Introduction

par Pierre-Vincent Fortunier et Sophie Montel

 

Pierre-Vincent Fortunier est muséographe et scénographe au sein de l’agence stéphanoise Le Muséophone. Il conçoit des expositions sur des thématiques historiques et sociétales. Il s’intéresse plus particulièrement aux nouvelles formes de médiation et d’écritures muséographiques. Il réalise des missions de conception, conseil et maîtrise d’œuvre dans le cadre de création ou modernisation de musées. Il conçoit également des scénographies, comme récemment celle de l’exposition EPIDEMIES au Musée des Confluences, à Lyon.

Sophie Montel est maîtresse de conférences à l’université de Franche-Comté, où elle enseigne l’art et l’archéologie du monde grec à Besançon. Spécialiste de la sculpture grecque et de ses modalités d’exposition, elle étudie également les collections de moulages ou tirages en plâtre, éléments du patrimoine scientifique comme de l’histoire de l’enseignement des arts et de l’archéologie. Ses champs de recherche l’ont amenée à questionner l’exposition sur le temps long ; elle assure par ailleurs le commissariat d’expositions lui permettant de valoriser les résultats de ses recherches.

 

Comme bien d’autres, les structures culturelles s’emparent de la question écologique et revoient leur mode de fonctionnement à l’aune des enjeux du développement durable. Ce numéro de la revue exPosition vous propose plusieurs points de vue sur cette question qui n’a pas encore de véritable vitrine.

Outre-Atlantique, après une première édition sur l’éco-responsabilité en 2012, la Société des musées du Québec a récemment publié un guide de bonnes pratiques (Musées et transition écologique. Bonnes pratiques muséales, 2024) que l’ICOM propose sur son site Internet.

L’ICOM a également mis en place SUSTAIN, un comité international sur les musées et le développement durable, qui prend la suite d’un Groupe de travail sur la durabilité (WGS) actif de 2018 à 2023 : « L’objectif de SUSTAIN est d’offrir aux membres de l’ICOM une tribune et une plateforme accessible où ils peuvent influencer l’orientation future de l’organisation dans tous les domaines liés à la durabilité et à la lutte contre le changement climatique. »

En France, le numéro 146 de la revue Culture et recherche du Ministère de la Culture (printemps-été 2024) a proposé au printemps un dossier d’une douzaine de pages sur la nécessité d’inscrire l’écologie comme politique publique de la recherche culturelle.

Le musée de Lille, présent dans ce numéro à travers l’article « Écoconcevoir au Palais des Beaux-Arts de Lille : de l’expérimentation à la structuration », est engagé depuis longtemps en faveur du développement durable ; il a également édité un Guide pratique d’écoconception construit autour deExpérience Goya, exposition présentée du 15 octobre 2021 au 14 février 2022.

L’édition 2023 des Rencontres des musées de France, organisée le 5 décembre 2023 au musée d’Orsay par le service des musées de France du ministère de la Culture, avait précisément pour thématique la transition écologique ; à cette occasion, le Ministère a présenté son Guide d’orientation et d’inspiration pour la transition écologique de la culture. On peut également signaler, sur un autre registre, la parution de l’ouvrage de Grégory Quenet (historien de l’environnement, professeur en histoire moderne à l’Université de Versailles – Saint-Quentin-en-Yvelines), L’écologie des musées. Un après-midi au Louvre (Éditions Macula, 2024), une lecture inspirante qui fait résonner autrement les enjeux communs de l’écologie.

En avril 2024, la fédération des Concepteurs d’Expositions XPO, regroupant l’ensemble des acteurs de l’écosystème, qu’ils soient muséographes, scénographes, manipeurs, agenceurs, concepteurs lumière, audiovisuels, multimédias… publie un « manifeste de l’écoconception des expositions permanentes et temporaires ». Ce manifeste regroupe une cinquantaine de propositions qui sont autant de pistes de réflexions et d’actions pour agir vers une exposition, plus propre, plus respectueuse, plus engagée aussi. Il montre la multiplicité des champs d’intervention possibles pour une exposition plus écoresponsable, tout en prévenant que cette énumération de propositions n’est pas exhaustive. Le champ de l’éco-responsabilité est un domaine à inventer, collectivement, en permanence, dont les actions sont à tester, à éprouver, à re-questionner, à faire évoluer. Les articles du présent numéro témoignent de cette diversité et de possibles à expérimenter.

Nous ne sommes pas les premiers, comme le montre ce rapide état de l’art, mais nous avions à cœur d’ouvrir les lignes de notre revue à ces enjeux.

Présentation des articles du numéro

Dans sa contribution que nous avons choisi de placer en tête du sommaire de ce numéro, Céline Schall (« L’écoresponsabilité des expositions : au-delà des mesures techniques, une révolution axiologique ») recense les domaines d’ajustements possibles et les changements structurels qu’il nous faut sans doute envisager pour des expositions plus conformes aux enjeux socio-écologiques. Anaïs Raynaud et Marjolaine Schuch (« Quitter la neutralité pour mieux l’atteindre ? ») présentent le travail réalisé par les équipes du musée national des Arts et Métiers pour préparer l’exposition Empreinte carbone, l’expo ! qui a ouvert ses portes le 16 octobre dernier. Des mesures concrètes sont présentées par Tony Fouyer qui traite dans un premier article (« L’exposition en réseau. Une solution éco-responsable à développer ? ») des possibilités permises par les expositions qui circulent d’un lieu à l’autre et sont conçues pour être partagées, un modèle expérimenté depuis longtemps par certains musées engagés ; on pense par exemple au Musée royal de Mariemont. Mélanie Esteves et Christelle Faure (« Écoconcevoir au Palais des Beaux-Arts de Lille : de l’expérimentation à la structuration ») reviennent sur les manifestations qui leur ont permis d’expérimenter l’écoconception des expositions et sur les leçons que l’on peut en tirer. C’est également un retour d’expérience que nous proposent Isabelle Lainé et Tony Fouyer (« Réemployer les matériaux et le mobilier scénographique. Du musée du quai Branly – Jacques Chirac au musée municipal de Bourbonne-les-Bains »). Enfin, le dernier texte, de Benjamin Arnault (« Notes sur les apports écologiques d’œuvres allographiques ») aborde la manière dont les artistes et les historiens de l’art traitent de l’éco-conception et de la neutralité des œuvres allographiques, qu’il faut sans doute nuancer si on considère l’empreinte carbone du stockage des données numériques.

Les questions de scénographie et de réemplois sont au cœur de notre numéro ; le souhait de Caroline Schall, qui appelle les structures à envisager la coprogrammation, trouve un écho intéressant dans le retour d’expérience de Tony Fouyer. Il reste encore beaucoup à dire sur quelques-uns des freins subis par les institutions culturelles : par exemple sur le vieillissement du parc immobilier qui les abrite, faisant des lieux culturels de véritables passoires thermiques ou sur la question des conditions de transport des œuvres qui nécessitent parfois des caisses faites ad-hoc pour une œuvre, conditionnement non réemployable et non stocké pour un éventuel nouveau déplacement de la même œuvre ; sur cette thématique, nous renvoyons au Guide de l’écoconditionnement des œuvres, un document élaboré entre mai 2023 et juin 2024 par le groupe de recherche-action dédié au sein de l’Augures Lab Scénogrrrraphie. Des ressources précieuses, à partager.

Nous espérons que vous sortirez grandis après la lecture de ces articles !

Pour citer cet article : Pierre-Vincent Fortunier et Sophie Montel, "Introduction", exPosition, 9 décembre 2024, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles9/fortunier-montel-introduction/%20. Consulté le 1 mai 2025.

9/2024 – L’éco-responsabilité dans les pratiques d’exposition – Varia

 

L’éco-responsabilité dans les pratiques d’exposition (dossier dirigé par Pierre-Vincent Fortunier et Sophie Montel)

– Pierre-Vincent Fortunier et Sophie Montel, Introduction

– Céline Schall, L’écoresponsabilité des expositions : au-delà des mesures techniques, une révolution axiologique

– Anaïs Raynaud et Marjolaine Schuch, Quitter la neutralité pour mieux l’atteindre ? L’exemple de l’exposition Empreinte carbone, l’expo ! au musée des Arts et Métiers (Paris, 2024-2025)

– Tony Fouyer, L’exposition en réseau. Une solution éco-responsable à développer ?

– Mélanie Esteves et Christelle Faure, Écoconcevoir au palais des Beaux-Arts de Lille : de l’expérimentation à la structuration d’une démarche opérationnelle

– Tony Fouyer et Isabelle Lainé, Réemployer les matériaux et le mobilier scénographique. Du musée du quai Branly – Jacques Chirac au musée municipal de Bourbonne-les-Bains

– Benjamin Arnault, Notes sur les apports écologiques d’œuvres allographiques

 

Varia

– Yoshiko Suto et Frédéric Weigel, L’histoire mouvementée du Palais des paris (Gunma, Japon). Un entretien mené par Caroline Tron-Carroz

 

Réemployer les matériaux et le mobilier scénographique. Du musée du quai Branly – Jacques Chirac au musée municipal de Bourbonne-les-Bains

par Tony Fouyer et Isabelle Lainé

 

— Docteur en archéologie et chercheur associé à l’UMR 6298 ARTEHIS, Tony Fouyer dirige actuellement le musée et parc Buffon de Montbard. Déjà auteur de plusieurs articles portant sur l’archéologie classique et sur l’histoire des collections, il porte un intérêt particulier pour les nouveaux dispositifs qui permettent aux institutions patrimoniales de réduire leur impact écologique.

Depuis 2019, Isabelle Lainé est Responsable des expositions au musée du quai Branly – Jacques Chirac. À la tête d’une équipe de 12 personnes, elle dirige la production des expositions temporaires du musée, alliant expertise muséographique et gestion d’équipe. Auparavant, elle a travaillé à la Réunion des musées nationaux, au Musée des Monuments Français (aujourd’hui la Cité de l’architecture et du patrimoine), puis à la Cité de la musique – Philharmonie de Paris. Elle a piloté la réalisation d’une trentaine d’expositions dans les espaces du musée de la Musique et contribué à la définition du programme muséographique de la nouvelle salle d’exposition inaugurée en 2015 au sein de la Philharmonie de Paris. Elle y a supervisé la conception et la mise en œuvre des expositions jusqu’en 2018.

 

Échange effectué en juin 2023

L’entretien que nous vous proposons a pour objectif de mettre en lumière les efforts réalisés par les musées pour réduire leur empreinte carbone – en même temps que leurs dépenses. Notre rencontre avec madame Lainé, responsable de production des expositions temporaires au musée du quai Branly – Jacques Chirac, dans le cadre d’un atelier commun, a déclenché une série de questions et lancé des démarches qui pourraient s’avérer fructueuses. Nos volontés autour de l’éco-conception des expositions étaient semblables, mais nos difficultés littéralement opposées.

Le musée du quai Branly – Jacques Chirac met en œuvre, chaque année, entre huit et dix expositions temporaires. Le rythme est intense, mais la demande ne l’est pas moins. De son côté, le musée municipal de Bourbonne-les-Bains tentait, avant l’arrivée de T. Fouyer en décembre 2022, de mettre en œuvre deux expositions temporaires, tout en sachant que les objectifs et le contenu scientifique et pédagogique étaient assez loin des prérogatives d’un musée labellisé « Musée de France ». Deux cas s’observent : d’un côté, le musée du quai Branly dispose d’un mobilier scénographique dont le stockage s’avère de plus en plus complexe – malgré les efforts faits pour mettre en place du 100% réemploi – et de l’autre le musée municipal de Bourbonne-les-Bains manque de moyens et accuse un retard dû au manque de personnel scientifique ces 30 dernières années.

Ce constat fait, nous avons décidé d’entreprendre un partenariat dans lequel tout le monde serait gagnant. Comment limiter les pertes de matières premières et d’outils scénographiques ? C’est sur cette question du réemploi des matériaux et du mobilier que s’est focalisée notre attention et c’est sur cet aspect que nous aimerions pouvoir apporter notre témoignage. Nos démarches – toujours en cours – sont jalonnées de difficultés et celles-ci seront également abordées.

Tony Fouyer : Le musée de Bourbonne-les-Bains est un musée municipal de petites dimensions. Sans personnel scientifique à sa tête pendant presque 30 ans, il retrouve un attaché de conservation en 2019. Après trois ans à la tête de cette structure et une année marquée par la COVID-19, le poste, vacant en 2022, m’est confié en catégorie C[1]. Le musée en question ne dispose pas de PSC (Projet Scientifique et Culturel) et ses collections, liées à l’histoire de la ville, concentrent des collections archéologiques, beaux-arts et naturalistes des XIXe et XXe siècles. L’ensemble est présenté au public dans un bâtiment ancien – non inscrit et/ou classé au titre des Monuments historiques – divisé en deux ailes et formant une entité de type « pôle culturel ». D’un côté, se trouve une médiathèque/ludothèque ainsi que le fonds ancien de bibliothèque, et de l’autre le musée avec un bureau, les espaces d’exposition et une réserve interne. Cette seconde partie du bâtiment, qui abrite à proprement parler le musée, mesure près de 300 m2. Le passé de la ville thermale est plutôt flatteur, mais la ville est en perte de vitesse et peine à se renouveler. De mon côté, j’exerce presque toutes les fonctions dans le musée et je dois présenter, tous les ans, deux expositions temporaires. La situation est certainement bien différente de votre côté.

Pourriez-vous nous dire s’il vous plaît, madame Lainé, comment fonctionne votre service, consacré aux expositions temporaires du musée du quai Branly – Jacques Chirac ?

Isabelle Lainé : Le musée du quai Branly – Jacques Chirac organise, chaque année, huit à dix expositions temporaires. Chacune d’entre elles prend place sur trois mezzanines réparties dans le bâtiment, proposant des espaces plus ou moins modulables allant de 150 à 650 m2. Les contraintes architecturales de la structure sont assez importantes, notamment en matière de hauteur sous plafond et d’organisation de l’espace puisque les murs forment des lignes courbes. Pour les mezzanines, ce sont essentiellement les différences de hauteurs sous plafond et les systèmes d’éclairage qui peuvent poser des problèmes. À ces espaces, s’ajoute la galerie jardin, d’environ 2000 m2. Cette fois-ci, c’est la grandeur des lieux qu’il faut pouvoir casser et la hauteur sous plafond qui est particulièrement importante.

Le service des expositions comporte quatre chargés de production. Ils gèrent la scénographie, le contenu éditorial, s’occupent du suivi de production et de l’iconographie. Ils sont associés, aussi, aux commissaires d’exposition et quatre régisseurs d’exposition qui prennent en charge les relations avec les organismes prêteurs, participent activement aux convoiements des œuvres, à leur installation, et s’assurent de la conservation préventive de celles-ci.

Récemment, le musée s’est doté d’un Responsable Social et Environnemental (RSE). Il essaie de mettre en place des groupes de travail et participe à des lancements de projets, tels qu’Alternatives vertes, en lien avec le ministère[2]. Il y a aussi, dans mon service, une chargée des opérations scénographiques qui offre un regard technique sur les plans fournis par les scénographes. Elle s’assure de la faisabilité des projets en tenant compte des éléments propres au lieu, comme la sécurité, l’éclairage et la maintenance des structures, tout en respectant les principes d’éco-responsabilité.

Enfin, l’équipe est complétée par deux adjoints qui prennent en charge les aspects budgétaires et juridiques, le co-pilotage avec la responsable des deux pôles production et régie, et qui assurent un rôle transversal avec les autres départements du musée.

T. F. : Lors du réaménagement des salles d’exposition et afin de fournir un contenu plus cohérent et une expérience de visite plus fluide, je me suis tourné vers l’éco-conception du mobilier scénographique. Pour cela, j’ai dû m’inspirer du travail de scénographes tout en sachant que les matières premières disponibles ne me permettraient pas d’effectuer le même type de réalisations. La question me touche, mais la ville n’était pas toujours en mesure de répondre à la fois aux attentes des publics et de fournir du mobilier scénographique. Le volet économique a donc également joué un rôle dans ce choix.

Depuis quand l’éco-conception des expositions temporaires est-elle au centre de vos préoccupations au musée du Quai Branly – Jacques Chirac ?

I. L. : La raison économique, bien qu’intéressante, n’est pas ce qui nous a animés. En 2006, pour l’inauguration du musée du quai Branly – Jacques Chirac, il y avait déjà une préconisation allant dans le sens d’un développement durable. Il n’y avait, pour autant, ni attente particulière ni obligation. Cela reposait en grande partie sur les équipes et l’engagement personnel des agents du musée. Les équipes en charge de la production des expositions temporaires y étaient sensibles et ont cherché à optimiser et/ou à réutiliser le mobilier scénographique, notamment les cimaises, puisque le volume consommé est particulièrement important et représente entre 550 et 1000 m2.

Dès 2007-2008, le musée a commandé une étude à l’entreprise Atemia pour faire un bilan carbone de son activité. À partir de ce moment-là, a été testé le concept de lancer une consultation scénographique visant à réaliser deux expositions de Galerie Jardin avec l’optique de mutualiser un maximum de constructions pour les deux expositions. Cela concernait surtout la galerie jardin, très consommatrice en matériel scénographique, notamment en MDF (panneau de fibres de bois à densité moyenne). La mutualisation est plutôt intéressante puisqu’elle représente 50% des structures.

Pour les mezzanines, en 2012, le musée a fait l’acquisition d’un parc de vitrines haut de gamme Meyvaert afin de faciliter la mise en scène des items. L’investissement initial est conséquent, mais il est rapidement amorti compte tenu de la durabilité et de la modularité des vitrines, qui permettent d’éviter des achats répétés. Ces vitrines, que l’on peut très facilement moduler, sont montées, démontées et stockées par le Musée à chaque exposition ; elles sont inventoriées et font l’objet d’un constat d’état à chaque déplacement. Malgré leurs usages fréquents, elles sont toujours en état d’utilisation aujourd’hui. Certaines d’entre elles sont fatiguées, mais le parc a bénéficié d’un nouvel investissement conséquent en 2022.

T. F.  : Les pratiques évoluent dans le bon sens, on s’en rend bien compte dans votre propos.

Est-ce que des objectifs vous ont été fixés par la direction, ou par le ministère ?

I. L. : Si l’éco-responsabilité n’est pas clairement définie comme une priorité, les attentes sont aujourd’hui clairement identifiées, nos actions et démarches doivent être visibles et faire l’objet de rapports détaillés. L’objectif numéro 1 du musée du quai Branly – Jacques Chirac reste l’accueil et l’accessibilité. Il n’y a pas, non plus, de véritable ligne budgétaire sur la question de l’écologie. Pour autant, les attentes du public, des politiques et des équipes sont toujours plus importantes sur le sujet, et même si cela ne se traduit pas dans un tableur, des avancées sont notables.

En 2023, il a été demandé aux musées nationaux de présenter un bilan carbone sur une année. La demande, émanant du ministère, visait à estimer l’empreinte carbone des établissements. Aucun objectif officiel n’est donc posé mais, en se dotant d’un RSE, le musée affiche clairement sa volonté de mettre l’accent sur ces questions et de répondre à cet enjeu de société devenu essentiel.

Par ailleurs, nous travaillons, avec les équipes, pour faire en sorte d’optimiser et/ou de réutiliser le matériel qui est déjà en notre possession. Nous demandons, par exemple, à nos prestataires de faire des propositions permettant une réexploitation maximale de nos structures scénographiques. L’objectif est de se rapprocher du 100% de réemploi. Sans être le seul aspect pris en compte dans la sélection du prestataire, nous sommes attentifs au sujet. Notre intérêt grandissant pour la question, nous comprenons de mieux en mieux notre impact carbone et nous tentons de l’atténuer – même si la tâche est ardue.

T. F.  : On le remarque à travers vos propos, le mobilier scénographique nécessaire à la mise en place de ces expositions est important.

Une fois que l’exposition est terminée, que faites-vous du mobilier qui n’est pas réexploité ?

I. L. : Une fois que l’entreprise est sélectionnée et qu’elle commence le montage de l’exposition suivante, elle récupère les éléments réutilisables et les adapte à la nouvelle scénographie. Le reste est généralement stocké ou détruit lorsqu’il n’est plus intègre. Pendant longtemps, la politique était de tout détruire et de créer de nouvelles structures. Les choses évoluent donc dans le bon sens.

Dorénavant, le musée et le prestataire externe sélectionné pour la scénographie sont liés par un accord-cadre dans lequel apparaissent l’éco-responsabilité et le recyclage. Devenus des critères, ces deux aspects sont surveillés. Une note de développement durable est également calculée et devient un critère de choix lors de la sélection du prestataire. Depuis que le marché public le mentionne, les prestataires s’y attachent et s’améliorent sur le sujet.

T. F.  : L’une des problématiques que nous rencontrons régulièrement dans les structures régionales est, de manière générale, le manque d’espaces de stockage disponibles. Cela concerne les réserves, pas toujours adaptées, mais aussi le stockage des éléments scénographiques.

Concernant ce stockage, les bâtiments disponibles sont-ils assez grands pour accueillir, dans de bonnes conditions, le mobilier scénographique qui n’est pas réutilisé ? On pense aussi aux vitrines Meyvaert dont on a précédemment parlé.

I. L. : Malheureusement, même pour une institution comme le musée du quai Branly – Jacques Chirac, les murs sont parfois petits. À chaque fois qu’il faut « agrandir » ces lieux, nous devons louer de nouveaux espaces. Nous disposons toutefois d’un lieu de stockage assez conséquent et les vitrines qui sont démontées après chaque utilisation et rangées dans des caisses spécifiques y sont stockées.

T. F.  : Conserver ce type de mobilier a donc un coût.

Serait-il possible, pour une structure comme la vôtre, de donner du mobilier scénographique à d’autres structures ?

I. L. : Effectivement, il y a la volonté de faire don de certains de ces éléments. Malheureusement, le volet juridique est plus complexe qu’il n’y paraît. Les achats sont faits sur les deniers publics et il est donc interdit de donner, sauf entre institutions publiques ou sous un seuil d’une valeur marchande.

T. F.  : Lors de nos premiers échanges, nous voulions éviter la perte des vitrines Meyvaert fonctionnelles, mais fatiguées, en les ramenant à Bourbonne-les-Bains. Leur usage aurait été plus pérenne puisqu’elles étaient destinées à accueillir des pièces de l’exposition permanente du musée.

Est-ce ce volet juridique qui rend ce don impossible ?

I. L. : L’achat de ce matériel étant effectué avec l’argent du contribuable, il est parfois plus simple de le détruire que de le donner. Cela semble paradoxal, mais c’est une vérité à laquelle nous sommes confrontés. Cela concerne les vitrines en question. Le musée, sur des éléments de ce type, est contraint par un certain nombre de règles.

La valeur d’un don, par exemple, ne doit pas excéder 300 euros. Une vitrine Meyvaert de notre parc coûte 20 000 euros. Même fatiguée, sa valeur reste donc supérieure à cette valeur pécuniaire arbitraire qui a été fixée. On le comprend, cette limite est aussi liée au politique et évite quelques biais comme un éventuel favoritisme.

Il est possible, aussi, de les mettre sur la plateforme « Domaine du gouvernement », mais les structures nationales seraient prioritaires et une collectivité comme celle de Bourbonne-les-Bains aurait peu de chance de les obtenir.

Nous avions par ailleurs envisagé un prêt longue durée de ces éléments scénographiques. Cette tentative, qui pouvait être intéressante, s’est avérée infructueuse. Là aussi, le biais juridique n’est pas si simple.

En l’absence de directives ministérielles claires, il est difficile, sur ce type de matériel, d’avoir ou de proposer des dons. A contrario, la matière première n’est pas vraiment concernée par ces mesures. Ainsi, le MDF, les socles et les capots en Plexiglas peuvent, lorsqu’ils ne sont plus utilisés par le musée, être donnés en fin d’exposition temporaire. C’est là une possibilité pour faire en sorte que la réutilisation du matériel scénographique soit optimale et d’atteindre un 100% réutilisable – par le musée lui-même, si le prestataire externe le permet, ou par une autre structure muséale. La seule contrainte est la flexibilité de l’établissement d’accueil. La récupération du mobilier n’est possible que lors du changement d’exposition et la date est souvent connue assez tardivement. Elle doit généralement transiter par une structure de réemploi, telle que la Réserve des Arts. On procède ainsi à ce que l’on appelle un démontage propre. Dans tous les cas, l’organisme qui souhaiterait en bénéficier devrait être très réactif.

T. F.  : Une mise en réseau des institutions muséales nationales comme territoriales, plus appropriée que la plateforme ministérielle « Domaine », permettrait sans doute d’envisager la récupération de ces éléments scénographiques. Peut-être serait-il intéressant, aussi, de penser à des lieux de dépôt, permettant aux structures plus petites de venir récupérer ce mobilier dans des délais raisonnables ou de faire en sorte que ces éléments – dont tout le monde a besoin – soient répartis sur le territoire. Bien sûr, c’est tout un écosystème entier à penser.

Nous avons abordé le réemploi des structures d’exposition, j’aimerais terminer cet entretien sur la question des objets présentés au public. À Bourbonne-les-Bains, une très grande partie du mobilier en réserve – et dont l’état de conservation est admissible aux yeux du grand public – n’avait jamais été exposé. C’est pourquoi, dans l’année écoulée, j’ai pris le parti de rendre visible un fond de collection inexploité à travers une exposition-dossier. Les réserves du musée du quai Branly – Jacques Chirac, dont une petite partie est visible du grand public, sont certainement bien documentées et permettraient peut-être la production d’exposition de ce type.

Cette volonté de se tourner parfois vers des expositions-dossiers existe-t-elle dans votre établissement ? Cela permettrait de ralentir un peu le rythme des expositions temporaires pour lesquelles les transports entrent en ligne de compte. Comment le musée se positionne-t-il sur cette question des prêts sollicités ?

I. L. : Les expositions-dossiers ne sont pas véritablement ancrées dans l’ADN du musée. Nos items entrent dans les expositions, mais nous devons régulièrement agrémenter celles-ci de prêts extérieurs selon les sujets traités. En règle générale, c’est le commissaire chargé de l’exposition qui fait les propositions. Nous fixons toutefois des limites en matière de nombre d’œuvres et de provenances. Dans la mesure du possible, nous essayons de maximiser les trajets et de trouver les pièces nécessaires à l’exposition dans un rayon de 100 km autour des « indispensables ». Nous essayons également de réduire les déplacements effectués à l’étranger. Le nombre de provenances est d’emblée réduit, mais s’il y a besoin, pour l’exposition, d’une pièce particulière, nous tentons de nous la procurer.

T. F.  : Je vous remercie pour la qualité de cet échange instructif.

Notes

  1. Signalant ainsi la dégradation du poste d’attaché de conservation puisque la fiche de poste n’a pas changé et que les missions relèvent toujours d’une catégorie A.
  2. Alternatives vertes est un appel à projets dans le cadre du Plan France 2030.

    Pour citer cet article : Tony Fouyer et Isabelle Lainé, "Réemployer les matériaux et le mobilier scénographique. Du musée du quai Branly – Jacques Chirac au musée municipal de Bourbonne-les-Bains", exPosition, 9 décembre 2024, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles9/fouyer-laine-reemployer-materiaux-mobilier-scenographique/%20. Consulté le 1 mai 2025.

L’exposition en réseau. Une solution éco-responsable à développer ?

par Tony Fouyer

 

Docteur en archéologie et chercheur associé à l’UMR 6298 ARTEHIS, Tony Fouyer dirige actuellement le musée et parc Buffon de Montbard. Déjà auteur de plusieurs articles portant sur l’archéologie classique et sur l’histoire des collections, il porte un intérêt particulier pour les nouveaux dispositifs qui permettent aux institutions patrimoniales de réduire leur impact écologique. —

 

Bourbonne-les-Bains (Région Grand Est) est une petite ville thermale, qui compte moins de 2 000 habitants. En vogue aux XVIIIe et XIXe siècles, la ville perd progressivement de sa superbe. Les témoignages de ce glorieux passé sont encore présents, mais les habitants, comme les visiteurs/curistes n’en ont pas gardé le souvenir – en témoigne l’abandon progressif d’un hôtel réalisé par Henri Sauvage tombé dans un relatif anonymat. Située à la frontière de la Haute-Marne, des Vosges et de la Haute-Saône, la ville est particulièrement isolée. Bien qu’une bretelle d’autoroute permette de sortir à une vingtaine de kilomètres de celle-ci, elle n’est plus desservie en train et est assez difficile d’accès pour les citadins qui souhaiteraient s’y rendre. Sur place, les logements disponibles ne correspondent plus aux attentes des visiteurs et la signalétique – pour se rendre au musée – est trop discrète, voire inexistante.

Malgré cela, le musée de Bourbonne-les-Bains[1] proposait, en 2023, une exposition sur L’Afrique en musée, en partenariat avec l’Institut national d’histoire de l’art (INHA, Paris). L’objectif de l’exposition thématique était de fournir, sur l’ensemble du territoire, une exposition sur la constitution des collections d’objets africains dans les musées français. Les expositions[2], visibles durant une période variant d’un musée à l’autre, devaient nécessairement être inaugurées en parallèle du colloque international[3] qui s’effectuait dans les murs de l’INHA[4]. Ainsi, le Musée d’Angoulême, le musée Calvet à Avignon, le Musée municipal de Bourbonne-les-Bains, le Muséum d’histoire naturelle de La Rochelle, le musée d’Arts africains, océaniens et amérindiens de Marseille, la Monnaie de Paris, l’Association des musées en Bourgogne-Franche-Comté[5] et le musée Saint-Remi de Reims[6] se sont retrouvés autour de cette thématique et ont présenté des objets issus de leurs collections ayant fait l’objet de recherches récentes et s’intégrant au programme piloté par Claire Bosc-Tiessé[7].

Conçue sur le principe de l’exposition dossier[8], cette mise en réseau liant les musées autour d’une thématique commune se trouvait, de fait, placée sous le signe de l’éco-responsabilité[9]. Les réflexions sur la thématique et les besoins de repenser nos musées se sont accentuées depuis 2020 – la question était déjà posée dans les années 2000[10]. Longtemps sourds aux problèmes environnementaux, la pandémie a marqué un tournant. Les « petits » musées sont, depuis toujours, de bons élèves dans le domaine puisque les moyens mis à leur disposition ne leur permettent pas de jeter les éléments de scénographie qu’ils ont ou de faire des prêts demandant des transports à longues distances ou la production de caisses de transport réalisées sur mesure. Depuis 2020, les initiatives des musées se multiplient, tout comme les appels à communications/publications qui permettent de diffuser le résultat d’expériences récentes[11]. C’est sous cet angle que cet article interroge ce modèle de l’exposition dossier, mise en réseau. Il vise à en souligner les aspects positifs, tout comme les inconvénients.

Le but est également de réfléchir, sur le long terme, aux modes d’exposition et aux partenariats entre sites, tout en prenant en considération la diversité des structures, les publics et les politiques culturelles qui, dans ce contexte, ne trouvent pas toujours leur compte[12]. Cela nous amènera donc, également, à nous questionner sur le rôle des institutions culturelles. Enfin, nous tenterons de proposer des solutions concrètes qui permettraient d’améliorer et de pérenniser ce modèle qui offre l’opportunité de créer un maillage territorial et de valoriser les résultats des recherches sur les collections qui répondent à une même problématique.

L’Afrique en musée. Le cas de Bourbonne-les-Bains

Répondant à l’appel lancé par l’INHA, certains musées ont décidé de montrer aux publics des objets ou lots d’objets africains provenant de leur collection. Ces objets pouvaient faire partie des expositions permanentes ou être présentés pour la première fois. La seule contrainte, pour les musées, était de faire coïncider ce temps d’exposition avec le temps du colloque international que l’institut organisait dans ses locaux à Paris et qui marquait la fin d’un programme de recherche pluriannuel portant sur la constitution des collections africaines dans les musées français[13]. Pour faire écho aux installations sur sites, l’INHA proposait à ses conférenciers et aux passants une série de posters scientifiques qui visait à montrer la pluralité des lieux d’exposition, des modes de constitution des collections et à valoriser la démarche des musées partenaires (Fig. 1).

Fig. 1  : Vitrine exposant les écrits et les étuis à médailles de l’Exposition universelle de 1889 obtenues par Ernest Noirot et le Fouta-Djalon. Le cliché représente Ernest Noirot en uniforme (© cliché T. Fouyer)

Le cas de Bourbonne-les-Bains était particulièrement intéressant. Le musée, au cours du programme de recherche, a reçu des chercheurs spécialisés en histoire et en histoire de l’art et a pu bénéficier d’un contact régulier avec eux – par échanges de mails – afin d’éclaircir la nature des objets conservés dans les réserves et de déterminer leur provenance. Une partie de ces items a fait l’objet de billets, dans les Carnets Hypothèses[14]. En l’absence de documents officiels, legs ou dons, la présence de ces objets dans les collections interroge et nous oblige à effectuer les difficiles recherches de provenance.

L’un des légataires ou donateurs supposés – à juste titre – est un certain Ernest Noirot. Né à Bourbonne-les Bains en 1851 et mort dans la cité thermale en 1913, Ernest Noirot[15] a été administrateur colonial[16] au Fouta-Djalon (Guinée[17]) pendant presque 30 ans. À ce titre, il a participé à l’Exposition universelle de 1889 réunissant des objets du Fouta-Djalon et d’ailleurs[18] et sélectionné les participants du pavillon sénégalais sur l’Esplanade des Invalides, à Paris. La région, lors de cette Exposition universelle, reçut plusieurs prix[19]. Loin de s’attendre à un tel succès, Ernest Noirot fut également récompensé (Fig. 2).

Fig. 2 : Espace ethnographique présentant les pièces africaines liées à Ernest Noirot (© cliché T. Fouyer)

Pour célébrer ce colloque et la fin du programme d’étude, le musée a présenté presque tout son fonds africain. Cela représente près d’une cinquantaine de pièces allant de l’outillage au costume, en passant par l’armement (Fig. 3). Ce mobilier comprend également des œuvres écrites et peintes, des photographies et de la correspondance[20]. Certaines de ces pièces sont particulièrement emblématiques par leur rareté ou leur dimension historique[21], d’autres relèvent plus d’un usage quotidien. Il fait peu de doutes que la majorité de ces objets a été réunie par Ernest Noirot[22].

Aucun véritable budget n’a été alloué à cette exposition sur L’Afrique au musée de Bourbonne-les-Bains[23]. La mise en scène – scénographie, régie et installation – s’est faite en interne[24]. Les canisses, qui ont habillé le sommet des vitrines anciennes, les pieds d’une vitrine table et le support de présentation des huiles sur carton avaient été employés auparavant, lors d’un autre projet pour la grande partie, et donnés par les entreprises locales qui en possédaient en hors stock pour le reste. Il en est de même pour le mobilier d’exposition. Le pupitre qui accueillait les huiles sur carton et la vitrine éphémère ont été fabriqués en interne, en réutilisant des tréteaux et des contreplaqués qui étaient stockés dans le musée. Ils ont simplement été customisés pour l’occasion (Fig. 3). Des vitres, récupérées sur des cadres anciens, permettaient de garantir l’intégrité des huiles sur carton. L’usage de ce type de support, légèrement incliné, limitait ainsi la détérioration des œuvres. Longtemps placées au mur à l’aide d’un piton, on pouvait constater une déformation des cartons – dû à ce mode d’exposition et à l’hygrométrie relativement haute qui règne dans le musée (autour de 70 %), tandis que des trous au niveau de la surface peinte signalaient la présence, ancienne ou non, des pitons.

Fig. 3 : Vitrine éphémère permettant l’exposition des spécimens zoologiques conservés au musée (© cliché T. Fouyer)

La plupart des autres vitrines employées était auparavant dédiées à un fonds de naturalia, qui lui, a fait l’objet d’un récolement et d’une nouvelle mise en scène usant des éléments en réemploi. Des socles, notamment, ont été « upcyclés » afin de présenter convenablement toutes les pièces. L’ensemble a permis la refonte du parcours du musée. En utilisant les vitrines – inamovibles – différemment, on a libéré un espace pour l’ethnographie et un autre pour l’histoire naturelle afin qu’une cohérence plus forte se dégage. Ce deuxième espace a également bénéficié de changements, rendus possibles par la fabrication d’une mise à distance usant de socles du musée et de vitres issues des vitrines anciennes. Les présentoirs, pour les spécimens naturalisés, ont été fabriqués à l’aide des chutes tandis que deux vitrines ont été fabriquées à l’aide d’anciens cadres stockés au musée, montés sur tréteaux pour l’une, accoudés à une ancienne cimaise fabriquée en interne – de longue date – pour l’autre.

S’appuyant sur les seules œuvres du musée – auxquelles nous aurions peut-être pu associer des pièces stockées au Quai Branly –, aucun transport d’œuvre n’a été effectué et le bilan carbone[25] est relativement faible.

Par ailleurs, le musée a pu bénéficier de l’appui, en communication, de l’INHA et des autres structures muséales. Ce partenariat entre sites, un peu différent de celui qui est habituellement opéré puisqu’il ne nous lie pas par des prêts et des dépôts, offre des avantages et des inconvénients.

L’exposition en réseau : objectifs et résultats

Ce modèle d’exposition en réseau a généré beaucoup d’intérêt de notre part. Il se construisait avec d’autres structures, s’appuyait sur un discours scientifique fourni par des spécialistes difficilement accessibles[26] pour une structure comme le Musée municipal de Bourbonne-les-Bains et permettait de présenter une partie des collections, « cachée » au grand public depuis son arrivée. Les pièces en question avaient été stockées dans le grenier du musée. Leur état, bien que discutable, permettait une exposition, mais c’est surtout leur intérêt qui n’avait pas été perçu. Cela permettait également, même si le cœur du propos n’était pas là, d’être plus juste sur le rôle d’Ernest Noirot. Méconnu, les locaux le voient comme un simple aventurier[27] alors qu’il s’agissait d’un administrateur et d’un homme politique important dans les colonies. Sans nier les pratiques liées à « l’exposition d’habitants » sur les stands des Expositions universelles[28], le replacer dans l’histoire locale semblait indispensable[29].

En cela, ce fut une réussite. Les habitués – passionnés d’histoire locale, curistes réguliers, familles – et les visiteurs qui sont venus au musée ont été surpris, satisfaits et très intéressés par la proposition[30]. Cela s’est traduit sur le nombre de visiteurs sans pour autant que cela génère, non plus, des flux que le musée ne pourrait supporter. Le public touché a été un peu plus large que d’habitude, sans mobiliser les visiteurs des grandes villes[31].

Dans les faits, l’objectif n’était pas tant de démultiplier le nombre de visiteurs que de permettre aux locaux de s’emparer d’un sujet qu’ils n’ont pas l’habitude de voir, considérant que la question ne concerne pas leur territoire. Par ailleurs, la construction même de l’exposition et la volonté manifeste de réaliser une exposition sur les collections du musée reflètent bien cet objectif.

Malgré cela, et même si l’augmentation du nombre de visiteurs est effective, elle est multifactorielle[32]. Les actions de médiation, la refonte du parcours de visite et une meilleure – mais loin d’être optimale[33] – communication autour des actions du musée y sont également pour beaucoup. Au-delà de ces conceptions, les élus – dont l’objectif n’est pas toujours lié à l’aspect pédagogique – peuvent éprouver une certaine frustration. L’absence d’hôtes de marque lors du vernissage – liée au fait que le colloque international et l’inauguration de l’exposition aient coïncidé – et l’impression de ne pas avoir d’interlocuteurs directs/de partenariats concrets en sont les raisons.

Bien que cela n’entre pas toujours en résonance avec les politiques menées par les collectivités, la découverte, la création du débat, le rôle pédagogique, le lien social autour des expositions sont des aspects signifiants qu’il ne faut pas minimiser. Leur prise en compte est essentielle, d’autant plus que le déplacement de publics nombreux au musée entraîne nécessairement un bilan carbone conséquent.

L’exposition en réseau a, il me semble, un intérêt fondamental dans cette perspective. Elle permet au visiteur, près de chez lui, d’avoir accès au mobilier conservé au musée, souvent stocké, car méconnu, répondant à une thématique « nationale » et à un contenu scientifique adapté sans pour autant devoir se rendre dans un pôle d’attractivité que représente une grande ville. De ce fait, le modèle est aussi éco-responsable puisqu’il évite aux locaux de se déplacer vers les métropoles, limitant ainsi la note carbone qui en résulterait.

Anticipation, optimisation et flexibilité

Ce modèle de l’exposition dossier, en réseau, peut tout à fait être digne d’intérêt. Bien que contraignant, il a un bilan carbone (presque) neutre[34], tout en s’appuyant sur un discours scientifique et en maintenant les attentes du public. Bénéficiant de l’appui scientifique des chercheurs liés à l’INHA et de leurs contacts, l’exposition en réseau permet aux structures – petites ou grandes – de mieux connaître leurs collections. Ce partage des connaissances, dans le cas où la structure initiatrice du projet est un institut de recherche, est sans conteste l’un des points forts du projet. L’exposition en réseau, elle, nécessite tout de même une grande flexibilité et ne peut pas convenir à toutes les structures. Les collections disponibles, dans les réserves, ne sont pas toujours présentables et, surtout, elles ne peuvent pas toujours offrir un discours cohérent, avec les quelques pièces fortes essentielles et attendues. En l’occurrence, la tunique protectrice et les deux tablettes coraniques faisaient office de pièces maîtresses à côté de deux tableaux réalisés par Ernest Noirot. Toutes ces pièces avaient été étudiées et « décryptées » par les chercheurs associés au programme de l’INHA.

Pour pallier ces deux problèmes énoncés, il semble indispensable de solliciter d’autres structures, parmi lesquelles les musées et les universités. Les prêts entre les structures peuvent, par exemple, être optimisés et plus durables. Les conventions de prêts sont souvent assez courtes et des demandes de dépôt, sur une période de trois ou cinq ans renouvelables, permettent de lisser un bilan carbone qui peut s’avérer lourd en transport. Cela concerne le trajet à proprement parler, mais aussi la production de caisses de transport adaptées, réalisées sur mesure et l’utilisation du consommable – les mousses notamment, qui ne sont pas toujours recyclables[35]. Dans certains cas, lorsque l’espace d’exposition temporaire est trop restreint, il est nécessaire d’envisager une modulation des espaces permanents d’exposition. De fait, il faut imaginer, en même temps que la mise en place d’une exposition temporaire donnée, une rotation des collections. Bien entendu, une telle stratégie demande une grande capacité d’adaptation et d’anticipation pour des musées disposant de « petites » équipes. Dans cette perspective, il faut anticiper la programmation culturelle et se projeter sur plusieurs années.

Le travail de sélection des pièces s’avère crucial, tout comme la nécessité de cerner les personnes-ressources qui pourront faire vivre les collections et les expositions à travers des animations et des conférences – pour le grand public comme pour les passionnés. Les universitaires sont, dans ce cas de figure, sollicités. Nos connaissances scientifiques des collections dépendent en grande partie de leurs travaux[36].

On le constate, ce modèle est adaptable même s’il est complexe à mettre en œuvre. C’est d’autant plus vrai que nos institutions dépendent en grande partie du politique[37]. Les commandes politiques qui sont liées aux expositions ou partenariats ponctuels sont aléatoires et ne sont pas toujours faciles à mettre en œuvre, puisqu’elles relèvent d’une autre temporalité. Elles sont également difficiles à anticiper et donc contradictoires avec le modèle de l’exposition en réseau – et parfois même de l’éco-responsabilité. La période électorale – à laquelle nous serons bientôt confrontés – est, par définition, synonyme d’instabilité.

Conclusion

Bien qu’il soit difficile d’évaluer – à partir du cas de Bourbonne-les-Bains – le succès ou non de ce type d’initiative, il convient d’en tirer tout de même quelques enseignements. L’impact environnemental d’une telle exposition est très faible. La mécanique qui s’appuie sur le réemploi, le recyclage ou encore l’upcycling offre des opportunités certaines de ce point de vue. Bien que s’appuyant sur les collections du musée, elle peut délivrer un contenu scientifique de qualité et répondre à certaines de nos missions.

Malgré cela, le modèle peut difficilement être répété « à l’infini ». Il constitue, de ce fait, une alternative, un outil complémentaire auquel on peut faire appel pour ralentir le rythme des expositions temporaires ou itinérantes qui, elles, demandent des transports d’œuvres – généralement liés à des prêts dont la durée est relativement faible[38].

L’usage du réseau, tel qu’il a été employé dans le cas de L’Afrique en musée, n’est probablement pas, non plus, celui qui conviendrait le mieux à une structure/une ville comme Bourbonne-les-Bains. Bien que la communication ait son importance, intégrer un réseau national de cette envergure ne peut pas apporter le flux de touristes désiré par les élus locaux[39].

Il serait intéressant, je pense, de tester cette solution sur un territoire plus circonscrit, à l’échelle de la région ou du département. Ce serait un moyen d’associer les structures entre elles, de créer un lien sans que cela passe nécessairement par le volet financier[40]. La difficulté d’une telle initiative réside dans la grande diversité de nos collections et dans les politiques territoriales menées. Par ailleurs, et si un consensus sur la question pouvait exister, il faudrait également veiller à ce que les thématiques choisies ne soient pas trop simplistes. Une exposition en réseau sur L’Architecture, Les Animaux ou Les Couleurs – à titre d’exemple – enverrait un mauvais message.

 

Notes

* Toutes les URL ont été consultées en décembre 2024.

  1. Les collections du musée sont mixtes et présentent l’histoire de la ville, de ses personnages les plus éminents – peintres, hommes politiques etc.
  2. Qui pouvaient prendre des formes très différentes.
  3. Le colloque international en question s’intitulait Collections premières. Aux débuts des objets d’Afrique dans les musées occidentaux. Organisé par Claire Bosc-Tiessé (INHA/CNRS/EHESS), Coline Desportes (INHA/EHESS) et Pauline Monginot (INHA), il s’est tenu les 14, 15 et 16 juin 2023, à l’auditorium Lichtenstein de l’Institut national d’histoire de l’art (Paris).
  4. Les musées participants avaient carte blanche et devaient proposer des vitrines en lien avec la thématique ou une exposition. La première solution est celle qui a été plébiscitée.
  5. L’association des musées en Bourgogne-Franche-Comté : https://musees-bfc.fr/L-association-l-AM-BFC.
  6. Musées de Reims : https://musees-reims.fr/fr/musees/musee-saint-remi/.
  7. Je tiens à remercier très chaleureusement Claire Bosc-Tiessé pour sa gentillesse, sa bienveillance et pour les échanges que nous avons eus et que nous continuons d’entretenir autour de l’Afrique. Ce colloque venait clôturer un programme de recherche visant à faire connaître les collections d’objets d’Afrique en France. Il en résulte, notamment, une cartographie en ligne : Le monde en musée, https://monde-en-musee.inha.fr. Loin des débats actuels, il s’agissait surtout de comprendre les processus de muséalisation de ces collections et la manière dont elles ont été constituées. Le programme se développe désormais sous l’intitulé Vestiges, indices, paradigmes, lieux et temps des objets d’Afrique (XIVe-XIXe siècle).
  8. Exposition qui s’appuie sur un corpus propre aux collections d’un musée et ayant fait l’objet d’une étude particulière.
  9. Voir Simode F., « Le mauvais bilan carbone des expositions », L’œil-Le Journal des arts, septembre 2019, en ligne : https://www.lejournaldesarts.fr/medias/le-mauvais-bilan-carbone-des-expositions-par-fabien-simode-sur-tsf-jazz-145882) ; Celeux-Lanval M., « Musées et écologie : un tournant majeur », Beaux-Arts magazine, octobre 2021, en ligne : https://www.beauxarts.com/grand-format/musees-et-ecologie-un-tournant-majeur/.
  10. Voir Hasquenoph B., « Développement durable : vers des musées écoresponsables », L’hebdo du Quotidien de l’Art, n° 1597, en ligne : https://www.lequotidiendelart.com/articles/13642-développement-durable-vers-des-musées-écoresponsables.html.
  11. Voir le numéro hors-série, « Écoresponsabilité. Les Musées sont pionniers », Le Quotidien de l’Art, mars 2023, en ligne : https://www.sitem.fr/wp-content/uploads/2023/10/QDA-HorsSerie_2023-03-26.pdf.
  12. L’idée, même si la pression est moindre, est de générer de l’attractivité et donc des flux. Or, l’intérêt de ce type d’exposition réside certainement davantage dans le fait d’amener les locaux à voyager à travers ces collections sans pour autant avoir besoin de se rendre dans des institutions parisiennes. Dans une ville thermale en perte de vitesse, le public étranger, de passage ou en cure, génère de l’activité – notamment pour les petits commerçants qui la peuplent et qui l’alimentent tout au long de l’année.
  13. Ce programme de recherche est initié en 2017 par Claire Bosc-Tiessé et s’intitule Vestiges, indices, paradigmes, lieux et temps des objets d’Afrique (XIVe-XIXe siècle). Ce programme avait pour objectif de proposer des outils conceptuels et pratiques permettant de renouveler l’histoire de l’art des objets d’Afrique réalisés entre le XIVe et le XIXe siècle. En retour, il réinterrogera à partir de ces objets les méthodes et les paradigmes d’une histoire de l’art principalement élaborée à partir de cas européens au cours de la même période.
  14. Le musée a fait l’objet de deux billets. Bosc-Tiessé C., « L’Afrique en musée. Musée de Bourbonne-les-Bains », Carnets d’Afrique. Actualité de la recherche en histoire de l’Afrique avant le XXe siècle, 2020, en ligne : https://afriques.hypothèses.org/1013 ; Collet H., Diaw O., « L’Afrique en musée. Les tablettes coraniques et la tunique protectrice de Bourbonne-les-Bains », Carnets d’Afrique. Actualité de la recherche en histoire de l’Afrique avant le XXe siècle, 2021, en ligne : https://afriques.hypothèses.org/1176.
  15. Le musée du Quai Branly – Jacques Chirac conserve également des objets et clichés d’Ernest Noirot. Le don, signalé en 1936, provient d’une certaine Bartel-Noirot dont nous ne savons malheureusement pas grand-chose : Bosc-Tiessé C., « L’Afrique en musée. Musée de Bourbonne-les-Bains », Carnets d’Afrique. Actualité de la recherche en histoire de l’Afrique avant le XXe siècle, 2020, en ligne : https://afriques.hypothèses.org/1013.
  16. Pour une synthèse récente, voir : David P., Ernest Noirot. Un administrateur colonial hors normes (1851-1913), Paris, Karthala, 2012.
  17. La région du Fouta-Djalon se trouve à cheval entre la Guinée et le Sénégal.
  18. Ernest Noirot, pour les besoins de l’exposition, a reçu des objets provenant d’autres régions de l’Afrique (sans que l’on ne sache la nature de ces items).
  19. Si l’on en croit le nombre d’étuis à médaille conservés au musée, il en a reçu onze – certaines médailles sont connues par des sources écrites : voir David P., Ernest Noirot. Un administrateur colonial hors normes (1851-1913), Paris, Karthala, 2012, p. 192. Ces médailles le récompensent pour son action au Fouta-Djalon, mais aussi ses collaborateurs (des locaux) et la région.
  20. Une lettre destinée à Ernest Noirot, commandant du cercle, a été retrouvée dans l’une des réserves du musée peu de temps avant l’exposition. Sans l’aide précieuse d’Hadrien Collet, pour la traduction du courrier, nous n’aurions pas pu l’exploiter. Nous tenons, ici, à le remercier une fois de plus. Est-ce que ce fonds a fait l’objet d’une recherche avant le colloque ? Malheureusement, l’étude n’a pu être poussée au maximum, la découverte du document était trop tardive.
  21. On pense ici à la tunique protectrice, aux tablettes coraniques sur lesquelles on trouve une trace de don à Ernest Noirot ou encore aux deux tableaux (presque des études) qui montrent que l’État français choisit l’image qu’il souhaite offrir au visiteur de l’Exposition universelle.
  22. Il est probable que les trophées montés à l’européenne, a posteriori, proviennent d’un autre Bourbonnais, un Père blanc du nom de Brutel, mort dans les années 1950. Certains habitants locaux se souviennent de son appétence pour ce type de pièces.
  23. La somme dépensée représente à peine 1 % du budget du musée qui, dans les faits, n’a presque jamais de budget alloué aux expositions temporaires.
  24. Seules trois personnes – en dehors du directeur – ont participé à la production de l’exposition. Deux personnes étaient bénévoles, issues des filières culturelles, la dernière était stagiaire au musée. Les cartels développés et les textes ont été relus et corrigés par une chargée d’édition, bénévole également.
  25. Ne disposant pas d’outils adéquats, il est difficile de chiffrer le bilan carbone de l’exposition. Pour le transport : 218 g CO2e ; pour le MDF : 22,2 kg CO2e en prenant en moyenne qu’1m3 de MDF équivaut à 428 kg CO2e (fourchette moyenne correspondant aux chiffres disponibles sur : Enecobois, http://www.enecobois.be/page/12/MDF) ; pour le plexiglas, je n’ai malheureusement pas les chiffres ; les autres éléments sont issus de réemplois.
  26. Le musée, éloigné des réseaux universitaires, ne voit presque pas de chercheurs, encore moins spécialisés dans l’ethnographie extra-européenne. Le personnel disponible – limité à un individu – ne permet pas toujours de réaliser les recherches documentaires associées – les dossiers d’œuvres correspondants.
  27. La plaque lui rendant hommage à Bourbonne-les-Bains est doublement erronée. Elle le présente comme un aventurier et indique une mauvaise date de mort.
  28. On pense ici aux zoos humains, pratiques régulières dans le cadre de ces Expositions universelles.
  29. Il reste encore des zones d’ombre l’entourant. Photographe et bon peintre, on ne connaît pas, par exemple, sa formation artistique.
  30. Les commentaires laissés sur le livre d’or, les retours après actions de médiations l’ont démontré.
  31. L’appréciation reste tout de même difficile. Le musée ne dispose pas d’un observatoire des publics et les agents en charge de l’accueil sont liés à la médiathèque. Les instruments de mesure sont rudimentaires et les informations recueillies presque inexistantes.
  32. Sur l’année, l’augmentation de la fréquentation doit être de l’ordre de 20 %.
  33. La communication du musée et autour des actions de médiation pourrait être améliorée ; il n’y a pas de service dédié à la ville, la création des supports et leur diffusion s’ajoutent aux activités du directeur.
  34. L’éco-responsabilité n’était pas l’un des objectifs de l’appel de l’INHA et de l’exposition en réseau qui s’est dessinée. Les institutions partenaires pouvaient réaliser une exposition ou une vitrine afin de célébrer la fin du programme. Les participations, même numériques, pouvaient être proposées. Le modèle offre, en tout cas, une base scientifique solide et un discours d’ensemble cohérent qui mérite, à mon sens, que l’on s’y attarde.
  35. Voir Augures Lab Scénogrrrraphie : Guide de l’éco-conditionnement des œuvres, en ligne : https://ecotheque.s3.fr-par.scw.cloud/br8wv193dchkbwqrgdtikwgoijxo.
  36. Mon intérêt premier pour la question est avant tout citoyen. Désireux d’avoir une empreinte carbone relativement faible tout en proposant des expositions de qualité et « attractives », j’ai commencé à me documenter sur le sujet et à m’inscrire dans les projets qui portaient sur le sujet. Je m’appuie également sur le retour d’expérience de mes collègues afin de transposer leur démarche, de l’adapter voire de l’améliorer lorsque cela est possible ou nécessaire. Bien qu’il n’y ait aucune directive réelle sur le sujet à l’échelle des petits territoires, réfléchir à des processus vertueux est un exercice qui, même intellectuellement, est extrêmement enrichissant.
  37. On pense par exemple ici aux choix dans les thématiques d’expositions temporaires.
  38. On entend ici qu’il est difficile de lisser l’impact environnemental sur une période inférieure comprise entre 9 et 18 mois.
  39. Les élus n’ont pas fixé de chiffres de fréquentation à atteindre en début d’année, mais la ville a tendance à perdre des habitants et à perdre en fréquentation. Le musée est un des lieux qui permet de générer des flux dans le secteur, avec le parc animalier (qui est très visité).
  40. C’est le rôle des pays d’Art et d’Histoire, mais ces derniers ont parfois du mal à exister.

    Pour citer cet article : Tony Fouyer, "L’exposition en réseau. Une solution éco-responsable à développer ?", exPosition, 6 décembre 2024, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles9/fouyer-exposition-en-reseau/%20. Consulté le 1 mai 2025.

L’histoire mouvementée du Palais des paris (Gunma, Japon)

entretien avec Yoshiko Suto et Frédéric Weigel, mené par Caroline Tron-Carroz

 

Yoshiko Suto et Frédéric Weigel sont respectivement directrice et directeur du « Palais des paris » à Takasaki au Japon. Yoshiko Suto est linguiste et professeure à l’université Nihon à Tokyo ; elle travaille actuellement sur des analyses sémio-linguistiques portant sur des supports de médiation. Frédéric Weigel est artiste et développe des expériences discursives puisant dans les terminologies des disciplines philosophiques, sémiotiques et anthropologiques.

Caroline Tron-Carroz est docteure et enseignante en histoire de l’art à l’École Supérieure d’Art et Communication (ESAC) de Cambrai. Elle co-dirige avec Keyvane Alinaghi (artiste et enseignant en code créatif) le programme de recherche « Retour aux sources : la création numérique reconsidérée ». Elle est également membre titulaire au laboratoire InTRu (Interactions, Transferts, Ruptures artistiques et culturelles) à l’Université de Tours et participe depuis 2016 au comité de rédaction d’exPosition. —

 

En 2014, par le biais de Tiphaine Larroque, je rencontrais Frédéric Weigel de passage en France qui me faisait part des débuts mouvementés du Palais des paris[1], une structure artistique montée en collaboration avec Yoshiko Suto dans une région au nord de Tokyo. Ce premier échange permettait de sonder les différences manifestes entre les institutions françaises et japonaises, les biais occidentaux sur l’art contemporain japonais mais aussi les difficultés de pérenniser au Japon un lieu d’exposition indépendant et exigeant dans sa programmation.

Fin 2022, Frédéric Weigel et Yoshiko Suto ont contacté exPosition pour soumettre un article qui a finalement pris la forme d’une discussion menée en visioconférences en 2023 et au début de l’année 2024. Ces échanges retranscrivent avec franchise le regard que ce duo franco-japonais (que je remercie chaleureusement) porte sur les structures muséales et l’art contemporain au Japon, dévoilant ainsi une parole peu entendue en France, tout en défendant un lieu d’exposition responsable et résistant.

Cet entretien s’inscrit dans une volonté pour la revue exPosition de valoriser des regards croisés entre les institutions culturelles françaises et les structures artistiques étrangères.

Caroline Tron-Carroz : Frédéric Weigel et Yoshiko Suto, pouvez-vous vous présenter, expliquer la genèse ainsi que la situation géographique du Palais des paris (centre d’art indépendant au Japon) que vous codirigez ?

Yoshiko Suto : Le Palais des paris utilise un bâtiment qui a été une école privée d’anglais construite par mon père dans les années 1970 à Takasaki. Il y a une quinzaine d’années, après avoir fini ma thèse de linguistique en France, je suis revenue au Japon avec Frédéric. Cette ville se trouve dans la région de Gunma au nord de Tokyo. Dans le contexte japonais, cette région est considérée comme la « campagne » de la capitale. En réalité nous vivons dans un tissu urbain avoisinant un million d’habitants. C’est à la fois gigantesque et petit.

Frédéric Weigel : Je suis artiste et j’ai suivi Yoshiko quand elle est rentrée dans son pays et qu’elle a trouvé un poste dans une faculté à Tokyo. J’ai d’abord utilisé ce bâtiment comme atelier, puis nous avons commencé à accueillir d’autres artistes de manière bénévole, ce qui est toujours le cas. C’est Yoshiko qui a trouvé le nom de la structure : si c’est une blague du côté français, du côté japonais la sonorité est ludique tout en fonctionnant avec les images d’Épinal sur les représentations françaises.

C. T.-C. : Ce lieu d’exposition est-il différent des structures artistiques existantes au Japon (publiques et/ou privées) ?

Y. S. : Au Japon, la différence entre structures artistiques publiques et privées est plus complexe qu’il n’y paraît. En voici les principaux cadres :

  • Les musées sont naturellement des institutions publiques, mais une grande part des expositions sont constituées par des entreprises privées appartenant notamment au monde des médias. Cela n’est d’ailleurs pas clairement spécifié sur les documents de communication. Ainsi, contrairement aux apparences, les équipes de curateurs n’ont pas tout pouvoir dans le choix des problématiques et des objets exposés.
  • Les festivals de revitalisation (comme la Triennale d’Echigo-Tsumari dont nous reparlerons) sont menés par des politiques publiques, qui visent avant tout les retombées économiques que génère ce type de production dans lequel la masse d’artistes bénévoles rend très rentable la valorisation « du local ». Les questionnements esthétiques sont souvent secondaires. Ce cadre étant maintenant répandu, il existe des initiatives à plus petite échelle (par exemple des artistes ou des designers) qui reproduisent spontanément les mêmes rouages pour tenter d’exister.
  • Les espaces d’expositions sont souvent à louer. Quand ils sont privés, ils sont appelés « galerie à louer ». Parfois, les espaces publics pour les citoyens fonctionnent comme des locations, avec notamment l’organisation de concours plus ou moins amateurs…
  • Les fondations privées sont finalement ce qui ressemble le plus à leurs homologues internationaux, elles montrent des collections d’œuvres achetées sur le marché de l’art. Je note que ces fondations participent parfois aussi à des projets à visées économiques.
  • Il existe aussi des expositions-ventes dans les grands magasins, mais il s’agit plutôt de formes décoratives liées aux systèmes des corporations.
  • Enfin, il existe des groupes d’artistes indépendants fonctionnant sur le rapport maître-élève. Généralement, ce sont les jeunes qui paient pour construire un modèle économique viable.

En résumé, pour l’art contemporain l’institution est faible et la dimension économique est forte. Mais il ne me semble pas y avoir, au moins pour l’instant, un marché de l’art puissant.

F. W. : Par rapport à ce contexte, le Palais des paris pratique une organisation qui ressemble plus au modèle associatif à la française. Nous visons le développement d’une structure qui est indépendante du politique, sans pour autant être strictement privée, et qui permet une énonciation différente dans laquelle les actes ne sont pas motivés par un enrichissement personnel. L’idéal serait de favoriser un espace public pensé comme le résultat de la dialectique des points de vue. Comme il n’y a pas tout à fait d’équivalence au Japon, nous avons trouvé un équilibre dans un registre plus privé, en vue d’un public qui n’est néanmoins pas une clientèle. Notre position n’est pas spontanément compréhensible au Japon, c’est donc expérimental par rapport aux habitudes sociales communes.

C. T.-C. : Quel était l’objectif premier de votre structure artistique indépendante ?

F. W. : Le Palais des paris a été monté pour répondre à notre besoin d’autonomie vis-à-vis des habitudes du monde de l’art au Japon. En arrivant sur l’archipel, celui-ci me semblait invraisemblable, en particulier sa dimension économique. En effet, l’artiste paie couramment pour exposer. Je me souviens avoir approché le festival de performance Nipaf en 2009, qui était connu à l’international comme étant l’exemple de l’underground japonais. En réalité, les jeunes artistes payaient des sommes conséquentes pour avoir le droit de faire une action de 10-15 minutes.

Dans ce monde que je jugeais absurde, j’ai proposé à Yoshiko d’essayer de monter des cadres organisationnels plus sains pour présenter d’autres artistes. Nous avons mené un premier projet de résidence avec quatre Français et quatre Japonais dans la ville de Maebashi en 2011. En 2013, nous avons monté un projet avec l’Institut Supérieur des Beaux-Arts (ISBA) de Besançon qui présentait des artistes japonais dans plusieurs villes de France, et enfin en 2014 nous avons ouvert le Palais des paris à Takasaki dans le but d’accueillir des artistes francophones en résidence[2]. En 2015, nous avons monté le premier festival d’art contemporain officiel de la ville de Takasaki. Si, dans tous ces projets, nous souhaitions produire un cadre où il puisse y avoir un art indépendant, nous nous sommes rendu compte qu’il fallait être les plus autonomes possible. Après Maebashi, nous avons expérimenté des relations avec les politiques de la ville de Takasaki, mais n’avons pas pu trouver un terrain d’entente. Si nous avons continué par-delà les attentes politiques, c’est par notre capacité d’autonomie et nos refus de compromis. Empiriquement, nous nous sommes rendu compte qu’il fallait éviter de recourir à des intermédiaires, dans un contexte où les relations sociales se construisent justement par des intermédiaires de confiance. Il s’agit alors de développer toutes sortes de compétences : communication, technique, médiation, logistique, relations sociales…

C. T.-C. : Ainsi, votre projet, qui se voulait au départ ouvert aux artistes contemporains japonais, est devenu un lieu de résidence d’artistes francophones. Pouvez-vous en expliquer les raisons ?

Y. S. : D’un point de vue très concret, les artistes japonais n’ont pas autant de temps disponible que leurs homologues européens. La plupart ont un emploi alimentaire et doivent financer leurs expositions, ils n’ont donc pas le loisir d’une résidence de recherche. Il y a aussi des décalages concernant la visée de notre structure : réflexivité, indépendance et non-rentabilité. Les artistes japonais ne nous ont fait part que très rarement de leurs souhaits d’une collaboration. Nous avons rapidement fait le choix de travailler avec des internationaux qui désiraient s’investir dans un projet. Mais aussi, dans le cas japonais, l’histoire est primordiale. Le concept d’art (bijutsu) est une construction moderne qui a commencé à s’élaborer durant l’ère Meiji (1868-1912) dont la finalité première était de structurer un État-nation. Ainsi, toutes les notions en art ont été constituées de néologismes dont les bases épistémologiques étaient calquées sur celles de l’Europe notamment dans le domaine de l’esthétique, de l’histoire de l’art, des musées…. Toute la complexité de cette histoire réside dans un balancier entre des importations reconnues comme telles, c’est-à-dire des modernisations, et l’affirmation d’une autonomie vis-à-vis d’un modèle étranger. Dans le milieu de l’art, il m’arrive d’entendre des discours que je pensais appartenir à d’autres temps et que je ne croise nulle part ailleurs : par exemple, celui que l’Occident aurait contaminé l’art japonais. Il y a encore une forme de compétition et Frédéric vient parfois incarner ce double imaginaire, à la fois modèle et rival.

F. W. : Un historien comme Mickael Lucken parle de « mimétisme romantique[3] » pour qualifier l’affirmation d’une originalité japonaise sur la base d’épistémologies importées autour des années 1930. Encore aujourd’hui, il existe une croyance persistante en une « pureté artistique japonaise », mais en même temps il est très difficile pour un artiste contemporain japonais d’être reconnu dans son pays. La tactique qui est alors couramment prônée pour acquérir le statut d’artiste est de partir en Occident et de s’y faire reconnaître comme artiste japonais. C’est ennuyant, car au-delà du fantasme d’un Occident faiseur de rois, il faudra y incarner des stéréotypes de ce que serait une esthétique asiatique pour espérer devenir célèbre. Cette relation de réelle fascination réciproque est accompagnée de tensions identitaires fortes qui viennent polariser une double essentialisation entre Orient et Occident. À notre échelle, nous essayons de ne pas remettre une pièce dans cette machine infernale qui se réenclenche rapidement.

C. T.-C. : Vos explications et retours d’expérience rejoignent l’idée (largement étudiée par d’autres[4]) selon laquelle le système artistique japonais est traditionnel, corporatiste et académique, fondé sur la transmission hiérarchique des techniques, cooptation, parrainage entre enseignant·es et étudiant·es. Comment expliquer cet état des lieux ?

Y. S. : La scène artistique actuelle au Japon se divise en deux mondes structurés différemment. Le premier est celui du gadan avec ses corporations artistiques. Il en existe au moins une centaine (Nitten, Inten…) qui organisent régulièrement des salons suivant des catégories reposant sur la technique. Ces corporations louent des salles dans des musées publics qui sont parfois spécialement dédiés, par exemple le Centre national des Arts de Tokyo ouvert en 2007. Les corporations sont organisées en filiales dans toutes les régions qui investissent des musées locaux. Le fonctionnement est hiérarchique et conservateur, il met en avant la relation maître-élève, il structure des organigrammes et des valeurs économiques. L’art pratiqué dans ce monde ne rayonne qu’à l’intérieur du pays[5].

Le second monde est celui de l’art contemporain. Il est beaucoup moins structuré et le marché, au moins jusqu’au Covid, a été quasiment inexistant. Les artistes sont indépendants et recourent beaucoup à la location d’espaces pour rendre publiques leurs œuvres.

Le fossé entre ces deux mondes est grand. Futoshi Koga note que les chemins se séparent pour les jeunes diplômés, soit vers le gadan, soit vers l’art contemporain[6]. Faisant partie du premier monde, l’artiste Kenta Nakajima explique que ses œuvres n’intéresseront pas à l’international. Il conseille aux jeunes qui veulent devenir artiste d’envergure mondiale de quitter le pays ; une école d’art au Japon pour eux serait une perte de temps[7].

C. T.-C. : En Europe, nous avons encore l’image d’un art contemporain japonais très vivant qui bouscule les codes. Mais, d’après vous, ce seraient les artistes de la diaspora qui développent leur travail dans les écoles d’art occidentales ou à travers des grandes galeries. Avons-nous en Europe un regard biaisé sur l’art contemporain japonais et la façon de l’appréhender ?

F. W. : À l’international, il y a deux phénomènes qui se répondent. D’un côté, il existe une poignée d’autorités japonaises qui produisent les choix des artistes diffusés mondialement, la plus connue étant la curatrice Yuko Hasegawa. L’image japonaise qu’elle construit met en avant l’idée d’une tradition artistique japonaise pure qui serait profondément différente de l’art occidental[8]. Cette dynamique est assimilable à un nationalisme ou à un romantisme. Le second phénomène est l’attente d’altérité des Européens qui favorise les formes de particularisme des peuples par opposition à la norme mondialisée des sociétés modernes. La rencontre entre ces deux orientations produit effectivement une imagerie qui semble bousculer les codes dans le sens où elle véhicule le fantasme d’un Orient capable de revitaliser l’Occident, rappelant quelque chose d’une « révolution conservatrice[9] ».

Y. S. : La perception habituelle depuis le Japon est inverse à ce que vous décrivez, l’art contemporain d’avant-garde est supposé être à l’extérieur du pays. Le sentiment dominant est celui d’être en retard, il y a par ailleurs assez peu de valorisation à l’égard de celui qui bouscule des codes.

C. T.-C. : C’est sans doute l’une des conséquences du rôle de l’Agence pour les Affaires Culturelles au Japon (fondée en 1968) qui promeut aujourd’hui les arts multimédias, les arts plastiques, le monde du spectacle et le manga et qui a pour mission de diffuser la culture japonaise sur la scène internationale.

Y. S. : Je propose de replacer cette agence (bunka-cho) dans le contexte politique et économique. Depuis les années 2000, le gouvernement promeut ouvertement l’industrie culturelle (manga, animation, jeu vidéo, etc.) comme l’un des principaux secteurs qui stimulent la croissance du pays. En parallèle, la législation crée une catégorie « art multimédia » pour le manga, l’animation, etc., et le bunka-cho y décerne des prix depuis 2008. En 2010, le gouvernement a déterminé comme stratégie économique d’État le « Cool Japon » qui consiste à promouvoir le développement de produits culturels calibrés aux marchés internationaux. C’est dans ce cadre que le bunka-cho a obtenu pour la première fois, en 2014, un budget spécifiquement pour l’art contemporain ; il s’agissait principalement d’aider les galeries privées qui participaient aux foires à l’étranger. En 2017, le gouvernement a élaboré une nouvelle politique plus ciblée sur la culture et l’art : la « stratégie de l’économie culturelle (bunka keizai senryaku)[10] » avec des textes préambules[11], parus quelques mois en amont et issus du Conseil des ministres (kakugi kettei), où apparaît explicitement la volonté d’une « culture qui fait gagner de l’argent (kasegu bunka) ». La finalité de la politique culturelle s’annonce dès lors comme économique, les différentes institutions sont considérées comme des acteurs du développement financier. C’est dans ce cadre qu’en 2018, le bunka-cho a inauguré le « projet d’activation du marché de l’art (âto shijô kasseika jigyô) » devenant le projet « Art Platform Japan[12] » qui a notamment cherché à promouvoir des méthodes pour augmenter la réputation internationale des artistes nationaux. Je note le paradoxe entre la promotion d’une marque (branding) japonaise de l’art contemporain à rentabilité marchande, et un contexte de faiblesse du marché de l’art au Japon. Actuellement, il y a une hausse globale des chiffres, mais la question reste de savoir si cette dynamique donnera effectivement un marché intérieur pérenne.

C. T.-C. : Rejoignez-vous le constat établi par plusieurs auteur·rices[13] selon lequel, à l’exception d’une poignée d’artistes comme Takashi Murakami, Yoshitomo Nara ou Yayoi Kusama, l’art japonais n’a pas réellement d’aura à l’international ? Selon votre point de vue de directeur.rice de lieu d’exposition, l’art contemporain rayonne-t-il très peu au sein du Japon ?

Y. S. : Murakami écrit au début de son livre[14] : « Pourquoi jusqu’à présent n’y a-t-il qu’une poignée d’artistes japonais qui ont réussi mondialement ? C’est simple. C’est parce que “la plupart n’ont pas respecté les règles du monde de l’art occidental”. »

Beaucoup d’artistes japonais travaillent en Occident après y avoir fait leurs études. Souvent ils y restent, parce qu’ils ne peuvent pas mener un travail artistique de la même manière au Japon. Quant aux quelques artistes japonais renommés à l’international, ils étaient d’abord inconnus au Japon et c’est le passage en Occident qui leur a donné une légitimité. Cette validation extérieure accrédite une reconnaissance au pays. La notion d’« importation inversée » dans le monde économique est utilisée métaphoriquement pour qualifier cette validation extérieure, et Murakami l’a transformée en stratégie d’artiste, par exemple dans sa conférence « Méthode stratégique du “Cool Japon” dans le monde de l’art[15] ».

Pour devenir artiste à la fois à l’international et au Japon, la stratégie qui semble fonctionner est d’adopter un double discours, souvent identitaire, pour l’extérieur et l’intérieur. L’ambivalence de ces énoncés a pour effet de diffuser des contresens multiples.

C. T.-C. : D’un point de vue théorique, avez-vous pu avoir des discussions avec des universitaires (historien·nes de l’art), critiques d’art, des expert·es japonais·es ou occidentaux·ales qui connaissent l’art contemporain japonais et en communiquent un regard qui semble renouvelé ? Que pensez-vous des publications relativement récentes à ce sujet[16]  par rapport à votre expérience de terrain ?

Y. S. : Par comparaison avec la France, le monde universitaire est plus segmenté. La majorité des textes critiques que je lis décrivent le management ; la dimension économique est alors placée avant celle d’une théorie de l’art. Je note qu’à ma connaissance, avec les subventions nationales de recherche appelées kaken, la catégorie de la muséologie n’a pas promu de projet portant sur l’art contemporain, et rarement sur des expositions d’art. Les différentes traductions récentes viennent de la politique culturelle du bunka-cho décrit préalablement, il est possible que cela produise un effet de loupe depuis l’international.

F. W. : Du côté francophone, je peux noter des évolutions positives dans les discours sur l’esthétique japonaise, mais les auteurs me semblent souvent idéaliser une réalité qu’ils ont vraisemblablement vécue d’une manière fort différente. Mon sentiment, c’est qu’il y a une difficulté concernant la diversité des énonciations dans le milieu orientaliste. Les nombreux auteurs qui projettent leurs propres univers intérieurs sur l’autre ont tendance à effacer tout ce qui ne va pas dans leur sens.

C. T.-C. : Pensez-vous qu’une nouvelle génération peut ouvrir davantage le Japon à l’art actuel ? Je pense au collectif Chim↑Pom qui a travaillé sur la centrale de Fukushima peu de temps après la catastrophe. Les enjeux écologiques sont tout aussi importants au Japon comme ailleurs, et les artistes japonais peuvent éveiller les consciences sur ces questions à l’intérieur du pays comme à l’international.

F. W. : En 2011, j’ai le souvenir que beaucoup d’artistes de ma connaissance ont fait des œuvres sur Fukushima qui ne relevaient pas d’une dimension critique, il y avait un cadre politique avec des financements qui donnaient temporairement une fonction sociale à des artistes en manque de reconnaissance. De plus, Fukushima a créé une fascination quelque peu morbide depuis l’étranger, cet accident désastreux rayonne avec des images d’Épinal comme la vague de Hokusai, mais aussi avec la bombe atomique ou avec des idées de déshumanisation que les Européens adorent projeter sur le Japon. Ainsi, avec ce type de thématique, il faudrait pouvoir juger de la sincérité de l’engagement des artistes : est-ce une stratégie de reconnaissance, ou est-ce une affirmation politique ? En réalité, il est impossible de juger cela sans connaitre personnellement les artistes, c’est aussi ce qui rend ce type de formes très performantes et très spéculatives. Pour Chim↑Pom, il y a pas mal d’ambiguïté, à l’image du tableau de Tarô Okamoto dans la gare de Shibuya et de son rapport au nucléaire. Ce tableau a été le terrain d’une performance subversive et critique de Chim↑Pom, mais le groupe a fini par exposer dans le Taro Okamoto Memorial Museum

Je profite de cette question pour parler aussi des jeunes générations d’organisateurs. Lorsque nous montions notre projet à Maebashi en 2011, j’ai croisé Fumihiko Sumitomo qui était voué à devenir une personnalité importante au Japon en défendant un art socialement engagé. Il devenait alors le curateur du projet de musée dans cette ville. Suite à une campagne électorale, en 2012, qui a fait advenir un nouveau maire par de virulentes critiques du projet de musée, ce curateur est arrivé à s’imposer à la tête de la direction. C’est le moment où nous avons déplacé nos activités dans la ville voisine. Sumitomo est devenu aussi un professeur de commissariat d’exposition dans la prestigieuse école des beaux-arts de Tokyo. Arrivant au sommet de sa carrière, un scandale a explosé. Après des enregistrements sauvages produits par des fonctionnaires de la ville, sa démission a été actée en 2021, et de nombreux documents ont été rendus publics[17]. Entre 2013 et 2020, une dizaine de curateurs ont démissionné. De nombreux articles de presse font état de pressions internes[18]. Mais c’est tout particulièrement sa gestion des artistes qui apparaît trouble. Par exemple, le musée avait entreposé, hors de ses locaux, les œuvres d’un artiste local décédé. Quand un curateur s’est rendu compte que certaines œuvres avaient disparu, la décision avait été prise de truquer les documents officiels concernant la liste des œuvres remises par la famille au musée. Parallèlement, l’institution avait promis une mise à l’honneur du défunt artiste avec l’acquisition d’œuvres et la production d’une rétrospective, cela vraisemblablement dans le but de cacher les pertes.

Avec les phénomènes que j’ai eu la chance d’observer depuis 15 ans, je n’ai pas le sentiment de voir une amélioration, les jeux de pouvoir et de reconnaissances subsistent malgré le rajeunissement des attitudes et des discours qui restent souvent démagogiques.

C. T.-C. : J’en viens au modèle économique de votre structure artistique indépendante. Vous soulignez le manque de soutien des pouvoirs publics japonais. Pourquoi n’avez-vous pas pu en bénéficier ? Est-ce si difficile de trouver des partenariats publics ? Pouvez-vous expliquer, à travers l’exemple du Palais des paris, les modes de financement au Japon ?

Y. S. : L’idée d’une production symbolique non rentable économiquement et dans laquelle il faut généreusement aider les artistes, ce n’est pas convaincant pour demander une aide financière. Pour donner une petite anecdote, j’ai le souvenir d’un journaliste qui ne comprenait pas pourquoi nous ne faisions pas payer de location aux artistes. Après plusieurs échanges, il a fini par écrire dans son article que la gratuité est un moyen pour attirer des artistes qui n’acceptaient pas de venir en province. Bref, il n’avait rien compris. Mais, plus généralement, il est difficile d’expliquer pourquoi il est nécessaire, pour produire de l’art, d’offrir un cadre alliant liberté, soutien financier et point de vue critique.

F. W. : La plupart de nos artistes reçoivent un financement depuis leurs pays. Concernant les subventions locales japonaises, nous ne souhaitons plus réessayer de les atteindre. Dans le passé, nous avons légitimé des budgets par nos événements, ceux-ci existent toujours et sont finalement absorbés par des entreprises.

C. T.-C. : Qu’en est-il du public ? Le Palais des paris a offert une programmation variée : expositions, concerts, mais pour un public japonais restreint, rarement convié à découvrir de l’art contemporain[19]. Quelles ont été les réactions des artistes invité·es face à cette forme de désaffection du public ?

F. W. : Il est très fréquent d’entendre les artistes ou des professionnels du monde de l’art japonais parler des spectateurs comme étant des individus qui ne comprennent pas l’art. Je me souviens qu’à l’ouverture du Palais des paris, plusieurs personnes nous ont dit que les gens étaient bien trop néophytes pour saisir ce que l’on proposait. Dans l’article que vous mentionnez[20], il y a un panel de ce type d’affirmations au sujet d’un art au Japon qui est « peu compréhensible aux yeux d’un large public » pour qui « il est difficile de juger quelque chose dont la réputation n’a pas clairement été établie ». Le public serait intéressé « par ce qui est populaire, les sujets à la mode et par les choses que l’autorité, ceux qui sont au pouvoir, tiennent en haute estime », c’est-à-dire un art qui « ne génère aucune inquiétude ». Ce type de propos est ambigu, car il est énoncé par des professionnels qui, eux, connaissent l’art à l’international, mais qui estiment que « l’idée d’un “art élitiste” devrait être rejetée » au Japon. Je suis toujours surpris de lire des articles idéalisant un antirationalisme, que ce soit par le refus d’une pensée savante ou par le rejet d’un langage d’articulation d’ordre analytique, tout en valorisant une vitalité japonaise. Valoriser les festivals d’art sans amener de dimension critique pour le lecteur français, c’est faire oublier que la finalité de ces projets est avant tout entrepreneuriale. Car, concernant le contexte de la Triennale en question, « cette renaissance par l’art ne doit pas faire oublier que son principal promoteur et financeur, le millionnaire Fukutake Sô.ichirô, domicilié en Nouvelle-Zélande, s’en sert pour des facilités fiscales, tandis que l’autre moitié de l’île est consacrée à une tout autre activité avec l’usine métallurgique polluante de Mitsubishi[21] ». Il suffit de gratter, dans tous ces projets, pour s’apercevoir que l’anti-élitisme est un écran cachant des enjeux économiques sans rapport avec l’art.

De notre côté, nous avons tenté, au contraire, d’expérimenter des formes d’art « rigoureuses » en vue d’un public non formé, c’est-à-dire que nous menions la sélection et l’encadrement des artistes en résidence dans l’optique de proposer des expositions qui ne produisent pas de contresens culturels et qui favorisent une réflexivité de la part du spectateur. En réalité, avec une œuvre plutôt conceptuelle et correctement contextualisée, les spectateurs étaient en mesure de vivre une expérience esthétique abstraite dans laquelle c’est le sujet qui constitue la finalité de la signification de l’objet face à lui. Les artistes en résidence ont vécu, par la procuration de la traduction et des explications, des échanges interhumains passionnants avec le public sur la finalité et les limites de l’objet d’art. Beaucoup ont gardé un souvenir ému de ces échanges et de cette tentative d’une meilleure compréhension mutuelle. Cependant, les professionnels japonais de l’art ont beaucoup de mal à comprendre notre démarche, nous sommes souvent confrontés à un refus.

C. T.-C. : Hormis l’exemple de la Triennale d’Echigo-Tsumari, pourquoi, selon vous, les programmes d’encouragement à la création très contemporaine sont si peu valorisés en dehors de Tokyo ?

F. W. : Il est possible que la notion de création ne soit pas adéquate. Je veux dire par là que même dans l’exemple de cette célèbre Triennale, la majorité des œuvres montrées sont soit celles d’artistes reconnus mondialement, soit celles convenant à un festival local. Dès lors, il n’y a pas de création au sens de l’émergence d’une nouveauté ou d’un progrès permettant une émancipation individuelle hors d’une appartenance à un État-nation spécifique. Il me semble que c’est surtout l’imaginaire d’une symbiose entre un luxe international et un folklore qui est investi. Dans tous les contextes que je connais, Tokyo y compris, je me demande souvent si ce qui est appelé art n’est qu’une réactualisation consensuelle de ce qui s’est déjà produit, j’ai l’impression de voir les mêmes situations se rejouer.

C. T.-C. : Le Palais des paris est en plein renouveau après la crise du Covid19. Quels sont les nouveaux enjeux à court, moyen ou long terme ? Et quels sont les outils multimédias mis en place pour communiquer ? Est-il possible d’imaginer des outils critiques (hors des outils de la philosophie de l’art occidental) pour penser l’art contemporain au Japon ?

Y. S. : Du point de vue général, la situation semble évoluer depuis nos premiers échanges. Je peux noter des transformations structurelles concernant l’internationalisation du marché de l’art au Japon, notamment avec la foire Tokyo Gendai ou avec l’implantation de galeries internationales qui tentent l’aventure d’ouvrir un espace au Japon. Nous pouvons espérer une chose : la libre concurrence mondialisée produirait une amélioration de la position d’artiste au Japon. Dès lors, notre analyse serait déjà dépassée historiquement. Toutefois, il reste probable que cette bulle spéculative ne change que superficiellement les pratiques du monde de l’art au Japon. À notre niveau, qui n’est pas celui du marché de l’art, nous choisissons de travailler l’aspect conceptuel et la période du Covid a été un moment de questionnement scientifique, avec la volonté d’écrire des articles[22] en français, se rapportant au contexte de l’art japonais que nous connaissons et qui est très peu représenté, que ce soit à l’international ou au Japon (hors des sphères organisationnelles). Les enjeux se sont automatiquement déplacés vers d’autres rapports de force dans la construction du symbolique, je pense en particulier aux institutions légitimant les discours sur les autres cultures. Cette interview fait suite à notre volonté de représenter un réel souvent invisible, nous vous en remercions.

F. W. : Oui, travailler la théorie a été un tournant permettant de prendre de la distance. Personnellement, j’avais besoin de sortir d’un contexte où j’étais piégé par ma place d’étranger au Japon. Avec les nouvelles résidences, l’aspect théorique prend maintenant le dessus sur la volonté d’intervention dans l’espace social japonais. Nous explorons un nouveau format vidéo s’ajoutant aux ouvertures vers le public local. Il s’agit de documentaires qui décrivent le processus, mais aussi les préalables théoriques par rapport aux artistes qui viennent représenter des phénomènes éloignés ; par exemple, la vidéo de la première résidence de 2024 avec le duo Martinet & Texereau, https://youtu.be/woYkGK7Qhbg, celle-ci est diffusée sur une chaîne avec des archives et des réflexions plus personnelles : https://www.youtube.com/@japon-critique.

Le bâtiment du Palais des paris, 2024. Photo : Frédéric Weigel.
Quentin Spohn, vue de l’exposition « UFO catcher », Palais des paris, 2024. Photo : Frédéric Weigel.
Martinet & Texereau, vue de l’exposition « Par le filtre du banal », Palais des paris, 2024. Photo : Frédéric Weigel.
Louise Decruck, vue de l’exposition « Dreamland », Palais des paris, 2024. Photo : Frédéric Weigel.
Giovanni Casu, vue de l’exposition « Sense of values », Palais des paris, 2024. Photo : Frédéric Weigel.

Notes

  1. Voir le site officiel du Palais des paris et sa page Instagram : http://palaisdesparis.org/ et https://www.instagram.com/palaisdesparis/ (consultés en novembre 2024, comme l’ensemble des liens de l’interview). ↑.
  2. Voir la liste des artistes ayant participé au Palais des paris à l’adresse suivante : http://palaisdesparis.org/index.php/liste-des-artistes.
  3. Lucken M., Nakai Masakazu, naissance de la théorie critique au Japon, Dijon, Les Presses du Réel, 2016.
  4. Patin C., La fabrique de l’art au Japon. Portrait sociologique d’un marché de l’art, Paris, CNRS Éd., 2016, également en ligne : https://books.openedition.org/editionscnrs/26179?lang=fr, voir le chap. VI.
  5. Kuresawa T., Bijutsukan no seijigaku (Politique des musées), Tokyo, Seikyusha, 2007 ; Koga F., Bijutsukan no futsugô na shinjitsu (Les vérités inconvenantes du musée), Tokyo, Shinchôsha, 2020.
  6. Koga F., Bijutsukan no futsugô na shinjitsu (Les vérités inconvenantes du musée), Tokyo, Shinchôsha, 2020.
  7. Nakajima K., Kanbai gaka (Le peintre dont les œuvres sont toutes vendues), Tokyo, CCC Media House, 2021.
  8. Pour une analyse, voir Weigel F., « Le leurre animiste d’une esthétique du collectif japonais. Le catalogue de l’exposition Fukami », Bertrand D., Hachette P., Reyes E. (éd.), Existences collectives : perspectives sémiotiques sur les formes de sociabilité animale et humaine, actes du colloque (Paris, 20-21 octobre 2022). Colloques Fabula, 2023, en ligne : https://www.fabula.org/colloques/document9991.php.
  9. Bourdieu P., L’ontologie politique de Martin Heidegger, Paris, Les Éd. de Minuit, 1988.
  10. https://www.bunka.go.jp/seisaku/bunkashingikai/kondankaito/bunkakeizaisenryaku/pdf/r1408461_01.pdf : ce document, intitulé « stratégie de l’économie culturelle (bunka keizai senryaku) », date de 2017 (Heisei 29) et est produit conjointement par le secrétariat du Cabinet (naikaku-kanbô) et par l’agence pour les Affaires culturelles (bunka-cho).
  11. « Les grandes lignes de la politique générale de 2017 en matière de gestion économico-financière et de réformes (Keizai zaisei un.ei to kaikaku no kihon hôshin 2017) », appelé communément « Plan des os épais (Honebuto no houshin) » : https://www5.cao.go.jp/keizai-shimon/kaigi/cabinet/honebuto/2017/2017_basicpolicies_ja.pdf, et « Stratégie d’investissement pour l’avenir (Miraitôshi senryaku) 2017 » : https://www.kantei.go.jp/jp/singi/keizaisaisei/pdf/miraitousi2017_t.pdf.
  12. Ce projet s’est terminé en 2023. Il reste actuellement un portail de recherche sous la même appellation.
  13. Zernik C., « Un autre visage de l’art contemporain japonais : festivals d’art et îles musées. Un débat entre Shihoko Iida, Tadashi Kawamata, Fram Kitagawa et Kanako Tamura », Perspective, n° 1 : Japon, 2020, p. 67-86, plus part. p. 19, également en ligne : https://journals.openedition.org/perspective/13884.
  14. Murakami T., Geijutsu kigyô ron (Théorie de l’entrepreneuriat en art), Tokyo, Gentôsha, 2006.
  15. Repris dans Azuma H. (dir.), Nihonteki sôzôryoku no mirai (L’avenir de l’imaginaire japonais), Tokyo, NHK shuppan, 2010.
  16. Kitazawa N., et al. (dir.) History of Japanese Art after 1945: Institutions, Discourses, and Practice, Louvain, Leuven University Press, 2023 recensé dans Taalba A., « Chokusetsu kôdô : l’action directe comme méthode artistique au Japon », Critique d’art, n° 60, 2023, p. 80-90.
  17. Par exemple, un compte rendu municipal en mars 2021 : https://www.city.maebashi.gunma.jp/material/files/group/10/hodo20210324_7.pdf.
  18. Par exemple, magazine Bijutsu techô, 2021 : https://bijutsutecho.com/magazine/insight/24159.
  19. Zernik C., « Un autre visage de l’art contemporain japonais : festivals d’art et îles musées. Un débat entre Shihoko Iida, Tadashi Kawamata, Fram Kitagawa et Kanako Tamura », Perspective, n° 1 : Japon, 2020, p. 67-86, également en ligne : https://journals.openedition.org/perspective/13884 : dans cet entretien, il est question de la Triennale d’Echigo-Tsumari, conçue en dehors de sentiers balisés de l’art contemporain tokyoïte, avec un public local, sans lien avec l’art exposé dans la capitale japonaise.
  20. Ibid.
  21. Pelletier P., L’invention du Japon, Paris, Le Cavalier Bleu, 2020.
  22. Par exemple : Suto Y., « Historicité et fictionnalité : la traduction des titres d’expositions internationales dans les musées japonais », Revue des sciences humaines, n° 350, 2023, p. 63-78, en ligne : https://journals.openedition.org/rsh/2124 ; Weigel F., « Le goût du Japon, milieu et lieux communs », Design, Arts, Medias, n° 5, 2022, en ligne : https://journal.dampress.org/issues/faire-avec-le-milieu-art-design-et-medialite-du-paysage/le-gout-du-japon-milieu-et-lieux-communs ; Suto Y., « Affiches muséales japonaises et vestiges préhistoriques », Actes sémiotiques, n° 126, 2022, en ligne : https://www.unilim.fr/actes-semiotiques/7495 ; Suto Y., Weigel F., « En marge de la “marge” japonaise », Nouvelle revue d’esthétique, n° 29, 2022, en ligne : https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-d-esthetique-2022-1-page-93.htm.

Pour citer cet article : Yoshiko Suto et Frédéric Weigel, "L’histoire mouvementée du Palais des paris (Gunma, Japon)", exPosition, 5 décembre 2024, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles9/suto-weigel-palais-paris-japon/%20. Consulté le 1 mai 2025.

L’écoresponsabilité des expositions : au-delà des mesures techniques, une révolution axiologique

par Céline Schall

 

Céline Schall est docteure en Sciences de l’Information et de la Communication (France) et PhD. en Muséologie, Médiation, Patrimoine (Canada). Ses travaux de recherches ont d’abord porté alors sur les publics de la culture et la notion de médiation de la culture. Elle est actuellement chercheure à l’Institut d’Histoire de l’Université du Luxembourg, et financée par la Ville d’Esch-sur-Alzette pour développer des recherches sur la transition écologique et sociale de la culture. Elle s’intéresse donc notamment aux changements de pratiques professionnelles dans le secteur culturel, induits par la transition. Elle est actuellement en charge des recherches-actions du projet Interreg Atract-AB (lien : https://zf-interreg.gectalzettebelval.eu/atract-ab/). —

 

L’écoresponsabilité des expositions et des musées est un sujet dont l’importance et la visibilité ont été accentuées par la crise sanitaire de 2020. Cette contribution vise modestement à synthétiser les questions que pose la transition de l’exposition : pourquoi et comment favoriser la transition de l’exposition ? Que manque-t-il au secteur pour y parvenir ? Nous explorerons d’abord les liens entre exposition et environnement (1) puis les leviers d’action connus pour opérer cette transition (2), pour enfin identifier les principaux freins existants (3). En conclusion, nous tenterons de dessiner les chantiers prioritaires qu’on pourrait opérer, notamment au sein d’organes de recherche comme l’Université.

1. Les liens entre exposition et environnement

Le rapport entre l’exposition et ce qu’on peut appeler la « crise environnementale » (c’est-à-dire non seulement le changement climatique, mais aussi par exemple l’érosion de la biodiversité, la disparition d’écosystèmes ou la pollution du sol, de l’eau et de l’air) est double : l’exposition est un média puissant pour sensibiliser les publics, mais elle est aussi une pratique problématique pour l’environnement.

L’exposition, une chance pour l’environnement

L’exposition peut être considérée comme un dispositif spécifique de plusieurs points de vue[1]. Une de ces spécificités est qu’elle met en relation des visiteurs et des objets dans un même espace. L’authenticité des objets exposés et la véracité des savoirs mobilisés sont des éléments importants du pacte de confiance qui se tisse avec le visiteur[2]. Les publics considèrent d’ailleurs ces derniers comme des sources d’information crédibles[3].

Par ailleurs, si, longtemps, l’exposition[4] a tenu à distance les émotions, « au motif qu’elles troublaient la compréhension et les apprentissages des visiteurs », on observe depuis une vingtaine d’années un « tournant émotionnel » en sciences humaines et sociales : dans les expositions, l’émotion devient « un moyen pour susciter une empathie […] et atteindre des objectifs comportementaux, éducatifs, civiques, voire moraux, de transformation des attitudes et des représentations[5] ». Notamment, la stratégie qui consiste à rapprocher, confronter, ou simplement mettre en parallèle les arts contemporains et les sciences ou techniques permet de « sensibiliser les visiteurs, par l’émotion esthétique, à un sujet politique ou social », même si, comme le montrent les auteurs, les effets ne sont pas mécaniquement assurés.

Ainsi, quand l’exposition porte un discours positif sur l’environnement pour sensibiliser les visiteurs à sa valeur, ou alerte sur l’état de la planète, elle peut jouer sur plusieurs registres : la diffusion de connaissances scientifiques (registre cognitif), le réveil d’émotions positives à l’égard du Vivant ou négatives à l’égard des causes de sa détérioration (registre affectif) ou le changement de comportements (registre conatif), le tout en utilisant une vaste palette de textes, images, sons, lumières, ou même odeurs, sensations… Cette médiagénie[6] de l’environnement dans l’exposition explique, au moins en partie, la forte visibilité de l’activisme environnemental dans les musées.

Ainsi, de nombreuses expositions portent ou ont porté, depuis des décennies, ce discours de sensibilisation : l’art contemporain dénonce volontiers les effets destructeurs du capitalisme sur la nature, des expositions scientifiques dans les aquariums ou les musées de sciences naturelles décrivent l’écocide actuellement mené par l’Homme, des expositions d’architecture montrent les transformations à opérer pour créer des constructions durables, des expositions scientifiques et techniques montrent les ordres de grandeur de l’impact environnemental des activités, etc.

À côté des expositions qui thématisent directement la crise environnementale, certaines créent des univers ou des récits décarbonés, qui valorisent des mondes inclusifs, divers, des temporalités plus longues, des distances plus proches. À l’inverse, certaines expositions (d’art contemporain surtout) prennent pour objet des mondes dystopiques plus ou moins clairement reliés aux problèmes climatiques. Et, quand l’environnement n’est pas le sujet de l’exposition, c’est aussi un nouveau lien aux objets de musées qui est mis en place, comme au musée des Beaux-Arts de Montréal, qui illustre des objets en ivoire par une vidéo sur le braconnage[7] et questionne ainsi la dimension patrimoniale d’un objet à l’aune de questions écologiques.

Les études de réception menées sur ces expositions montrent qu’elles remplissent un rôle de sensibilisation[8], même s’il n’a pas encore été prouvé, à notre connaissance, qu’elles infléchissent aussi les comportements des visiteurs à long terme.

On pourrait toutefois objecter que les publics libres des expositions et musées (c’est-à-dire les publics « non-captifs ») font plutôt partie de catégories sociales dotées d’un fort capital économique et culturel[9], alors que ce sont les mêmes personnes qui se soucient déjà le plus de l’environnement[10] et donc s’interroger sur l’efficacité de ce média à convaincre des personnes « pas encore convaincues ».

Deux pistes de réponse peuvent être données : d’abord, les expositions hors-les-murs, dans l’espace public, peuvent, dans certaines conditions, toucher des catégories plus larges de publics[11] ; et ensuite, les publics déjà convaincus sont aussi ceux qui doivent faire le plus d’efforts pour réduire leur empreinte écologique[12]. Leur proposer d’autres imaginaires n’est donc pas inutile. Par ailleurs (et c’est un point important), on sait que les catégories les plus défavorisées économiquement sont aussi celles qui sont et seront les plus touchées par les effets de la crise écologique[13]. La transition écologique (de l’exposition notamment) se double donc nécessairement d’une transition sociale : l’ouverture et l’inclusivité de l’exposition en sont des enjeux centraux.

L’exposition, un problème pour l’environnement

Le secteur de l’exposition est particulièrement actif et se développe. Depuis une trentaine d’années, le nombre de musées dans le monde a explosé : l’organisation internationale des musées (Icom) en compte plus de 104.000 en 2015[14]. L’exposition est aussi un secteur qui emploie des scénographes, conservateurs, médiateurs, régisseurs, personnel d’accueil mais aussi – en « dehors » des personnels des institutions – critiques d’art, artistes, conservateurs / commissaires / médiateurs indépendants, collectionneurs, étudiants ou chercheurs es sciences de la culture. Les expositions contribuent directement ou indirectement à près de 10% de toute l’activité culturelle en France, avec un poids économique direct considérable : « Avec 12.300 expositions culturelles par an en moyenne, le secteur de l’exposition a engrangé presque 117 millions de visiteurs pour l’année 2019. Par comparaison, c’est plus que le théâtre (11 millions), et cela représente plus de la moitié des entrées au cinéma (213,2 millions)[15]. »

Cette vitalité explique l’empreinte environnementale significative du secteur. Si elle est difficile à évaluer de manière précise, une étude estime que l’empreinte carbone mondiale du monde de l’art serait de l’ordre de 70 millions de Tonnes Équivalent CO2 par an[16]. En France, le collectif Les Augures estime qu’un grand musée émet environ 9.000 tonnes de CO2 par an, soit l’empreinte annuelle de 800 Français[17]. Ces chiffres, même s’ils sont indicatifs, pointent le rôle du secteur de l’exposition dans la production de gaz à effet de serre. Par ailleurs, elle contribue aussi à la pollution, l’appauvrissement des sols, la raréfaction des ressources, l’écocide, etc.

Le rapport Décarbonons la culture !, produit par le « laboratoire d’idée » ou « Think tank » Shift project[18], propose, à notre connaissance, la meilleure synthèse des éléments des expositions qui sont les plus problématiques en termes d’atteinte environnementale. On peut les synthétiser ainsi : la mobilité est le premier poste émetteur de gaz à effet de serre (GES) pour l’exposition – celle des publics, puis (largement derrière en général), le transport, le conditionnement et le convoiement des œuvres. Cette mobilité des publics peut représenter plus de 90% du bilan carbone d’un très grand musée. Vient ensuite la question des bâtiments et spécifiquement la consommation d’énergie (éclairage, chauffage / climatisation), liée à des normes internationales de conservation (température constante de 20 degrés et hygrométrie de 50%). On trouve après la question des matériaux utilisés pour les expositions, qui peuvent être très émetteurs de GES et polluants (la moquette, le polyane par exemple) ou qui ne sont pas spécifiquement émetteurs de GES, mais qui peuvent être un facteur de déforestation (ce qui accentue évidemment le problème climatique), de pollution ou de consommation d’eau (c’est le cas par exemple des cimaises en bois aggloméré). Enfin, les questions de l’alimentation, des achats, de la consommation d’eau, du traitement des déchets ou du numérique pourraient constituer une quatrième catégorie, moins impactante en proportion, mais toutefois significative.

Évidemment, ces impacts varient en fonction du type de structure, de la nature du bâtiment ainsi que de la programmation ou surtout de la visée internationale ou locale de l’institution. Ainsi, plus le musée vise une audience internationale et plus la mobilité des publics représente un enjeu important. C’est le cas (souvent cité) du Louvre, qui impute 98% de son bilan carbone aux déplacements de ses visiteurs. Par comparaison, la Réunion des Musées Nationaux Grand Palais n’impute qu’un tiers de son bilan carbone à la mobilité des publics.

Les évolutions du secteur observées ces dernières décennies vont dans le sens d’une aggravation de ces impacts. Le rythme des expositions temporaires et des événements s’est fortement accéléré, pour répondre aux attentes d’un système économique toujours plus exigeant. En 2013 déjà, Daniel Jacobi posait la question du sens d’une « accélération, qui dépasse le rythme d’adaptation des acteurs qui sont censés la faire vivre » et d’un musée qui, dans ces conditions, ne peut plus être « en phase avec ses missions premières[19] ».

À l’accélération tendancielle du nombre d’expositions et, conséquemment, au raccourcissement de leur durée, on peut ajouter une logique d’événementialisation croissante avec de plus en plus d’expositions blockbusters qui mobilisent des publics internationaux dans une optique de visibilité des territoires.

L’augmentation de la place du numérique (numérisation des œuvres et des expositions, dispositifs de médiation, NFT, metaverse, etc.), accentuée par la crise sanitaire de 2020, est aussi une partie du problème, alors qu’elle est souvent présentée comme une solution, via par exemple la visite d’expositions à distance ou encore la création d’expositions numériques.

Enfin, on peut penser que, dans le contexte de marchandisation des expositions qui est le nôtre, les musées, centres culturels et a fortiori les galeries collaboreraient peu les uns avec les autres, et encore moins à l’échelle d’un territoire réduit. Cela conduirait à une absence de coordination pour la circulation des œuvres, des expositions ou même des artistes invités.

Du côté des personnels, l’épuisement est palpable dans une partie des institutions[20] : il est notamment dû à l’externalisation des métiers de l’entretien, de la sécurité, mais aussi des équipes techniques, de montage, de transport et de médiation, et à leur précarisation, et aussi à une baisse des effectifs et des moyens pour réaliser de plus en plus d’événements[21].

Du côté des publics, il n’a pas été prouvé que cette accélération puisse générer une démocratisation des musées ou expositions[22] : comme dit précédemment, la réponse à l’offre culturelle reste plus forte parmi les catégories sociales disposant d’un revenu plus élevé et chez les personnes ayant un haut niveau de scolarité[23]. Se pose alors, à nouveau, la question du sens de ces évolutions.

L’enjeu éthique lié à la destruction du Vivant devrait donc à lui seul motiver une (ré)action massive et immédiate du secteur. Mais cet enjeu n’est pas le seul qui pourrait provoquer cette action immédiate. La raréfaction des ressources énergétiques (pétrole / gaz) et le réchauffement climatique pourraient conduire prochainement à une série de problèmes pour l’exposition : impossibilité de déplacer des œuvres et surtout des publics, coupure d’énergie (et donc problème de conservation mais aussi fermeture[24]) ou encore multiplication de crises sanitaires (et donc fermetures répétées). Enfin, des coupes budgétaires sont à craindre pour un secteur qui n’est (on en est maintenant certains) pas un « secteur prioritaire ». En somme, si l’exposition doit fournir des efforts pour minimiser ses atteintes au Vivant, ce n’est pas que par souci éthique : c’est une question de survie, surtout pour les petites et moyennes structures.

2. Les leviers d’action

Le rapport du Shift Project en France, Décarbonons la culture ! est un outil fondamental pour mettre en place des mesures écoresponsables pour le secteur culturel. D’autres outils existent aussi, spécifiquement adaptés à l’exposition : les chartes, labels et guidelines ne manquent pas[25] et plusieurs structures comme Les Augures, Karbone Prod, Solinnen, Art of Change 21, ou des écoconseillers accompagnent les musées dans leur transformation.

Sans viser l’exhaustivité, examinons quelques dynamiques de transformation nécessaires et des exemples de mesures à appliquer en fonction de la simplicité de leur mise en œuvre et de leur impact.

Les dynamiques et mesures

Le rapport Décarbonons la culture ! propose d’inscrire le secteur culturel dans quatre dynamiques générales : relocaliser les activités ; ralentir les déplacements ; diminuer les échelles (des jauges notamment) et écoconcevoir.

Ces dynamiques traversent quatre types de mesures à mettre en place :

1) les mesures dites « transparentes[26] » (court terme, faciles à mettre en œuvre) consistent par exemple à rédiger une charte d’engagement ou à substituer les protéines animales par des protéines végétales dans les menus proposés aux personnels et publics. On pourrait y adjoindre une série de gestes essentiellement techniques, comme le tri des déchets, l’alimentation locale, le remplacement des dispositifs énergivores par des appareils basse consommation, etc.

2) Les mesures « positives » (assez faciles à mettre en œuvre) recouvrent : l’adjonction de critères environnementaux pour les sous-traitants et fournisseurs ou dans le processus de recrutement, la formation des personnels et futurs engagés aux enjeux de la transition, l’accroissement des échanges entre le secteur professionnel et le monde de l’enseignement, la valorisation des mobilités décarbonées à destination des publics, le recours aux ressourceries pour la création des muséographies, la mise en vente de produits dérivés à faible impact, etc.

3) Les mesures dites « offensives » (qui supposent de réorganiser les modes de travail) peuvent être : la mise en place d’une stratégie de production des expositions incluant les enjeux de la transition, le travail sur la performance énergétique des bâtiments (y compris des mesures de conservation), la prise en compte du budget carbone des expositions temporaires, l’écoconception des expositions, le groupement des transports d’œuvres, la modification des pratiques de transport et de convoiement des œuvres et de déplacement des publics, l’assouplissement des normes internationales de conservation, ou encore la diminution du nombre d’expositions temporaires et l’allongement de leur durée. En outre, on pourrait ajouter que la transition écologique ne se fera pas sans une transition sociale : l’inclusion des publics et l’engagement de l’institution dans le sens du care[27] est une nécessité qui suppose notamment tout un travail sur la chaîne d’accessibilité des expositions.

4) Les mesures dites « défensives » enfin impliquent un renoncement au transport de certaines œuvres (venant de loin ou pour un temps très court), à des matériaux carbonés, à certaines technologies (UHD, 4K ou 8K, vidéos en ligne), ou à des innovations technologiques carbonées (NFT par exemple). Béatrice Josse promeut par exemple la notion de « désinnovation » : il s’agit d’abandonner certaines innovations qui, par ailleurs (c’est nous qui l’ajoutons), peinent souvent à montrer un effet positif sur les publics[28]. On pourrait aussi citer le renoncement aux logiques d’exclusivité par la mise en place de la circulation d’expositions, via ce qu’on pourrait appeler la « coprogrammation », c’est-à-dire le fait de programmer dans plusieurs institutions une exposition, afin d’allonger sa durée de vie et de la diffuser mieux dans le territoire (et donc baisser les mobilités des publics[29]). On peut citer également le renoncement à la course à la fréquentation. L’abandon de certains financements du privé (des mécènes pollueurs adeptes d’artwashing[30]) est un sujet aussi important qu’épineux. Enfin, un ralentissement important, marquant, des activités (mais sans baisse de personnel) aurait aussi un impact sur le bien-être des personnels et des publics.

Ce qu’il reste à faire

On sait donc ce qu’il faut faire. Muni de ces outils, en toute logique, en quelques années, ce secteur devrait baisser drastiquement son atteinte à l’environnement et même participer à la transition écologique et sociale en créant, diffusant ou renforçant des imaginaires qui valorisent le respect du Vivant. Combien d’institutions ont effectivement pris ce chemin ?

En l’absence d’une étude quantitative sur le sujet, il est difficile d’estimer l’état d’avancement des institutions. En France par exemple, les « petits gestes » sont anciens, mais les actions d’ampleur sont plus récentes : le Louvre a été le premier musée à créer le poste de chargé de développement durable en 2011. Dernièrement, plusieurs musées comme le musée du Quai Branly ont signé la charte de Développement durable des Établissements et Entreprises publics ou se sont engagés dans un processus de labellisation européenne, et des musées plus petits écrivent leur propre charte. Autres exemples : Paris Musées réutilise désormais « entre 60 et 95% du matériel de ses expositions[31] » et le musée des Beaux-Arts de Lille est passé de deux expositions par an à une tous les deux ans, avec des éléments de scénographie réutilisés à 70% grâce à une ressourcerie. Au Palais de Tokyo enfin, on ne climatise plus les salles du rez-de-chaussée, situées sous des verrières : on les ferme une partie de l’été pour cause de fortes chaleurs et les expositions descendent au sous-sol. Les plus grands musées du monde réalisent et publient leur bilan carbone. Passées une certaine taille, toutes les institutions comptent désormais, dans leur équipe, des responsables RSE-RSO, voire des départements entiers dédiés à l’écoresponsabilité (même si le personnel éprouve parfois des difficultés à se former). À un autre niveau, le Conseil international des musées (Icom) propose des séminaires sur la durabilité (par exemple sur l’épineuse question des normes de conservation).

Les actions des musées semblent s’accélérer depuis la crise sanitaire et, dernièrement, face aux alertes qui se multiplient (crise énergétique, interpellations directes du monde de l’art, activistes écologistes exaspérés…). Si le sujet semble donc pris en charge par les plus grandes institutions, souvent avec sincérité dans la démarche, on observe néanmoins que 1) rares sont celles qui bouleversent leur façon de faire et vont jusqu’à des mesures offensives ou défensives : la plupart, par exemple, n’abandonnent pas les expositions temporaires internationales ; et 2) ce n’est pas encore le cas de tous les musées du monde et spécifiquement pas des structures plus petites ou moins visibles. Comment peut-on l’expliquer ?

3. Les principaux freins à l’action

En dehors du secteur culturel, Aurélien Barrau, sommé de répondre à la question « pourquoi ne fait-on rien[32] ? », cite différents blocages à l’action : la mécompréhension de la situation, le fait que les pouvoirs publics donnent l’illusion d’une transition qui n’existe pas, la bêtise de certains médias, le fait qu’il soit plus confortable de s’enfermer dans la négation, les échelles de temps géologiques qui ne coïncident pas avec le calendrier politique, le fait que nous ayons développé des dépendances qui échappent à notre contrôle, etc. Il est vraisemblable que ces freins expliquent aussi ceux du secteur culturel et spécifiquement du secteur de l’exposition. Mais dans ce dernier secteur, y aurait-il des freins plus spécifiques ? Nous pensons que oui, d’après les échanges formels et informels que nous avons eus avec ses acteurs. Il faudrait évidemment le vérifier scientifiquement pour affirmer et quantifier ces tendances : les pistes qui suivent sont issues d’une pré-étude sur le sujet.

Il existe d’abord des difficultés liées à des règles établies, nationales ou internationales, non compatibles avec les recommandations connues. C’est le cas par exemple des conditions de conservation (température et hygrométrie), de transport (conditionnement et convoiement) ou même de prêt des œuvres (certaines ne sont pas empruntables plus de 3 mois). Même si elles sont actuellement discutées, ces normes ne changent pas aussi vite que nécessaire[33].

L’idée selon laquelle ce n’est pas au secteur culturel de fournir des efforts, mais bien d’abord aux secteurs de l’industrie ou de l’agriculture, par exemple, est répandue dans le secteur culturel. Elle est d’ailleurs reliée à la suivante : on demande toujours beaucoup au secteur culturel et au musée. Comme en témoignent les différentes définitions dont il fut l’objet au cours de ce dernier siècle[34], ses missions ont évolué considérablement et ce qu’on attend de lui semble parfois extrêmement ambitieux. Les adaptations à faire pour une transition représentent encore une nouvelle série de bouleversements dont on peut comprendre qu’ils soient difficiles à mettre en place, surtout au vu de leur ampleur.

Très directement en lien avec cette (r)évolution du musée et la multiplication des missions qu’on lui impute, le manque de temps et de personnel est un frein puissant à l’enclenchement d’une transition du musée. Dans les petites et moyennes structures, un poste est rarement dédié à la transition et, même si c’est le cas, il est difficile de former l’ensemble du personnel…. déjà sous pression et débordé par son travail quotidien. Par ailleurs, engager un musée dans la transition suppose non seulement de mettre en place des « petits gestes » liés au tri ou à l’énergie, mais surtout un changement profond de politique au sein de l’institution. Le travail à réaliser à tous les niveaux et dans tous les métiers est donc considérable.

La transition est aussi parfois vue comme un « prétexte » pour justifier une politique d’économie. C’est le cas par exemple dans le spectacle vivant, qui craint un soutien moindre aux artistes avec l’argument (néanmoins bien réel) d’une surproduction. Dans le secteur de l’exposition, l’augmentation des jours de fermeture, la baisse des budgets pourraient également être en réalité des « prétextes » pour réaliser des économies.

Le manque d’informations ou de connaissances, également, est flagrant au sein du secteur culturel et de l’exposition. Les professionnels de la culture sont, certes, sensibles aux problématiques environnementales, mais en méconnaissent les enjeux : près de 88 % des professionnels et étudiants interrogés n’ont reçu aucune formation initiale ou continue aux « enjeux énergie-climat », même si 88 % des mêmes interrogés souhaitent être formés à ces enjeux[35].

Ce manque de formation pourrait d’ailleurs expliquer un sentiment d’impuissance, notamment face à l’enjeu majeur de la mobilité des publics. Ainsi, le bilan carbone d’un ensemble de grands musées indiquait en 2016 dans son introduction : « bien que les émissions de GES liées aux visiteurs aient été calculées, il a été choisi de prendre un périmètre d’analyse restreint ne prenant pas en compte ces émissions sur lesquelles il est difficile voire impossible d’agir. » (nous soulignons). Évidemment, il existe de nombreux leviers pour jouer sur la mobilité des publics et les institutions doivent prendre leur part de responsabilité dans ce problème. Toujours est-il que ce sentiment est un frein puissant.

Les institutions culturelles et notamment les musées sont aussi soumis à des injonctions contradictoires de la part des pouvoirs publics. Ils sont encouragés à opérer une transition écologique, mais aussi à l’innovation numérique, à la visibilité du territoire qui les finance, avec toujours plus d’événements, de communication, d’animations et d’expositions temporaires… Notons au passage que les injonctions contradictoires ont ceci de pervers qu’elles font reposer la responsabilité sur les destinataires de l’injonction (ce ne sont pas des ordres) et que, leur réalisation étant impossible, elles mènent à l’inconfort de ces derniers[36].

Enfin, les musées et expositions subissent aussi des pressions externes avec le désinvestissement des financements publics et l’augmentation de la part des financements privés. Or, il est difficile d’inclure, par exemple, dans une exposition sur l’espace financée par de grandes agences spatiales européennes, un discours scientifique sur les risques écologiques des voyages sur Mars…

On pourrait continuer à énumérer d’autres freins qui entravent une réelle et rapide transition du secteur. Mais, à ce niveau, nous retiendrons que :

1) la relative lenteur de la transition dans le secteur de l’exposition est le fruit de multiples freins : une action sur plusieurs plans, plusieurs échelles et avec plusieurs méthodes, auprès de plusieurs acteurs, est donc nécessaire.

2) On ne se forme pas parce qu’on n’est pas informé ; on n’est pas informé parce qu’on n’a pas le temps de se tenir informé ; on n’a pas le temps parce qu’on est tenu de travailler de plus en plus vite et de « produire » de plus en plus (notamment de plus en plus d’expositions temporaires), etc. – il semble évident que l’état d’épuisement du secteur (et de ses acteurs) ne constitue pas un terreau fertile à la réflexion et à l’action.

3) On l’a vu : même si des freins exogènes existent et sont puissants (injonctions, manque de temps et de personnel, manque de formations, rapports de force avec les financeurs, etc.), il existe aussi de nombreux freins endogènes, liés au ressenti ou aux représentations des professionnels eux-mêmes (peur du changement, méconnaissance des enjeux, etc.).

Pour toutes ces raisons, la transition écologique et sociale ne peut pas se décider : elle doit s’accompagner. Plus exactement, on peut décider de mettre en place des « petits gestes » techniques, mais qui ont peu d’impact réel sur le bilan environnemental de l’institution. Mais la mise en place de véritables mesures ayant des effets importants et à long terme (« offensives » et « défensives ») requiert un bouleversement des valeurs, de l’ethos professionnel et des « repères », et donc, une véritable transformation axiologique, c’est-à-dire une transformation des valeurs sociologiques et morales, qui sous-tendent les discours et les actions.

C’est une « révolution du désir » qu’il faut opérer selon Aurélien Barrau[37], au sens deleuzien, « c’est-à-dire en tant que valeur propre et non comme simple mode d’accès au plaisir ». La question de la coopération avec les autres institutions par exemple suppose un changement complet de praxis professionnelle et de mentalité. Un long travail autour des croyances est donc à opérer, à l’heure où on demande aux formations professionnelles des connaissances de plus en plus directement « applicables » et « pratiques ».

La notion de « permaculture institutionnelle », inventée au palais de Tokyo[38] et ensuite largement reprise par d’autres institutions, soutient, en partie au moins, cette idée de changement total de valeurs. Guillaume Désanges la définit comme une philosophie qui s’élabore dans le temps long, censée déboucher sur un changement institutionnel, qui envisage « des modes de pensées plus globaux, des perspectives plus longues, des philosophies de travail ». Elle repose notamment sur le partage et la collaboration plutôt que la concurrence, le temps long, la recherche de la diversité artistique et surtout sur un questionnement global : pour quoi agissons-nous ? Le curateur renouerait alors avec son rôle premier de « celui qui prend soin » (curateur vient du latin curator, qui signifie « soigner », « prendre soin de »), non seulement des œuvres, mais aussi des artistes, des personnels et des publics. Repenser les missions et les fonctionnements des institutions, c’est plus qu’un ensemble de règles à établir, comme l’écrit Guillaume Désanges dans son Traité, « c’est une éthique, un esprit insufflé à l’ensemble de l’institution : de la communication au bâtiment, du management à la programmation ».

Conclusions et pistes de réflexion

Comme on le voit, la question de la transition de l’exposition dépasse de loin la seule mise en place de mesures techniques de décarbonation : le problème est plus large, les solutions plus difficiles. En somme, le tournant attendu de l’exposition questionne tout son fonctionnement actuel et notamment le modèle des grands musées qui reposent entièrement sur des expositions et des publics internationaux.

Mais, à y regarder de plus près, la transition écologique et sociale apparait aussi comme un levier pour renégocier des enjeux anciens ou plus récents, comme ceux liés à l’entrée des musées dans une logique commerciale. En d’autres termes, remettre en cause le musée ou l’exposition tels qu’ils sont aujourd’hui serait difficile sans cette urgence d’agir. Il y a donc là une « occasion » à saisir : l’exposition doit se métamorphoser si elle veut survivre à long terme.

Quelle serait alors la stratégie à mettre en place pour opérer ce changement axiologique au sein des expositions ? La transition doit être menée de façon coordonnée, sur plusieurs fronts et à plusieurs échelles du territoire et des institutions. Les outils existent. Il est nécessaire de les utiliser et d’inciter le secteur à les utiliser, notamment, on peut le penser, en encourageant les efforts des structures engagées dans la transition, par de nouveaux soutiens.

Dans le milieu de la recherche (notamment à l’Université, mais aussi au sein de structures de recherche indépendantes), il nous semble que deux mouvements pourraient être centraux dans la transition, mais restent encore à développer.

1) Il faut coordonner des recherches-actions[39] pluridisciplinaires pour montrer les effets (techniques, sociétaux, psychologiques…) des changements attendus de la transition, au sein par exemple d’une équipe mixte, pluridisciplinaire et internationale ou d’équipes locales, mais toujours en lien avec le territoire et ses acteurs. Il est nécessaire d’évaluer scientifiquement l’effet de certaines actions sur le bilan environnemental d’une institution ou sur la conservation des œuvres : l’effet du ralentissement du rythme des expositions sur les personnels et les publics, des coprogrammations sur la fréquentation ou sur la mobilité des œuvres et des publics, de la relocalisation sur la participation culturelle ou, plus globalement encore, la congruence des intérêts écologiques et des intérêts des publics, des personnels,, etc. Même si certaines de ces hypothèses étaient invalidées, il serait pertinent de connaître les effets réels de ces changements pour que les institutions choisissent ou non, mais en toute connaissance de cause, de bouleverser leurs pratiques. De même, il faut systématiser les évaluations des dispositifs dits « innovants » afin de stopper la course à l’équipement parfois sans fondement à laquelle on assiste depuis des décennies ou pour la réorienter en questionnant nos objectifs. Enfin, des critères de réussite qui supplantent la fréquentation et le succès commercial seraient encore partiellement à inventer ou du moins à renforcer.

2) Les résultats de ces recherches doivent être diffusés largement. La formation des personnels et des publics doit être renforcée par la mise en place de programmes à différentes échelles du territoire et par leur communication massive. Cette formation ne doit pas uniquement être technique (les « petits gestes » directement applicables) et ne doit surtout pas évacuer la question des valeurs. Par ailleurs, les personnes à former doivent d’abord être celles qui ont un pouvoir de décision : à l’intérieur des institutions, non pas les responsables « durabilité » mais bien celles en charge de la politique générale de l’institution ; et au sein des pouvoirs publics, les élu∙e∙s en premier lieu.

Il nous semble que ces deux actions permettraient de lever certains freins (blocages légaux, peur de la transition comme prétexte, manque d’informations / de connaissances, sentiment d’impuissance, injonctions contradictoires…). En ce sens, l’Université a un rôle important à jouer dans cette question, en partenariat avec l’exposition et ses acteurs. Encore faut-il cependant qu’elle aussi s’interroge sur les changements de valeurs qu’elle doit opérer, mais il s’agit là d’une autre histoire…

Notes

* Tous les liens URL ont été consultés en novembre 2024.

  1. Davallon J., L’exposition à l’œuvre : stratégies de communication et médiation symbolique, Paris, L’Harmattan, 1999.
  2. Gob A., Drouguet N., « Les publics des musées », Gob A., Drouguet N. (dir.), La muséologie, Paris, Armand Colin, 2021, p. 137-160.
  3. Le projet Repenser les musées au Canada s’appuie sur une enquête qui montre que les musées sont des sources d’information crédibles pour 86% des interrogé·e·s, contre 48% pour les journaux papier. Loewen C., «Reconsidering Museums», Muse, automne 2021, en ligne : https://museums.ca/site/reportsandpublications/museonline/fall2021_reconsidering_museums.
  4. Les auteurs se réfèrent ici à l’exposition « en général » et pas seulement des expositions d’art ou de science.
  5. Crenn G., Vilatte J.-C. « Introduction », Culture & Musées, n° 36, 2020, p. 15-33.
  6. Selon la définition de Philippe Marion, la médiagénie d’un sujet définit sa capacité à « se réaliser de manière optimale en choisissant le partenaire médiatique qui [lui] convient le mieux » : Marion P., « Narratologie médiatique et médiagénie des récits », Recherches en communication. Vol. 7 : Le récit médiatique, 1997, p. 61-88.
  7. Le braconnage touche des espèces sauvages, dont certaines menacées. Conséquemment, des objets de musée en ivoire ou en fourrure par exemple sont directement liés à l’écocide et à la crise environnementale.
  8. Voir par exemple : Gasc C., Serain F., « La réception d’une exposition environnementale par les adolescents », La Lettre de l’Ocim, n° 105, mai-juin 2006, p. 11-18 ; Fracchetti J., Guai P.-A., « L’influence d’une exposition environnementale sur les représentations et pratiques des visiteurs-citoyens », La Lettre de l’Ocim, n° 134, mars-avril 2011, p. 14-21, également en ligne : https://journals.openedition.org/ocim/830.
  9. Voir par exemple : Donnat O., « Démocratisation de la culture : fin… et suite ? », J.-P. Saez (dir.), Culture et société : un lien à reconstruire, Toulouse, Éd. de l’Attribut, 2008, p. 55-71.
  10. CRÉDOC, Consommation & Modes de Vie, n° 303 : Consommation durable : l’engagement de façade des classes supérieures (dossier rédigé par Sessego V., Hébel P.), mars 2019.
  11. Voir par exemple : Chaumier S., Kurzawa M. (dir.), Le musée hors les murs, Dijon, EUD ; Ocim, 2019 ; Eidelman J., Jonchery A., « Sociologie de la démocratisation des musées », Hermès, n° 61 : Les musées au prisme de la communication, 2011, p. 52-60.
  12. CRÉDOC, Consommation & Modes de Vie, n° 303 : Consommation durable : l’engagement de façade des classes supérieures (dossier rédigé par Sessego V., Hébel P.), mars 2019.
  13. Chancel L., Bothe P., Voituriez T., Climate Inequality Report 2023. Fair Taxes for a Sustainable Future in the Global South, World Inequality Lab, 2023, en ligne : https://wid.world/news-article/climate-inequality-report-2023-fair-taxes-for-a-sustainable-future-in-the-global-south/.
  14. Rapport UNESCO. Avril 2021 : Les musées dans le monde face à la pandémie de Covid-19, en ligne : https://www.icom-musees.fr/sites/default/files/2021-04/2e-rapport-unesco-musees-monde-face-pandemie-covid-19.pdf.
  15. Observatoire des métiers du numérique, de l’ingénierie, du conseil et de l’événement (OPIIEC) : Les besoins en emploi et compétences des métiers de la conception et du suivi de réalisation d’expositions culturelles en ligne : https://www.opiiec.fr/sites/default/files/inline-files/OPIIEC_Expositions%20culturelles%20Rapport%20final.pdf.
  16. Julie’s Bicycle: creative, climate, action, The Art of zero. An indicative carbon footprint of global visual arts and the transition to net zero, Avril 2021, disponible sur https://juliesbicycle.com/wp-content/uploads/2022/01/ARTOFZEROv2.pdf.
  17. Voir Les Augures, en ligne : https://lesaugures.com/.
  18. The Shift Project : Décarbonons la culture ! Dans le plan de transformation de l’économie française. Rapport final, novembre 2021, en ligne : https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2021/11/211130-TSP-PTEF-Rapport-final-Culture-v2.pdf.
  19. Jacobi D., « Exposition temporaire et accélération : la fin d’un paradigme ? », La Lettre de l’Ocim, n° 150 : Demain, les musées, 2013, en ligne : https://journals.openedition.org/ocim/1295.
  20. Voir par exemple l’enquête de Sarah Bos pour l’Humanité, en ligne : https://syndicoop.info/epuisement-professionnel-absence-de-protection-sociale-derriere-le-faste-des-musees-une-precarite-a-bas-bruit/.
  21. La CGT parlait d’une baisse de 2,4 % en moyenne des effectifs en 2011 dans le secteur des grands musées parisiens. Voir en ligne : https://www.cgt-culture.fr/wp-content/uploads/2011/12/2011-12-29_-_SNMD_-_musees_-_encore_des_records.pdf.
  22. Olivier Donnat dénonce à ce propos une « thèse illusoire » qui reposerait sur une sorte de théorie du « ruissellement » : « plus l’offre culturelle sera riche, plus elle sera partagée par tous » (Donnat O. cité par Guerrin M., « Le sociologue qui casse le moral », Le Monde, 27 octobre 2018).
  23. Culture Études, n° 2 : Cinquante ans de pratiques culturelles en France (dossier rédigé par Lombarda P., Wolf L.), 2020-2.
  24. Depuis 2022, les musées de la ville de Strasbourg sont fermés deux jours par semaine pour générer plus d’économie d’énergie.
  25. Voir par exemple : la Charte de développement durable de la filière événement, en ligne : http://www.eco-evenement.org/fr/charte-23.html ; la Charte des écomusées, en ligne : https://fems.asso.fr/wp-content/uploads/2020/08/Charte-ecomusees.pdf ; la Boîte à outils sur les pratiques muséales environnementales du comité international des Musées et Collections d’art moderne, en ligne : https://www.icom-musees.fr/actualites/cimam-boite-outils-sur-les-pratiques-museales-environnementales
  26. Cette terminologie est empruntée à The Shift Project : Décarbonons la culture ! Dans le plan de transformation de l’économie française. Rapport final, novembre 2021, en ligne : https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2021/11/211130-TSP-PTEF-Rapport-final-Culture-v2.pdf.
  27. Voir par exemple : Tronto J., « Du care », Revue du Mauss, n° 32, 2008, p. 243-265.
  28. Josse B., « Les institutions culturelles participent-elles à retarder la fin du monde ? », Intervention au cours du workshop Écoresponsabilité dans la Culture, Esch-sur-Alzette, Ministère de la Culture / KulturFabrik, 24 novembre 2022, en ligne : https://gouvernement.lu/dam-assets/documents/actualites/2022/11-novembre/28-workshop-culture/texte-beatrice-josse-esch-241122.pdf.
  29. Une plateforme visant la circulation des œuvres a été mise en place en 2023 dans le secteur des arts vivants (CooProg.eu) et, en 2024, dans le secteur des musiques actuelles. Une démarche similaire pourrait sans doute être adoptée pour certaines expositions.
  30. Ce néologisme désigne l’utilisation, par une entreprise privée, de la philanthropie et des arts pour améliorer sa réputation.
  31. Gignoux S., « Crise énergétique : les musées contraints, eux aussi, à la sobriété », La Croix, 4 octobre 2022, en ligne : https://www.la-croix.com/Culture/Crise-energetique-musees-contraints-eux-aussi-sobriete-2022-10-04-1201236099.
  32. Barrau A., « Pourquoi ne réagissons-nous pas à l’urgence climatique ? Et si nous interrogions la question ? », Univershifté, 10 septembre 2022, en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=cGn4cUc1X8o&t=0s.
  33. Pour autant, certains musées ont décidé de s’en affranchir : le musée des Beaux-Arts de Lille a fait descendre la température en hiver à 18° C dans les collections permanentes et le musée des Beaux-Arts de Dijon a pu baisser la climatisation en été dans certaines de ses salles. Ce frein n’est donc pas insurmontable.
  34. Voir par exemple : Desvallées A., Mairesse F. (dir.), Vers une redéfinition du musée ?, Paris, L’Harmattan, 2007.
  35. Réveil Culture, Étude réalisée sur 126 lieux, écoles, indépendants et acteurs institutionnels du secteur culture, en ligne : https://drive.google.com/file/d/12PdNOHS_Hh6cyKVQJdk15C92DFHel_IE/view ; Réveil Culture, Étude sur les connaissances des enjeux climatiques, en ligne : http://reveilculture.fr/?page_id=902.
  36. Voir par exemple : Bourocher J., « Injonction paradoxale », Vandevelde-Rougale A., Fugier P. (dir.), Gaulejac V. (de) (coll.), Dictionnaire de sociologie clinique, Toulouse, Érès, 2019, p. 365-367.
  37. Barrau A., Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité, Paris, Michel Lafon, 2019.
  38. Désanges G., Petit traité de permaculture institutionnelle pour un site de création contemporaine, vivant et productif, Paris, Palais de Tokyo, (n.d.), en ligne : https://palaisdetokyo.com/ressource/petit-traite-de-permaculture-institutionnelle/.
  39. Une recherche action est une recherche qui a un double objectif : « transformer la réalité (élaboration d’un outil) et produire des connaissances concernant ces transformations ». Voir Hugon M.-A., Seibel C. (dir.), Recherches impliquées, recherches action : le cas de l’éducation, actes du colloque (Paris, 22- 24 octobre 1986), Bruxelles, De Bœck Université ; Paris, Éd. universitaires, 1988, p. 13.

Pour citer cet article : Céline Schall, "L’écoresponsabilité des expositions : au-delà des mesures techniques, une révolution axiologique", exPosition, 25 novembre 2024, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles9/schall-ecoresponsabilite-expositions/%20. Consulté le 1 mai 2025.