La censure exposée. Un art contemporain russe sur le fil de la (dé)monstration

par Alice Cazaux

 

Alice Cazaux est professeure agrégée en arts plastiques et chercheuse associée au laboratoire CLARE (EA 4593) de l’université Bordeaux Montaigne, où elle enseigne au département Arts. Elle est l’auteure d’une thèse portant sur l’art contemporain russe et les liens établis par certains artistes avec des figures tutélaires évoquant la folie (le fol-en-Christ, L’Idiot de Dostoïevski, les dissidents ayant subi la psychiatrie punitive et la double vie des artistes non officiels en URSS) : « De l’idiot au fou dédoublé. Recherches sur les interprétations de la folie dans l’art actuel russe » (2015). Elle consacre à présent ses recherches à l’actionnisme russe, aux œuvres contemporaines réactualisant des formes passées (emprunt, détournement, reenactment) et à l’autofiction en art. Ses derniers articles sont parus dans la Revue Russe et aux Cahiers d’Artes (PUB). Elle exerce également une activité de critique et de conseil auprès d’artistes et de galeries.

 

« Quand l’ordre social se dissout, la présence du clown s’atténue sur la scène ou sur la toile ; mais le clown descend alors dans la rue : c’est chacun de nous. Il n’y a plus de limites, donc plus de franchissement.

Subsiste la dérision[1] ».

 

Cette réflexion entend faire un lien entre trois événements de l’histoire de l’art contemporain russe, trois cas d’étude reflétant le déploiement de modes de monstration alternatifs puisqu’élaborés pour des créations entravées, à un moment donné, dans leur mise en public. Il s’agit de deux actions entrant dans le champ de l’actionnisme russe (courant post-soviétique d’art corporel) et de la mise en public d’une collection d’art non-conformiste et contemporain au sein d’une institution d’État.

Ces événements seront pris de façon chronologique. Le premier en date est l’exposition Interpol (1996) organisée en Suède, au cours de laquelle Alexander Brener et Oleg Kulik, artistes de l’Est, répondirent d’une manière pour le moins brutale à ce qu’ils considéraient comme une prise d’ascendant autoritaire de certains artistes et organisateurs de l’Ouest. Leur riposte (morsure d’un critique et destruction d’une installation lors du vernissage) permit de court-circuiter les censeurs présumés en diffusant leur œuvre bien au-delà de l’exposition, et de rejouer un conflit géopolitique entre les pôles Est et Ouest par le biais de leurs appareils culturels. Le deuxième moment choisi de cette histoire est l’institutionnalisation de la collection constituée par le commissaire d’expositions Andreï Erofeev, rassemblant des œuvres non-conformistes et contemporaines datant des années 1970 à 2000. Il s’agit de la collection Tsaritsyno, qui souleva des problèmes d’autocensure institutionnelle dès son intégration au sein de la galerie Tretiakov, musée national russe, en 2002. Nous nous intéresserons également à l’action La Bite prisonnière du FSB (2010) au cours de laquelle le collectif Voïna dressa un graffiti colossal – un pénis de 65 mètres de haut – face au siège du FSB[2] à Saint-Pétersbourg, projetant un éclairage grotesque une nuit durant sur les forces politiques de l’ombre. Paradoxalement, cette action fut avalisée par un Prix du Ministère de la Culture russe.

Ici, les protagonistes ne jouent pas du contournement des règles imposées mais agissent dans une confrontation qui transgresse certains habitus et bonnes mœurs auparavant évidents – ne pas mordre ou vandaliser, ne pas exposer des œuvres critiquant directement le pouvoir politique ou la religion orthodoxe, craindre le FSB et d’une manière générale les porteurs d’uniforme. Chacun des événements choisis, à travers le scandale provoqué, a bénéficié d’un relais international qui opère un renversement de la censure. C’est en effet d’une façon paradoxale que le tollé provoqué par l’interdiction – officielle ou pressentie – donne une meilleure visibilité à ce qui devait être caché.

Ces trois cas de l’histoire de l’art actuel russe offrent à l’étude une situation complexe qui imbrique censeurs, créateurs et curateurs. La censure est ici perçue comme un grave manquement à la liberté d’expression, mais elle peut à l’opposé être interprétée comme un moyen d’accès à une audience élargie qui, à son tour, permet la monstration des modes opératoires des censeurs. Ainsi, Nathalie Heinich présente-t-elle le nouveau paradigme de l’art contemporain comme un jeu de main chaude, au sein duquel « à chaque innovation [répond] une indignation, puis une intégration, qui élargit les frontières de l’art en y incluant les dernières transgressions[3] ». Le meilleur moyen d’accéder à l’intégration serait donc, suivant ce schéma, la transgression. Mais étant donnée l’histoire artistique du XXe siècle en Russie, marquée par la pratique exclusive d’un art officiel jusque dans les années 1970, cette vision sociologique, bien que séduisante, n’est guère transposable à la scène russe : si les limites sont sans cesse repoussées par les artistes, bien souvent l’« intégration » n’a pas lieu.

Le champ établi permet ainsi de questionner des comportements possibles vis-à-vis d’interdictions ou d’obligations plus ou moins tacites : quels moyens trouver en faveur de la liberté d’exposer face à des autorités de nature culturelle, institutionnelle, religieuse et/ou politique, voire économique, qui choisissent de taire ou de faire taire certains sujets ? Alors même que la liberté d’expression semble garantie par l’article 29 de la Constitution, comment les nouveaux tabous de la Russie contemporaine sont-ils définis ? Et qui sont les censeurs ?

Les années 1990 furent le berceau de profondes mutations politiques, sociales et artistiques en Russie ; le démantèlement du bloc soviétique et la crise économique qui l’accompagna se fit parallèlement au renouveau d’une certaine liberté d’expression. La doctrine du réalisme socialiste n’étant plus imposée, l’art non-conformiste russe, jusqu’alors caché et entravé dans ses démarches de monstration, put sortir de son isolement. Certains artistes semblent avoir eu besoin de tester cette liberté jusqu’alors inconnue afin d’en définir les limites, sans affirmation d’une quelconque volonté politique, si ce n’est la revendication de nouvelles formes artistiques, tant sur un plan national qu’international. Oleg Kulik et Aleksandr Brener, furieux émissaires s’il en est de cette « sortie du placard », rendirent la Russie visible sur la scène artistique internationale lors d’un événement devenu historique, tout au moins pour l’actionnisme moscovite : Interpol.

Interpol : qui sont les censeurs ?

En février 1996, la ville de Stockholm accueillit l’exposition Interpol entre les murs de la Färgfabriken[4]. Les deux commissaires, le Suédois Jan Aman et le Russe Viktor Misiano, désiraient faire dialoguer les artistes de leurs pays respectifs à travers une organisation collégiale ; ils choisirent ainsi des artistes locaux qui, à leur tour, invitèrent un co-auteur international afin de créer ensemble cette exposition, organisée lors de deux rencontres préparatoires à Stockholm. C’est ainsi qu’Aleksandr Brener et Oleg Kulik furent invités à prendre part à l’exposition, le premier invité par le curateur russe, et le second, performer alors reconnu pour incarner un « chien méchant[5] », choisi par l’artiste suédois Ernst Billgren.

La situation du réseau culturel propre à chacun des deux pays était radicalement différente : le réseau suédois était bien développé et les artistes n’avaient rien perdu de leur rayonnement social, alors que la situation russe n’offrait aucun espace institutionnel réservé à la création actuelle, la place de l’artiste étant par conséquent publiquement et officiellement inexistante. Selon les termes de Viktor Misiano, rester en Russie pour pratiquer son art était – et c’est encore le cas à l’heure actuelle – « un choix moral » :

« Il y a, bien sûr, la preuve d’une énorme différence entre ces deux pays. L’exclusion de la Russie de l’arène internationale est due à l’effondrement de ses propres institutions, alors qu’en Suède, le protectionnisme gouvernemental a créé une existence si confortable pour ses habitants, qu’ils ont peu d’intérêt pour le monde extérieur. En Russie, où l’infrastructure au niveau des arts est faible et complètement marginalisée, les artistes existent en dépit du sens commun – ils font un choix moral. En Suède, où l’art a un pouvoir social, les artistes ont gardé leur fonction sans aucune perte de prestige. Il semble que ces différences diamétrales ne pouvaient qu’encourager le dialogue[6]. »

Malgré le désir d’un nouveau réseau artistique exprimé par le biais de cette exposition, fondée sur l’idée d’un partage harmonieux de l’espace, la production finale fut tout autre.

Dans un article relatant l’événement, la critique Ekaterina Degot indique que des conflits permanents avaient pour sujet la répartition de l’espace d’exposition[7]. L’échec de cette tentative de collaboration et d’entendement mutuel connut son point d’orgue lors du vernissage : le soir du 2 février, alors que les invités et la presse abondaient, Aleksandr Brener saccagea une grande installation signée Wenda Gu[8] – artiste chinois vivant aux États-Unis, convié à exposer par le Russe Dmitry Gutov[9]. Il détériora également une œuvre du Suédois Ernst Billgren qui avait invité Kulik. Ce dernier quant à lui mordit violemment un critique – malgré son engagement auprès des organisateurs de ne pas reproduire l’attaque canine qui l’avait conduit au poste à Zurich en 1995[10] [Fig. 1].

Fig. 1 : Arrestation d’Oleg Kulik suite à l’action Reservoir Dog, le 30 mars 1995 devant la Kunsthalle de Zurich lors du vernissage de l’exposition Signs and Wonder. Niko Pirosmani and Contemporary Art. Courtesy Oleg Kulik et galerie Rabouan Moussion Paris
Fig. 2 : Arrestation d’Oleg Kulik suite à l’action Dog House, le 2 février 1996 lors du vernissage de l’exposition Interpol, Stockholm, Färgfabriken. Courtesy Oleg Kulik et galerie Rabouan Moussion Paris

La police immédiatement prévenue arrêta Oleg Kulik [Fig. 2] alors qu’Aleksandr Brener avait déjà eu le temps de fuir. Voici l’événement décrit par Wenda Gu :

« Lors du vernissage, le performer russe Aleksandr Brener a commencé à jouer sur des tambours, installés devant mon installation, et a commencé à crier alors qu’il battait les tambours à tout rompre. […] il observait attentivement le comportement des spectateurs, et était attentif à chacun de mes mouvements. J’ai quitté un instant l’espace d’exposition pour recevoir des amis dans une partie adjacente du bâtiment. Une minute plus tard, un artiste allemand accourut vers moi en criant que mon travail avait été détruit par Brener. Je le suivis immédiatement à l’intérieur de l’exposition pour trouver un auditoire d’environ mille personnes dans un silence absolu, en état de choc, en train de regarder ma pièce. À ce moment-là, j’étais très ému, je n’avais jamais vécu cette situation auparavant. L’installation semblait avoir subi un attentat terroriste. En raison des matériaux et de la nature du travail, les cheveux, le drapeau et la fusée, elle ressemblait à un champ de bataille. Environ dix minutes plus tard, les membres du public avaient retrouvé leur sang-froid, certains d’entre eux appelèrent des reporters, les radios locales et les chaînes de télévision tandis que le Centre prévenait la police. Le critique d’art français, Olivier Zahm, s’est écrié : “Cette action est totalement néo-fasciste !”. L’écrivaine française Elein Fleiss vint vers moi et me proposa d’être témoin si je décidai d’intenter une action en justice. À l’arrivée des policiers, ils arrêtèrent un autre artiste russe qui jouait un chien enchaîné, nu, alors qu’il tentait d’attaquer et de mordre un bébé de deux ans. Certains membres de l’auditoire lui assénèrent des coups de pied au visage. Pendant ce temps-là, Brener avait quitté les lieux[11]. »

Ce témoignage présente la perception qu’un artiste « international » agressé a pu avoir de ses agresseurs « russes », qualifiés ici de « terroristes » ayant perpétré un « attentat » transformant l’exposition en « champ de bataille » par une action « totalement néofasciste », l’un d’eux n’hésitant pas dans sa sauvagerie à tenter « d’attaquer et de mordre un bébé de deux ans ». Il fait également état de la réaction immédiate de la presse : la communication autour de ces agressions russes à l’encontre de la sphère internationale débuta aussitôt, et une conférence de presse fut organisée dès le lendemain. Parmi ces réactions, une « lettre ouverte au monde de l’art » rédigée à l’initiative du critique Olivier Zahm et signée par de nombreuses mains expertes fut largement diffusée[12]. Elle figure aussi dans le catalogue d’Oleg Kulik[13], la médiatisation de l’événement s’avérant un élément important pour la promotion des « agresseurs ». Wenda Gu reproduit également de nombreuses coupures de presse sur son site internet, ainsi que sa lettre intitulée « La guerre culturelle[14] ». L’échange épistolaire trouva sa place dans les colonnes de Flash Art, revue italo-américaine à destination internationale, qui donna une visibilité certaine aux participants des deux parties. Viktor Misiano, co-commissaire de l’exposition, indiquait dans sa réponse que « cette confrontation exist[ait] également dans le contexte d’un partenariat tacite : son caractère scandaleux ser[vait] à promouvoir les nouveaux noms de Russie autant que des nouvelles institutions de Stockholm[15] ». La missive d’Oleg Kulik fut quant à elle suggérée par le comité d’organisation de Manifesta I (1996)[16], désirant que l’artiste se justifiât, pour anticiper les réactions que provoquerait sa participation à leur événement. Il exprime dans sa réponse l’incompréhension ressentie face à une invitation en tant que readymade chien, et au manque de collaboration interne entre les artistes : il avait été invité à collaborer par et avec Ernst Billgren, mais ce dernier avait élaboré sa pièce avant l’arrivée d’Oleg Kulik qui n’avait plus, en quelque sorte, qu’à la meubler, rompant ainsi le dialogue avant même un premier échange :

« […] plus rien de l’idée première ne transparaissait dans l’exposition – ni de son sens (l’idée de communication finit en rhétorique, plutôt qu’en désir pratique de fonder de nouvelles bases de contact avec l’Europe de l’Est), ni de sa réalisation pratique (nous avons vu comment les organisateurs avaient avorté beaucoup des projets moscovites). Étant un artiste avant d’être un chien, je ne voulus pas m’impliquer dans cette farce[17]. »

Les éléments qu’apporte Viktor Misiano convergent dans le sens d’une incompréhension mutuelle : « Le camp des Russes commença à penser que les Suédois les utilisaient dans le projet Interpol pour avoir accès à des financements » alors que « le camp suédois déclara que le projet Interpol était utilisé par les Russes pour obtenir de l’argent suédois[18] ». Les critiques se dirigèrent également vers les curateurs, Jan Aman étant jugé « charmant » mais manquant de « compétences organisationnelles et de professionnalisme » par les Russes, quand « les participants russes d’Interpol étaient généralement comme un gang mafieux, au sein duquel le curateur jouait le rôle du “parrain[19]” ». Wenda Gu les considérait également comme autoritaires et dominateurs :

« Les artistes russes, sous l’autorité de leur curateur, M. Misiano, essayaient fréquemment de contrôler l’ensemble du plan d’exposition, conceptuellement et spatialement. Il est évident que cela reflétait l’ambition de ces artistes russes, qui viennent d’une nation dont la superpuissance s’est effondrée, et qui ont une vision distordue de leur force passée[20]. »

Le « pôle Est », regroupé autour de l’action d’Aleksandr Brener, afficha son engagement dans le violent refus d’un certain impérialisme du « pôle Ouest », ressenti sur le plan théorique, spatial et financier, mais aussi politique[21]. Nous pouvons dès lors considérer qu’Oleg Kulik et Aleksandr Brener, agissant comme des enragés, parvinrent à altérer cet échange qu’ils jugeaient biaisé en faisant table rase des conventions pour entamer un nouveau dialogue établi selon leurs propres termes. Leur énoncé ne fut pas de l’ordre d’une parole et d’une pensée élaborées en concepts, mais d’une action s’adressant directement aux affects en jouant sur le scandale. Le terme grec de skandalon désigne au départ un obstacle sur le chemin, une pierre d’achoppement. Le scandale amené par la réponse inattendue et sensationnelle d’Aleksandr Brener et Oleg Kulik fait trébucher l’événement et dévier le discours d’une doxa figurée par le « pôle Ouest ». Toute allégeance à ce que les deux artistes interprétaient comme « occidental » – uniformisation présumée des codes artistiques, caractère mercantile –, fut refusée avec violence. Les « sauvages » qu’ils incarnèrent pour l’occasion devinrent les nouveaux censeurs, signifiant leur altérité au regard de la domination d’un « art international ».

Selon le théoricien de l’art et commissaire slovène Igor Zabel[22], la question était alors de savoir qui serait le maître des mots formant le dialogue. Oleg Kulik, invité en tant que chien, se comporta littéralement en tant que tel – agressif et bestial, défendant son territoire. La destruction d’Aleksandr Brener sembla, elle, influencée par l’espace qu’occupait l’installation de Wenda Gu, ne tenant pas compte des autres projets ni des commentaires effectués en amont lors des deux réunions de préparation. Igor Zabel cite un passage de À travers le miroir de Lewis Caroll pour illustrer son propos :

« Lorsque je me sers d’un mot, dit Humpty Dumpty d’un ton passablement méprisant, il a exactement le sens que je choisis de lui donner – ni plus, ni moins.

La question, dit Alice, c’est de savoir si vous pouvez donner aux mots tant de sens différents.

La question, dit Humpty Dumpty, c’est de savoir qui sera le maître, voilà tout[23]. »

Les dominés russes inversent les rapports d’autorité, montrant leur capacité à engendrer le chaos comme la réaction d’une Russie ne restant pas à la place qu’on lui avait administrée, en détruisant l’œuvre dominante – perçue comme une tentative de domination spatiale, conceptuelle et politique (porteuse de plus du drapeau européen).

Les mécanismes engendrés par le scandale obéissent ici à merveille à la dynamique de « transgression, réaction, intégration » évoquée en ouverture, Oleg Kulik – plus qu’Aleksandr Brener – ayant aujourd’hui une renommée internationale – les œuvres de la série The Mad Dog [Fig. 3] font désormais partie d’importantes collections, notamment celle du Centre Georges Pompidou[24].

Fig. 3 : Oleg Kulik, The Mad Dog, 1994, Epreuve gélatino-argentique, 120 x 160 cm, n° 2, Centre Georges Pompidou
Courtesy Oleg Kulik et galerie Rabouan Moussion Paris

La collection Tsaritsyno. Non-conformisme et provocation versus politiquement correct

Le curateur Andreï Erofeev s’est avec le temps, et peut-être malgré lui, fait le spécialiste d’expositions transgressives. La plus retentissante fut sans doute L’art interdit en 2006 (2007), avec les répercussions qu’elle eut sur l’exposition Sots’art à Paris la même année. Toutes deux impliquèrent des œuvres issues de la collection rassemblée par Andreï Erofeev.

À la suite de la grande liberté ressentie dans le domaine de la création – liberté entendue dans le sens d’une absence de contrôle – les années 2000 furent marquées en Russie par diverses interdictions ou représailles. Les liens sont étroits, qui associent la monstration de l’art non-conformiste à la censure : elle fait partie intégrante d’une l’histoire de l’art contemporain marquée par le souvenir d’événements tels que la colère de Khrouchtchev au Manège (1962)[25] ou plus tard la destruction de l’exposition dite « des bulldozers » (1974)[26]. Il est habituel que le processus créatif soit affecté par l’anticipation de telles représailles, pouvant modifier l’œuvre dès sa genèse[27]. Il nous semble même que ce risque pourrait parfois pousser à la provocation – provocare en latin, littéralement appeler au dehors –, par la création d’une situation permettant de rendre manifestes des interdictions tacites ou des tabous – à l’origine, rappelons-le, un tabou est un élément qu’il est interdit de toucher car il revêt une puissance sacrée. Si les restrictions infléchirent les œuvres du socialisme tardif[28], ce n’est qu’avec les début du Sots-art en 1972 que les artistes osèrent et trouvèrent de l’intérêt à aborder de nouveau des thèmes politiques, cette fois dans une visée critique. La création des années 1990 sembla rétrospectivement marquée par l’aura des avant-gardes, leurs formes[29], leurs scandales et leurs provocations[30]. En outre, le durcissement politique des années 2000 est allé de pair avec le resurgissement des pratiques répressives de l’État, aidé et alerté par des groupes religieux politisés.

Andreï Erofeev a été témoin et acteur de ces changements. Commissaire d’expositions, il rassembla une large collection d’œuvres non-conformistes grâce à des dons d’artistes, qu’il parvint en 2002 à intégrer aux collections de la Nouvelle Galerie Tretiakov, musée national à Moscou[31]. Nous aborderons ici la constitution de cette collection, l’autocensure auxquelles certaines pièces furent soumises au musée, puis le caractère provocateur de leur exposition hors-les-murs – au musée Sakharov, puis à Paris.

C’est de sa propre initiative qu’Andreï Erofeev débuta cette collection – qui demeure encore à l’heure actuelle une des rares collections publiques d’art contemporain en Russie[32] – sous Brejnev, alors que de nombreuses œuvres quittaient les ateliers, achetées à bas prix par les galeristes étrangers. Un ancien expert auprès du Ministère de la Culture de l’URSS, alors directeur scientifique du palais qui deviendrait le musée Tsaritsyno, lui proposa d’y organiser des expositions afin de poursuivre cette collection. Andreï Erofeev raconte :

« Pendant longtemps, nous avons fonctionné avec des donations de la part des artistes, que nous parvenions à rétribuer de manière compensatoire grâce aux retombées des expositions. […] Fort de cette expérience, je voulus faire entrer la collection Tsaritsyno à la Nouvelle Galerie Tretiakov. Il fallut que je présente et que je défende chaque œuvre devant le conseil scientifique, cela prit deux ans de 2000 à 2002. Mais les membres du conseil, qui ne connaissaient guère ce genre de travail, en laissèrent une grande partie à la porte (environ 2000 œuvres au total). Puis finalement je parvins à les faire entrer, clandestinement – personne ne surveillait le contenu des camions qui rentraient[33]… »

La présentation des œuvres de la collection de façon permanente dans les salles de la Nouvelle Galerie Tretiakov ne se fit pas sans difficultés, institutionnelles et administratives. Les problèmes, résidant principalement dans le choix des œuvres présentées au public dans la partie dédiée à la création contemporaine, posèrent la question d’une censure administrative, autocensure des administrateurs de l’institution craignant des représailles venues d’en-haut s’ils ne se pliaient pas à certaines directives – la difficulté principale étant que ces directives soient tacites. Cette crainte, provoquée par une situation réelle ou présumée, nous semble être de l’ordre du fantasme. Nous ne doutons pas que certains budgets alloués au musée aient pu être réduits ou des membres du personnel limogés à la suite d’expositions polémiques, mais ce qui nous interpelle est la manière dont, sans directives précises – venant en URSS de l’Union des artistes, prodiguant les codes stricts du réalisme socialiste –, les membres de l’administration aient élaboré leur propre jugement, sans référent défini, pour établir ce qui tient de la marge ou de l’irreprésentable. Dans la mesure où l’art non-conformiste était jusqu’alors méconnu, comment alors établir une classification dans un territoire n’ayant de définissable, par principe, que la « touffeur anarchique[34] » de sa marginalité ? Nous avons ici le cas, semble-t-il, de censeurs obéissant à ce qu’ils fantasmaient de la norme et de ses limites, du pouvoir et de ses désirs, encore guidés par l’ombre fantomatique des organes soviétiques. Le caractère clandestin de certaines œuvres, entrées littéralement par la porte arrière, en fait toute l’originalité et aura d’ailleurs marqué une œuvre en particulier : Policemen Kissing, ou L’Ère de la miséricorde (2005) des Blue Noses[35] [Fig. 4]. Le double titre tient précisément à cette clandestinité : l’original étant trop imagé et risquant d’éveiller des soupçons, Andreï Erofeev avec l’accord des artistes, fit figurer un nouveau titre sur les listes d’inventaire de la Galerie Tretiakov. Ainsi, L’Ère de la miséricorde continua à désigner l’œuvre par la suite.

Fig. 4 : The Blue Noses, Policemen Kissing ou Era of Mercy, 2005, Photographie, 75 x 100 cm, Courtesy The Blue Noses

Andreï Erofeev, conservateur de la collection qu’il fit entrer au musée, se heurta à plusieurs refus d’exposer des œuvres aux contenus formels, politiques ou religieux jugés inappropriés. Ces rejets successifs le conduisirent à rassembler toutes les œuvres interdites – de manière informelle et aléatoire – par l’administration de la Galerie Tretiakov dans une version revisitée du Salon des refusés, sous le titre L’art interdit en 2006 – les œuvres choisies concernant la seule année 2006. Yuri Samodurov, directeur du musée Sakharov[36], proposa d’y accueillir l’exposition. Le musée avait déjà défrayé la chronique suite à Attention, Religion ! (2003)[37], exposition vandalisée par des fondamentalistes orthodoxes[38] et dont les organisateurs furent condamnés suite à des procédures initiées par des groupes civils et religieux[39]. Andreï Erofeev participa à ce long procès en tant qu’expert. Selon Ada Ackerman, chargée de recherches au CNRS, Attention, Religion ! constitue un précédent qui fait jurisprudence et accorde aux autorités une sorte de « droit à la censure » sous couvert de protection de la liberté de culte par des accusations d’ « incitation à la haine religieuse » [Fig. 5].

Fig. 5 : Viktoria Lomasko, dessin du procès pour le livre L’Art Interdit, 2014 (Viktoria Lomasko, Anton Nikolaïev, L’Art interdit : Art, blasphème et justice dans la Russie de Poutine, Paris, éd. The Hoochie Coochie, 2014). Traduction : « Alors vous êtes une artiste indépendante ? Et bien moi, je suis un pogromiste indépendant. Je peux saccager vos expositions en toute liberté. »

Dans une excellente analyse, elle revient sur ce long procès qui mit en lumière l’ascendant de l’église orthodoxe sur l’impartialité du jugement. Elle y indique que :

Le cas d’Attention, Religion ! constitue le tout premier procès de ce genre en Russie post-soviétique et marque à ce titre un tournant historique pour la vie culturelle russe, servant de précédent juridique comme de modèle pour bien des cas ultérieurs. Il représente par ailleurs une affaire à part dans l’histoire mondiale de la censure artistique, dans la mesure où, dans un renversement quelque peu kafkaïen, non seulement les organisateurs et artistes de l’exposition furent victimes d’actes de vandalisme de la part d’extrémistes orthodoxes, mais en furent également, de surcroît, tenus comme responsables et reconnus coupables du point de vue de la loi[40].

Dans un contexte semblable, nous ne doutons pas que l’organisation d’une exposition récidiviste entre les murs du même musée Sakharov, ayant pour sujet « l’art interdit », ait pu être interprétée comme une nouvelle provocation de la part des deux organisateurs.

Bien conscient de cela, Andreï Erofeev imagina une scénographie particulière : cachées par l’ajout de nouvelles cimaises, les œuvres n’étaient visibles qu’au travers d’un œilleton[41] qu’il fallait atteindre en grimpant sur un escabeau [Fig. 6].

Fig. 6 : Viktoria Lomasko, dessin pour la couverture du livre L’Art Interdit, 2014 (Viktoria Lomasko, Anton Nikolaïev, L’Art interdit : Art, blasphème et justice dans la Russie de Poutine, Paris, éd. The Hoochie Coochie, 2014). Courtesy Viktoria Lomasko

Cette mise en scène, accentuant le caractère délétère de la monstration jusqu’à la caricature, poussa à son paroxysme l’apparent refus d’ostentation : afin d’exposer l’art interdit, Erofeev exposa l’interdiction avant l’art, en rendant évidentes les entraves à la vue des œuvres. Le spectateur étant ainsi transformé en voyeur, la nature des objets exposés se trouva de fait modifiée par leur intégration au sein de ce peep-show culturel pour regardeurs consentants. Rusant sur le fait que des spectateurs, juchés sur leur escabeau inconfortable, viennent délibérément jeter un œil pervers sur les œuvres cachées car politiquement incorrectes ou blasphématoires, dans une discrétion feinte, le dispositif mis en place prend un rebours ironique sur la censure.

Mais nous devons nous questionner sur la nature d’un tel défi : comment en effet réagir face à la censure ? Faut-il accepter de taire certains sujets, ou au contraire persévérer jusqu’à ce qu’ils ne soient plus tabous ? Sous quelle forme alors les dénoncer ? Erofeev et Samodurov prirent le parti de persévérer, espérant faire vaciller quelques limites sensibles – mais les risques courus par les artistes et ceux qui les exposèrent, prêts à en assumer les conséquences, ne relèvent pas d’une simple farce à l’égard des puissants. Leur engagement personnel est indéniable : L’art interdit en 2006 valut à Yuri Samodurov et Andreï Erofeev de perdre leurs places respectives au musée Sakharov et à la Galerie Tretiakov et s’ils évitèrent l’incarcération, ils furent condamnés à verser les amendes de 200 000 et 150 000 roubles par le tribunal du quartier Taganskaja de Moscou, reconnus coupables d’« incitation à la haine religieuse » selon l’article 282 du code pénal.

Le procès éveilla de vives réactions au sein de la communauté artistique, sa visibilité étant encore renforcée par la quasi-simultanéité avec l’exposition – toujours menée par Andreï Erofeev – Sots’art, Art politique en Russie de 1972 à nos jours (2007) à la Maison Rouge, à Paris. De nombreuses œuvres ne furent pas autorisées à quitter le territoire russe pour cet événement. Le ministre de la Culture Aleksandr Sokolov qualifia lui-même ces images de « honte pour la Russie[42] », et la presse française et internationale de relayer le titre alléchant d’exposition censurée. Quelques œuvres des Blue Noses furent touchées par ce veto ministériel. Celles-ci, ayant auparavant une portée médiatique moindre hors du contexte russe se retrouvèrent, suite à cette interdiction, en bonne place dans la presse internationale. C’est ainsi que L’Ère de la miséricorde ou Policemen Kissing évoquée plus haut fut publiée en couverture de Beaux Arts magazine[43] [Fig. 7]. Et c’est ainsi qu’une fois de plus ce qui devait rester invisible fut largement diffusé, promu à la publicité internationale des gros tirages de presse.

Fig. 7 : The Blue Noses, Policemen Kissing ou Era of Mercy, 2005, en couverture de Beaux Arts Magazine, n° 281, novembre 2007

Si certaines expositions sont effectivement perçues comme des provocations – même s’il nous semble qu’Attention, Religion ! ait moins été pensée comme une bravade envers les croyants que comme une réflexion à visée pédagogique –, force est de constater que le scandale n’éclate qu’à la réponse d’un certain public, politisé, qui use lui-même des mécanismes de la provocation. Tandis que les œuvres censurées tendaient à critiquer l’autorité politique et/ou religieuse, leur censure devient un outil servant la réaffirmation de cette autorité sur la place publique. En outre, il semble opportun de préciser que la portée de tels événements dans les milieux artistiques russe et occidental est bien différente. Lorsque chez les premiers, l’intention est avant tout politique et entend faire bouger les lignes de la liberté d’expression, chez les seconds elle semble séduisante surtout sur le plan médiatique. La formation d’un système institutionnel en Russie – système de monstration, de réception et d’interprétation des œuvres par un public incluant des non spécialistes – ne pouvant exclure les censeurs de l’Église Orthodoxe, les œuvres polémiques et leur exposition prêtent le flanc à de lourdes conséquences.

Fig. 8 : Viktoria Lomasko, dessin du procès pour le livre L’Art Interdit, 2014 (Viktoria Lomasko, Anton Nikolaïev, L’Art interdit : Art, blasphème et justice dans la Russie de Poutine, Paris, éd. The Hoochie Coochie, 2014). Traduction : « Des pèlerins m’ont montré les policiers qui s’embrassent [des Blue Noses, ndlr] ».
Courtesy Viktoria Lomasko

Nous verrons maintenant comment le collectif Voïna parvint néanmoins à la reconnaissance d’une pratique artistique contestataire, dans une démonstration par l’absurde.

Coup de projecteur sur les forces de l’ombre : Voïna, La Bite prisonnière du FSB

Fig. 9 : Voïna, Dick captured by FSB, 2010, action, Saint-Pétersbourg. Photogramme extrait de Andreï Gryazev (réal.), Voïna, 2012, film documentaire, 89 mn, Russie, Dissidenz films

Ce dernier axe de notre réflexion concerne l’institutionnalisation paradoxale d’un graffiti tapageur. La nuit du 14 juin 2010, le collectif grupa Voïna [la guerre], lors d’une action de rue, dessina un pénis de 65 mètres devant le siège pétersbourgeois du FSB – Service Fédéral de Sécurité, ancien KGB, services secrets soviétiques dont Vladimir Poutine est issu – sous le titre Huj v plenu u FSB, que nous traduisons par La bite prisonnière du FSB[44] [Fig. 9]. Profitant non seulement du large public – non averti – présent sur place et des nouvelles formes de diffusion offertes par internet, cette action trouva rapidement une large audience internationale[45].

Après la culture d’une discrétion imposée, dans les années 1980-1990 les artistes s’autorisent à inscrire des insanités sur leurs tableaux et bientôt à montrer toutes les parties de leurs corps. Ces provocations sont une recherche de nouvelles limites, dans laquelle il est possible de déceler une carnavalesque renaissance par les cendres, associant « sainteté et souillure » dans ce que l’anthropologue Bertrand Hell analyse comme un comportement « oscillant entre les pôles opposés de la profanation et de la tradition[46] ». Lorsque Voïna opère, les figures autoritaires de la doxa sont renversées, court-circuitées. Les fils spirituels – et spiritueux – de l’actionnisme ayant hérité de techniques performatives brutales et parfois obscènes, l’inspiration avant-gardiste des premières années du XXe siècle cède ici sa place à des érections moins poétiques, mais tout aussi retentissantes.

La réintroduction des mots huj – bite – et autres allocutions du lexique argotique, est le signe d’une liberté d’expression recouvrée qui explique en partie leur présence dans de nombreuses œuvres contemporaines. Selon Mikhaïl Bakhtine[47], dans l’ordre carnavalesque, « la contestation du code linguistique officiel et la contestation de la loi officielle » sont identiques. « Brise[r] les lois du langage censuré » équivaut à « une contestation sociale et politique ». L’introduction d’un tel vocabulaire est ici le signe d’une contestation de la culture dominante et de ses canons – nous pensons aux précédentes œuvres porteuses d’un tel défi au langage public, parmi lesquelles Pošel Ty… d’Ilya Kabakov[48], au groupe Mukhomor formant de leur corps le mot huj (ХУЙ) au cours d’une performance (1978), reprise par le groupe ETI sur la Place Rouge[49], aux multiples occurrences de la thématique pénienne chez les Blue Noses[50] ou encore au tardif Hujak ! d’Avdeï Ter Oganyan[51]. Nous notons d’ailleurs que plusieurs d’entre elles étaient présentées derrière les cimaises de L’art interdit en 2006.

Le collectif Voïna – dont certaines des protagonistes formèrent les Pussy Riot, plus largement médiatisées – a fait retentir les sirènes d’un art militant jouant de la provocation dès 2005. Leurs actions ont pour but d’alerter l’opinion grâce à un fort impact sur les symboles du pouvoir. Le symbole ici choisi est le quartier général du FSB à Saint-Pétersbourg. Ce fait d’armes vandale mérite d’être analysé d’un point de vue artistique, voire même plastique – son caractère environnemental et son articulation au lieu en font une œuvre performative in situ.

Les nuits blanches de Saint-Pétersbourg constituent un attrait touristique tout à fait remarquable. En raison de sa situation septentrionale, la ville bénéficie d’une clarté nocturne qui attire des touristes du monde entier pendant le mois de juin ; la nuit du solstice laisse poindre une aube constante. Ce phénomène naturel est doublé d’une autre attraction sur les quais de la Neva : aux alentours de minuit, les ponts qui relient entre elles les différentes îles constituant la ville se lèvent pour laisser passer les navires – qui profitent l’été d’un passage rapide vers le golfe de Finlande impossible en hiver – pour ne se rabaisser qu’à partir de cinq heures, laissant de nouveau circuler piétons et véhicules d’une île à l’autre. La nuit du 14 juin, date anniversaire de Che Guevara, mais également à une période de l’année où les berges de la Neva sont le plus fréquentées, grupa Voïna peint un pénis gigantesque sur le pont. Ce dispositif pictural simplissime emprunte aux techniques de l’activisme politique. Après une préparation de deux semaines – consistant à effectuer des relevés des horaires du pont, étudier le comportement des gardes et des automobilistes, préparer une sortie[52] – neuf membres de Voïna s’engagent sur le pont au moment où celui-ci doit se lever, et alors que les automobilistes sont arrêtés, un des leurs fait mine de continuer en voiture, occupant les gardes un moment. Très rapidement – 23 secondes –, ils vident les bidons de peinture blanche au sol en suivant leurs plans, alors qu’ils sont coursés par les gardes. Cette agitation trouve son sens à la seule minute où le mécanisme est actionné, élevant le pont : le dessin réalisé à la va-vite à grands jets de peinture s’avère être un sexe masculin – le niveau zéro du graffiti – se dressant sur 65 mètres de haut. S’articulant au lieu même de sa réalisation, cette œuvre est en étroite relation avec l’environnement dans lequel elle s’inscrit : le pont Litejnii prolonge l’avenue du même nom qui traverse la ville, rendant ainsi le graffiti, baigné de lumière grâce aux éclairages destinés au pont, visible depuis des points très éloignés. Cette visibilité entre en confrontation avec le lieu qu’elle stigmatise. En effet, la mention du FSB dans le titre donné à l’œuvre lui apporte une forte dimension politique. Le lieu choisi par les artistes est situé à quelques mètres du bureau pétersbourgeois des services secrets russes, dont l’ancêtre mieux connu des occidentaux est le KGB. Mise en lumière bête et méchante, clairon retentissant qui tourne le faisceau des projecteurs sur ce qui devait rester invisible, cette vulgarité hyperbolique stigmatise les forces gouvernementales de l’ombre, qui firent face à ce phallus géant durant les longues heures qui précédèrent son nettoyage laborieux par les pompiers. Dans un renversement burlesque, Voïna offre à travers cette scénographie urbaine une nouvelle verticale du pouvoir, qui vient d’en bas et rit au nez des forces fédérales, comme une gifle au goût des services secrets[53].

Ce travail apparaît aussi désormais comme le signe d’une mutation de la politique culturelle russe. Tous les ans, le Prix de l’Innovation[54] récompense un projet artistique ; il fut décerné en 2010 à Voïna pour cette action dans la catégorie « art visuel[55] », assorti d’un chèque du Ministère de la Culture de 400 000 roubles (environ 10 000 €). Andreï Erofeev confia au New York Times la teneur des discussions au sein du jury :

« M. Erofeev dit que la plupart des sept membres du jury étaient initialement contre le fait de décerner le prix à Voïna, dont les leaders attendent leur procès, accusés de hooliganisme et pourraient écoper d’une peine de plus de sept ans d’emprisonnement. Mais au cours des délibérations, trois défenseurs du groupe persuadèrent les quatre autres que le travail de Voïna avait un caractère artistique, a-t-il dit.

Au cours de l’argumentation, ils ont mis en avant que le pénis avait déjà bénéficié d’une grande visibilité sur internet, et que l’ignorer serait aussi une prise de position.

“Personne ne voulait avoir l’air d’un conformiste” , dit M. Erofeev […][56]. »

Cette institutionnalisation demeure paradoxale pour plusieurs raisons. Alors que l’intégration de cette œuvre au circuit artistique institutionnel semble possible – malgré sa dimension politique critique et ses caractéristiques vandales –, c’est au tour des artistes de se retirer du jeu : le collectif refuse d’assister à la cérémonie de remise du prix mais, avec l’aide de ses avocats, parvient à obtenir la somme afin de la verser à une association de défense des prisonniers politiques en Russie (Agora). Au cours d’un entretien mené par Camilla Pin, des membres de Voïna indiquent : « Nous avons fait en sorte qu’à la fin l’État paie les ennemis de l’État. C’était amusant[57]. » Par ce nouveau pied de nez, Voïna fait montre d’une certaine intégrité et persiste dans sa critique du pouvoir, politique encore, culturel et économique également. Les artistes, dont la légende urbaine voudrait qu’ils aient cessé d’utiliser de l’argent depuis 1998, refusent la marchandisation de leur engagement et poussent le système à l’absurde, par un crédit ministériel aux « ennemis » du gouvernement. Ce faisant, ils mettent en évidence les contradictions d’un système qui à la fois condamne et avalise la contestation, selon qu’elle est considérée sur le territoire politique ou le territoire artistique. Par son refus d’accepter ce marché de dupes, le groupe anarchiste affirme l’ancrage de sa pratique sur le territoire politique.

En outre, et nous clorons ainsi notre propos, force est de constater que malgré l’échec apparent de l’establishment ici, les limites se trouvent à nouveau repoussées et les frontières entre art et actionnisme politique tendent encore à s’amoindrir. Les pratiques de Voïna montrent l’évolution d’une nouvelle « tendance » de l’actionnisme russe qui s’ancre dans le politique, ouvrant la voie à l’institutionnalisation d’un activisme performatif. Il semble que ce mouvement fit école, la quatrième biennale d’art contemporain de Moscou accueillant en 2011 le projet spécial Media Impact, International Festival of Activist Art[58] et, dans un même mouvement, le Prix pour le meilleur projet régional fut décerné cette année-là aux Monstracii de Novossibirsk (collectif Contemporary Art Terrorism[59])[60]. Ainsi, la rue et la toile semblent être devenues des espaces d’expression artistiques plus libres, favorisant une reconnaissance de l’institution extra muros, mais également plus politiques et toujours plus risqués.

À la polémique engendrée par Révolution de Palais[61], une action au cours de laquelle des membres de Voïna avaient retourné une voiture de police – ce qui valut trois mois d’incarcération à Oleg Vorotnikov et Leonid Nikolaïev –, succéda une action plus radicale encore consistant à brûler un fourgon de police dans l’enceinte d’un commissariat comme signe de soutien aux prisonniers politiques pour fêter la nouvelle année[62]. Puis vinrent les concerts sauvages des Pussy Riot, et leur Prière Punk scandée dans la cathédrale du Christ Sauveur à Moscou. En août 2012, à l’issue d’un procès à résonance internationale, deux membres du groupe furent condamnées pour « vandalisme » et « incitation à la haine religieuse » à deux ans de camp de travail en Sibérie, faisant écho aux heures sombres de la répression soviétique. Petr Pavlenski a quant à lui récemment été libéré – septembre 2018 –, après une condamnation de deux ans de prison ferme assortie d’une année de sursis en France, pour avoir incendié la façade d’une succursale de la Banque de France à Paris. Cela fait suite à sa condamnation de six mois en Russie pour avoir mis le feu aux portes de la Lubianka à Moscou – bâtiment de triste mémoire, qui abritait depuis 1920 une prison politique et aujourd’hui le siège du FSB.

Finalement, le climax de l’action ne semble atteint que lors d’une confrontation violente, ou de l’arrestation des protagonistes. Entre provocation et sacrifice, l’artiste, le commissaire et le militant font figure de nouveaux martyrs mais servent, bien malgré eux, à une réaffirmation de l’autorité qu’ils dénoncent et qui les contraint au silence. Le resserrement des libertés constaté depuis 2010 en Russie et les signes forts envoyés par le gouvernement envers ces pratiques nous laissent dans l’expectative de nouvelles occurrences, voire de la dissolution de toute pratique artistique contestataire dans l’activisme politique pur.

 

Notes

[1] Starobinski J., Portrait de l’artiste en saltimbanque, Genève, Skira ; Paris, Flammarion, 1970, p. 140.

[2] Service de renseignement intérieur ayant supplanté la branche de sécurité intérieure du KGB à la suite de la tentative de putsch de 1991.

[3] Heinich N., Le triple jeu de l’art contemporain, Paris, Les Éd. de Minuit, 1998, p. 53.

[4] Interpol, exp., Stockholm, Färgfabriken, 2 février – 17 mars 1996.

[5] La première performance de l’artiste en chien – Oleg Kulik et Aleksandr Brener, Bešenyj pjos, ili poslednee tabu, ohranjaemoe odinokim Cerberom [Le chien fou, ou le dernier tabou gardé par un Cerbère solitaire], 1994. Performance, 25 novembre 1994, rue Bolšaja Jakimanka, Moscou – se déroula devant la galerie Guelman à Moscou. Brener, en maître chien, tenait Oleg Kulik en laisse et ce dernier, nu, se montrait tour à tour à quatre pattes, sautant sur le public et les passants, sur un capot de voiture ou « levant la patte ».

[6] Misiano V., « Interpol – The Apology of Defeat », Moscow Art Magazine, digest 1995-2007, p. 70 : « There is, of course, evidence of an enormous difference between these two countries. Russia’s exclusion from the international arena was due to the collapse of its own institutions, whereas in Sweden, state protectionism has created such a comfortable existence for its inhabitants that there is little interest in the outside world. In Russia, where infrastructure of the arts is weak and utterly marginalized, artists exist in spite of their common sense – they make a moral choice. In Sweden, where art has social authority, artists have kept their function with no loss of prestige. It seemed that such diametric differences could only stimulate dialogue. »

[7] Degot E., « À propos de quelques artistes russes / un théâtre de l’envie », Art Press, n° 214, juin 1996, p. 72-73.

[8] United Nations – Sweden & Russia monument, installation in situ, 1996, tunnel de cheveux suédois, rocket de la Swedish Royal Air Force, drapeau de la communauté européenne, 25,6 x 2,13 x 3 m.

[9] Yan Z., « An interview with Wenda Gu », 2004, en ligne : http://wendagu.com/publications/wenda-gu-interiews/zhou-yan.html (consulté en janvier 2019).

[10] Oleg Kulik, Reservoir Dog, 30 mars 1995, action réalisée devant la Kunsthaus de Zurich pour le vernissage de l’exposition internationale Signs of Wonder. Kulik, nu, avec à son cou un collier duquel pend une laisse que rien ne retient, garde les portes d’entrée et attaque les visiteurs qui tentent de pénétrer dans l’exposition.

[11] Gu W., « The Cultural War », Flash Art International, n° 189, mai-juin 1996, p. 102-103, cité (dans son intégralité) dans Hoptman L., Pospiszyl T. (dir.), Primary Documents: A Sourcebook for Eastern and Central European Art since the 1950s, New York, Museum of Modern Art ; Cambridge (Mass.) ; Londres, MIT, 2002, p. 352, p. 361 note 10. Également disponible en ligne sur le site de l’artiste : http://wendagu.com/installation/united_nations/un_interpol_incident/index.html (consulté en janvier 2019) : « In the opening, the russian performance artist, Alexander Brener, began playing a set of drums which were at the front of my installation and began screaming while he was pounding the drums […]. His was carefully watching the audiences’ behavior and was paying close attention to my every move. I left the exhibition space momentarily to receive friends in an adjacent part of the building. One minute later, a german artist came running up to me shouting that my work had been destroyed by Brener. I immediately followed him back to the show to find the audience of about one thousand in absolute silence, in shock staring at my piece. At that moment, I was very emotional; I had never experienced this situation before. The work looked like a place after a terrorist bombing. Because of the materials and nature of the work, the hair, the flag and the rocket, it looked like a battleground. About ten minutes later, the audience regained their composure, some of them called newspaper reporters, the local radio and tv stations while the center notified the police. The french art critic, Olivier Zahm screamed, “this is absolutely a neo-fascist action!” the other french writer, Elein Fleiss, came to me and stated that if I would like to have a lawsuit, she would like to be a witness. When the police arrived, they arrested the other russian artist who played a chained, naked dog as he attempted to attack and bite a two year-old baby. Some audience members actually kicked him in the face. Meanwhile, Brener escaped from the premises immediately after his actions. »

[12] Zahm O., et alii, « An Open Letter to the Art World », publiée pour la première fois de manière abrégée dans Flash Art International, n° 188, mai-juin 1996, p. 46, et dans son intégralité dans SIKSI (The Nordic Art Review), vol. XI, n° 1, été 1996, p. 66. Cette lettre fut également distribuée à la Färgfabriken et envoyée aux principales revues et acteurs de la scène artistique contemporaine internationale.

[13] Kulik O., Nihil Inhumanum a Me Alienum Puto, Bielefeld, Kerber, 2007, p. 125-127.

[14] Gu W., « The Cultural War », Flash Art International, n° 189, mai-juin 1996, p. 102-103, cité (dans son intégralité) dans Hoptman L., Pospiszyl T. (dir.), Primary Documents: A Sourcebook for Eastern and Central European Art since the 1950s, New York, Museum of Modern Art ; Cambridge (Mass.) ; Londres, MIT, 2002, p. 352, p. 361 note 10. Également disponible en ligne sur le site de l’artiste : http://wendagu.com/installation/united_nations/un_interpol_incident/index.html (consulté en janvier 2019).

[15] Misiano V., « Response to an Open Letter to the Art World », publié pour la première fois de manière abrégée dans Flash Art International, n° 188, mai-juin 1996, p. 46, et cité (dans son intégralité) dans Hoptman L., Pospiszyl T. (dir.), Primary Documents: A Sourcebook for Eastern and Central European Art since the 1950s, New York, Museum of Modern Art ; Cambridge, Mass. ; Londres, MIT, 2002, p. 347-349.

[16] Manifesta I, Rotterdam, 16 musées et 36 espaces publics, 9 juin – 19 août 1996.

[17] Kulik O., « Why Have I Bitten a Man? », Kulik O., Nihil Inhumanum a Me Alienum Puto, Bielefeld, Kerber, 2007, p. 129 : « […] nothing was left of the primary idea – neither of its sense (the idea of communication ended in rhetoric, to the practical desire of using different foundations of the support of contacts with the Eastern Europe) nor of its practical idea (we witnessed how the organizers had miscarried the Moscow projects). Being in the first place an artist and only then a person on all fours, “a dog’’, it was unbearable to take part in a farce. »

[18] Misiano V, « Interpol – The Apology of Defeat », Moscow Art Magazine, digest 1995-2007, p. 72.

[19] Ibid.

[20] Gu W., « The Cultural War », Flash Art International, n° 189, mai-juin 1996, p. 102-103, cité (dans son intégralité) dans Hoptman L., Pospiszyl T. (dir.), Primary Documents: A Sourcebook for Eastern and Central European Art since the 1950s, New York, Museum of Modern Art ; Cambridge (Mass.) ; Londres, MIT, 2002, p. 352, p. 361 note 10. Également disponible en ligne sur le site de l’artiste : http://wendagu.com/installation/united_nations/un_interpol_incident/index.html (consulté en janvier 2019) : « The russian artists, under the direction of their curator, Mr. Misiano, frequently attempted to conceptually control and occupy the whole exhibition plan, even trying to control the show’s catalogue. Evidently, it reflected the ambition of these russian artists, who from this collapsed superpower nation, the former Soviet Union, exhibit a somewhat twisted notion of their former strength. »

[21] À ce sujet, voir Cufer E., Misiano V., Interpol : The Art Exhibition Which Divided East and West, Ljubljana, Éd. Irwin ; Moscou, Éd. Moscow Art Magazine, 2000. Cet ouvrage recueille divers documents, notamment des échanges épistolaires ayant suivi le vernissage.

[22] Zabel I., « “Dialogue” est-ouest », Art Press, n° 226, septembre 1996, p. 37-42.

[23] Caroll L., Through the Looking-Glass, and What Alice Found There, 1871, cité par Zabel I., « “Dialogue” est-ouest », Art Press, n° 226, septembre 1996, p. 39. L’édition sur laquelle nous nous appuyons est la suivante : Carroll L., Alice au pays des merveilles suivi de À travers le miroir, trad. fr. Henri Parisot, Paris, Flammarion, 1979, p. 167. Le rapport au langage dans ce passage est également abordé par Gilles Deleuze lorsqu’il s’intéresse à Antonin Artaud (voir Deleuze G., Logique du sens, Les Éd. de Minuit, Paris, 1969, p. 101-107).

[24] Don de la société des Amis du musée national d’Art moderne en 2011.

[25] Lorsqu’il visite en 1962 une exposition organisée par l’Union des Artistes dans les salles du Manège, à Moscou, Nikita Khrouchtchev est furieux de voir des œuvres s’écartant des codes du réalisme socialiste. À la suite de cela, pourtant en plein « dégel », un contrôle et une sévérité renforcés sont appliqués à la création artistique, provoquant le repli des artistes non-conformistes en une communauté clandestine.

[26] Bulldozernaya Vystavka (titre postérieur), exp. clandestine, Moscou, terrain vague du quartier Belaïevo, 15 sep. 1974, Moscou. À l’initiative d’Alexandre Glezer et d’Oscar Rabine, le 15 septembre 1974 est organisée une exposition d’artistes non-conformistes en plein air, sur un terrain vague du quartier de Belaïevo au sud-est de Moscou. Sur ordre de Brejnev, une fois les œuvres installées, des agents du KGB déguisés en ouvriers rasent l’exposition avec des bulldozers.

[27] Voir à ce sujet, pour la littérature, Viollet C., Bustarret C., « Effets de censure : la littérature à ses limites », Viollet C., Bustarret C. (dir.), Genèse, censure, autocensure, Paris, CNRS, 2005, p. 10.

[28] Les créations non-conformistes puis conceptuelles furent marquées à la fois par la crainte des artistes – redoutant que leur activité non officielle ne soit découverte – et leur désir de s’affranchir d’un quelconque message politique – en se concentrant essentiellement sur la nature de leur œuvre, sa picturalité ou plus largement sa dimension ontologique. Voir notamment Boulatov E., Espace de libertés. Écrits sur l’art, Paris, Nouvelles Éd. Place, 2016 ; Kollektivnie Deistvia [Actions Collectives], Poezdki za gorod [Voyages au-delà de la ville], Moscou, Ad Marginem, 1997. Recueil constitué entre 1980 et 1989, par le groupe Actions Collectives, qui compile la documentation des performances réalisées depuis 1976. Disponible en téléchargement à l’adresse : http://www.conceptualism-moscow.org/page?id=219 (consulté en juin 2019).

[29] Il existe de nombreuses occurrences des formes iconiques de l’avant-garde dans les œuvres des années 1990, qui citent ou détournent le Monument à la Troisième internationale de Tatline, les formes géométriques d’El Lissitzky, ou encore le célèbre Quadrangle de Malévitch et d’autres. Voir notamment Cazaux A., « Malévitch et le Carré Noir en tant que modèles problématiques », Spettel É. (dir.), Utopies concrètes. Les Cahiers d’Artes, n° 11, 2015, p. 115-129.

[30] Voir Zaytseva A., « Faire la part entre l’art et l’activisme : les protestations spectaculaires dans la Russie contemporaine (2000-2010) », Critique internationale, vol. 55, no 2, 2012, p. 79-81.

[31] Musée national consacré à la création du XXe siècle, rattaché à la Galerie Tretiakov, mais spatialement éloigné.

[32] Nous pouvons recenser également le fonds du GCSI (NCCA, National Center for Contemporary Culture), comptant environ 1500 œuvres de créateurs russes, le fonds du musée Pouchkine (département – MLK-Museum of Private Collections), le musée Russe de Saint-Pétersbourg, et récemment l’Ermitage (avec des acquisitions d’œuvres de Kabakov et Prigov). Le musée municipal Moscow Museum of Modern Art (fondé par le sculpteur Tsereteli et dirigé par son petit-fils) dispose également d’un fonds d’art contemporain.

[33] Erofeev A., Entretien, Moscou, non publié, 2015.

[34] Formule utilisée par Aboudrar B.-N. pour désigner la non-détermination première des aliénés avant leur objectivation asilaire, dans Voir les fous, Paris, Presses universitaires de France, 1999, p. 63.

[35] The Blue Noses, Era of Mercy, 2005, photographie couleur, 75 x 100 cm. Il s’agit d’un remake du célèbre pochoir du street-artiste londonien Banksy.

[36] Musée consacré aux droits de l’Homme, nommé ainsi en mémoire d’Andreï Sakharov, dissident soviétique.

[37] Ostorožno ! Religija, Moscou, musée Sakharov, janvier 2003.

[38] Actes revendiqués par l’archiprêtre Aleksandr Shargunov, voir : Akinsha K., « Rushdie à la russe », Project Syndicate, 17 juin 2004, en ligne : http://www.project-syndicate.org/commentary/rushdie-a-la-russe (consulté en janvier 2019).

[39] Au sujet de cette exposition, voir Ackerman A., « Attention religion ! – Retour sur une exposition controversée. Anticléricalisme, vandalisme et répression », Proteus-Cahiers des théories de l’art. De la menace en art, n° 11, septembre 2016, p. 18-36. Également disponible en ligne : http://www.revue-proteus.com/abstracts/11-3.html (consulté en août 2019).

[40] Ibid.

[41] En référence peut-être à l’œuvre de Marcel Duchamp, Étant donnés…, 1946-1966, installation, 242,5 x 177,8 x 124,5 cm, Philadelphia Museum of Art.

[42] Cité notamment dans Denis J., « À Paris, malgré la censure russe », Le Monde diplomatique, janvier 2008, en ligne : http://www.monde-diplomatique.fr/2008/01/DENIS/15503 (consulté en janvier 2019).

[43] Beaux Arts Magazine, n° 281, novembre 2007.

[44] Cela peut être entendu avec une nuance, le mot huj pouvant également signifier rien, autrement dit Rien n’est prisonnier du FSB.

[45] Plus de 135000 vues pour la vidéo présente à cette adresse par exemple : http://www.youtube.com/watch?v=kMXQ3U3FSyw&list=PL825E490B6522FBBF (consulté en janvier 2019).

[46] Hell B., Possession et chamanisme. Les maîtres du désordre, Paris, Flammarion, 1999, p. 351.

[47] Kristeva J., « Bakhtine, le mot, le dialogue et le roman », Critique, n° 239, 1967, repris dans Σημειωτικὴ. Recherches pour une sémanalyse, Paris, Éd. du Seuil, 1969, p. 144.

[48] Ilya Kabakov, Poshel Ty… (Va te faire…), fin des années 1980, sérigraphie, dimensions inconnues.

[49] Collectif ETI (Eksproprijacija Territori Iskusstva / Expropriation du Territoire Artistique), Tekst, 18 avril 1991, performance sur la Place Rouge, Moscou.

[50] Viačeslav Mizin, Sud’ba moego huja, [La destinée de ma bite], 1999, série de 12 photographies couleur ; Viačeslav Mizin, Aleksandr Golizdryn, Grebanyj fašizm [Putain de fascisme], 1998, Série de 6 photographies en noir et blanc ; Viačeslav Mizin, Podvig оnanista (sgorel ot styda) [L’exploit de l’onaniste (consumé par la honte)], 1998, série de 5 photographies couleur.

[51] Avdeï Ter Ogan’jan, Vzryv n° 5 (Explosion n° 5), 2002, acrylique sur toile, dimensions inconnues.

[52] Natalia Sokol, une des fondatrices du collectif, explique la préparation dans un documentaire diffusé sur Arte, émission Tracks, 26 avril 2011, 52mn.

[53] Nous faisons ici référence au manifeste du futurisme russe intitulé Une gifle au goût du public et signé Bourliouk D., Khlebnikov V., Kroutchonykh A. et Maïakovski V. en 1912.

[54] Créé en 2005, organisé par le centre national d’Art contemporain (GTsSI, NCCA) et financé en partie par le ministère de la Culture, le prix de l’Innovation récompense chaque année des personnalités ou différentes catégories de projets. La scène artistique russe bénéficie également du prix Kandinsky. Créé en 2007 par Shalva Breus, directeur du magazine Artkhronika et de la fondation Breus, le prix récompense chaque année une œuvre et un jeune artiste après délibération de l’équipe d’expertise et d’un jury composé de personnalités du monde de l’art.

[55] Voir la page consacrée à cette œuvre sur le site du centre national d’Art contemporain (GTsSI, NCCA) : http://www.ncca.ru/innovation/shortlistitem?slid=78&contest=6&nom=1&winners=true (consulté en janvier 2019).

[56] Barry E., « Radical Art Group Wins Russian Ministry Prize », The New York Times, 8 avril 2011, en ligne : https://www.nytimes.com/2011/04/09/world/europe/09russia.html (consulté en janvier 2019) : « Mr. Yerofeyev said most members of the seven-member jury were initially against awarding the prize to Voina, whose leaders are awaiting trial on hooliganism charges that could bring a sentence of up to seven years. But during deliberations, three advocates of the group persuaded the other four that Voina’s work had artistic merit, he said. Among the arguments they put forward was that the penis had already gained such a wide audience via the Internet that ignoring it would also be making a statement. “No one wanted to look like a conformist,” said Mr. Yerofeyev […] ».

[57] Voïna, entretien avec Pin C., dans Villani T. (dir.), Voïna. Art/politique, Paris, Eterotopia France, 2014, p. 14.

[58] Moscou, Artplay Design Center, 24 sept.-10 oct. 2011. Catalogue en ligne : http://issuu.com/romanminaev/docs/media_impact/177 (consulté en janvier 2019). Une seconde édition du festival eut lieu à Novossibirsk du 26 avril au 1 mai 2013.

[59] Le groupe CAT (Contemporary Art Terrorism) a été fondé en 2003 à Novossibirsk par Maxim Neroda, Yekaterina Drobysheva et Artem Loskutov. Ces derniers sont à l’origine des Monstracii, littéralement des festations dans lesquelles des festants paradent avec banderoles et pancartes aux slogans absurdes et en apparence apolitiques. Depuis sa première édition le 1er mai 2004, la Monstracii de Novossibirsk rassemble tous les ans plus de participants.

[60] Voir Zaytseva A., « Faire la part entre l’art et l’activisme : les protestations spectaculaires dans la Russie contemporaine (2000-2010) », Critique internationale, vol. 55, n° 2, 2012, p. 73-90.

[61] Voïna, Révolution de palais, 16 septembre 2010, action, Saint-Pétersbourg, Place du Palais. Vidéo en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=kdE2my2y2Cs (consulté en août 2019).

[62] Voïna, Bonne année, les prisonniers politiques !, nuit du 31 décembre 2011, action. Vidéo en ligne sur la chaîne Youtube du collectif : https://www.youtube.com/watch?v=ZCm-s-vTebA (consulté en janvier 2019).

 

Pour citer cet article : Alice Cazaux, "La censure exposée. Un art contemporain russe sur le fil de la (dé)monstration", exPosition, 2 septembre 2019, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles5/cazaux-censure-exposee-art-contemporain-russe/%20. Consulté le 4 décembre 2024.

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