Écoconcevoir au palais des Beaux-Arts de Lille : de l’expérimentation à la structuration d’une démarche opérationnelle

par Mélanie Estèves et Christelle Faure

 

Mélanie Estèves est la cheffe de projet « Projet Scientifique et Culturel » et référente développement durable, Palais des Beaux-Arts de Lille.  Christelle Faure est la cheffe du service gestion durable des collections, Palais des Beaux-Arts de Lille. —

 

Dans son projet scientifique et culturel, le palais des Beaux-Arts de Lille a inscrit au cœur de son projet d’établissement la question du développement durable. En construisant sa démarche autour des deux axes que sont la maîtrise de son empreinte écologique et la consolidation de sa responsabilité sociale, le musée entend adopter un positionnement systémique sur le sujet. Afin de répondre à ces enjeux climatiques et sociaux, c’est l’ensemble de ses activités et de son fonctionnement qui est passé au crible de la durabilité. Dans cette transition vers l’écoresponsabilité, la question des expositions temporaires a rapidement été perçue comme un enjeu crucial. Avec des moyens humains, matériels, techniques et financiers importants et déployés pour des durées relativement courtes, les expositions ont en effet un impact environnemental conséquent qu’on ne saurait ignorer.

Dès 2015, le palais des Beaux-Arts s’est confronté à cette question en conscience et a fait évoluer ses pratiques à travers un premier acte fort : celui de prendre le parti de ne plus faire qu’une grande exposition tous les deux ans et de proposer chaque année à une personnalité ou à un genre artistique (séries TV, musique, jeux vidéo) une carte blanche autour de ses collections permanentes. Par ailleurs, comme beaucoup d’autres musées, le musée lillois s’évertuait à favoriser le réemploi de ses scénographies mais, jusque-là, cette habitude relevait plus du pragmatisme que d’une véritable stratégie de mise en écoresponsabilité.

L’écoconception des expositions est apparue alors comme une porte d’entrée naturelle et nécessaire pour conduire le musée sur la voie d’une durabilité effective. Dans cette trajectoire volontariste, l’exposition Expérience Goya (15 octobre 2021 – 14 février 2022) a constitué un jalon majeur que les projets suivants sont venus nourrir et conforter, au point que l’exposition Expérience Raphaël, prévue à l’automne 2024, se construit sur des connaissances consolidées permettant désormais de faire des choix en conscience. C’est l’histoire de ce processus à l’œuvre et de la formalisation d’une méthode de travail renouvelée visant à éprouver de manière opérationnelle l’écoconception que cet article se propose de mettre en lumière.

Questionner son modèle pour développer une approche globale

En 2020, le palais des Beaux-Arts a souhaité questionner la forme de ses expositions qui répondait encore au modèle consacré depuis les années 1980, pléthorique et démonstratif et dont les impacts étaient inconsidérés et sans limites. Coproduite avec la Réunion des musées nationaux – Grand Palais (RMN-GP) et accompagnée par l’agence conseil en transition Atémia, la conception de l’exposition Expérience Goya a reposé sur l’application des principes de l’écoconception telle que la définit l’agence de la transition écologique, l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie). En considérant l’exposition comme un objet disposant d’un cycle de vie propre, de la phase de conception jusqu’à la fin de vie, en passant par les phases de fabrication et d’exploitation, l’objectif était de réduire les impacts environnementaux à toutes les étapes du projet et dans toutes ses composantes. Au demeurant, il s’agissait aussi de mettre en regard ses impacts néfastes en regard de son bénéfice social. En proposant une expérience esthétique et sensorielle, l’exposition renouvelait le rapport aux œuvres et au propos. Ce faisant, elle contribuait au mieux-être des visiteurs, stimulait leur créativité, favorisait le dialogue et incitait à une réflexion critique. Par les thèmes abordés, elle pouvait aussi être le support d’une sensibilisation et d’une conscientisation aux enjeux sociétaux, invitant ainsi les visiteurs à questionner leurs comportements individuels et collectifs. Présentée durant quatre mois, l’exposition Expérience Goya avait la double ambition d’inscrire la transition écologique dans les pratiques du musée de façon systémique et de penser un nouveau modèle d’exposition renouvelant l’expérience de visite afin d’en maximiser les effets auprès des visiteurs. En interrogeant le fond et la forme, les contours de l’exposition ont ainsi été redéfinis pour proposer un projet plus écoresponsable, tout en offrant au public une approche sensible des œuvres d’art grâce à une médiation plurielle et éditorialisée.

Sur la forme, les premières réflexions menées dans le cadre de l’exposition Expérience Goya ont permis de définir un cadre méthodologique et de dresser une cartographie des impacts connus pour les expositions : la scénographie, la sélection des œuvres, la mobilité des publics, le numérique, la médiation, le confort de visite, l’inclusion et l’accessibilité du discours. Avec cette approche systémique, ces impacts ont été étudiés et mesurés pour l’ensemble du cycle de vie de l’exposition, autrement dit pour toute la chaîne de conception, de production, d’exploitation et de démontage. Fort de cette approche, le musée structure aujourd’hui pour chaque exposition un plan d’actions concrètes reposant sur des leviers dont il a la maîtrise opérationnelle. Cette méthode est appliquée à l’ensemble des expositions proposées par le palais des Beaux-Arts depuis 2021 : La forêt magique (13 mai – 19 septembre 2022) coconçue avec la RMN-GP, Pierre Dubreuil. Tableaux photographiques (20 octobre 2022 – 27 février 2023), Prière de toucher (20 octobre 2022 – 27 février 2023) et Expérience Raphaël (18 octobre 2024 – 17 février 2025). Ces différents projets permettent aujourd’hui de passer le stade de l’expérimentation pour inscrire dans la durée les principes de l’écoconception.

Notons aussi qu’au-delà du rapport à l’œuvre, l’exposition peut devenir le vecteur de discours conscientisés ou de sujets résonnants avec des enjeux contemporains. Avec La forêt magique (13 mai – 19 septembre 2022), deuxième exposition écoconçue au palais des Beaux-Arts, le musée lillois s’est confronté davantage à la responsabilité sociale des acteurs culturels, en portant auprès du public un discours engagé et en assumant une dimension écologique militante. En dévoilant la richesse esthétique, symbolique et sensorielle des forêts, tout en rappelant les menaces pesant sur cet écosystème, cette exposition a ainsi fait le pari de susciter une émotion qui soit source d’une envie de les préserver. Elle s’est aussi ouverte à l’engagement citoyen en offrant au botaniste Francis Hallé une vitrine pour son manifeste Pour une forêt primaire en Europe de l’Ouest[1].

Fig. 1 : Vue de l’exposition La forêt magique, palais des Beaux-Arts de Lille (13 mai – 19 septembre 2022) © palais des Beaux-Arts de Lille / Jean-Marie Dautel

Infléchir la conception de l’exposition dès l’amont pour un résultat maîtrisé

La maîtrise ou non des impacts environnementaux et sociaux se décide majoritairement au moment de la phase de conception du projet. Il apparait alors primordial de mobiliser les commissaires dès l’amont pour accompagner les réflexions, voire leur imposer certaines contraintes. Ainsi, partant du constat que l’acheminement des œuvres d’art pèse lourd dans le bilan carbone d’une exposition, le musée a demandé aux commissaires des expositions Expérience Goya et La forêt magique de respecter le cadre suivant : privilégier les œuvres du musée, réduire le nombre d’objets exposés et tenir compte de la distance entre le musée et les institutions prêteuses. Ainsi, la première exposition proposait un parcours de 82 œuvres (dont 22 appartenant au musée et 60 provenant de la zone Europe) tandis que la seconde exposition en présentait seulement 45. La réduction drastique du nombre d’œuvres et la limite posée de prêts provenant d’une zone géographique limitrophe apparaissent comme une solution radicale et potentiellement réductrice d’émission de gaz à effet de serre. Il est important de souligner que ces actions permettent de réduire de manière substantielle l’empreinte environnementale des expositions, comme le démontrent les chiffres éclairants des émissions de gaz à effet de serre liées au transport des œuvres[2] pour les projets du palais des Beaux-Arts :

  • Exposition-type du musée composée de 150 œuvres : environ 95 tonnes équivalent CO2,
  • Expérience Goya : 25,64 tonnes équivalent CO2[3],
  • La forêt magique : 4,26 tonnes équivalent CO2[4] (à noter que ce faible taux est aussi lié à l’évitement de tout transport aérien).

Le palais des Beaux-Arts ne se fixe pas l’objectif de diminuer toujours plus l’impact des œuvres mais celui de le maîtriser de manière proactive, car certaines expositions comme Expérience Raphaël, par leur propos et leur contenu, nécessitent un plus grand nombre d’œuvres de provenances parfois éloignées. Le musée recherche en cela un point d’équilibre entre ses projets d’expositions, en déterminant une répartition raisonnée des impacts carbone sur plusieurs années.

Au-delà même de la simple maîtrise de l’empreinte environnementale du prêt des œuvres, le choix d’en réduire le nombre découle aussi de l’envie de favoriser l’expérience de visite et le confort intellectuel des visiteurs. Moins sollicités par un foisonnement d’œuvres, ils sont incités, par la médiation et des dispositifs numériques, à davantage se plonger dans leur contemplation. Pour Expérience Goya et La forêt magique, le musée a fait le choix d’expositions « hyper immersives ». Le recours à des dispositifs numériques, consommateurs d’énergie et de ressources non renouvelables, questionne nécessairement la démarche d’écoconception. Ce choix est à considérer au regard de l’évitement du transport d’œuvres d’art et des émissions de gaz à effet de serre corrélés. Il ouvre par ailleurs un débat fondamental sur le format même des expositions, en posant la question d’un compromis dans la sélection d’œuvres physiques ou numériques. De plus, en plongeant les visiteurs dans de véritables théâtres d’images avec des projections à 360° et des ambiances sonores, les parcours de visite proposent une véritable approche sensorielle des œuvres d’art, à même de créer un sentiment de proximité voire d’intimité. Les dispositifs numériques ont été développés en prenant en considération des avis d’usagers afin de participer à l’inclusivité du propos, à sa compréhension et à son appropriation par tous.

Fig. 2 : Vue de la projection 360° de l’exposition Expérience Goya © palais des Beaux-Arts de Lille / Jean-Marie Dautel

Pour mieux tenir compte de l’avis des publics, ces partis pris et les intentions du projet sont soumis à des comités d’usagers dont les remarques viennent nourrir la pluralité des discours et infléchir certains choix des commissaires et de la médiation. Afin de maximiser l’impact social de ses expositions, le palais des Beaux-Arts s’appuie en effet sur une politique d’inclusion, notamment fondée sur la participation et la contribution des publics et développe de manière systématique ses modes de consultation et d’expression dès les phases de conception de ses projets[5]. Depuis cinq ans, les équipes ont été formées à la méthode des focus groups, inspirée du marketing, dans le but de faire converger les intentions du musée avec les attentes et les usages des visiteurs. Ainsi, divers entretiens sont menés avec des petits groupes de publics (visiteurs, non visiteurs, jeune public, familles, mécènes, partenaires, etc.) afin de tester ou éprouver différentes facettes du projet, depuis son propos général jusqu’aux contenus d’un dispositif numérique, en passant par la compréhension des cartels. L’objectif de ces espaces d’échanges est de faire émerger des analyses critiques ou des saillances afin de décloisonner le projet et de sortir d’une approche purement érudite. Cela permet aussi d’équilibrer les intentions de médiation de façon particulièrement constructive et d’ajuster plus finement les potentiels et la prise en main des dispositifs numériques par les publics grâce à des phases tests en condition de visite.

Impliquer tous les acteurs de la production de l’exposition

L’implication de toutes les parties prenantes s’avère essentielle dans la définition d’une exposition écoconçue. Cela est particulièrement le cas dans la phase de production des expositions. Qu’il s’agisse de l’organisation du transport des œuvres, de la conception de la scénographie, de la place du numérique ou des modalités de communication et de programmation culturelle, il est crucial de fédérer l’ensemble des acteurs engagés dans le projet autour des enjeux du développement durable. Tous doivent être acculturés à la question de l’écoconception pour partager une grammaire et une trajectoire collective, mais aussi cibler des objectifs communs et individuels qui contribuent à baliser le cheminement scientifique et technique du projet tout en responsabilisant l’ensemble de ses acteurs.

Ainsi, pour limiter l’impact environnemental de l’acheminement des œuvres, la société de transport doit être pleinement associée à la démarche avec la mise en place d’objectifs de regroupement des transports, d’optimisation des déplacements des convoyeurs et la proposition de solutions de caisserie plus raisonnées. Les échanges avec les musées prêteurs sont tout aussi fondamentaux. La communication autour de la démarche d’écoconception du musée et une sensibilisation sur les impacts environnementaux des prêts ont souvent donné lieu à des résultats fructueux, comme des accords pour la réutilisation de caisses et pour des transports mutualisés ou des renoncements à des convoiements. Sur ce dernier point, il est à noter que le trajet des convoyeurs a souvent un impact significatif sur l’empreinte environnementale d’un prêt[6].

Les concepteurs et les constructeurs de la scénographie, deuxième pôle d’émissions de gaz à effet de serre après le transport des œuvres, jouent aussi un rôle pivot dans la démarche d’écoconception. Ils doivent répondre à un cahier des charges précis se conformant à des objectifs de sobriété des besoins, de qualités des matériaux neufs, d’adaptabilité et de réversibilité des modes de construction afin de favoriser le réemploi des scénographies. Pour l’ensemble de ses expositions, le palais des Beaux-Arts privilégie autant que possible des matériaux à faible impact environnemental répondant à des labels. Il a renoncé au plexiglas au profit du verre et emploie des matériaux biosourcés, comme des peintures à base d’algues ou des panneaux de MDF à base de résines végétales. Les scénographies modulables et adaptables sont aisément démontées et réutilisées dans différents projets. La scénographie d’Expérience Goya a été réemployée à près de 70 % dans d’autres expositions, comme La forêt magique, Pierre Dubreuil et Prière de toucher.

Fig. 3 : Réemploi de la scénographie d’Expérience Goya © palais des Beaux-Arts de Lille

En édictant le réemploi comme un principe directeur, l’impact environnemental est ainsi lissé sur plusieurs projets et l’achat de ressources nouvelles est limité au maximum. Mais ces ambitions peuvent parfois se confronter à certaines difficultés. Si l’on prend l’exemple des matériaux, la volonté de sélectionner des matériaux durables, à faible impact environnemental et issus de filières locales et écoresponsables, se heurte aux procédures de passation des marchés publics interdisant tout critère relatif à l’implantation géographique d’une entreprise ou à une production locale. De même, la volonté de réemployer les éléments scénographiques questionne la capacité du musée à disposer des surfaces de stockage suffisantes.

Écoconcevoir une exposition suppose ainsi de repenser en profondeur son rapport aux ressources en questionnant leur provenance, leurs matières premières, leur mode de fabrication, mais aussi en limitant le recours à des ressources nouvelles. Si la conception de la scénographie constitue un enjeu central, la question de la maîtrise des ressources s’applique à tous les champs de l’exposition, de la scénographie à la communication, des supports de médiation à l’édition de catalogue. Les équipes du musée travaillent également à la définition d’une programmation raisonnée et à l’appropriation des principes d’une communication plus responsable dont les fréquences et les dimensionnements sont questionnés au regard des enjeux environnementaux et sociaux. La surabondance communicative et la connaissance progressive des impacts de l’usage du numérique amènent en effet à ouvrir ces nouveaux chantiers dont les perspectives d’atténuation et d’adaptation posent aussi des questions stratégiques de visibilité et de modalités de partage de contenus. L’enjeu est surtout de construire une autre manière de communiquer et de repenser les pratiques au service d’une approche plus responsable environnementalement et socialement.

Accompagner la phase d’exploitation : maîtriser les impacts et conforter la relation aux publics

L’exposition ouverte, le musée reste vigilant à la maîtrise des impacts générés lors de la phase d’exploitation. Parmi ces impacts à ne pas négliger, il faut considérer celui de la consommation énergétique liée à l’éclairage, à la gestion du climat et au fonctionnement des dispositifs numériques et audiovisuels. Les actions menées pour les maîtriser au mieux se conçoivent dans le cadre d’une politique générale visant à rendre les bâtiments du musée plus résilients par la réalisation de travaux d’isolation et d’étanchéité ainsi que par le remplacement progressif des centrales de traitement d’air permettant un fonctionnement plus efficient et moins énergivore.

À chaque exposition, le musée veille à rationaliser l’usage des équipements électriques et privilégie l’achat de matériel d’éclairage ou audiovisuel à basse consommation. Ainsi, dans un objectif de numérique « raisonné », les caractéristiques des équipements audiovisuels ont été étudiées pour plus de sobriété. La maîtrise des consommations énergétiques s’appuie aussi sur le respect de « bonnes habitudes », comme privilégier la lumière naturelle pour le montage de la scénographie ou couper les systèmes de traitement d’air de la salle d’exposition temporaire lorsqu’aucune œuvre ne s’y trouve.

Pour consolider ces objectifs de sobriété énergétique, les équipes du palais des Beaux-Arts travaillent actuellement à repenser la gestion du climat. Les études nombreuses et documentées et les nouvelles préconisations nationales et internationales[7] démontrent que l’élargissement des normes climatiques et la mise en place de variations saisonnières peuvent être envisagées, sous réserve de prendre des précautions particulières pour les œuvres sensibles. Il est à noter que de nombreuses institutions ont déjà adopté cet assouplissement des normes qui permet une substantielle économie énergétique. Si le palais des Beaux-Arts va prochainement entamer l’expérimentation de ces nouvelles normes climatiques au sein de ses réserves, la salle d’exposition temporaire reste pour le moment exclue de cette première phase de tests en raison de la complexité de mise en œuvre et d’obtention des accords des prêteurs. Adopter une gestion plus souple du climat nécessite en effet d’avoir la capacité de déployer des microclimats pour assurer la conservation des œuvres les plus sensibles aux variations. Sur ce point, le palais des Beaux-Arts a fait le choix de privilégier, dans un premier temps, l’aménagement de ses réserves puis de ses salles du parcours permanent où l’investissement dans des vitrines et caissons permettant de créer des microclimats est prioritaire.

La phase d’exploitation est aussi l’occasion pour le musée de conforter sa relation aux publics. Les temps de rencontres, les visites guidées, les ateliers et les enquêtes de satisfaction sont autant d’occasions d’échanger et de percevoir la réception de l’exposition par des publics de tous horizons. C’est aussi durant cette phase que le musée peut assumer un rôle de passerelle de la durabilité. En communiquant sur les efforts accomplis et les choix opérés pour écoconcevoir ses expositions, il allie le fond et la forme et sensibilise les visiteurs aux enjeux du changement climatique, tout en les incitant à des changements de comportement, comme en témoigne une communication centrée sur les mobilités douces pour se rendre au musée.

Anticiper la fin de vie de l’exposition

La fin de vie de l’exposition s’avère enfin une étape cruciale qui influe de manière importante sur son empreinte environnementale finale, selon que les éléments de la scénographie sont réutilisés, recyclés ou jetés. La conception d’une scénographie modulable et facilement démontable crée les conditions d’un démontage propre garantissant le réemploi des éléments scénographiques tout autant qu’une stricte planification du devenir des éléments dès la phase de conception de l’exposition. Cette anticipation permet d’élargir les possibilités de réemploi interne et externe mais aussi d’allonger la durée de vie des ressources et des matériaux, en pensant les conditions de leur recyclage, voire de leur surcyclage, dans le but de limiter la production de déchets ultimes. Ainsi, lorsque le musée ne souhaite pas ou ne peut pas conserver des éléments, il travaille à identifier des réseaux, des institutions et des associations qui sont à même de prolonger leur usage. Par ailleurs à l’échelle municipale, un effort de mise en commun et de mutualisation des ressources est à l’œuvre pour réduire l’empreinte environnementale collective de toutes les structures culturelles lilloises. C’est nécessairement dans une logique territoriale que se met en place cette réflexion qui engage le musée à mieux connaître et interagir avec les acteurs locaux de la culture comme de l’économie circulaire. La difficulté la plus grande est d’identifier suffisamment tôt les filières adéquates pour concourir à une création de valeur sociale et culturelle dans l’allongement de la durée de vie des ressources. Dans le même temps, cela exige du musée de penser un nouvel arsenal administratif et juridique de nature à soutenir les processus de don et tri pour recyclage.

Le musée se questionne également sur la réutilisation et la mutualisation des contenus de médiation (notamment numérique) dont la conception et la production nécessitent des ressources techniques plus ou moins importantes (exemples : films, applications, podcasts, dispositifs multimédias, etc.) et reposent sur des logiques d’hébergement ou d’archivage sur des serveurs dont les impacts environnementaux indirects sont considérables. Une première réponse consiste à penser les contenus en écho avec le parcours permanent pour permettre de les réinjecter au sein du musée après le démontage de l’exposition. L’exposition Expérience Goya a notamment permis, avec le concours du centre de Recherche et de Restauration des Musées de France, la réalisation d’un film de médiation inédit à partir de la radiographie des toiles majeures que sont Les jeunes et Les vieilles, conservées au palais des Beaux-Arts de Lille. Ce dispositif plébiscité par le public pourra trouver sa place dans le parcours permanent qui est en cours de renouvellement. La pertinence de favoriser la circularité des productions entre institutions est une autre voie que plusieurs musées questionnent pour élargir encore le champ des possibles.

Inscrire les nouvelles pratiques dans la durée

Pour que les progressions s’inscrivent dans le temps et opèrent une transformation réelle de l’institution, il est indispensable de structurer intellectuellement la démarche, d’acter des évolutions d’organigramme et opérationnelles à travers de nouvelles architectures pour que la transition soit visible et s’incarne durablement. Dès la mise en œuvre des premières expérimentations, le palais des Beaux-Arts s’est engagé dans une réorganisation interne. À la faveur de cette évolution générale des services, la notion de durabilité a été inscrite pour la première fois dans les titres de fonctions structurantes – directeur·ice de la sécurité et la durabilité du bâtiment ; chef·fe de la gestion durable des collections ; référent·e développement durable – de même que chaque fiche de poste s’est vue dotée d’un objectif de respect de la démarche globale du palais des Beaux-Arts et d’un comportement écoresponsable dans ses fonctions. Former à de nouvelles expertises, accompagner la montée en compétences sont autant de voies qui inscrivent la démarche dans la longueur. La formation continue tend à répondre de mieux en mieux aux enjeux de la transition. En matière d’achats responsables, d’économie circulaire, des perspectives se développent. La formation initiale est désormais reconnue comme un enjeu majeur pour accélérer le changement de pratiques et de modes de pensée.

Parallèlement à cette approche organisationnelle, le « mode projet » a été institué comme le modus operandi pour toute nouvelle activité et a fortiori pour la conduite des expositions. En associant les compétences et en favorisant le partage des expertises, le musée s’est convaincu de la pertinence de mobiliser une intelligence collective adaptée aux projets, mêlant les points de vue et favorisant les débats et les arbitrages éclairés.

Il apparaissait parallèlement indispensable de développer de nouveaux outils et méthodes de travail pour soutenir cette démarche. La rédaction d’un guide méthodologique d’écoconception[8], à destination des équipes puis mis en ligne, était une manière d’ancrer cette approche dans la durée et de constituer une ressource opérationnelle pour des équipes renouvelées. Le bilan carbone et l’analyse du cycle de vie sont deux autres illustrations emblématiques de ces nouveaux outils aux méthodes rigoureuses et normées dont les musées se saisissent. Le palais des Beaux-Arts a fait pour l’heure un choix intermédiaire pour éclairer sa gestion et la production de projets : pas de bilan carbone des expositions mais un rapport d’impact pour chacune d’entre elles depuis Expérience Goya. Plutôt que d’avoir une photographie précise d’une exposition a posteriori, le musée a commandé à l’agence Atémia un calculateur carbone pour les principaux postes émetteurs que sont les œuvres (provenance et modalités de transport, conditionnement, convoiement), la scénographie (de l’achat de matière neuve à la fin de vie), la médiation (cartels et outils physiques de médiation, consommation des équipements numériques, production numérique), la communication et la programmation. Loin d’être exhaustive – d’autant plus que l’impact pourtant majeur de la mobilité des visiteurs n’y figure pas -, cette méthode de calcul a permis d’identifier des saillances et les leviers que le musée est en capacité d’activer pour minimiser les émissions de carbone. Ce calculateur est aujourd’hui utilisé par les équipes comme un simulateur, véritable outil d’aide à la décision dès la conception des projets d’exposition. Plus conscient des impacts des choix en train de s’opérer, le musée peut en temps utiles revenir sur ses décisions, sinon les assumer au motif de leur bénéfice social.

Fig. 4 : Extrait du rapport d’impact de l’exposition Expérience Goya, 2022 © palais des Beaux-Arts de Lille

Enfin, en s’engageant dans une politique de développement durable, le palais des Beaux-Arts a mesuré l’importance d’un travail concerté et d’une mise en réseau. Le partage d’expérience avec d’autres institutions engagées dans des stratégies similaires contribue à alimenter une réflexion collective au service d’une transition écologique plus efficiente. En communiquant sur les échecs comme sur les réussites, certains écueils sont évités et des difficultés surmontées plus aisément. Si ces échanges sont souvent informels, la participation du musée à plusieurs réseaux professionnels plus structurés lui permet d’interagir avec une pluralité d’acteurs dont les connaissances et l’expertise viennent en appui des compétences dont il dispose en interne. Cette contribution à des réseaux constitués sont particulièrement primordiaux pour des chantiers touchant en profondeur les pratiques professionnelles et nécessitant des expertises techniques particulières. À ce titre, les travaux menés au sein du collectif des Augures portant sur le numérique responsable, l’éco-scénographie et l’éco-conditionnement méritent d’être soulignés.

Conclusion

Le travail réalisé à l’occasion de la programmation des expositions depuis 2021 a été une véritable opportunité collective pour les équipes du palais des Beaux-Arts et a permis d’éclairer et de nourrir le diagnostic à l’œuvre, de préciser les modalités d’intervention, de stimuler intellectuellement et opérationnellement les envies de progrès. Cette première étape de l’écoconception des expositions a favorisé les conditions du passage à l’acte et de la mise en œuvre d’une transition permettant ainsi d’en définir les périmètres et d’en construire les grandes orientations pour lier approche écologique et approche sociale. Elle a été l’occasion de poser les bases d’une démarche globale et d’un cadre méthodologique pour lequel il convient de rappeler qu’il doit être évolutif et adaptable selon les projets d’expositions. En effet, faire de la durabilité des expositions un nouveau paradigme ne repose pas simplement sur l’édification d’une nouvelle norme dont il s’agirait de suivre les prescriptions. Intégrer le développement durable nécessite de toujours se remettre en cause, d’être à l’écoute des évolutions du monde et des professions, de questionner ses usages. L’écoconception des expositions s’appuie donc sur une amélioration continue fondée sur l’expérimentation. Chaque exposition devient dès lors un nouvel exercice pour le musée qui, en s’appuyant sur le bilan du projet précédent, permet de mieux appréhender les impacts environnementaux tout en expérimentant de nouvelles pratiques toujours plus vertueuses et inclusives. Le palais des Beaux-Arts de Lille ne souhaite pas figer un modèle particulier d’exposition mais, à travers une programmation variée, il entend poursuivre une trajectoire agile et adaptable à chacun de ses projets où les choix faits peuvent être objectivés en connaissance de cause.

Notes

* Tous les liens URL ont été consultés en novembre 2024.

  1. Hallé F., Pour une forêt primaire en Europe de l’Ouest : un manifeste, Arles, Actes Sud, 2021.
  2. Ces chiffres représentent l’empreinte environnementale des prêts d’œuvres et comprennent la fabrication des caisses, le transport des œuvres et les trajets des convoyeurs.
  3. Rapport d’impact environnemental de l’exposition Expérience Goya, Lille, Palais des Beaux-Arts, 2022, en ligne :https://pba.lille.fr/content/download/6443/72837/file/RAPPORT+D%E2%80%99IMPACT+ENVIRONNEMENTAL_GOYA_PBA_2022_DEF.PDF.
  4. Rapport d’impact environnemental de l’exposition La forêt magique, Lille, Palais des Beaux-Arts, 2023, en ligne : https://pba.lille.fr/content/download/6890/86168/version/1/file/PBA_rapport-impact-environnemental-FORET-MAGIQUE-2023.pdf.
  5. Sur la mise en place des comités d’usagers ou focus groups au palais des Beaux-Arts de Lille, voir l’intervention de Florence Raymond à l’occasion de la journée professionnelle La stratégie du numérique dans les musées organisée par le ministère de la Culture le 5 octobre 2018, en ligne : https://www.culture.gouv.fr/Media/Thematiques/Musees/Colloques-Journees-d-etudes/Strategie-numerique-dans-les-musees/Intervention-de-Mme-Florence-Raymond.
  6. Filley G., Sanchez S., Eckelman M., « Life Cycle Assessment of Museum Loans and Exhibitions », Sustainability Tools in Cultural Heritage, en ligne : Life Cycle Assessment of Museum Loans and Exhibitions – STiCH (culturalheritage.org) ; voir aussi Nunberg S., Eckelman M. J., Hatchfield P., « Life Cycle Assessments of Museum Loans and Exhibitions: Three case studies at the Museum Fine Arts, Boston », Journal of the American Institute for Conservation, vol. 55, n°1, 2016, p. 2-11.
  7. Sur une gestion plus raisonnée du climat dans les musées, voir notamment : National Museum Directors’ Council, The Bizot Green Protocol, 2015 (actualisé en septembre 2023), en ligne : Bizot_Green_Protocol_-_2023_refresh_-_Sept_2023.pdf (cimam.org) ; A Practical Guide For Sustainable Climate Control and Lighting in Museums and Galleries, Sydney, International Conservation Services and Steensen Varming, 2015, en ligne : 13785 A Practical Guide for Sustainable Climate Control and Lighting in Museums and Galleries Revision – Final (magsq.com.au) ; IPI’s Methodology for Implementing Sustainable Energy-Saving Strategies in Collections Environments, Rochester, Image Permanence Institute, 2017, en ligne : https://s3.cad.rit.edu/ipi-assets/publications/methodology_guidebook/methodology_guidebook_all.pdf ; Empfehlung zur Energieeinsparung durch die Einführung eines erweiterten Klimakorridors bei der Museumsklimatisierung, Deutscher Museumsbund, septembre 2022, en ligne : klimakorridor-fuer-sammlungsgut.pdf (museumsbund.de) ; Déclaration sur le climat pour les organisations du patrimoine, Bruxelles, octobre 2023, en ligne : DeclarationClimat_2 (kikirpa.be).
  8. Guide pratique d’écoconception, Lille, Palais des Beaux-Arts, 2021, en ligne : https://pba.lille.fr/content/download/6166/71045/file/GUIDE+PRATIQUE+D%E2%80%99%C3%89COCONCEPTION.pdf.

 

Pour citer cet article : Mélanie Estèves et Christelle Faure, "Écoconcevoir au palais des Beaux-Arts de Lille : de l’expérimentation à la structuration d’une démarche opérationnelle", exPosition, 22 novembre 2024, https://www.revue-exposition.com/index.php/non-classe/ecoconcevoir-au-palais-des-beaux-arts-de-lille-de-lexperimentation-a-la-structuration-dune-demarche-operationnelle/%20. Consulté le 4 décembre 2024.