. Avril 2021 : Les musées dans le monde face à la pandémie de Covid-19, en ligne : https://www.icom-musees.fr/sites/default/files/2021-04/2e-rapport-unesco-musees-monde-face-pandemie-covid-19.pdf.
  15. Observatoire des métiers du numérique, de l’ingénierie, du conseil et de l’événement (OPIIEC) : Les besoins en emploi et compétences des métiers de la conception et du suivi de réalisation d’expositions culturelles  en ligne : https://www.opiiec.fr/sites/default/files/inline-files/OPIIEC_Expositions%20culturelles%20Rapport%20final.pdf.
  16. Julie’s Bicycle: creative, climate, action, The Art of zero. An indicative carbon footprint of global visual arts and the transition to net zero, Avril 2021, disponible sur https://juliesbicycle.com/wp-content/uploads/2022/01/ARTOFZEROv2.pdf.
  17. Voir Les Augures, en ligne : https://lesaugures.com/.
  18. The Shift Project : Décarbonons la culture ! Dans le plan de transformation de l’économie française. Rapport final, novembre 2021, en ligne : https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2021/11/211130-TSP-PTEF-Rapport-final-Culture-v2.pdf.
  19. Jacobi D., « Exposition temporaire et accélération : la fin d’un paradigme ? », La Lettre de l’Ocim. N° 150 : Demain, les musées, 2013, en ligne : https://journals.openedition.org/ocim/1295.
  20. Voir par exemple l’enquête de Sarah Bos pour l’Humanité, en ligne : https://syndicoop.info/epuisement-professionnel-absence-de-protection-sociale-derriere-le-faste-des-musees-une-precarite-a-bas-bruit/.
  21. La CGT parlait d’une baisse de 2,4 % en moyenne des effectifs en 2011 dans le secteur des grands musées parisiens. Voir  en ligne : https://www.cgt-culture.fr/wp-content/uploads/2011/12/2011-12-29_-_SNMD_-_musees_-_encore_des_records.pdf.
  22. Olivier Donnat dénonce à ce propos une « thèse illusoire » qui reposerait sur une sorte de théorie du « ruissellement » : « plus l’offre culturelle sera riche, plus elle sera partagée par tous » (Donnat O. cité par Guerrin M., « Le sociologue qui casse le moral », Le Monde, 27 octobre 2018).
  23. Culture Études. N° 2 : Cinquante ans de pratiques culturelles en France (dossier rédigé par Lombarda P., Wolf L.), 2020-2.
  24. Depuis 2022, les musées de la ville de Strasbourg sont fermés deux jours par semaine pour générer plus d’économie d’énergie.
  25. Voir par exemple : la Charte de développement durable de la filière événement, en ligne : http://www.eco-evenement.org/fr/charte-23.html ; la Charte des écomusées, en ligne : https://fems.asso.fr/wp-content/uploads/2020/08/Charte-ecomusees.pdf ; la Boîte à outils sur les pratiques muséales environnementales du comité international des Musées et Collections d’art moderne, en ligne : https://www.icom-musees.fr/actualites/cimam-boite-outils-sur-les-pratiques-museales-environnementales
  26. Cette terminologie est empruntée à The Shift Project : Décarbonons la culture ! Dans le plan de transformation de l’économie française. Rapport final, novembre 2021, en ligne : https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2021/11/211130-TSP-PTEF-Rapport-final-Culture-v2.pdf.
  27. Voir par exemple : Tronto J., « Du care », Revue du Mauss, n° 32, 2008, p. 243-265.
  28. Josse B., « Les institutions culturelles participent-elles à retarder la fin du monde ? », Intervention au cours du workshop Écoresponsabilité dans la Culture, Esch-sur-Alzette, Ministère de la Culture / KulturFabrik, 24 novembre 2022, en ligne : https://gouvernement.lu/dam-assets/documents/actualites/2022/11-novembre/28-workshop-culture/texte-beatrice-josse-esch-241122.pdf.
  29. Une plateforme visant la circulation des œuvres a été mise en place en 2023 dans le secteur des arts vivants (CooProg.eu) et, en 2024, dans le secteur des musiques actuelles. Une démarche similaire pourrait sans doute être adoptée pour certaines expositions.
  30. Ce néologisme désigne l’utilisation, par une entreprise privée, de la philanthropie et des arts pour améliorer sa réputation.
  31. Gignoux S., « Crise énergétique : les musées contraints, eux aussi, à la sobriété », La Croix, 4 octobre 2022, en ligne : https://www.la-croix.com/Culture/Crise-energetique-musees-contraints-eux-aussi-sobriete-2022-10-04-1201236099.
  32. Barrau A., « Pourquoi ne réagissons-nous pas à l’urgence climatique ? Et si nous interrogions la question ? », Univershifté, 10 septembre 2022, en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=cGn4cUc1X8o&t=0s.
  33. Pour autant, certains musées ont décidé de s’en affranchir : le musée des Beaux-Arts de Lille a fait descendre la température en hiver à 18°C dans les collections permanentes et le musée des Beaux-Arts de Dijon a pu baisser la climatisation en été dans certaines de ses salles. Ce frein n’est donc pas insurmontable.
  34. Voir par exemple : Desvallées A., Mairesse F. (dir.), Vers une redéfinition du musée ?, Paris, L’Harmattan, 2007.
  35. Réveil Culture, Étude réalisée sur 126 lieux, écoles, indépendants et acteurs institutionnels du secteur culture, en ligne : https://drive.google.com/file/d/12PdNOHS_Hh6cyKVQJdk15C92DFHel_IE/view ; Réveil Culture, Étude sur les connaissances des enjeux climatiques, en ligne : http://reveilculture.fr/?page_id=902.
  36. Voir par exemple : Bourocher J., « Injonction paradoxale », Vandevelde-Rougale A., Fugier P. (dir.), Gaulejac V. (de) (coll.), Dictionnaire de sociologie clinique, Toulouse, Érès, 2019, p. 365-367.
  37. Barrau A., Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité, Paris, Michel Lafon, 2019.
  38. Désanges G., Petit traité de permaculture institutionnelle pour un site de création contemporaine, vivant et productif, Paris, Palais de Tokyo, (n.d.), en ligne : https://palaisdetokyo.com/ressource/petit-traite-de-permaculture-institutionnelle/.
  39. Une recherche action est une recherche qui a un double objectif : « transformer la réalité (élaboration d’un outil) et produire des connaissances concernant ces transformations ». Voir Hugon M.-A., Seibel C. (dir.), Recherches impliquées, recherches action : le cas de l’éducation, actes du colloque (Paris, 22- 24 octobre 1986), Bruxelles, De Bœck Université ; Paris, Éd. universitaires, 1988, p. 13.

Pour citer cet article : Céline Schall, "L’écoresponsabilité des expositions : au-delà des mesures techniques, une révolution axiologique", exPosition, 25 novembre 2024, https://www.revue-exposition.com/index.php/non-classe/lecoresponsabilite-des-expositions-au-dela-des-mesures-techniques-une-revolution-axiologique/%20. Consulté le 4 décembre 2024.

Quitter la neutralité pour mieux l’atteindre ? L’exemple de l’exposition  Empreinte carbone, l’expo ! au musée des Arts et Métiers (Paris, 2024-2025)

par Anaïs Raynaud et Marjolaine Schuch

 

Diplômée de l’école du Louvre, Anaïs Raynaud est attachée de conservation et cheffe de projet au département des Expositions et des Manifestations culturelles du musée des Arts et Métiers. Avant cela, elle a travaillé au MuCEM et au musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux.

Titulaire d’un master d’Histoire des Sciences et d’Épistémologie (Université Paris Diderot), Marjolaine Schuch est cheffe de projet au département des Expositions et des Manifestations culturelles du musée des Arts et Métiers.—

Fig. 1 : Affiche de l’exposition. Agence Drôles d’oiseaux – Illustration © Dugudus

En octobre 2024, le musée des Arts et Métiers a ouvert une exposition consacrée à l’empreinte carbone (Fig. 1). C’est un événement conçu en interne par le département des Expositions et des Manifestations culturelles. En tant que cheffes de projet, nous assurons à la fois le développement des contenus – sans commissaires mais avec le soutien d’un conseil scientifique – et la création muséographique – aux côtés d’une agence de scénographie qui constitue la maîtrise d’œuvre. Nous avons par ailleurs bénéficié du mécénat de compétences d’un centre d’expertises en développement durable sur les contenus de l’exposition, notamment les quantifications qui y sont présentées. Cette exposition vise à déconstruire les présupposés et les idées reçues sur notre empreinte carbone, d’en décortiquer les mécanismes et de proposer aux visiteurs un espace de réflexion sur les actions à mener face au défi du réchauffement climatique. Le sujet, dans sa dimension scientifique et technique, s’insère logiquement dans la thématique du musée des Arts et Métiers. Cette institution, anciennement musée national des techniques, conserve et expose des jalons de l’histoire scientifique française et européenne. De la pascaline au cyclotron en passant par le cinématographe ou l’avion d’Ader, ces collections comptent près de 80 000 objets. La Révolution industrielle y tient une place importante, du fait d’un essor important de l’institution et de sa maison-mère, le Conservatoire national des arts et métiers, au XIXe siècle, essor tourné en partie vers l’exaltation de la puissance industrielle française (Fig. 2).

Fig. 2 : Vue de la scénographie : introduction historique « À la source… des énergies » © Daniel Osso / La Fabrique Créative

Le projet répond à un triple objectif : accompagner nos visiteurs vers le changement, relire les collections du musée à l’aune de cette question d’actualité et repenser nos pratiques professionnelles pour construire un musée plus en phase avec les principes du développement durable.

Cet objectif multiple nécessite de revoir un certain nombre de nos pratiques et de nos conceptions habituelles, en évitant un discours descendant que les visiteurs reçoivent au cours d’une visite passive ou à sens unique. Nous interrogeons également la position depuis laquelle nous, en tant que muséographes, approchons le sujet, imaginons des façons différentes de rapprocher un sujet et son public, plus proches, plus liés, plus engagés. Pour cela, il semble nécessaire de questionner deux valeurs encore souvent aujourd’hui cardinales pour les musées : l’objectivité et la neutralité. Nous rapprochant des musées de société ou des centres de culture scientifique et technique, qui assument leur subjectivité et leur engagement, nous souhaitons être acteurs du changement et partie prenante sur des questions de société[1]. Quitter la neutralité[2], avec tout ce qu’elle comporte de biais, conscients ou non, et arrêter de survoler les débats, de se penser au-dessus de la mêlée. Traiter un sujet comme celui de l’empreinte carbone est au contraire l’occasion de montrer que le musée, et ceux qui y travaillent, sont concernés et partagent les mêmes difficultés à penser et à s’engager dans le changement.

Engager les visiteurs

Avec ce projet, nous souhaitons nous éloigner d’un discours à sens unique, descendant, et d’une expérience de visite trop fléchée. Pour des raisons de contexte contraint, notamment d’une temporalité trop resserrée, nous n’avons pas pu engager un véritable processus de co-construction avec des groupes extérieurs au musée. Malgré cela, nous visons un fort engagement de nos visiteurs et nous avons l’ambition de leur proposer une exposition qui permette une mise en action, individuelle et collective, ce collectif nous incluant. Pour cela, il faut que les visiteurs aient de la place et des outils pour construire du sens, développer leurs réflexions et faire grandir leurs envies d’agir.

Nous avons souhaité nous placer dans une position ouverte, où le musée n’est pas le seul détenteur du savoir mais plutôt une ressource à partir de laquelle des points de vue et des positions peuvent émerger, avec autant de légitimité. Il s’agit ici de partager la production des savoirs et de déconstruire la position dominante du musée dans son rapport à son public. L’avis des visiteurs compte, que celui-ci soit motivé, argumenté, construit, ou plus émotionnel et sensible. Ces deux registres de réaction sont valables et il est possible ensuite d’en tirer du sens. Nous nous sommes inspirées de la notion de convivialité développée par Ivan Illitch[3], en créant un lieu d’échange et de discussion sans hiérarchie.

Fig. 3 : Dispositif « La caisse carbone » et ses deux modes de jeu © Daniel Osso / La Fabrique Créative

Comment ouvrir la production de discours, et donc de sens, aux visiteurs ? Dans l’exposition, cela passe par des dispositifs semi ou peu directifs qui permettent l’expression du public. Deux d’entre eux sont particulièrement structurants dans le parcours : l’un situé au milieu du parcours, la « caisse carbone », l’autre en fin de visite, le jeu de rôle « Futurs en construction » (Fig. 3). Le premier invite les visiteurs à choisir entre trois thématiques (l’habitat et l’équipement de la maison, les déplacements, l’habillement) et à scanner des objets pour en découvrir l’empreinte carbone. Les visiteurs sont ensuite invités à modifier ou non leurs choix en renonçant à certains objets ou en adoptant des alternatives. Il n’y a pas d’objectif explicite qui préside aux choix, les visiteurs sont invités à sélectionner les objets qui leur plaisent et qui correspondent à leurs pratiques. En associant visualisation du poids des choix et possibilité ouverte de les modifier, nous cherchons à éviter la posture du bon élève essayant de réussir le test mais plutôt à encourager les visiteurs à se questionner et à interroger leurs propres usages. Le second dispositif propose aux visiteurs d’incarner un industriel, un politique ou un citoyen devant décider de grandes orientations dans trois domaines d’émission : les transports, l’alimentation et le logement (Fig. 4).

Fig. 4 : Dispositif « Futurs en construction » © Musée des arts et métiers-Cnam/photo Frédérique Toulet

Leur objectif commun est de réduire l’empreinte carbone collective située au centre du dispositif. À chaque tour de jeu, ils choisissent entre trois options, spécifiques à chaque rôle et à chaque tour de jeu. L’une des options maintient la situation actuelle, la deuxième initie un changement et la troisième s’engage plus franchement dans le sens d’une réduction des émissions. Chaque option s’accompagne d’informations complémentaires sur les avantages et les inconvénients. En apportant de la nuance et en élargissant à d’autres incidences que les seules conséquences environnementales, ces informations supplémentaires rendent la prise de décision moins évidente. Les visiteurs peuvent ainsi choisir de contribuer à l’objectif général ou de poursuivre des objectifs individuels. Chaque tour de jeu se termine par un sondage de satisfaction. Les joueurs expriment leur niveau de satisfaction face à l’évolution de la situation commune, c’est-à-dire de l’objectif de réduction de l’empreinte carbone. Si ce niveau est insuffisant et que l’insatisfaction gronde, le jeu est menacé et peut ne pas aller à son terme. Les visiteurs sont invités à faire attention aux affects des autres et à exprimer leur ressenti individuel sur la façon dont le jeu se déroule. Ainsi, ce sont eux qui fixent, en partie, la difficulté du jeu et son issue.

Ces deux dispositifs laissent ainsi de la place aux visiteurs pour qu’ils puissent construire et développer leurs opinions, y compris dans la défiance, le rejet et l’alternative.

D’autres interactifs permettent aux visiteurs de s’approprier (ou non) le propos de l’exposition. Les visiteurs peuvent s’exprimer sur les solutions qu’ils seraient prêts à adopter, ou emporter avec eux après l’exposition des défis sur différentes thématiques et différentes durées : ne pas prendre l’avion pendant l’année à venir, ne plus manger de viande qu’une fois par semaine, garder le même smartphone pendant quatre ans… Le parcours est ainsi ponctué de dispositifs de natures différentes pour rendre le visiteur acteur de sa visite (Fig. 5).

Fig. 5 : Manip « Le vote des solutions » © Daniel Osso / La Fabrique Créative

Relire les collections à l’aune des questions environnementales

Le lien entre le sujet de l’exposition – l’empreinte carbone – et les collections du musée est à la fois évident et au final, peu mis en avant par le musée des Arts et Métiers. Son identité, assumée, est celle d’un musée d’histoire des techniques avec une emphase importante sur le XIXe siècle occidental et la Révolution industrielle. Les bornes chronologiques du parcours permanent en témoignent, avec un premier jalon avant 1750, un deuxième pour la période 1750-1950 et un dernier après 1950. Le choix de placer la première rupture au milieu du XVIIIe siècle est une conséquence directe de la place de la Révolution industrielle dans le discours général[4].

Le parcours rétrospectif s’attache à présenter les périodes et les objets qui en font partie comme une succession continue et ininterrompue d’innovations et d’inventions. Le contexte de création et les conséquences techniques et industrielles de ces objets n’apparaissent peu ou pas du tout. On y parle encore moins des incidences sur l’environnement, des conséquences sociales, de ce que ces objets ont fait naitre en dehors du progrès technique auquel ils contribuent. Dans cette perspective, les liens entre les collections et le sujet de l’empreinte carbone, bien qu’évidents, restent invisibles aux yeux du public. Pour les rendre explicites, il est nécessaire de changer de posture et d’approche sur les collections pour leur redonner une actualité et une utilité discursive renouvelée au regard de la question environnementale.

L’équipe-projet de cette exposition se devait donc d’interroger la collection avec un regard situé, conscient de là où l’on se trouve et d’où l’on parle : nous sommes des professionnelles de musée fortement intéressées par les questions de société à une période où la crise environnementale est un sujet majeur qui interroge la pertinence et l’intérêt de nos pratiques et notre rôle. Cela a impliqué d’accepter de regarder différemment les objets de la collection et de ne pas seulement les considérer comme des jalons historiques figés, immuables et sur lesquels tout aurait été dit. Le défi est accepté de leur accoler un sens nouveau, complémentaire de leur place dans l’histoire des techniques et envisager des valeurs nouvelles : à côté de leur valeur historique, instaurer une valeur contemporaine renouvelée[5]. Le réfrigérateur à compresseur[6] trouve ainsi sa place dans la section consacrée au cycle de vie et permet de développer un discours sur l’empreinte de l’équipe domestique et l’accélération du taux de renouvellement de l’électro-ménager (Fig. 6). Le micro-ordinateur Macintosh Apple 512K de 1986[7] illustre les problématiques de recyclage et de décomposition des appareils électroniques.

Fig.6 : Vue de la scénographie : Partie 1.3 « Des objets à utiliser » © Daniel Osso / La Fabrique Créative

Si nous pouvons porter un regard subjectif sur les collections dont nous avons la charge, nous devons aussi l’envisager pour nos visiteurs. Nous l’avons souligné plus haut, ils seront incités à se positionner sur les solutions pour diminuer l’empreinte carbone présentée dans l’exposition. Nous leur laisserons de la place pour s’exprimer. Loin d’être des objets intouchables dans leur neutralité, les collections s’ouvrent au jugement des visiteurs et se mettent au service de la construction d’un lien nouveau. Les visiteurs pourront ainsi ne pas les utiliser comme un livre d’images mais comme des outils pour construire du sens.

Cet exercice est ici développé dans le cadre d’un projet d’exposition temporaire, qui rend possible cette relecture des collections sans bouleverser le parcours de visite permanent, avec une durée limitée. Cette expérience pourra, nous l’espérons, nourrir la réflexion sur la présentation et la médiation des objets d’une partie au moins du parcours permanent. À ce titre, on peut considérer l’exposition comme un laboratoire, dont une partie des résultats pourrait à terme se transposer au reste du musée.

La sélection des objets se fait selon de nombreux critères. Le plus prégnant consiste à utiliser les collections comme une ressource à gérer de façon raisonnée. Les objets sont exposés plus pour illustrer des idées que pour leurs valeurs singulières (tel fabricant, tel lieu d’usage). Cela conduit à retenir au sein de typologies l’objet le plus adapté et à opérer des choix raisonnés en fonction de critères durables. Un modèle de roue hydraulique[8] a ainsi été choisi parce qu’il est en bon état et ne nécessite aucune intervention en vue de son exposition et qu’il a été prêté au printemps 2024, en amont de l’exposition, il a déjà une caisse de transport, ce qui évite de devoir fabriquer ou trouver un autre emballage. Il s’agit donc d’adopter une vision pragmatique et utilitariste des collections, en lien avec les différentes équipes (scientifique, régie des œuvres, restaurateurs…).

Faire des choix scénographiques différents

Le processus de construction de la scénographie a logiquement été marqué par le sujet de l’exposition et sa nature profondément réflexive. Dans une logique d’économie, nous avons été obligées de nous demander ce qui était indispensable, ce qui constituait la grammaire irréductible de l’exposition et ce que nous pouvions retrancher ou radicalement transformer.

Jusqu’où peut-on changer les codes esthétiques d’une exposition pour qu’elle soit encore réussie, tant du point de vue de l’expérience de visite que l’on souhaite proposer à notre public, que conforme aux attentes en matière d’écoresponsabilité ?

La maîtrise d’ouvrage classique a été complétée par l’adjonction d’une spécialiste de l’accompagnement en éco-production. Au-delà du calcul du bilan carbone final du projet durant son cycle de vie (conception, montage, exploitation et démontage), elle a accompagné le projet tout au long de sa réalisation afin de conseiller, d’alerter et d’éduquer les équipes en interne autant que la maîtrise d’œuvre sur les enjeux de l’éco-conception. Une grande partie de l’empreinte carbone d’une scénographie est liée à la fabrication de mobiliers neufs[9]. Nous avons donc décidé de valoriser deux pratiques d’ordinaire confinées aux coulisses de l’exposition : la location et la récupération de mobilier. Le concept scénographique proposé par l’agence retenue, la Fabrique créative, se fonde sur l’utilisation d’une ossature centrale composée d’échafaudages de chantier (Fig. 7).

Fig. 7 : Vue de la scénographie : Partie 2 « L’engrenage des usages », focus sur l’alimentation © Daniel Osso / La Fabrique Créative

Cette structure partitionne l’espace et accueille également les collections. Elle est louée le temps de l’exposition et réintégrera ensuite le circuit de location et d’utilisation. L’empreinte carbone de la structure sera ainsi divisée autant de fois qu’elle sera réutilisée. La location, une des solutions présentées dans l’exposition pour réduire notre empreinte carbone, est ici mise en œuvre de façon centrale. Au-delà de la location du matériel technique (éclairages, équipements multimédia), habituelle mais peu visible des visiteurs, nous assumons la location comme une pratique légitime, pertinente et source de créativité. La réutilisation du parc multimédia existant du musée se place dans la même logique de réduction d’achat neuf. La phase de production (fabrication et transport) représente jusqu’à 90% de l’empreinte carbone des appareils électroniques dont les écrans, les unités centrales, les players ou les vidéoprojecteurs. Depuis plusieurs années, le musée réalise un inventaire de son matériel qui est joint à chaque appel d’offre de conception et de réalisation et nous demandons à la maîtrise d’œuvre de s’appuyer le plus possible dessus avant d’envisager de la location ou de l’achat. Pour Empreinte carbone, l’expo !, l’ensemble du matériel audiovisuel (six écrans et six vidéoprojecteurs) provient du parc du musée. Dans la même veine, la récupération de matériaux et de mobilier est ici revendiquée comme une prise de position appuyée par un ensemble de critères, plus qu’une solution pragmatique défendue pour son seul intérêt économique. Ce n’est pas une option par défaut mais un vrai choix, adopté en connaissance des contraintes qu’il entraine. Si certaines sont assez légères, comme le fait de travailler avec des mobiliers potentiellement disparates, d’autres requièrent des changements plus lourds, comme de démonter différemment la précédente exposition de façon à pouvoir réutiliser autant que possible les matériaux et les transformer pour ce projet. Enfin, nous souhaitons dépasser le cadre de la récupération en interne en nous fournissant le plus possible auprès des circuits de seconde main, ce qui nécessite d’adapter la passation des appels d’offres en y intégrant des principes de l’économie circulaire[10]. Pour le lot agencement, qui comprend la fourniture des mobiliers de l’exposition, il semblait difficile d’exiger une fourniture intégrale en panneau de seconde main. Les gisements sont aléatoires et les entreprises ne connaissent pas, plusieurs mois à l’avance, le stock qu’elles auront. Pour pallier cet aléa, nous avons demandé un chiffrage dans la décomposition du prix global forfaitaire (DPGF) d’une fourniture de seconde main et nous avons également demandé aux entreprises de remplir un bordereau de prix unique (BPU) chiffrant la fourniture d’un panneau standard neuf dans les différents matériaux de la scénographie. Ainsi, en cas d’impossibilité d’obtenir un panneau de seconde main, nous savons déjà ce que coûtera son remplacement en neuf. Les services supports (bureau des achats, commission de marchés) ont été sensibles à la démarche et ont bien accueilli les modifications inhérentes sur les éventuels avenants. Les échanges sur ces questions ont été fructueux et nous ont permis d’ajouter les bons critères dans la notation des offres des candidats.

Nous proposons une médiation écrite qui permette aux visiteurs de forger leur opinion sur les collections et thématiques parcourues. Par exemple, les cartels sont semblables aux étiquettes énergétiques que l’on peut trouver dans les magasins d’ameublement ou d’électro-ménager, avec notamment un indicateur visuel, et peuvent être manipulées par les visiteurs pour prendre connaissance des informations essentielles de l’objet. Nous reprenons ce système pour les éléments scénographiques, les donnant à voir à nos visiteurs au même titre que les objets. Un travail sur les supports et les techniques d’impression a été fait pour trouver les combinaisons les plus vertueuses tout en étant compatibles avec la réglementation[11]. Nous nous sommes orientés vers des papiers kraft classés, des panneaux de bois brut peints ou en impression directe et des impressions sur des supports papier, limitant leur impact à la fabrication et augmentant les possibilités de les réemployer ou de les transformer pour un nouvel usage à la fin de l’exposition. Le musée démontre la faisabilité des solutions qu’il expose, leur donnant ainsi une crédibilité supplémentaire auprès des visiteurs (Fig. 8).

Fig. 8 : Vue de la scénographie : habillage de la structure échafaudée en bois et kraft, texte de section et parcours enfant © Daniel Osso / La Fabrique Créative

Pour la médiation, tout un corpus de « manips » a été imaginé, notamment autour de l’alimentation. Nous nous attachons à leur adéquation au propos de l’exposition, mais veillons également à conserver une certaine sobriété énergétique dans le choix des matériaux, des mécanismes, du nombre de dispositifs, et de la perspective d’une seconde vie après l’exposition (Fig. 9).

Fig. 9 : Manip « Le poids de nos choix » © Musée des arts et métiers-Cnam/photo Frédérique Toulet

Nous réfléchissons à chaque étape du projet à nos pratiques en tant que muséographes. Avons-nous forcément besoin de tous les éléments que nous avons pris l’habitude d’installer dans une exposition ? C’est l’occasion d’imaginer des propositions plus créatives et plus cohérentes avec le projet. Nous avons ainsi transformé un dispositif initialement pensé sous la forme d’un multimédia interactif en une manip « low tech » où le visiteur relie des propositions à l’aide d’une ficelle. Sur proposition de nos prestataires, nous avons également simplifié certaines fabrications pour limiter l’ajout de matériaux et l’utilisation de produits de finition superflus. Cette démarche nous permet de consolider la légitimité des choix faits, car ceux-ci ont été mis à l’épreuve. Est-ce à dire que c’est une façon de quitter sa posture professionnelle, de la déranger et de la remettre (au moins partiellement) en cause ? Nous l’espérons.

Et après ?

Ce projet nous a incitées à repenser notre posture de maître d’ouvrage dans une dynamique plus ouverte, à nous remettre en question de manière permanente et surtout, de porter un regard nouveau sur le musée, sa collection, son image et son positionnement.

Nous mettons tout en œuvre pour développer l’engagement des visiteurs, afin qu’ils soient plus actifs au cours de leur visite avec un parcours qui leur offre des espaces pour construire du sens et susceptibles de la prolonger, de la faire vivre au-delà de la salle d’exposition.

Nous aimerions que cette exposition soit, plus que son aboutissement, un jalon important d’un processus réflexif continu d’amélioration et d’optimisation. Nous avons gardé ce cap durant toute la préparation de l’exposition, le garderons durant son exploitation (y compris au travers de la programmation pédagogique et culturelle qui y sera associée) et jusqu’après son démontage.

En cours de développement, l’exposition a été un laboratoire de pratiques et de réflexions. Nous nous sommes formées pour être outillées dans cette démarche. Les choix effectués pour ce projet et la méthodologie mise en œuvre vont être intégrés aux prochains projets, même si les thématiques ne seront pas centrées sur le changement climatique. Notre approche dépasse le cadre de l’exposition pour investir les autres activités associées du musée, comme la programmation événementielle et pédagogique. De nombreux choix se confrontent à leur mise en pratique, qui fera émerger, à n’en pas douter, d’autres questionnements. C’est tout l’intérêt d’adopter une posture réflexive : ce projet nous permet de repenser notre position de maître d’ouvrage dans une dynamique plus ouverte. Cette remise en question continue, qui peut apparaitre comme une démarche difficile et lourde, constitue pour nous une évidence afin de rester au service des visiteurs et de mettre le musée à la hauteur de l’enjeu collectif de la réduction drastique de notre empreinte carbone. En nous décentrant, en acceptant de questionner nos collections, notre institution et notre positionnement professionnel, nous espérons créer un espace de convivialité ouvert, dans lequel nos visiteurs peuvent imaginer d’autres façons d’être. Et en abandonnant un peu de notre neutralité, contribuer à en atteindre une autre.

Notes

* Tous les liens URL ont été consultés en novembre 2024.

  1. Côté M. (dir.), La fabrique du musée de sciences et sociétés, Paris, La documentation française, 2011, p. 22.
  2. Voir par exemple : https://www.museumnext.com/article/can-museums-be-neutral-or-should-they-take-a-stance/ (consulté en novembre 2024)
  3.   Paquot T., « La convivialité selon Ivan Illich », Topophile, 17 mars 2022, § 3, en ligne : https://topophile.net/savoir/la-convivialite-selon-ivan-illich/.
  4.   Dufaux L. (dir.), Le musée des Arts et Métiers. Guide des collections, Paris, Artlys ; Musée des Arts et Métiers ; CNAM, 2013, p. 13.
  5.   Riegl A., Le culte moderne des monuments, Dumont M., Lochmann A. (trad.), Paris, Allia, 2016.
  6.  Réfrigérateur à compresseur, Frigeco, vers 1930, inv. 35283-0000.
  7.  Micro-ordinateur Apple Macintosh 512K, 1986, inv. C-2013-0153-001.
  8.  Modèle de roue à aubes de Poncelet (dernier tracé) avec coursier et vannage, 1825-1849, inv. 04551-0000.
  9.   Derouault S., Rigogne A.-H., « Une gestion responsable des expositions temporaires à la Bibliothèque nationale de France », La Lettre de l’Ocim, n° 140, mars-avril 2012, § 9, en ligne : https://journals.openedition.org/ocim/1035. Universcience et Atemia, Guide d’éco-conception des expositions, https://www.universcience.fr/fileadmin/fileadmin_Universcience/fichiers/developpement-durable/_documents/guide_eco_conceptFR.pdf ; Société des musées du Québec, Musées et transition écologiques. Bonnes pratiques muséales, https://www.musees.qc.ca/fr/professionnel/bonnes-pratiques/musees-et-transition-ecologique.html.
  10.  Palais des Beaux-Arts de Lille et Atemia, Guide Pratique d’Écoconception, 2022, en ligne : https://pba.lille.fr/content/download/6166/71045/file/GUIDE+PRATIQUE+D%E2%80%99%C3%89COCONCEPTION.pdf
  11.  En tant qu’établissement recevant du public (ERP) de première catégorie, le musée des Arts et Métiers est soumis aux dispositions de l’arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d’incendie et de panique dans les ERP, livre II, titre 1er, chapitre III, articles AM 1 à 20. Ces dispositions obligent à recourir pour la quasi-totalité des éléments imprimés à des matériaux classés M1, c’est-à-dire non-inflammables et sans dégagement de fumées.

Pour citer cet article : Anaïs Raynaud et Marjolaine Schuch, "Quitter la neutralité pour mieux l’atteindre ? L’exemple de l’exposition  Empreinte carbone, l’expo ! au musée des Arts et Métiers (Paris, 2024-2025)", exPosition, 22 novembre 2024, https://www.revue-exposition.com/index.php/non-classe/quitter-la-neutralite-pour-mieux-latteindre-lexemple-de-lexposition-empreinte-carbone-lexpo-au-musee-des-arts-et-metiers/%20. Consulté le 4 décembre 2024.

Écoconcevoir au palais des Beaux-Arts de Lille : de l’expérimentation à la structuration d’une démarche opérationnelle

par Mélanie Estèves et Christelle Faure

 

Mélanie Estèves est la cheffe de projet « Projet Scientifique et Culturel » et référente développement durable, Palais des Beaux-Arts de Lille.  Christelle Faure est la cheffe du service gestion durable des collections, Palais des Beaux-Arts de Lille. —

 

Dans son projet scientifique et culturel, le palais des Beaux-Arts de Lille a inscrit au cœur de son projet d’établissement la question du développement durable. En construisant sa démarche autour des deux axes que sont la maîtrise de son empreinte écologique et la consolidation de sa responsabilité sociale, le musée entend adopter un positionnement systémique sur le sujet. Afin de répondre à ces enjeux climatiques et sociaux, c’est l’ensemble de ses activités et de son fonctionnement qui est passé au crible de la durabilité. Dans cette transition vers l’écoresponsabilité, la question des expositions temporaires a rapidement été perçue comme un enjeu crucial. Avec des moyens humains, matériels, techniques et financiers importants et déployés pour des durées relativement courtes, les expositions ont en effet un impact environnemental conséquent qu’on ne saurait ignorer.

Dès 2015, le palais des Beaux-Arts s’est confronté à cette question en conscience et a fait évoluer ses pratiques à travers un premier acte fort : celui de prendre le parti de ne plus faire qu’une grande exposition tous les deux ans et de proposer chaque année à une personnalité ou à un genre artistique (séries TV, musique, jeux vidéo) une carte blanche autour de ses collections permanentes. Par ailleurs, comme beaucoup d’autres musées, le musée lillois s’évertuait à favoriser le réemploi de ses scénographies mais, jusque-là, cette habitude relevait plus du pragmatisme que d’une véritable stratégie de mise en écoresponsabilité.

L’écoconception des expositions est apparue alors comme une porte d’entrée naturelle et nécessaire pour conduire le musée sur la voie d’une durabilité effective. Dans cette trajectoire volontariste, l’exposition Expérience Goya (15 octobre 2021 – 14 février 2022) a constitué un jalon majeur que les projets suivants sont venus nourrir et conforter, au point que l’exposition Expérience Raphaël, prévue à l’automne 2024, se construit sur des connaissances consolidées permettant désormais de faire des choix en conscience. C’est l’histoire de ce processus à l’œuvre et de la formalisation d’une méthode de travail renouvelée visant à éprouver de manière opérationnelle l’écoconception que cet article se propose de mettre en lumière.

Questionner son modèle pour développer une approche globale

En 2020, le palais des Beaux-Arts a souhaité questionner la forme de ses expositions qui répondait encore au modèle consacré depuis les années 1980, pléthorique et démonstratif et dont les impacts étaient inconsidérés et sans limites. Coproduite avec la Réunion des musées nationaux – Grand Palais (RMN-GP) et accompagnée par l’agence conseil en transition Atémia, la conception de l’exposition Expérience Goya a reposé sur l’application des principes de l’écoconception telle que la définit l’agence de la transition écologique, l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie). En considérant l’exposition comme un objet disposant d’un cycle de vie propre, de la phase de conception jusqu’à la fin de vie, en passant par les phases de fabrication et d’exploitation, l’objectif était de réduire les impacts environnementaux à toutes les étapes du projet et dans toutes ses composantes. Au demeurant, il s’agissait aussi de mettre en regard ses impacts néfastes en regard de son bénéfice social. En proposant une expérience esthétique et sensorielle, l’exposition renouvelait le rapport aux œuvres et au propos. Ce faisant, elle contribuait au mieux-être des visiteurs, stimulait leur créativité, favorisait le dialogue et incitait à une réflexion critique. Par les thèmes abordés, elle pouvait aussi être le support d’une sensibilisation et d’une conscientisation aux enjeux sociétaux, invitant ainsi les visiteurs à questionner leurs comportements individuels et collectifs. Présentée durant quatre mois, l’exposition Expérience Goya avait la double ambition d’inscrire la transition écologique dans les pratiques du musée de façon systémique et de penser un nouveau modèle d’exposition renouvelant l’expérience de visite afin d’en maximiser les effets auprès des visiteurs. En interrogeant le fond et la forme, les contours de l’exposition ont ainsi été redéfinis pour proposer un projet plus écoresponsable, tout en offrant au public une approche sensible des œuvres d’art grâce à une médiation plurielle et éditorialisée.

Sur la forme, les premières réflexions menées dans le cadre de l’exposition Expérience Goya ont permis de définir un cadre méthodologique et de dresser une cartographie des impacts connus pour les expositions : la scénographie, la sélection des œuvres, la mobilité des publics, le numérique, la médiation, le confort de visite, l’inclusion et l’accessibilité du discours. Avec cette approche systémique, ces impacts ont été étudiés et mesurés pour l’ensemble du cycle de vie de l’exposition, autrement dit pour toute la chaîne de conception, de production, d’exploitation et de démontage. Fort de cette approche, le musée structure aujourd’hui pour chaque exposition un plan d’actions concrètes reposant sur des leviers dont il a la maîtrise opérationnelle. Cette méthode est appliquée à l’ensemble des expositions proposées par le palais des Beaux-Arts depuis 2021 : La forêt magique (13 mai – 19 septembre 2022) coconçue avec la RMN-GP, Pierre Dubreuil. Tableaux photographiques (20 octobre 2022 – 27 février 2023), Prière de toucher (20 octobre 2022 – 27 février 2023) et Expérience Raphaël (18 octobre 2024 – 17 février 2025). Ces différents projets permettent aujourd’hui de passer le stade de l’expérimentation pour inscrire dans la durée les principes de l’écoconception.

Notons aussi qu’au-delà du rapport à l’œuvre, l’exposition peut devenir le vecteur de discours conscientisés ou de sujets résonnants avec des enjeux contemporains. Avec La forêt magique (13 mai – 19 septembre 2022), deuxième exposition écoconçue au palais des Beaux-Arts, le musée lillois s’est confronté davantage à la responsabilité sociale des acteurs culturels, en portant auprès du public un discours engagé et en assumant une dimension écologique militante. En dévoilant la richesse esthétique, symbolique et sensorielle des forêts, tout en rappelant les menaces pesant sur cet écosystème, cette exposition a ainsi fait le pari de susciter une émotion qui soit source d’une envie de les préserver. Elle s’est aussi ouverte à l’engagement citoyen en offrant au botaniste Francis Hallé une vitrine pour son manifeste Pour une forêt primaire en Europe de l’Ouest[1].

Fig. 1 : Vue de l’exposition La forêt magique, palais des Beaux-Arts de Lille (13 mai – 19 septembre 2022) © palais des Beaux-Arts de Lille / Jean-Marie Dautel

Infléchir la conception de l’exposition dès l’amont pour un résultat maîtrisé

La maîtrise ou non des impacts environnementaux et sociaux se décide majoritairement au moment de la phase de conception du projet. Il apparait alors primordial de mobiliser les commissaires dès l’amont pour accompagner les réflexions, voire leur imposer certaines contraintes. Ainsi, partant du constat que l’acheminement des œuvres d’art pèse lourd dans le bilan carbone d’une exposition, le musée a demandé aux commissaires des expositions Expérience Goya et La forêt magique de respecter le cadre suivant : privilégier les œuvres du musée, réduire le nombre d’objets exposés et tenir compte de la distance entre le musée et les institutions prêteuses. Ainsi, la première exposition proposait un parcours de 82 œuvres (dont 22 appartenant au musée et 60 provenant de la zone Europe) tandis que la seconde exposition en présentait seulement 45. La réduction drastique du nombre d’œuvres et la limite posée de prêts provenant d’une zone géographique limitrophe apparaissent comme une solution radicale et potentiellement réductrice d’émission de gaz à effet de serre. Il est important de souligner que ces actions permettent de réduire de manière substantielle l’empreinte environnementale des expositions, comme le démontrent les chiffres éclairants des émissions de gaz à effet de serre liées au transport des œuvres[2] pour les projets du palais des Beaux-Arts :

  • Exposition-type du musée composée de 150 œuvres : environ 95 tonnes équivalent CO2,
  • Expérience Goya : 25,64 tonnes équivalent CO2[3],
  • La forêt magique : 4,26 tonnes équivalent CO2[4] (à noter que ce faible taux est aussi lié à l’évitement de tout transport aérien).

Le palais des Beaux-Arts ne se fixe pas l’objectif de diminuer toujours plus l’impact des œuvres mais celui de le maîtriser de manière proactive, car certaines expositions comme Expérience Raphaël, par leur propos et leur contenu, nécessitent un plus grand nombre d’œuvres de provenances parfois éloignées. Le musée recherche en cela un point d’équilibre entre ses projets d’expositions, en déterminant une répartition raisonnée des impacts carbone sur plusieurs années.

Au-delà même de la simple maîtrise de l’empreinte environnementale du prêt des œuvres, le choix d’en réduire le nombre découle aussi de l’envie de favoriser l’expérience de visite et le confort intellectuel des visiteurs. Moins sollicités par un foisonnement d’œuvres, ils sont incités, par la médiation et des dispositifs numériques, à davantage se plonger dans leur contemplation. Pour Expérience Goya et La forêt magique, le musée a fait le choix d’expositions « hyper immersives ». Le recours à des dispositifs numériques, consommateurs d’énergie et de ressources non renouvelables, questionne nécessairement la démarche d’écoconception. Ce choix est à considérer au regard de l’évitement du transport d’œuvres d’art et des émissions de gaz à effet de serre corrélés. Il ouvre par ailleurs un débat fondamental sur le format même des expositions, en posant la question d’un compromis dans la sélection d’œuvres physiques ou numériques. De plus, en plongeant les visiteurs dans de véritables théâtres d’images avec des projections à 360° et des ambiances sonores, les parcours de visite proposent une véritable approche sensorielle des œuvres d’art, à même de créer un sentiment de proximité voire d’intimité. Les dispositifs numériques ont été développés en prenant en considération des avis d’usagers afin de participer à l’inclusivité du propos, à sa compréhension et à son appropriation par tous.

Fig. 2 : Vue de la projection 360° de l’exposition Expérience Goya © palais des Beaux-Arts de Lille / Jean-Marie Dautel

Pour mieux tenir compte de l’avis des publics, ces partis pris et les intentions du projet sont soumis à des comités d’usagers dont les remarques viennent nourrir la pluralité des discours et infléchir certains choix des commissaires et de la médiation. Afin de maximiser l’impact social de ses expositions, le palais des Beaux-Arts s’appuie en effet sur une politique d’inclusion, notamment fondée sur la participation et la contribution des publics et développe de manière systématique ses modes de consultation et d’expression dès les phases de conception de ses projets[5]. Depuis cinq ans, les équipes ont été formées à la méthode des focus groups, inspirée du marketing, dans le but de faire converger les intentions du musée avec les attentes et les usages des visiteurs. Ainsi, divers entretiens sont menés avec des petits groupes de publics (visiteurs, non visiteurs, jeune public, familles, mécènes, partenaires, etc.) afin de tester ou éprouver différentes facettes du projet, depuis son propos général jusqu’aux contenus d’un dispositif numérique, en passant par la compréhension des cartels. L’objectif de ces espaces d’échanges est de faire émerger des analyses critiques ou des saillances afin de décloisonner le projet et de sortir d’une approche purement érudite. Cela permet aussi d’équilibrer les intentions de médiation de façon particulièrement constructive et d’ajuster plus finement les potentiels et la prise en main des dispositifs numériques par les publics grâce à des phases tests en condition de visite.

Impliquer tous les acteurs de la production de l’exposition

L’implication de toutes les parties prenantes s’avère essentielle dans la définition d’une exposition écoconçue. Cela est particulièrement le cas dans la phase de production des expositions. Qu’il s’agisse de l’organisation du transport des œuvres, de la conception de la scénographie, de la place du numérique ou des modalités de communication et de programmation culturelle, il est crucial de fédérer l’ensemble des acteurs engagés dans le projet autour des enjeux du développement durable. Tous doivent être acculturés à la question de l’écoconception pour partager une grammaire et une trajectoire collective, mais aussi cibler des objectifs communs et individuels qui contribuent à baliser le cheminement scientifique et technique du projet tout en responsabilisant l’ensemble de ses acteurs.

Ainsi, pour limiter l’impact environnemental de l’acheminement des œuvres, la société de transport doit être pleinement associée à la démarche avec la mise en place d’objectifs de regroupement des transports, d’optimisation des déplacements des convoyeurs et la proposition de solutions de caisserie plus raisonnées. Les échanges avec les musées prêteurs sont tout aussi fondamentaux. La communication autour de la démarche d’écoconception du musée et une sensibilisation sur les impacts environnementaux des prêts ont souvent donné lieu à des résultats fructueux, comme des accords pour la réutilisation de caisses et pour des transports mutualisés ou des renoncements à des convoiements. Sur ce dernier point, il est à noter que le trajet des convoyeurs a souvent un impact significatif sur l’empreinte environnementale d’un prêt[6].

Les concepteurs et les constructeurs de la scénographie, deuxième pôle d’émissions de gaz à effet de serre après le transport des œuvres, jouent aussi un rôle pivot dans la démarche d’écoconception. Ils doivent répondre à un cahier des charges précis se conformant à des objectifs de sobriété des besoins, de qualités des matériaux neufs, d’adaptabilité et de réversibilité des modes de construction afin de favoriser le réemploi des scénographies. Pour l’ensemble de ses expositions, le palais des Beaux-Arts privilégie autant que possible des matériaux à faible impact environnemental répondant à des labels. Il a renoncé au plexiglas au profit du verre et emploie des matériaux biosourcés, comme des peintures à base d’algues ou des panneaux de MDF à base de résines végétales. Les scénographies modulables et adaptables sont aisément démontées et réutilisées dans différents projets. La scénographie d’Expérience Goya a été réemployée à près de 70 % dans d’autres expositions, comme La forêt magique, Pierre Dubreuil et Prière de toucher.

Fig. 3 : Réemploi de la scénographie d’Expérience Goya © palais des Beaux-Arts de Lille

En édictant le réemploi comme un principe directeur, l’impact environnemental est ainsi lissé sur plusieurs projets et l’achat de ressources nouvelles est limité au maximum. Mais ces ambitions peuvent parfois se confronter à certaines difficultés. Si l’on prend l’exemple des matériaux, la volonté de sélectionner des matériaux durables, à faible impact environnemental et issus de filières locales et écoresponsables, se heurte aux procédures de passation des marchés publics interdisant tout critère relatif à l’implantation géographique d’une entreprise ou à une production locale. De même, la volonté de réemployer les éléments scénographiques questionne la capacité du musée à disposer des surfaces de stockage suffisantes.

Écoconcevoir une exposition suppose ainsi de repenser en profondeur son rapport aux ressources en questionnant leur provenance, leurs matières premières, leur mode de fabrication, mais aussi en limitant le recours à des ressources nouvelles. Si la conception de la scénographie constitue un enjeu central, la question de la maîtrise des ressources s’applique à tous les champs de l’exposition, de la scénographie à la communication, des supports de médiation à l’édition de catalogue. Les équipes du musée travaillent également à la définition d’une programmation raisonnée et à l’appropriation des principes d’une communication plus responsable dont les fréquences et les dimensionnements sont questionnés au regard des enjeux environnementaux et sociaux. La surabondance communicative et la connaissance progressive des impacts de l’usage du numérique amènent en effet à ouvrir ces nouveaux chantiers dont les perspectives d’atténuation et d’adaptation posent aussi des questions stratégiques de visibilité et de modalités de partage de contenus. L’enjeu est surtout de construire une autre manière de communiquer et de repenser les pratiques au service d’une approche plus responsable environnementalement et socialement.

Accompagner la phase d’exploitation : maîtriser les impacts et conforter la relation aux publics

L’exposition ouverte, le musée reste vigilant à la maîtrise des impacts générés lors de la phase d’exploitation. Parmi ces impacts à ne pas négliger, il faut considérer celui de la consommation énergétique liée à l’éclairage, à la gestion du climat et au fonctionnement des dispositifs numériques et audiovisuels. Les actions menées pour les maîtriser au mieux se conçoivent dans le cadre d’une politique générale visant à rendre les bâtiments du musée plus résilients par la réalisation de travaux d’isolation et d’étanchéité ainsi que par le remplacement progressif des centrales de traitement d’air permettant un fonctionnement plus efficient et moins énergivore.

À chaque exposition, le musée veille à rationaliser l’usage des équipements électriques et privilégie l’achat de matériel d’éclairage ou audiovisuel à basse consommation. Ainsi, dans un objectif de numérique « raisonné », les caractéristiques des équipements audiovisuels ont été étudiées pour plus de sobriété. La maîtrise des consommations énergétiques s’appuie aussi sur le respect de « bonnes habitudes », comme privilégier la lumière naturelle pour le montage de la scénographie ou couper les systèmes de traitement d’air de la salle d’exposition temporaire lorsqu’aucune œuvre ne s’y trouve.

Pour consolider ces objectifs de sobriété énergétique, les équipes du palais des Beaux-Arts travaillent actuellement à repenser la gestion du climat. Les études nombreuses et documentées et les nouvelles préconisations nationales et internationales[7] démontrent que l’élargissement des normes climatiques et la mise en place de variations saisonnières peuvent être envisagées, sous réserve de prendre des précautions particulières pour les œuvres sensibles. Il est à noter que de nombreuses institutions ont déjà adopté cet assouplissement des normes qui permet une substantielle économie énergétique. Si le palais des Beaux-Arts va prochainement entamer l’expérimentation de ces nouvelles normes climatiques au sein de ses réserves, la salle d’exposition temporaire reste pour le moment exclue de cette première phase de tests en raison de la complexité de mise en œuvre et d’obtention des accords des prêteurs. Adopter une gestion plus souple du climat nécessite en effet d’avoir la capacité de déployer des microclimats pour assurer la conservation des œuvres les plus sensibles aux variations. Sur ce point, le palais des Beaux-Arts a fait le choix de privilégier, dans un premier temps, l’aménagement de ses réserves puis de ses salles du parcours permanent où l’investissement dans des vitrines et caissons permettant de créer des microclimats est prioritaire.

La phase d’exploitation est aussi l’occasion pour le musée de conforter sa relation aux publics. Les temps de rencontres, les visites guidées, les ateliers et les enquêtes de satisfaction sont autant d’occasions d’échanger et de percevoir la réception de l’exposition par des publics de tous horizons. C’est aussi durant cette phase que le musée peut assumer un rôle de passerelle de la durabilité. En communiquant sur les efforts accomplis et les choix opérés pour écoconcevoir ses expositions, il allie le fond et la forme et sensibilise les visiteurs aux enjeux du changement climatique, tout en les incitant à des changements de comportement, comme en témoigne une communication centrée sur les mobilités douces pour se rendre au musée.

Anticiper la fin de vie de l’exposition

La fin de vie de l’exposition s’avère enfin une étape cruciale qui influe de manière importante sur son empreinte environnementale finale, selon que les éléments de la scénographie sont réutilisés, recyclés ou jetés. La conception d’une scénographie modulable et facilement démontable crée les conditions d’un démontage propre garantissant le réemploi des éléments scénographiques tout autant qu’une stricte planification du devenir des éléments dès la phase de conception de l’exposition. Cette anticipation permet d’élargir les possibilités de réemploi interne et externe mais aussi d’allonger la durée de vie des ressources et des matériaux, en pensant les conditions de leur recyclage, voire de leur surcyclage, dans le but de limiter la production de déchets ultimes. Ainsi, lorsque le musée ne souhaite pas ou ne peut pas conserver des éléments, il travaille à identifier des réseaux, des institutions et des associations qui sont à même de prolonger leur usage. Par ailleurs à l’échelle municipale, un effort de mise en commun et de mutualisation des ressources est à l’œuvre pour réduire l’empreinte environnementale collective de toutes les structures culturelles lilloises. C’est nécessairement dans une logique territoriale que se met en place cette réflexion qui engage le musée à mieux connaître et interagir avec les acteurs locaux de la culture comme de l’économie circulaire. La difficulté la plus grande est d’identifier suffisamment tôt les filières adéquates pour concourir à une création de valeur sociale et culturelle dans l’allongement de la durée de vie des ressources. Dans le même temps, cela exige du musée de penser un nouvel arsenal administratif et juridique de nature à soutenir les processus de don et tri pour recyclage.

Le musée se questionne également sur la réutilisation et la mutualisation des contenus de médiation (notamment numérique) dont la conception et la production nécessitent des ressources techniques plus ou moins importantes (exemples : films, applications, podcasts, dispositifs multimédias, etc.) et reposent sur des logiques d’hébergement ou d’archivage sur des serveurs dont les impacts environnementaux indirects sont considérables. Une première réponse consiste à penser les contenus en écho avec le parcours permanent pour permettre de les réinjecter au sein du musée après le démontage de l’exposition. L’exposition Expérience Goya a notamment permis, avec le concours du centre de Recherche et de Restauration des Musées de France, la réalisation d’un film de médiation inédit à partir de la radiographie des toiles majeures que sont Les jeunes et Les vieilles, conservées au palais des Beaux-Arts de Lille. Ce dispositif plébiscité par le public pourra trouver sa place dans le parcours permanent qui est en cours de renouvellement. La pertinence de favoriser la circularité des productions entre institutions est une autre voie que plusieurs musées questionnent pour élargir encore le champ des possibles.

Inscrire les nouvelles pratiques dans la durée

Pour que les progressions s’inscrivent dans le temps et opèrent une transformation réelle de l’institution, il est indispensable de structurer intellectuellement la démarche, d’acter des évolutions d’organigramme et opérationnelles à travers de nouvelles architectures pour que la transition soit visible et s’incarne durablement. Dès la mise en œuvre des premières expérimentations, le palais des Beaux-Arts s’est engagé dans une réorganisation interne. À la faveur de cette évolution générale des services, la notion de durabilité a été inscrite pour la première fois dans les titres de fonctions structurantes – directeur·ice de la sécurité et la durabilité du bâtiment ; chef·fe de la gestion durable des collections ; référent·e développement durable – de même que chaque fiche de poste s’est vue dotée d’un objectif de respect de la démarche globale du palais des Beaux-Arts et d’un comportement écoresponsable dans ses fonctions. Former à de nouvelles expertises, accompagner la montée en compétences sont autant de voies qui inscrivent la démarche dans la longueur. La formation continue tend à répondre de mieux en mieux aux enjeux de la transition. En matière d’achats responsables, d’économie circulaire, des perspectives se développent. La formation initiale est désormais reconnue comme un enjeu majeur pour accélérer le changement de pratiques et de modes de pensée.

Parallèlement à cette approche organisationnelle, le « mode projet » a été institué comme le modus operandi pour toute nouvelle activité et a fortiori pour la conduite des expositions. En associant les compétences et en favorisant le partage des expertises, le musée s’est convaincu de la pertinence de mobiliser une intelligence collective adaptée aux projets, mêlant les points de vue et favorisant les débats et les arbitrages éclairés.

Il apparaissait parallèlement indispensable de développer de nouveaux outils et méthodes de travail pour soutenir cette démarche. La rédaction d’un guide méthodologique d’écoconception[8], à destination des équipes puis mis en ligne, était une manière d’ancrer cette approche dans la durée et de constituer une ressource opérationnelle pour des équipes renouvelées. Le bilan carbone et l’analyse du cycle de vie sont deux autres illustrations emblématiques de ces nouveaux outils aux méthodes rigoureuses et normées dont les musées se saisissent. Le palais des Beaux-Arts a fait pour l’heure un choix intermédiaire pour éclairer sa gestion et la production de projets : pas de bilan carbone des expositions mais un rapport d’impact pour chacune d’entre elles depuis Expérience Goya. Plutôt que d’avoir une photographie précise d’une exposition a posteriori, le musée a commandé à l’agence Atémia un calculateur carbone pour les principaux postes émetteurs que sont les œuvres (provenance et modalités de transport, conditionnement, convoiement), la scénographie (de l’achat de matière neuve à la fin de vie), la médiation (cartels et outils physiques de médiation, consommation des équipements numériques, production numérique), la communication et la programmation. Loin d’être exhaustive – d’autant plus que l’impact pourtant majeur de la mobilité des visiteurs n’y figure pas -, cette méthode de calcul a permis d’identifier des saillances et les leviers que le musée est en capacité d’activer pour minimiser les émissions de carbone. Ce calculateur est aujourd’hui utilisé par les équipes comme un simulateur, véritable outil d’aide à la décision dès la conception des projets d’exposition. Plus conscient des impacts des choix en train de s’opérer, le musée peut en temps utiles revenir sur ses décisions, sinon les assumer au motif de leur bénéfice social.

Fig. 4 : Extrait du rapport d’impact de l’exposition Expérience Goya, 2022 © palais des Beaux-Arts de Lille

Enfin, en s’engageant dans une politique de développement durable, le palais des Beaux-Arts a mesuré l’importance d’un travail concerté et d’une mise en réseau. Le partage d’expérience avec d’autres institutions engagées dans des stratégies similaires contribue à alimenter une réflexion collective au service d’une transition écologique plus efficiente. En communiquant sur les échecs comme sur les réussites, certains écueils sont évités et des difficultés surmontées plus aisément. Si ces échanges sont souvent informels, la participation du musée à plusieurs réseaux professionnels plus structurés lui permet d’interagir avec une pluralité d’acteurs dont les connaissances et l’expertise viennent en appui des compétences dont il dispose en interne. Cette contribution à des réseaux constitués sont particulièrement primordiaux pour des chantiers touchant en profondeur les pratiques professionnelles et nécessitant des expertises techniques particulières. À ce titre, les travaux menés au sein du collectif des Augures portant sur le numérique responsable, l’éco-scénographie et l’éco-conditionnement méritent d’être soulignés.

Conclusion

Le travail réalisé à l’occasion de la programmation des expositions depuis 2021 a été une véritable opportunité collective pour les équipes du palais des Beaux-Arts et a permis d’éclairer et de nourrir le diagnostic à l’œuvre, de préciser les modalités d’intervention, de stimuler intellectuellement et opérationnellement les envies de progrès. Cette première étape de l’écoconception des expositions a favorisé les conditions du passage à l’acte et de la mise en œuvre d’une transition permettant ainsi d’en définir les périmètres et d’en construire les grandes orientations pour lier approche écologique et approche sociale. Elle a été l’occasion de poser les bases d’une démarche globale et d’un cadre méthodologique pour lequel il convient de rappeler qu’il doit être évolutif et adaptable selon les projets d’expositions. En effet, faire de la durabilité des expositions un nouveau paradigme ne repose pas simplement sur l’édification d’une nouvelle norme dont il s’agirait de suivre les prescriptions. Intégrer le développement durable nécessite de toujours se remettre en cause, d’être à l’écoute des évolutions du monde et des professions, de questionner ses usages. L’écoconception des expositions s’appuie donc sur une amélioration continue fondée sur l’expérimentation. Chaque exposition devient dès lors un nouvel exercice pour le musée qui, en s’appuyant sur le bilan du projet précédent, permet de mieux appréhender les impacts environnementaux tout en expérimentant de nouvelles pratiques toujours plus vertueuses et inclusives. Le palais des Beaux-Arts de Lille ne souhaite pas figer un modèle particulier d’exposition mais, à travers une programmation variée, il entend poursuivre une trajectoire agile et adaptable à chacun de ses projets où les choix faits peuvent être objectivés en connaissance de cause.

Notes

* Tous les liens URL ont été consultés en novembre 2024.

  1. Hallé F., Pour une forêt primaire en Europe de l’Ouest : un manifeste, Arles, Actes Sud, 2021.
  2. Ces chiffres représentent l’empreinte environnementale des prêts d’œuvres et comprennent la fabrication des caisses, le transport des œuvres et les trajets des convoyeurs.
  3. Rapport d’impact environnemental de l’exposition Expérience Goya, Lille, Palais des Beaux-Arts, 2022, en ligne :https://pba.lille.fr/content/download/6443/72837/file/RAPPORT+D%E2%80%99IMPACT+ENVIRONNEMENTAL_GOYA_PBA_2022_DEF.PDF.
  4. Rapport d’impact environnemental de l’exposition La forêt magique, Lille, Palais des Beaux-Arts, 2023, en ligne : https://pba.lille.fr/content/download/6890/86168/version/1/file/PBA_rapport-impact-environnemental-FORET-MAGIQUE-2023.pdf.
  5. Sur la mise en place des comités d’usagers ou focus groups au palais des Beaux-Arts de Lille, voir l’intervention de Florence Raymond à l’occasion de la journée professionnelle La stratégie du numérique dans les musées organisée par le ministère de la Culture le 5 octobre 2018, en ligne : https://www.culture.gouv.fr/Media/Thematiques/Musees/Colloques-Journees-d-etudes/Strategie-numerique-dans-les-musees/Intervention-de-Mme-Florence-Raymond.
  6. Filley G., Sanchez S., Eckelman M., « Life Cycle Assessment of Museum Loans and Exhibitions », Sustainability Tools in Cultural Heritage, en ligne : Life Cycle Assessment of Museum Loans and Exhibitions – STiCH (culturalheritage.org) ; voir aussi Nunberg S., Eckelman M. J., Hatchfield P., « Life Cycle Assessments of Museum Loans and Exhibitions: Three case studies at the Museum Fine Arts, Boston », Journal of the American Institute for Conservation, vol. 55, n°1, 2016, p. 2-11.
  7. Sur une gestion plus raisonnée du climat dans les musées, voir notamment : National Museum Directors’ Council, The Bizot Green Protocol, 2015 (actualisé en septembre 2023), en ligne : Bizot_Green_Protocol_-_2023_refresh_-_Sept_2023.pdf (cimam.org) ; A Practical Guide For Sustainable Climate Control and Lighting in Museums and Galleries, Sydney, International Conservation Services and Steensen Varming, 2015, en ligne : 13785 A Practical Guide for Sustainable Climate Control and Lighting in Museums and Galleries Revision – Final (magsq.com.au) ; IPI’s Methodology for Implementing Sustainable Energy-Saving Strategies in Collections Environments, Rochester, Image Permanence Institute, 2017, en ligne : https://s3.cad.rit.edu/ipi-assets/publications/methodology_guidebook/methodology_guidebook_all.pdf ; Empfehlung zur Energieeinsparung durch die Einführung eines erweiterten Klimakorridors bei der Museumsklimatisierung, Deutscher Museumsbund, septembre 2022, en ligne : klimakorridor-fuer-sammlungsgut.pdf (museumsbund.de) ; Déclaration sur le climat pour les organisations du patrimoine, Bruxelles, octobre 2023, en ligne : DeclarationClimat_2 (kikirpa.be).
  8. Guide pratique d’écoconception, Lille, Palais des Beaux-Arts, 2021, en ligne : https://pba.lille.fr/content/download/6166/71045/file/GUIDE+PRATIQUE+D%E2%80%99%C3%89COCONCEPTION.pdf.

 

Pour citer cet article : Mélanie Estèves et Christelle Faure, "Écoconcevoir au palais des Beaux-Arts de Lille : de l’expérimentation à la structuration d’une démarche opérationnelle", exPosition, 22 novembre 2024, https://www.revue-exposition.com/index.php/non-classe/ecoconcevoir-au-palais-des-beaux-arts-de-lille-de-lexperimentation-a-la-structuration-dune-demarche-operationnelle/%20. Consulté le 4 décembre 2024.