L’art du savoir. Manuscrits médiévaux de Clairvaux à Montpellier (Bibliothèque universitaire de médecine, Montpellier, 2015)

par Hélène Chancé

 

Hélène Chancé est titulaire d’un Master II Mondes Médiévaux, spécialité Recherche, de l’université Paul-Valéry de Montpellier. Le sujet principal de ses études porte sur des manuscrits médiévaux conservés à Montpellier et dans la région. Une publication de ses recherches sur le Psautier dit de Gellone (ms. 1), conservé au musée Médard de Lunel, paraîtra dans le prochain numéro de la Revue d’Auvergne. —

 

La bibliothèque de Clairvaux est considérée comme l’une des plus belles et des plus riches de l’Occident chrétien[1]. À l’occasion de la célébration des 900 ans de la fondation de l’abbaye de Clairvaux par saint Bernard, la bibliothèque interuniversitaire de la faculté de Montpellier a ainsi présenté, lors d’une exposition qui s’est tenue dans ses locaux, 31 des 72 manuscrits médiévaux en sa possession provenant de Clairvaux. Cette dernière, qui a eu lieu à l’automne 2015, a été organisée par Pascaline Todeschini et Hélène Lorblanchet, conservatrices au service Patrimoine écrit et graphique de la bibliothèque[2].

L’exposition de ces ouvrages était concomitante de la grande campagne de numérisation engagée par la médiathèque du Grand Troyes concernant les manuscrits de Clairvaux[3], qui a englobé le fonds de la bibliothèque de Médecine de Montpellier. Parallèlement à ce projet, la direction des Archives et du patrimoine du département de l’Aube a organisé à l’Hôtel-Dieu-le-Comte de Troyes une importante exposition intitulée Clairvaux. L’aventure cistercienne[4]. La bibliothèque virtuelle de Clairvaux rassemble aujourd’hui un fonds de plus de 1150 ouvrages numérisés, accessibles au grand public via le site internet créé à cet effet[5]. De même, la bibliothèque de Médecine de Montpellier a choisi de numériser elle-même ses manuscrits médiévaux et de créer un site internet qui leur est dédié nommé Foli@[6]. Il convient de souligner l’important travail de restauration et de numérisation qui a été effectué en amont de l’exposition. Il permet, en effet, aux chercheurs actuels, mais aussi au public, de consulter librement et avec une grande qualité de reproduction ces nombreux ouvrages. L’exposition L’art du savoir. Manuscrits médiévaux de Clairvaux à Montpellier s’inscrit dans cette dynamique de mise en valeur du patrimoine et de sa diffusion à grande échelle.

Comme l’historien médiéviste André Vauchez l’a fait remarquer, commémorer les 900 ans de l’abbaye de Clairvaux a permis à de nombreux chercheurs et spécialistes de se réunir pour faire le point sur les connaissances inhérentes à ce lieu, depuis sa création au XIIe siècle jusqu’à la Révolution[7]. Ce n’est que depuis une quarantaine d’années que l’histoire de l’abbaye est plus largement étudiée, les renseignements concernant ses différentes étapes de constitution, notamment sur celles de sa bibliothèque, sont plus clairs aujourd’hui[8]. En outre, il semble que celle-ci ait été constituée suivant un « esprit cistercien[9]», c’est-à-dire vivement attaché à l’écrit, tant du point de vue du fond que de la forme. L’originalité de l’exposition montpelliéraine, contrairement à celle de Troyes qui dévoilait les multiples facettes historiques, économiques et liturgiques de l’abbaye, réside dans la présentation exclusive du patrimoine écrit de Clairvaux, exposant les ouvrages médiévaux les plus représentatifs de la collection que Pierre Gandil, conservateur à la médiathèque du Grand Troyes, divise en quatre phases d’enrichissement entre le XIIe siècle et la Révolution[10].

Comment valoriser ce patrimoine écrit ? Quels choix ont été faits par l’équipe curatoriale montpelliéraine ? Nous verrons tout d’abord que le choix du lieu avait, pour cette exposition, une signification non négligeable ; nous nous intéresserons ensuite aux outils de médiation mis en place.

Le reflet de l’esprit claravallien médiéval

La richesse de la bibliothèque de Clairvaux à Montpellier

Le fonds de la bibliothèque de Médecine de Montpellier renferme de précieux manuscrits, incunables et imprimés rassemblés au début du XIXe siècle grâce à Gabriel Prunelle et Jean-Antoine Chaptal[11]. Ce dernier, professeur à l’école de Médecine de Montpellier, a chargé Gabriel Prunelle, alors jeune médecin bibliophile, de collecter entre 1801 et 1806, dans les nombreux dépôts littéraires des bibliothèques confisquées pendant la Révolution, tous les ouvrages utiles à leurs études. Ainsi, ce dernier rapatria à Montpellier plusieurs ouvrages, dont les 72 manuscrits médiévaux, issus de l’abbaye cistercienne, également saisis. Gabriel Prunelle, fervent humaniste et héritier des idées des Lumières, entretenait un lien très fort avec l’écrit et mesurait l’importance d’un « accès à toutes les facettes du savoir humain[12] ». Les étudiants en médecine ne devaient pas seulement se contenter d’apprendre leurs planches anatomiques, mais devaient également avoir une ouverture plus globale sur le monde et donc élargir leur éventail de connaissances à d’autres disciplines. Gabriel Prunelle veilla donc à choisir des ouvrages témoignant de cette approche globale de « l’art du savoir » où l’attention était portée sur la diversité des manuscrits médiévaux sélectionnés. Les ouvrages ainsi récupérés passèrent d’une dimension religieuse à un univers médical et scientifique.

À la fin du XIIe siècle l’abbaye de Clairvaux comptait déjà 350 manuscrits et était considérée comme une des bibliothèques les plus riches de l’Occident. L’œuvre maîtresse était la Grande Bible de Clairvaux réalisée autour de 1160 en six tomes par un copiste à l’origine également du grand Légendier de Clairvaux[13]. Un exemplaire de ce dernier ainsi qu’une annexe étaient observables à l’exposition de Montpellier. Ses dimensions imposantes et la qualité d’exécution des initiales donnaient un aperçu du savoir-faire du scriptorium abbatial, appliquant alors le « style monochrome ». Montpellier possède dans sa collection six des huit tomes subsistant aujourd’hui des dix volumes originels du Légendier. Par ailleurs, le choix a été fait d’exposer uniquement la reliure de l’annexe. Ce choix judicieux s’explique par la présence sur cette dernière d’une peau fauve mal rasée, reliure originelle de l’ouvrage. Cette pratique, en cours alors dans les monastères, est rarement observable aujourd’hui[14]. De ce fait, la première phase est surtout riche de livres respectueux de la Règle de saint Benoît et d’ouvrages patristiques réalisés par les copistes de Clairvaux eux-mêmes. Ainsi, outre le Légendier, évoquant la vie des Saints, des psautiers, missels et évangiles illustrent cette période abondamment mise en lumière par l’équipe curatoriale[15].

La culture universitaire a fait son entrée dans la collection entre le XIIIe et le XIVe siècle. Celle-ci s’enrichit d’ouvrages des disciplines relevant de la théologie, du droit canon et civil, de la médecine et des arts libéraux. Si l’activité des copistes est plus réduite à cette époque, la majorité des ouvrages acquis l’est par le biais d’achats auprès de libraires parisiens[16]. Cette période était également représentée lors de l’exposition par divers manuscrits tels que les Institutes de Justinien[17] pour le droit civil et un exemplaire des Décrétales avec leur glose de Grégoire IX[18] pour le droit canon. Ces dernières, de dimensions importantes, étaient ouvertes sur des enluminures de remarquable exécution. Enfin, les Articella[19], traitant de la médecine, ou encore un Recueil de textes philosophiques dont Aristote[20] pour les arts libéraux achevaient l’extension du savoir.

Enfin, les deux dernières phases du développement de la bibliothèque de Clairvaux s’étendent du XVe siècle à la Révolution où de nombreux volumes aux thématiques diverses ont été acquis, suivant la perspective médiévale. C’est dans ce fonds aux savoirs hétéroclites que Prunelle sélectionna les ouvrages destinés à Montpellier pour enrichir le fonds de la bibliothèque de Médecine. Fidèle à l’esprit des Lumières dans sa sélection, il suivait, aussi, les principes en vogue à la fin du Moyen Âge pour offrir à sa communauté une étendue du savoir humain la plus large possible[21].

Ainsi, les manuscrits de Clairvaux conservés à Montpellier et exposés lors de cet événement illustraient, par leur diversité et leur richesse d’exécution, une même volonté de l’abbaye médiévale et de Prunelle, quelques siècles plus tard, de posséder une bibliothèque fournissant une pluralité choisie de connaissances. Pour cette raison, il n’était pas anodin que l’exposition de ces manuscrits ait lieu dans les murs mêmes de la faculté de Médecine, et non dans un lieu plus neutre : ce choix mettait judicieusement en lumière une partie importante de leur histoire.

Un espace historique et atypique difficile à appréhender

L’entrée de l’exposition était indiquée depuis le hall de la faculté de Médecine par un système de fléchage, amenant à emprunter quelques volées d’escaliers, donnant accès à une cour intérieure. Celle-ci offrait une belle vue sur la cathédrale Saint-Pierre, laquelle jouxte le bâtiment. Les manuscrits prenaient place dans une vaste salle nommée Technè Makrè, expression tirée de la première phrase des Aphorismes d’Hippocrate (460-v. 377 av. J.-C.)[22]. Elle se subdivisait en trois espaces de même ampleur communiquant entre eux.

L’accès principal de l’exposition s’effectuait par la salle médiane. Ce choix quelque peu déroutant aurait pu être anodin si des informations sur le sens de la visite avaient été prévues et disponibles immédiatement. Ce flottement a d’emblée créé une hésitation dans les déplacements des visiteurs. De plus, une grande table était placée face à l’entrée, où étaient disposés des catalogues d’exposition et autres documents d’information, ce qui encombrait l’espace et impliquait d’être contournée, parfois avec maladresse. En revanche, sur place, se trouvaient des médiateurs compétents, chargés de renseigner les visiteurs sur la compréhension de l’agencement des manuscrits dans l’espace d’exposition. Leur disponibilité, ainsi que leur connaissance de l’histoire des lieux et des manuscrits présentés représentaient une réelle valeur ajoutée.

Les manuscrits de Clairvaux étaient répartis et exposés thématiquement dans les différentes salles. Ce choix scénographique répondait à l’intitulé de l’exposition L’art du savoir, éclairage apporté lorsqu’on assistait à une des visites guidées proposées. Ainsi, le sens de la visite constituait un clin d’œil judicieux à la volonté de Prunelle de créer une bibliothèque à la faculté de Médecine mettant en scène un large éventail du savoir.

La première salle était dédiée à la liturgie et aux manuscrits religieux. On pouvait y admirer, par exemple, l’imposant Légendier de Clairvaux[23] ou encore un Psautier glosé[24] de la première moitié du XIIe siècle. La deuxième s’apparentait à une pièce de transition entre les différentes thématiques, présentant la numérisation et la restauration des manuscrits. On y trouvait également des manuscrits de droit, comme les Institutes de Justinien du XIVe siècle[25], et des manuscrits d’histoire, comme La vie des douze Césars de Suétone du XIIe siècle[26]. Enfin, le dernier espace rassemblait des ouvrages relatifs à la rhétorique, à la philosophie ou encore à l’histoire comme le Recueil de traités d’Aristote et d’Averroès de 1321[27] et les Discours et lettres de Cicéron du XVe siècle[28], sans oublier le fameux exemplaire de Perceval de Chrétien de Troyes, ouvert sur une des miniatures l’illustrant[29]. Cette disposition permettait de montrer la richesse de la collection des manuscrits contenus dans le fonds de la bibliothèque de Médecine de Montpellier et de rappeler que les manuscrits médiévaux, en général et à Clairvaux en particulier, n’étaient pas exclusivement religieux.

Le parti pris muséographique

La mise en scène et l’ambiance paisible des salles ont favorisé l’observation attentive des manuscrits. Les grands murs de pierre du bâtiment historique de la faculté de Médecine ont permis de renforcer cette impression patrimoniale et d’intimité engagée avec les ouvrages. Ce sentiment était exacerbé par la présence de nombreux manuscrits et imprimés qui, réunis par Prunelle et Chaptal, sillonnaient les murs derrière les vitrines d’armoires en bois vernis.

D’autres manuscrits étaient disposés sur d’imposants buffets en bois et protégés par de larges vitrines. L’espace de circulation fluctuant selon les salles ne permettait pas toujours d’appréhender facilement l’ensemble des ouvrages. En effet, si l’espace situé à gauche en entrant, destiné aux livres liturgiques, était spacieux et laissait place à la déambulation, celui situé à droite de l’entrée, contenant entre autres des manuscrits philosophiques, devenait vite très étroit et peu commode lorsqu’on était amené à croiser d’autres visiteurs. En cela, la topographie des lieux était très changeante et imposait une disposition adaptée. Certains manuscrits, notamment les plus connus, ont pu en bénéficier et être agréablement mis en valeur, comme le Perceval de Chrétien de Troyes, isolé et sous une niche éclairée. D’autres ont pâti de la disposition des lieux et du manque d’espace : c’était le cas, par exemple, de l’exemplaire de l’Expositio super psalmos[30] de Pierre Lombard du XIIIe siècle. La taille importante de l’ouvrage n’offrait, en effet, que peu d’alternatives quant à sa disposition au sein de l’exposition. De plus, le support surélevé qui l’accueillait empêchait certains visiteurs de pouvoir l’observer convenablement. Malheureusement, en plus d’être en retrait, celui-ci n’était éclairé que par un spot au plafond qui n’était pas assez puissant pour l’extirper de la pénombre.

Ainsi, le choix du bâtiment historique de la faculté de Médecine de Montpellier est une valeur ajoutée dans l’appréhension patrimoniale de l’exposition. En effet, les locaux actuels sont ceux de l’ancien évêché et une des salles de l’exposition en était le réfectoire[31]. Cette disposition mettait en exergue la préciosité des manuscrits, leur offrant des locaux in situ, frais et peu éclairés. Néanmoins, cet agencement s’est souvent avéré problématique. Les proportions inégales des salles entre elles et leur accès par la pièce centrale sans indication sur le sens de la visite pouvaient déconcerter le visiteur. Comme malheureusement dans de trop nombreuses expositions – ce qui n’est pas une excuse en soi – aucun accès aux personnes à mobilité réduite n’avait été prévu. La faible luminosité ne permettait pas non plus aux personnes malvoyantes de profiter dans de bonnes conditions des ouvrages présentés. Enfin, si la visite était aisée lors de périodes de faible affluence, dans le cas contraire les locaux devenaient très vite encombrés et la circulation autour des manuscrits alors pénible.

L’investissement et l’engagement de la faculté de Médecine

Une transmission pédagogique du savoir

Concernant les renseignements donnés au public, de nombreux affichages et pancartes scandaient les trois espaces d’exposition. Ces outils de médiation informaient les visiteurs sur l’histoire de l’abbaye de Clairvaux, le rôle de saint Bernard, les collections de la bibliothèque de Médecine de Montpellier, les célèbres initiales dites de Clairvaux ou encore sur les étapes de la fabrication d’un manuscrit. En plus d’être concis et bien présentés à des endroits clefs de l’exposition, ils étaient lisibles et accompagnés de nombreuses illustrations attirant l’œil. En ce sens, l’exposition a réellement fait preuve d’une volonté d’accueillir et d’attirer les visiteurs en leur fournissant les outils nécessaires à la compréhension des ouvrages. Les cartels des manuscrits étaient écrits avec une police suffisamment grande et de couleur noire sur un papier rectangulaire blanc, rendant leur appréhension et leur compréhension directe et d’une lecture aisée.

Un espace de l’exposition a été réservé à la reliure médiévale, expliquant l’évolution de celle-ci au cours des siècles grâce à un schéma numéroté. Celui-ci permettait de suivre pas à pas les indications et de comprendre la structure des reliures, tout en observant les différents mécanismes de restauration et de conservation adaptés à chacune. En outre, le visiteur pouvait en apprendre davantage sur ces processus en visualisant le diaporama prévu à cet effet dans la salle d’entrée de l’exposition. Des textes informatifs assez techniques, écrits au format A4, étaient disposés sur des supports en plastique rigides et permettaient de prendre connaissance des divers traitements de conservation directement administrés par l’atelier de restauration. Ceux-ci visaient le ralentissement des dégradations et la stabilisation des états de conservation. Leur lecture était abordable, pour un public toutefois averti, et était accompagnée d’une maquette d’un petit livre et de différents types de supports, tels que le papier japonais, le parchemin, la peau mégissée et le cuir (de veau brun), matières qui pouvaient d’ailleurs être touchées. Il s’agissait d’un aspect indispensable à l’appréhension et à la compréhension plus approfondie de la théorie lue précédemment dans les textes. Cette initiative est à saluer et devrait, sans doute, être plus systématique, car permettre au visiteur d’établir un contact avec les matériaux qu’il n’a pas l’occasion de toucher pour des raisons évidentes de conservation des ouvrages et manuscrits, c’est l’amener à comprendre davantage ce qu’il voit.

Les dimensions didactique et pédagogique

Le public était également invité à en apprendre davantage sur ces manuscrits grâce à différents outils pédagogiques. En effet, il ne s’agissait pas simplement de se promener entre les manuscrits et de les regarder un à un, mais de lire et d’observer également les éléments disposés autour de ces derniers. Par exemple, le manuscrit de Suétone sur La vie des douze Césars du XIIe siècle[32] était accompagné d’un fragment d’hématite, à l’origine de l’ocre rouge. De la cochenille noire – pigment accompagné d’un petit cartel anecdotique, expliquant que le rouge de cochenille est toujours utilisé aujourd’hui comme colorant alimentaire sous la désignation E120 – se trouvait à côté d’un ouvrage de saint Bernard, Fleurs, de la fin du XIIIe siècle[33]. D’autres cartels explicatifs traitaient de sujets relatifs à la fabrication du manuscrit, tels que la réglure et la piqûre. L’explication concernant la pose de la feuille d’or, avec le matériel adéquat autour, se trouvait à côté du Missale præcipuorum festorum[34] daté du XIVe siècle, ouvert sur des dorures afin de relier la théorie à la pratique. L’exemple du Psautier glosé de la première moitié du XIIe siècle[35] illustre d’autant plus ce point qu’il était accompagné d’une reproduction partielle de la lettrine du Beatus Vir, illustrant le premier psaume, réalisée par Aline Bonafoux, artiste spécialisée dans l’enluminure médiévale[36]. Un encart explicatif accompagnait le dessin dans lequel elle détaillait la technique employée par l’enlumineur ainsi qu’une décomposition étape par étape de son travail.

Le grand soin apporté aux manuscrits

Afin de permettre aux ouvrages présentés d’être exposés dans les meilleures conditions, la participation de l’atelier de restauration des bibliothèques interuniversitaires de Montpellier, dirigé par Anne-Sophie Gagnal, a été nécessaire[37]. Chaque manuscrit a bénéficié d’un traitement individuel prenant en considération son état de conservation actuel. Lors des restaurations, certains manuscrits ont même vu leur reliure remplacée par une nouvelle, plus adaptée à leur pérennisation[38]. C’est l’important travail qui a été réalisé en amont de l’exposition, dans le cadre de la grande opération de numérisation des manuscrits de Clairvaux qui a, en définitive, permis au public de voir ces ouvrages.

L’atelier de restauration a également créé un support personnalisé pour chaque manuscrit exposé, répondant à leur taille, fragilité ou encore à leur angle d’ouverture, afin de ne leur imposer aucune contrainte à cause de leur ouverture prolongée durant l’exposition. Divers matériaux, comme la mousse ou le carton, ont été utilisés en ce sens afin de pallier de potentielles détériorations supplémentaires. Cette attention offre un juste milieu entre la préservation du patrimoine et un accès agréable aux richesses contenues à l’intérieur pour le public. Le système d’éclairage de l’ensemble des manuscrits présentés a été judicieusement pensé. Des lampes spéciales, ne diffusant pas de chaleur et ayant un rayonnement lumineux moins agressif pour le parchemin, ont été utilisées. La lumière, ainsi diffusée directement de l’intérieur de la vitrine, pour la plupart des ouvrages, sur les feuillets et autres éléments exposés, les mettait particulièrement en valeur. Ce système permettait l’absence de reflets parasites sur la vitrine. Enfin, l’hygrométrie et la température ont également été réglées de manière particulière, afin de prémunir au maximum les parchemins et autres matériaux de potentielles dégradations supplémentaires. Une fois la journée terminée, les vitrines étaient par ailleurs recouvertes de larges tissus les protégeant des derniers rayons lumineux, eux-mêmes déjà partiellement occultés. 

Les suppléments proposés

À la suite de sa visite, chaque personne pouvait faire l’acquisition du catalogue de l’exposition. Celui-ci est d’un format très accessible et agréable, au modeste prix de huit euros pour 81 pages. Le contenu est majoritairement axé sur l’histoire de la bibliothèque de Médecine et sur le colossal travail de numérisation et de restauration mis en place sur un court laps de temps. Seulement deux articles concernent l’étude spécifique de manuscrits[39]. Si l’effort de publication par la faculté de Médecine d’un catalogue d’exposition est à souligner, on peut regretter, en particulier pour les historiens de l’art, les représentations de petite taille liées en partie au format de l’ouvrage. Toutefois l’accès en ligne à Foli@ permet à quiconque de pouvoir visualiser les manuscrits exposés et de les télécharger afin d’en apprécier les détails. Si les notices des 31 manuscrits exposés restent succinctes, leur contenu n’en est pas moins essentiel et illustré.

L’exposition ouvrait également sur la possibilité de s’inscrire à des ateliers d’initiation à l’enluminure qui étaient animés par des intervenants des Archives départementales de l’Hérault. Cette animation offrait l’opportunité de se familiariser avec l’histoire des supports d’écriture, la calligraphie et de réaliser sa propre enluminure. On pouvait aussi assister à une démonstration d’enluminure par Aline Bonafoux. Des visites guidées étaient organisées pour les visiteurs ainsi que pour les groupes scolaires. Les enseignants avaient à leur disposition un dossier pédagogique d’une vingtaine de pages, replaçant les manuscrits de Clairvaux dans leur contexte historique et artistique.

En définitive, l’exposition organisée par la faculté de Médecine de Montpellier s’avère avoir été captivante et judicieusement orchestrée compte tenu de l’espace disponible. Un grand travail préparatoire et respectueux des manuscrits a été nécessaire, afin de pouvoir les exposer. L’investissement, ainsi que les opérations culturelles annexes mises en place constituent une valeur ajoutée à souligner. L’exposition L’art du savoir. Manuscrits médiévaux de Clairvaux à Montpellier répond bien à son titre en proposant au visiteur un panel de la diversité des ouvrages médiévaux du fonds ancien de la bibliothèque de Médecine. L’omniprésence des outils de médiation et des médiateurs dans les salles a permis de profiter d’une visite interactive, où chacun a pu être amené à découvrir le monde matériel des copistes et des enlumineurs au Moyen Âge. De plus, le choix de la faculté de Médecine comme lieu d’exposition a permis de mettre en valeur son riche passé historique. Grâce à cet événement, Montpellier manifeste son implication dans les diverses manifestations culturelles qui ont été organisées en 2015 pour célébrer le neuvième centenaire de la fondation de l’abbaye de Clairvaux.

 

Notes

[1] En outre, cette bibliothèque n’a eu de cesse d’évoluer et de s’enrichir jusqu’à la Révolution. Stutzmann D., « Clairvaux et l’écrit », Clairvaux. L’aventure cistercienne, cat. exp., Troyes, Hôtel-Dieu-le-Comte, 2015, pp. 199-205 ; Gandil P., « La bibliothèque de Clairvaux, du XIIe siècle à la Révolution française », L’art du savoir. Manuscrits médiévaux de Clairvaux à Montpellier, cat. exp., Montpellier, Bibliothèque universitaire de Médecine de Montpellier, 2015, p. 7-17.

[2] Plusieurs communications ont été faites afin d’annoncer et de revaloriser cette exposition localement. Une journée d’études consacrée aux manuscrits de Clairvaux a été organisée par le centre d’Études médiévales de Montpellier (CEMM-EA 4583) de l’université Paul-Valéry de Montpellier le 3 octobre 2015 sur le site de Saint-Charles. Elle s’est clôturée par une visite guidée de l’exposition par Pascaline Todeschini, laquelle n’a pas manqué de créer une continuité entre les ouvrages exposés et les communications des intervenants.

[3] À noter que la bibliothèque médiévale de Clairvaux est classée au titre de la « Mémoire du monde » par l’UNESCO depuis 2009.

[4] Plusieurs ouvrages ont été publiés à la suite de cette exposition, qui eut lieu entre le 5 et le 15 novembre 2015, notamment : Clairvaux. L’aventure cistercienne, cat. exp., Troyes, Hôtel-Dieu-le-Comte, 2015 ; ou encore une bande-dessinée : Convard D., Adam É., Béchu D., L’abbaye de Clairvaux. Le corps et l’âme, Grenoble, Glénat, 2015.

[5] Voir le site internet www.bibliotheque-virtuelle-clairvaux.com, qui, depuis le 19 juin 2015, donne accès à plus de 1150 manuscrits numérisés en ligne, soit 500 000 pages en couleur. La médiathèque du Grand Troyes dispose de près d’un millier des manuscrits de Clairvaux conservés aujourd’hui, les autres se trouvent dans les bibliothèques de France et d’Europe.

[6] Cette entreprise de numérisation a mobilisé plusieurs équipes tout au long d’une année universitaire faisant appel aux ateliers de restauration/conservation de l’université Paul-Valéry, de numérisation et au personnel du fonds de la bibliothèque de Médecine de Montpellier. L’achat au préalable d’une station de numérisation performante a permis de réaliser cette entreprise. Le site internet Foli@ est accessible via le site de la bibliothèque interuniversitaire de Montpellier : http://www.biu-montpellier.fr, onglet Patrimoine puis cliquer sur « Foli@ : collections patrimoniales numérisées de la BIU de Montpellier », puis « Manuscrits de la BU Médecine » pour y accéder. Plusieurs types de recherches sont disponibles. Il est également important de mentionner que tous les manuscrits numérisés peuvent être téléchargés en intégralité (ou à la page) et sont libres de droit pour toute réutilisation.

[7] Vauchez A., « Clairvaux, sept siècles de rayonnement », Clairvaux. L’aventure cistercienne, cat. exp., Troyes, Hôtel-Dieu-le-Comte, 2015 p. 19.

[8] Ibid, p. 19.

[9] Stutzmann, D., « Clairvaux et l’écrit», ibid., p. 199.

[10] Gandil P., « La bibliothèque de Clairvaux, du XIIe siècle à la Révolution française », L’art du savoir. Manuscrits médiévaux de Clairvaux à Montpellier, cat. exp., Montpellier, Bibliothèque universitaire de Médecine de Montpellier, 2015, p. 7.

[11] Lorblanchet H., « Le goût du savoir. Prunelle et la constitution de la bibliothèque de Médecine », ibid., p. 19-21.

[12] Ibid., p. 21-22 ; Les cisterciens eux-mêmes portaient une attention toute particulière à l’écrit et au savoir comme le montre l’article préalablement cité de Dominique Stutzmann.

[13] Médiathèque du Grand Troyes, ms. 27, Grande Bible de Clairvaux, Clairvaux vers 1160 ; Bibliothèque de Médecine de Montpellier (BMM), Latin (H1), Légendier de Clairvaux, dernier tiers du XIIe siècle, 5 vol. ; Latin (H2), Annexe du Légendier, dernier tiers du XIIe siècle.

[14] Voir au sujet des reliures velues la communication de Rémy Cordonnier lors du 25e colloque international d’art roman sur Le livre à l’époque romane à Issoire les 16, 17 et 18 octobre 2015, intitulée : « Du cerf…au bœuf, quelques observations sur les couvrures médiévales » (à paraître). Il y est question d’ouvrages issus des collections de l’abbaye de Saint-Bertin et de Clairmarais (Pas-de-Calais). Parmi les manuscrits cités, il souligne la rareté du phénomène et indique que la grande proportion de couvrures velues restantes aujourd’hui date de la fin du XIIe et du début du XIIIe siècle.

[15] La bibliothèque de Médecine de Montpellier a offert un large panel d’ouvrages liturgiques illustrant cette période, nous pouvons citer en l’occurrence : BMM, Latin (H 296), Psautier glosé, 1ère moitié du XIIe siècle ; Latin (H 155), Évangile de saint Mathieu glosé, 1ère moitié du XIIe siècle ; Latin (H 294), Recueil de textes religieux (dont les Variæ de Cassiodore – v. 490-v. 580), 1180-1200, etc.

[16] Gandil P., « La bibliothèque de Clairvaux, du XIIe siècle à la Révolution française », L’art du savoir. Manuscrits médiévaux de Clairvaux à Montpellier, cat. exp., Montpellier, Bibliothèque universitaire de Médecine de Montpellier, 2015, p. 10-11.

[17] BMM, Latin (H 8), Institutes (Justinien – 527-565), XIVe siècle.

[18] BMM, Latin (H 9), Décrétales avec leur glose, XIVe siècle.

[19] BMM, Latin (H 182), Articella, XIVe siècle ; Latin (S 27 – H 188), Articella, XIVe siècle.

[20] BMM, Latin (H 162), Recueil de textes philosophiques (dont Aristote – 384-322 av. J.-C.), XIVe siècle.

[21] Lorblanchet H., « Le goût du savoir. Prunelle et la constitution de la bibliothèque de médecine », L’art du savoir. Manuscrits médiévaux de Clairvaux à Montpellier, cat. exp., Montpellier, Bibliothèque universitaire de Médecine de Montpellier, 2015, p. 23.

[22] Le premier vers de la première section débutant comme suit : « Ὁ βίος βραχὺς, ἡ δὲ τέχνη μακρὴ, ὁ δὲ καιρὸς ὀξὺς, ἡ δὲ πεῖρα σφαλερὴ, ἡ δὲ κρίσις χαλεπή » soit « La vie est courte, l’art est long, l’occasion est prompte [à s’échapper], l’empirisme est dangereux, le raisonnement est difficile». Les Aphorismes (livres I à VII) font partie des ouvrages laissés par Hippocrate (460-v. 377 av. J.-C.), homme considéré comme le plus grand médecin de l’Antiquité et père de la médecine.

[23] BMM, Latin (H1), Légendier de Clairvaux, dernier tiers du XIIe siècle, 5 vol.

[24] BMM, Latin (H 296), Psautier glosé, 1ère moitié du XIIe siècle.

[25] BMM, Latin (H 8), Institutes (Justinien – 527-565), XIVe siècle.

[26] BMM, Latin (H 117), La vie des douze Césars (Suétone – v. 69-v. 126), XIIe siècle.

[27] BMM, Latin (H 33), Recueil de traités d’Aristote et d’Averroès (Aristote – 384-322 av. J.-C. ; Averroès – 1126-1198), 1321.

[28] BMM, Latin (H 359), Discours et lettres (Cicéron – 106-43 av. J.-C.), XVe siècle, 2 vol.

[29] BMM, Français (H 249), Perceval (Chrétien de Troyes – v. 1135-v. 1183), 1270-1280. Cet exemplaire est rare car contient Perceval et ses deux continuations, ainsi que celle de Manessier. De plus, sur les cinq manuscrits de Perceval, il est le plus richement illustré (55 miniatures dont 25 pour le texte de Perceval et 30 pour les deux continuations).

[30] BMM, Latin (H 5), Expositio super psalmos (Pierre Lombard – v. 1100-v. 1160), XIIIe siècle. Voir à son sujet : Fabre I., « Les psautiers glosés H 5 et H 296, du commentaire à la méditation en images », L’art du savoir. Manuscrits médiévaux de Clairvaux à Montpellier, cat. exp., Montpellier, Bibliothèque universitaire de Médecine de Montpellier, 2015, p. 41-55.

[31] Lorblanchet H., « Le goût du savoir. Prunelle et la constitution de la bibliothèque de médecine », L’art du savoir. Manuscrits médiévaux de Clairvaux à Montpellier, cat. exp., Montpellier, Bibliothèque universitaire de Médecine de Montpellier, 2015, p. 19. La salle correspondant au réfectoire était la plus longue et la plus étroite, accessible uniquement par des marches.

[32] BMM, Latin (H 117), La vie des douze Césars (Suétone – v. 69-v. 126), XIIe siècle.

[33] BMM, Latin (H 242), Fleurs (Bernard de Clairvaux – (v. 1090-1153), fin du XIIIe siècle.

[34] BMM, Latin (H 261), Missale præcipuorum festorum, 1350-1360.

[35] BMM, Latin (H 296), Psautier glosé, 1ère moitié du XIIe siècle, fol. 8.

[36] Aline Bonafoux pratique l’art de l’enluminure depuis 1994 et dispense son savoir au travers de divers événements et ateliers. Voir son site internet : http://www.enluminure-montpellier.fr/.

[37] Voir Todeschini P., « La numérisation des manuscrits de Clairvaux à la Bibliothèque interuniversitaire de Montpellier », L’art du savoir. Manuscrits médiévaux de Clairvaux à Montpellier, cat. exp., Montpellier, Bibliothèque universitaire de Médecine de Montpellier, 2015, p. 30 à 39. L’auteur mentionne toutes les étapes effectuées avant de numériser un ouvrage en passant par l’atelier de restauration. L’intervention d’Anne-Sophie Gagnal, en collaboration avec Pascaline Todeschini, lors de la journée d’études du CEMM EA 4583 le 3 octobre 2016, a permis également d’éclairer plusieurs points techniques concernant la préparation des manuscrits avant leur exposition et leur numérisation.

[38] Seulement quatre manuscrits ont changé de reliure, celles-ci dataient de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle et endommageaient l’ouvrage à cause de coutures trop serrées qui, par ailleurs, empêchaient également l’opération de numérisation ; voir ibid., p. 34.

[39] Voir Fabre I., « Les psautiers glosés H 5 et H 296, du commentaire à la méditation en images », L’art du savoir. Manuscrits médiévaux de Clairvaux à Montpellier, cat. exp., Montpellier, Bibliothèque universitaire de Médecine de Montpellier, 2015, p. 41-45 : la richesse de ces ouvrages et des illustrations complémentaires permettent d’apprécier leur qualité d’exécution ; Beys B., « Aristote dans les collections claravalliennes », ibid., p. 57 à 63 : cet article permet de resituer les ouvrages d’Aristote de Stagire (384-322 av. J.-C.) dans l’enseignement universitaire au Moyen Âge et la richesse des quatre exemplaires de Montpellier (H 228 ; H 33 ; H 162 et H 177) parmi les douze exemplaires de la collection de Clairvaux.

 

Pour citer cet article : Hélène Chancé, "L’art du savoir. Manuscrits médiévaux de Clairvaux à Montpellier (Bibliothèque universitaire de médecine, Montpellier, 2015)", exPosition, 26 septembre 2017, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles3/chance-manuscrits-medievaux-clairvaux-montpellier-2015/%20. Consulté le 4 décembre 2024.