par William Trouvé
— William Trouvé est ingénieur d’études, chargé de mission patrimoine écrit régional au Centre d’études supérieures de la Renaissance à Tours (UMR 7323 CNRS) et docteur en histoire du Moyen Âge. Sa thèse de doctorat porte sur les processus d’écriture, de transmission et de réception des listes de noms de rois du haut Moyen Âge occidental (royaumes francs, wisigothiques, lombards et anglo-saxons). —
La période européenne correspondant au haut Moyen Âge (fin du Ve-IXe siècle) demeure encore, malgré les avancées scientifiques et archéologiques, souvent mal-aimée et empreinte de clichés. Ceci explique probablement pourquoi les expositions consacrées aux sociétés issues de cette époque restent rares dans les musées français[1]. L’inauguration de l’une d’entre elles est toujours un petit événement pour les amoureux de cette période. En 2020, le musée Saint-Raymond, musée d’Archéologie de Toulouse, a présenté Wisigoths. Rois de Toulouse, du 27 février au 27 décembre[2]. La réalisation de cette exposition en cette année 2020 n’était pas fortuite. En remontant près de 1600 ans en arrière, vers 418-419, on se rappelle que, en vertu d’un traité, les Wisigoths furent installés par l’empereur romain d’Occident Honorius dans un espace correspondant grosso modo au sud-ouest de la France actuelle – la province d’Aquitaine seconde, ainsi que probablement la Novempopulanie et certains territoires de la Narbonnaise première[3]. Ils exercèrent dès lors leur autorité sur ce territoire. Des mentions brèves contenues dans les sources historiographiques des Ve et VIe siècles laissent également entendre que les Wisigoths avaient très vraisemblablement choisi la cité de Tolosa pour y fixer leur principale résidence royale[4]. C’est donc pour marquer cet « anniversaire », célébrant la naissance du « royaume wisigothique de Toulouse », que les commissaires d’exposition – Laure Barthet, conservatrice du musée toulousain, et Jean-Luc Boudatchoux, archéologue de l’Inrap – ont conçu cette manifestation ; heureux prétexte pour parler d’un peuple méconnu du grand public[5].
Contrairement à ce que laisse penser le titre de l’exposition, le déroulé chronologique du parcours ne débutait pas en 418/419. Il démarrait aux temps primitifs et s’achevait en 507, date à laquelle ce peuple fut refoulé en Hispanie par les Francs. Dès lors, c’est à une (re)découverte de l’histoire gothique sur plusieurs siècles que le public a été convié. Pour retracer l’itinéraire de ce peuple et en dessiner les traits culturels, le propos s’est appuyé sur les données de l’archéologie. Outre les propres collections du musée Saint-Raymond, près de 250 objets provenant de musées français et européens – dont le Kunsthistorisches Museum de Vienne, le musée archéologique national de Madrid ou encore le musée national d’histoire de la Moldavie – y ont été exposés. Du mobilier inédit issu de fouilles archéologiques récentes et menées dans la région toulousaine y a également été présenté, mettant ainsi en valeur les résultats de l’archéologie préventive.
Les objectifs de l’exposition, tels qu’ils ont été affichés dès l’entrée dans le parcours, ont été doubles. D’une part, il s’agissait de sensibiliser le grand public à un pan d’histoire locale souvent méconnu, dans une visée de réappropriation du passé[6]. D’autre part, la manifestation cherchait à déconstruire l’image du Wisigoth barbare, cet étranger aux mœurs primaires qui aurait vécu lors des temps obscurs[7]. Dans cet article, nous nous proposons de décrire les moyens mis en œuvre par le musée pour répondre à ces deux finalités, tout en essayant de déterminer leur pertinence ainsi que leurs limites.
Du lieu de monstration à l’espace sous vitrine : atouts et faiblesses de la scénographie
Il faut signaler d’emblée que le musée Saint-Raymond est installé dans un ancien collège universitaire du début du XVIe siècle, classé au titre des Monuments historiques depuis 1975. Des contraintes techniques inévitables ont pesé sur la conception intellectuelle et matérielle de l’exposition. La salle dévolue aux expositions temporaires est située au rez-de-chaussée du bâtiment, jouxtant l’espace accueil-boutique. Elle n’est évidemment pas modulable à l’envi. Les hauts murs doivent rester en l’état et, de fait, conservent constamment leur aspect rocailleux malgré un enduit couleur sable. Cette austérité s’est logiquement répercutée sur l’atmosphère de l’exposition.
Aucune lumière extérieure ne pénétrait dans l’espace de monstration : les jours et les baies avaient été obstrués. L’éclairage provenait d’un dispositif lumineux qui avait été pensé pour respecter l’intégrité de certains objets fragiles, comme un manuscrit carolingien, et pour favoriser la mise en valeur d’autres pièces, comme les sculptures en marbre. Les panneaux explicatifs étaient également éclairés afin de faciliter leur lecture. Finalement, le reste de l’espace était plongé dans la pénombre. Ceci n’empêchait nullement de circuler de façon aisée ni de profiter des œuvres, à la condition que le nombre de visiteurs restât limité. Cette prépondérance de l’obscurité était évidemment subie par les concepteurs de l’exposition. Il est évident qu’ils ont tenté de composer avec les défauts du lieu et les exigences de la conservation.
Si un faible éclairage s’entend parfaitement pour garantir la meilleure conservation possible des objets, nous avons moins compris les choix graphiques qui évoquaient un monde ténébreux et sombre. La palette de couleurs de l’exposition comprenait du noir, du blanc, du rouge et du rouge-orangé. La composition visuelle des panneaux rectangulaires était généralement identique : une bande rouge habillait tout le côté gauche, puis celle-ci s’évanouissait peu à peu en tirant vers l’orangé avant de laisser place à un fond noir ou blanc. Les pilastres rouges, qui ponctuaient le parcours en différents endroits pour annoncer l’entrée dans une nouvelle section, étaient quant à eux uniformes. Enfin, le style des écritures était sobre, tantôt en noir tantôt en blanc.
Ce jeu de couleurs, entre rouge et noir, s’il offrait une certaine élégance, ne nous a pas semblé pertinent pour une exposition qui ambitionnait de déconstruire l’image traditionnelle du barbare. Sa charge symbolique la rattache aux clichés véhiculés par les « temps obscurs ». Ce syntagme désigne une vision négative et désuète du Moyen Âge, période pendant laquelle l’homme aurait délaissé la culture brillante des Anciens pour la guerre et la trivialité. Cette expression serait d’autant plus pertinente pour les sociétés du haut Moyen Âge que celles-ci ont laissé peu de traces scripturaires, ce qui témoignerait d’un manque d’intérêt et d’entretien pour la culture de l’écrit. Cette vision décadente du Moyen Âge a eu des transpositions muséographiques, à commencer par le musée des Monuments français d’Alexandre Lenoir (1795-1816). Les salles dédiées à l’art du Moyen Âge y étaient plongées dans la pénombre alors que les espaces consacrés aux époques postérieures bénéficiaient d’une belle lumino