Notes sur les apports écologiques d’œuvres allographiques

par Benjamin Arnault

 

Benjamin Arnault est artiste. Depuis plusieurs années, il mène une lecture critique de motifs écologiques contemporains. Privilégiant le format de la publication et la communication lors de colloques, ses travaux ont notamment été présentés à l’occasion de l’exposition Jardins au Grand Palais (2017), dans la revue Alauda du Muséum National d’Histoire Naturelle (2017). En 2021, il participe à l’exposition collective Les Écotones, Le musée des petits oiseaux au centre d’art Rurart. En 2023, il réalise une exposition personnelle au lycée où il fut lycéen (Lycée Camille Claudel, Blain, Loire-Atlantique), exposition intitulée Étude de ma relation au document naturaliste & à la chaleur.

 

« Le monde est plein d’objets, plus ou moins intéressants ; je n’ai pas envie d’en ajouter davantage. Je préfère simplement établir l’existence des choses en leur lieu et place », écrit Douglas Huebler en 1969[1]. Cette observation citée fréquemment dans les ouvrages actuels fait écho au projet de Charlotte Cosson : « Déterrer l’art conceptuel[2] ». La formule de Huebler agit tel un refrain en faveur d’une éthique de production. Selon Nicolas Bourriaud, les acteurs s’en sont emparés. « Désencombrer le monde, utiliser ce qui existe déjà, réhabiliter le déchet, recycler les rebuts, ce sont là des figures banales de l’économie de l’art contemporain, volontiers circulaire[3] », écrit-il en 2021. Son constat semble pourtant loin d’être partagé. En 2019, dans une série d’articles de presse, nombre de manquements sont pointés : course aux expositions, fret internationalisé d’objets d’art, mauvaise qualité et gaspillage des matériaux utilisés pour la scénographie, bâtiments mal isolés, budgets souvent limités, mise à l’écart des projets artistiques locaux[4]… Certains acteurs dénoncent une « hystérie[5] » d’activités. « Le secteur de l’art n’est plus dans un rôle de préfiguration du monde de demain, d’anticipation, ni d’accompagnement[6] », selon Alice Audouin, fondatrice de l’association Art of Change 21[7].

Dans un souci de valorisation des savoir-faire existants, je souhaite interroger quelles sont les dynamiques internes portées par les acteurs de l’art contemporain qui peuvent s’accorder aux nécessités écologiques. Je pense à cette tendance constatée par Nathalie Heinich, « l’allographisation[8] » des œuvres d’art contemporain. Plus particulièrement, je pense aux œuvres allographiques en elles-mêmes. L’œuvre allographique est une œuvre transmise, diffusée avec un énoncé écrit par l’artiste, afin d’être matérialisée ultérieurement par une tierce personne. Il s’agit d’une œuvre réactivable, expérimentée préalablement par l’artiste. Les énoncés des artistes conceptuels dont ceux parus dans le catalogue de Seth Siegelaub January 5-31[9] tenaient sur une feuille de papier. Sous forme d’imprimés, ils « remplaçaient » les objets. Néanmoins, au fur et à mesure de leurs diffusions, la plupart seraient devenus des « statements [écrits] sur un mur », « [rencontrant] le plus classique des arts : la peinture[10] ». Avec les prérogatives écologiques, comment les artistes s’emparent et critiquent l’héritage de l’art conceptuel ? Dans quelle mesure est-ce possible de manier autrement les outils allographiques ?

Plusieurs pratiques écologiques dont la performance, le jardinage, le livre d’artiste s’accordent a priori bien avec le « régime allographique[11] ». Heinich a pointé les accointances des pratiques artistiques contemporaines avec le régime allographique et avec le spectacle vivant[12]. Son observation se vérifie dans le choix des entrées de l’abécédaire Arts, écologies, transitions (Université de Paris 8, 2024) : « Architecture (esthétique de la transition écologique en) », « danses contemporaines », « jardin », « littérature(s) », « musique », « performance », « théâtre », telles sont quelques-unes des entrées[13]. Pour rappel, selon l’acception de Nelson Goodman, ces disciplines artistiques relèvent du régime allographique ; plusieurs d’entre elles fonctionnent avec des systèmes codifiés dont le plan, la coupe et la partition[14].

Au regard des attendus écologiques, quels sont les apports de l’énoncé[15] ? À quelles conditions peut-on parler de sauts qualitatifs avec cette catégorie d’œuvres ? À quelles échelles de production ? Les œuvres appartenant au régime allographique permettent-elles de relire voire d’enrichir les définitions des arts écologiques ?

L’énergie allographique

« Pour George Brecht, […] l’énoncé d’art permet de concentrer un maximum de vitalité dans un minimum de matière[16] ». De même, des artistes contemporains utilisent cette capacité de l’énoncé à encapsuler de l’énergie. À cette question de François Piron – « Tu vends […] des formules, des modes d’emploi, comme les artistes conceptuels ? » -, Michel Blazy lui répond par la métaphore : « Une graine peut rester un temps infini en état de dormance ; une graine de nénuphar peut rester dans cet état pendant mille ans par exemple, et j’aime cette forme d’existence minimum. Dans une bibliothèque, ma pièce tient sur une feuille mais elle peut aussi prendre un espace de 500 mètres carrés[17] », explique le sculpteur. L’énoncé, l’œuvre allographique témoignent « [de] modes de production et de diffusion destinés à des œuvres interprétables en cascade » où « tout devient fluctuant[18] ». Les énoncés sont principalement constitués de langage[19], et « le langage reste, du strict point de vue pratique, la seule matérialisation qui permette toutes les autres matérialisations[20] ». « La forme [des énoncés est] toujours commune et toujours accessible par l’utilisation du langage[21] », ce qui favorise leur appropriation et leur interprétation.

Fin 1968, Lawrence Weiner réunit tous ses statements en un seul et même livre[22], « le livre [étant l’]un des outils lui permettant de maintenir l’intégralité de son travail dans la société[23]. » En 2010, Jean-Baptiste Farkas réunit ses « services[24] » dans son ouvrage Des modes d’emploi et des passages à l’acte[25] (155 pages). Dans ce livre, les 60 services « en version longue » tiennent sur 117 pages, les 60 services « en version courte » tiennent sur 20 pages. Avec le service n° 45 intitulé Scripts : un avenir allographique !, Farkas propose de « convertir chaque œuvre d’art d’une collection en une description écrite grâce à laquelle il sera possible de la refaire sans qu’il soit nécessaire de l’avoir eue un jour sous les yeux. La collection originale devra être détruite à l’issue de quelques re-matérialisations réussies[26]. » Peu regardant quant à la préservation de la diversité des savoir-faire, cet énoncé a le mérite de nous interroger sur la légitimité des œuvres devenues objets d’art.

Quid de l’analyse du cycle de vie d’une œuvre allographique ?

Ces dernières années, quelques analyses du cycle de vie au sujet d’œuvres ont été diffusées auprès du grand public, dont celle d’Ice Watch (Ólafur Elíasson, environ 40 tonnes de CO2 généré) et celle de l’œuvre d’art numérique Far Away (studio Chevalvert, environ 3 tonnes), toutes deux consultables sur internet[27]. Procéder à l’analyse du cycle de vie d’une œuvre d’art n’est pas à la portée de tout un chacun. Cette opération nécessite l’appui d’un cabinet spécialisé ; elle ne peut être réalisée par des artistes opérant seuls (à moins de se former en tant qu’ingénieur), mais par des équipes disposant de moyens suffisants, ce qui n’est pas le cas de la majeure partie des artistes contemporains. L’association Art of Change 21, « organisation internationale en faveur de l’environnement et du développement durable » a été fondée en 2014 pour « [accompagner] la transformation écologique du secteur artistique », et notamment pour « accompagner les artistes contemporains dans la réduction de leur impact environnemental[28] ». En collaboration avec Solinnen, société experte en analyse du cycle de vie et en éco-conception, une partie des activités d’Art of Change 21 est consacrée aux enjeux de l’éco-conception. Le Prix Art Éco-Conception dont la première édition a eu lieu en 2023 permet aux acteurs du secteur de se focaliser sur cet objectif – secteur de l’art contemporain où il n’y a pour l’heure « pas d’exigences réglementaires[29] ».

Dans ce contexte, la possibilité de l’œuvre allographique paraît bienvenue. Tandis qu’« une œuvre souvent exposée et transportée en camion ou avion, va engendrer du fait de son transport de l’effet de serre[30] », l’œuvre allographique permet a priori l’économie substantielle des coûts de transport et d’assurance. Un simple mail avec les instructions adressé à l’équipe, quelques échanges téléphoniques si nécessaire suffisent. En 1994, Mollet-Viéville l’expérimente avec sa proposition d’exposition Sans transport, sans assurance, sans frais, ensemble d’œuvres qu’il prête gracieusement[31]. Néanmoins, « au sein de nombreux cycles de vie de produits de consommation courante, [le transport] ne représente généralement que 10% de l’impact, nous précisent Philippe Osset, fondateur de Solinnen et Alice Audouin. Ce n’est donc que si l’on fait voyager souvent une œuvre, et loin, que son impact va significativement augmenter[32] ». Les autres volets de l’étude d’impact s’avèrent indispensables pour parvenir à un diagnostic fiable. Quid des moyens nécessaires à la fabrication de tel matériau, de l’écotoxicité ou non du matériau, etc. ?

Idée-temps-information n° 1 : « Après avoir mangé un fruit, gardez les pépins et plantez-les. Quand les pépins ont donné des fruits, cueillez-en un et mangez-le. Notez avec précision la durée entre les deux fois où vous les avez mangés[33]. »

Donald Burgy, 1969

Tournement d’une ligne (éplucher une pomme) : « Ce défi consiste à enlever la pelure en un seul morceau à l’aide d’un couteau. Un couteau très aiguisé est indispensable[34]. »

Alison Knowles, 1976

Ces deux énoncés historicisés, fruités, incitent à faire un régime allographique ! Surtout, ils sont la démonstration de la possible adéquation entre œuvre allographique et empreinte neutre (zéro carbone)[35]. Ne disposant pas des moyens, des outils pour le calcul requis, les artistes et les interprètes peuvent toutefois faire preuve de bon sens et opter pour l’activation des énoncés adéquats, ceux usant de matériaux biosourcés. Compte-tenu du coût inabordable pour beaucoup d’une analyse du cycle de vie, le maniement du procédé allographique est une solution possible pour la poursuite des projets artistiques. Dans le sillage de l’art conceptuel, un certain courant d’acteurs officie avec les formats allographiques, discrets, légers, furtifs, formats dont les créateurs peuvent s’inspirer[36].

Cependant, la légèreté de l’œuvre allographique est plus ou moins opérante. Par exemple, Éric Watier identifie « [la] logique d’instabilité de présentation[37] » chère à Weiner. Lors des expositions de statements, il y a une multiplication « [des] couleurs, [des] typographies ou [des] mises en scènes », soit « la volonté […] d’accumuler les formalisations de ses énoncés afin de prouver la faible importance formelle de ces mêmes formalisations[38] ». Et « le prêt d’un Weiner se fait seulement par la transmission du mot à produire […]. À la fin de l’exposition, il est nécessaire de s’assurer de la destruction physique de ces “traces”, afin qu’elles ne soient pas conservées. Le risque serait de leur conférer le statut de bien culturel[39] », témoigne la conservatrice-restauratrice Zoë Renaudie. Les principes de monstration de Weiner dénotent quelque peu avec la soi-disant légèreté de l’œuvre allographique. « [Le] double régime de pérennisation (la conservation d’un certain nombre de manifestations et les réitérations multiples) est courant dans les pratiques artistiques de tradition allographique[40] », constate l’historienne Anne Bénichou.

Une œuvre allographique peut également être monumentale et donc coûteuse. Des artistes parmi les plus fréquemment exposés défendent désormais un art de la partition. « Aujourd’hui je ne produis plus d’objets, explique Christian Boltanski. 90 % des choses que je fais sont détruites après l’endroit où je les ai montrées. Un peu comme des partitions musicales, on peut les refaire et les rejouer. La pièce [Personnes] a été jouée à Milan, à New York et au Japon. Naturellement, il n’y avait aucun transport, elle était refaite à chaque fois et différente à chaque fois. C’est en même temps la même œuvre et une autre œuvre. […] Tant que je suis vivant, je joue mon œuvre, mais un jour il faudra que d’autres gens jouent mon œuvre. On pourra dire “œuvre de Mr Boltanski interprétée par Mr Untel[41] ” ».

Un régime illimité !

La feuille de papier, le livre sont a priori les supports privilégiés de l’œuvre allographique, mais ils ne sont potentiellement pas les seuls.

« Le support en tant que tel est indifférent […], c’est-à-dire que l’information qu’il contient est transférable sur un autre support sans que l’information et la signification en soient affectées (si, bien évidemment son identité d’épellation est conservée intacte[42]). »

« [Le script] peut être indéfiniment redéployé ».

« [Le script] confère à l’œuvre le pouvoir d’habiter successivement (ou simultanément) plusieurs corps[43] ».

La diversification des supports, rendue possible par le régime allographique, laisse imaginer une reconduction ininterrompue des énoncés, les renaissances de l’œuvre. L’activation allographique à partir de l’énoncé-source induit également une animation des matériaux quelque peu analogue au recyclage. Cette contemporanéité interpelle : les recycleurs font revivre des matériaux et les interprètes font revivre une partition… « [Les matières premières] ont déjà eu une première vie, elles ont déjà eu une histoire […], explique Louisane Roy. Les artistes vont pouvoir sublimer cette matière première, lui donner une deuxième, une troisième, une quatrième vie, etc[44]. » Les deux activités – mise en œuvre allographique, recyclage – peuvent se rencontrer et être mutualisées à l’occasion de créations. L’extension de la durée de vie des matériaux propre au recyclage est l’occasion d’actualiser les conditions de production de l’œuvre allographique, voire de codifier l’emploi de matériaux recyclables, biodégradables, locaux, etc., et de rendre à la terre l’œuvre activée une fois l’exposition terminée. Tandis que les centres d’art font face à des difficultés de stockage d’œuvres, il devient envisageable d’engager une circularité des matériaux, recyclés au fil des activations puis destinés à d’autres usages. L’œuvre allographique demeure peu encombrante pour le centre d’art : notices de montage, fichiers numériques et précisions de l’artiste imprimés et rassemblés dans un unique classeur…

Les pratiques allographiques s’inscrivent dans une tradition depuis « l’art d’avant-garde des années soixante[45] ». Elles seraient devenues « un genre de l’art contemporain[46] ». Celles-ci incarnent la liberté pour l’auteur de l’énoncé puis les interprètes d’opérer hors-les-murs, dimension chère aux arts écologiques. Cette invitation au mouvement se déploie à plusieurs échelles, spatiales, temporelles et collectives. Les amateurs d’art peuvent s’emparer à leur tour des énoncés et participer activement à leur diffusion. L’argument de la prise de conscience des urgences écologiques par un maximum de personnes dans le cas d’Ice Watch – argument utilisé par Audouin pour défendre les choix de production d’Elíasson[47] – paraît difficilement recevable. En revanche, le mode de diffusion d’une œuvre allographique, réinterprétée, refabriquée, démultipliée, procure chez les personnes investies un contact direct avec l’œuvre.

« L’art conceptuel cristallise dans ses œuvres cette époque où le capitalisme devient libéralisme : société de services, valorisation du travail intellectuel sur les savoir-faire, sous-traitement à un tiers, délocalisation[48] », observe Cosson. Puissent les valeurs de coopération, d’entraide, de présence, de frugalité (?) suppléer les valeurs rattachées à l’art conceptuel.

Terrains allographiques et écologiques

« Récolter du pollen de noisetier et le saupoudrer soigneusement au sol pour faire un grand carré jaune de quatre mètres de côté, c’est facile. Wolfgang Laib l’a fait et tout le monde peut le refaire. »

« Dessiner une ligne droite dans de la pelouse en la piétinant, c’est facile. Richard Long l’a fait et tout le monde peut le refaire[49]. »

Éric Watier, 2015

La compatibilité renouvelée d’œuvres d’art contemporain avec le régime allographique est manifeste à la lecture du recueil de Watier Plus c’est facile, plus c’est beau : prolégomènes à la plus belle exposition du monde. Bien que ce ne soit pas son propos, plusieurs dimensions écologiques apparaissent au sein de cet ouvrage. Le lecteur est notamment invité à investir les espaces extérieurs, la campagne (Laib, Long), l’espace urbain (Holzer, Kawamata) afin de réaliser les énoncés. L’axe thématique du déchet traverse également le livre avec des œuvres d’Allan Kaprow, Genpei Akasegawa et Tony Cragg. Proposons un projet d’actualisation de ce livre : focalisé sur les dimensions écologiques, celui-ci pourrait s’intituler Plus c’est facile & léger, plus c’est beau : prolégomènes à la plus belle exposition du monde. Sur ce même principe, la nouvelle version fonctionnerait également avec des énoncés de quelques mots, ceux nécessaires à la bonne compréhension de l’œuvre. Par exemple, la plantation Noël en août/Dégustation rouge de Blazy consiste en la récupération et l’utilisation de sapins de Noël morts comme tuteurs pour des pieds de tomates[50]. Selon une diversité d’axes thématiques, nous pourrons constituer un corpus d’énoncés.

Les pratiques « arts & sciences » s’affirmant à l’heure actuelle, les activités contextuelles s’affinant, les arts écologiques s’immisçant, sans doute est-il temps de manier autrement les outils allographiques ? Les œuvres d’art écologique historiques ont été reconnues pour « [leur] position […] localiste et écocentrée », « [leur] activité écosystémique », « [leur] action de réforme au plan local[51] ». Or l’œuvre allographique est conçue pour être adaptée par l’(les) interprète(s), selon les conditions de production. « [Elle] inclut des marges d’interprétation[52] ». Elle engage « un aller-retour entre une hypothèse formulée préalablement […] et des mises en forme successives de cette hypothèse[53] ». En étant incorporée tout en faisant sienne le milieu d’accueil, l’œuvre allographique concourrait à dynamiser les activités locales et à décentraliser la diffusion des œuvres. Ses qualités hétéronomes, son devenir in situ et in socius seraient valorisés. Et la formulation même de l’énoncé évoluerait possiblement in fieri, en un texte en cours de coécriture.

Œuvres allographiques en main, il revient aux interprètes, aux acteurs institutionnels de « jouer avec l’existant », de « [sortir] du consumérisme » – au même titre que les projets conceptuels initiaux -, de se réapproprier des savoir-faire artisanaux ou technologiques, et peut-être « [d’aspirer] à une forme de décroissance[54] ». « En valorisant la pensée plus que le travail de la main, en détachant la valeur de l’œuvre de son temps de façonnage, […] en déléguant la production à un tiers, les conceptuels ont inconsciemment favorisé un système de séparation typique du capitalisme[55] », rappelle Cosson. Au contraire, en situations écologiques, il est légitime de considérer les bénéfices relationnels et physiologiques des processus allographiques pour les interprètes-activateurs.

 

Notes

* Toutes les URL ont été consultées en décembre 2024.

  1.  « Alors que les équipements industriels et socio-économiques polluent l’environnement et que les artistes se sentent obligés d’en rajouter, mieux vaut arrêter de faire de l’art », écrit également Lawrence Weiner en 1969. Voir Weiner L., « Déclaration d’intention », January 5-31, cat. exp., New York, [s. l.], 1969, [n. p.].
  2. Cosson C., Férale. Réensauvager l’art pour mieux cultiver la terre, Arles, Actes Sud, 2023, p. 28-37.
  3. Bourriaud N., Inclusions. Esthétique du capitalocène, Paris, Presses universitaires de France, 2021, p. 73.
  4. Gasparina J., « Le lourd bilan carbone de l’art contemporain », Le Temps, 6-8 janvier 2019 ; Bourgine X., « Le milieu de l’art en quête d’écoresponsabilité », Le Monde, 23 janvier 2019 ; Manca I., « Les expos sont-elles compatibles avec l’écologie ? », L’œil, n° 726, 1er septembre 2019 ; Lévy A., « Le désastreux bilan carbone de… l’art contemporain », Marianne, n° 1186, 5 décembre 2019.
  5. « L’hystérie dans laquelle on a vécu depuis un certain nombre d’années, qui consistait à aller d’une foire à l’autre, de faire des expositions les plus rapprochées possible, faisait qu’il y avait un rythme qui devenait pratiquement insupportable », constate Bertrand Lavier. Voir Laporte A., « Bertrand Lavier : “Le confinement comme source d’inspiration, non merci !” », Imagine la culture demain, France Culture, 26 juin 2020, 3’50’’-4’10’’.
  6. Alice Audouin citée par Jill Gasparina (voir note 4).
  7. Voir infra.
  8. Heinich N., Le paradigme de l’art contemporain. Structure d’une révolution artistique, Paris, Gallimard, 2014, p. 107 : « Voilà en quoi consiste, tendanciellement, le destin de l’art contemporain : une “allographisation” de l’autographique, les œuvres étant de moins en moins réductibles à un objet unique et de plus en plus équivalentes à l’ensemble ouvert de leurs actualisations ».
  9. January 5-31, cat. exp., New York, [s.l.], 1969, [n. p.].
  10. Cosson C., Férale. Réensauvager l’art pour mieux cultiver la terre, Arles, Actes Sud, 2023, p. 32.
  11. Le terme “régime” est employé par Gérard Genette. Voir Genette G., L’œuvre de l’art, Paris, Seuil, 1994-2010, p. 30-31, note 30, p. 115.
  12. Heinich N., Le paradigme de l’art contemporain. Structure d’une révolution artistique, Paris, Gallimard, 2014, p. 105 : « Dispositifs actualisés à chaque nouvelle exposition […] ; installations accompagnées de “scripts” ou “partitions” indiquant la façon dont elles doivent être rejouées : en intégrant dans leur existence non seulement le récit mais aussi la durée et, avec elle, la possibilité de variations dans l’exécution, les différents genres propres à l’art contemporain s’éloignent des arts plastiques pour se rapprocher des arts du spectacle vivant (théâtre, musique), de la littérature ou du cinéma ».
  13. Barbanti R., Ginot I., Salomos M., Sorin C. (éd.), Arts, écologies, transitions. Un abécédaire, Dijon, Les Presses du réel, 2024.
  14. Les arts allographiques sont caractérisés par un système de notation codifié et partagé, des termes et usages en vigueur dits “traits pertinents” : lexique et caractères d’imprimerie d’un texte, notes sur une partition, plans et coupes cotés d’un bâtiment etc. Voir Goodman N., Langages de l’art. Une approche de la théorie des symboles, Paris, Librairie Arthème Fayard, 2011 (1990).
  15. Dans cet article, je préfère le terme “énoncé” au terme “protocole”, de même que Ghislain Mollet-Viéville et Jean-Baptiste Farkas. Voir Farkas J.-B., Mollet-Viéville G., « À propos des “énoncés d’art” », Critique, n° 759-760 : À quoi pense l’art contemporain ?, août-septembre 2010, p. 719. Ce dernier est souvent employé par les acteurs institutionnels en contexte muséal. Mais le terme “énoncé” désigne plus explicitement la dimension écrite, spécifique et non exclusive des œuvres allographiques. “Énoncé” exprime également, me semble-t-il, une tonalité plus neutre – moins réglementaire vis-à-vis de “protocole” -, témoignant au contraire d’une certaine liberté de création et d’interprétation. En régime allographique, il peut également être question de “mode d’emploi”, de “notation”, de “script”, de “statement” (voir Lawrence Weiner dans l’article de Farkas J.-B., Mollet-Viéville G., p. 722), d’“event score” (voir George Brecht, Event Scores (c. 1960-61), New York, Museum of Modern Art, en ligne : https://www.moma.org/collection/works/135401) etc.
  16. Farkas J.-B., Mollet-Viéville G., « À propos des “énoncés d’art” », Critique, n° 759-760 : À quoi pense l’art contemporain ?, août-septembre 2010, p. 721.
  17. Piron F., Blazy M., « Lignes de travail et points de mire », Michel Blazy, cat. exp. Albi, Centre départemental d’Art contemporain etc., 2003, p. 7.
  18. Mollet-Viéville G., « L’art conceptuel entre les lignes et au-delà des mots », Hermann G., Reymond F., Vallos F. (dir.), Art conceptuel, une entologie, Paris, Éd. Mix, 2008, p. 464-465.
  19. Des œuvres, conçues pour être réactivées, fonctionnent avec des modes d’emploi dessinés, voire des modes d’emploi photographiques, vidéographiques. Ceux-ci excèdent le régime allographique et relèvent tout autant du régime autographique.
  20. Watier É., L’œuvre d’art à l’époque de sa discrétion technique, thèse de doctorat d’arts plastiques sous la dir. de Leszek Brogowsky, Université de Rennes 2, 2014, 1 vol., p. 319.
  21. Ibid., p. 314.
  22. Weiner L., Statements, New York, The Louis Kellner Foundation, 1968, [n. p.].
  23. Watier É., L’œuvre d’art à l’époque de sa discrétion technique, thèse de doctorat d’arts plastiques sous la dir. de Leszek Brogowsky, Université de Rennes 2, 2014, 1 vol., p. 303 ; p. 100 : dès 1969, L. Weiner « donne certains de ses travaux au domaine public ([ceux-ci] sont accompagnés de la mention ‘Collection Public Freehold’) » (sachant qu’il garde un droit de reproduction de tous ses énoncés) ; p. 304 : pour Weiner, « le livre [est] dans ce contexte un outil social empêchant toute réquisition » ; p. 304, note 27, p. 316 : Weiner s’est défini en tant qu’artiste « socialiste » ou « marxiste », précise Watier.
  24. Nous reprenons ici la terminologie de Farkas.
  25. Farkas J.-B., Des modes d’emploi et des passages à l’acte, Paris, Éd. Mix, 2010. En 2024 paraît l’ouvrage Manuel, Des modes d’emploi et des passages à l’acte, édition revue et augmentée de l’ouvrage Des modes d’emploi et des passages à l’acte, avec 32 nouveaux énoncés et 21 variantes de ces mêmes énoncés, plus 50 nouvelles variantes des énoncés parus en 2010. Voir Farkas J.-B., Manuel, Des modes d’emploi et des passages à l’acte, Saint-Étienne, Riot Éd., 2024.
  26. Ibid., p. 125.
  27. L’analyse du cycle de vie d’Ice Watch a été réalisée par l’organisation à but non lucratif Julie’s Bicycle, celle de Far Away par le Laboratoire Arts & Technologies de Stereolux et le studio Chevalvert. Voir en ligne : https://olafureliasson-net.fra1.cdn.digitaloceanspaces.com/static_press/icewatchlondon/Ice_Watch_London_Carbon_Footprint.pdf ; https://stereolux.org/magazine/impacts-environnementaux-dune-oeuvre-dart-numerique-avec-le-studio-chevalvert-etude.
  28. Art of Change 21 : https://artofchange21.com.
  29. Audouin A., Osset P., « Qu’est-ce que l’éco-conception ? », Impact Art News, septembre 2020. La rubrique “Éco-conception” est consultable en ligne depuis mai 2020 au sein d’Impact Art News, média créé par Art of Change 21 en 2018. Voir : https://artofchange21.com/fr/impact-art-news/ ; « Alors que les établissements sont astreints à des normes strictes pour les nouvelles constructions (haute qualité environnementale, performance énergétique etc.), le cadre est nettement plus souple pour les projets temporaires », observe Manca (voir Manca I., « Les expos sont-elles compatibles avec l’écologie ? », L’œil, n° 726, 1er septembre 2019). Cela dit, des initiatives émergentes sont à souligner. Entre 2021 et 2022, à la suite d’une analyse du cycle de vie de la foire Art Paris, l’équipe de production a pu réduire l’empreinte carbone, la production de déchets, la consommation électrique de l’événement.
  30. Art of Change 21, « Quels sont les principaux impacts environnementaux d’une œuvre d’art contemporain ? », Impact Art News, juin 2020, en ligne : https://artofchange21.com/fr/impact-environnementaux-oeuvre-art-contemporain/.
  31. Sans transport, sans assurance, sans frais, invitation à actualiser des œuvres de Robert Barry, Sol LeWitt, Claude Rutault, Lawrence Weiner, Tania Mouraud, janvier 1994. « On voit ici comment l’œuvre existe indépendamment des institutions ou des galeries, où les contraintes de fonctionnement permettent difficilement le mode de relation qu’elle implique… De fait, le propos premier de [Ghislain Mollet-Viéville] […] [est] de dynamiser [les œuvres], ainsi que de faire rentrer ceux qui les prendront en charge dans une relation plus juste – en ce qu’elle dépasse une consommation passive – avec elles », observe Sabrina Grassi. Voir Grassi S., GMV, Is There Any Ghislain Mollet-Viéville ? (Information ou Fiction), Dijon, Les Presses du réel, 2011, [n. p.].
  32. Ibid.
  33. Donald Burgy, Idée-temps-information n° 1 (1969), dans Hermann G., Reymond F., Vallos F. (dir.), Art conceptuel, une entologie, Paris, Éd. Mix, 2008, p. 167.
  34. Knowles A., More, New York, Unpublished Editions, 1976, [n. p.]. Traduction de l’auteur.
  35. D’autant plus si la pomme a été cultivée localement, selon une agriculture biologique.
  36. Lire à ce sujet les travaux de Jean-Baptiste Farkas, Quentin Jouret (voir Jouret Q., L’art de la discrétion (l’infranuance et le petit usage), thèse de doctorat d’arts plastiques sous la dir. de Dominique Clévenot et Isabelle Alzieu, Université de Toulouse 2, 2015, 1 vol.), Sophie Lapalu (voir Lapalu S., Le paradoxe de l’action furtive, thèse de doctorat d’esthétique, sciences et technologies des arts sous la dir. de Jean-Philippe Antoine, Université de Paris 8, 2017, 1 vol.), Ghislain Mollet-Viéville, Éric Watier, etc.
  37. Watier É., L’œuvre d’art à l’époque de sa discrétion technique, thèse de doctorat d’arts plastiques sous la dir. de Leszek Brogowsky, Université de Rennes 2, 2014, 1 vol., p. 312.
  38. Ibid., p. 311.
  39. Renaudie Z., « Conservation du concept, restauration contre l’oubli », Marges, n° 27 : Ce que fait le concept à l’œuvre, 2018, p. 112, également en ligne : https://journals.openedition.org/marges/1559.
  40. Bénichou A., « La transmission des œuvres d’art : du monument à l’art de l’interprétation. Les ruses de Christian Boltanski », Intermédialités, n° 5 : Transmettre, 2005, p. 159, également en ligne : https://www.erudit.org/fr/revues/im/2005-n5-im1814660/1005496ar/.
  41. Boltanski C., Laporte A., Les masterclasses, France Culture, 5 mars 2017, 22’30’’-23’05’’. Pour ce qui est de l’événement Personnes (Monumenta), le chiffre de fréquentation communiqué par le ministère de la Culture témoigne d’une empreinte carbone non négligeable – « 149 717 visiteurs sur 36 jours d’ouverture », Communiqué de presse, Ministère de la Culture, 22 février 2010 -, quand bien même les vêtements utilisés pour cette œuvre étaient récupérés (chez Emmaüs pour la mise en scène au Grand Palais) puis redonnés une fois l’exposition terminée, quand bien même Boltanski opta pour la coupure générale du chauffage tout au long de l’exposition.
  42. Dondero M. G., « La sémiotique visuelle entre principes généraux et spécificités. À partir du Groupe µ », Actes sémiotiques, 2010, § 2 « Autographie et allographie : le rôle du support », en ligne : https://www.unilim.fr/actes-semiotiques/3084 (actes du colloque international Le Groupe µ : quarante ans de rhétorique, trente-trois ans de sémiotique visuelle (Liège, 11-12 avril 2008) sous la dir. de Dondero M. G., Sonesson G., Badir S.).
  43. Farkas J.-B., Des modes d’emploi et des passages à l’acte, Paris, Éd. Mix, 2010, p. 125.
  44. Roy L., dans Le bilan carbone de la culture, débat animé par animé par Bernard Hasquenoph, Centre Pompidou, 28 novembre 2018, 41’10’’-41’30’’, en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=e5OaA7YHH8Y.
  45. « Dans une grande part de l’art d’avant-garde des années soixante, l’œuvre se donnait moins comme une réalité autonome que comme un programme à effectuer, un modèle à reproduire […], une incitation à créer soi-même […] ou à agir […] », observe Nicolas Bourriaud. Voir Bourriaud N., Esthétique relationnelle, Dijon, Les Presses du réel, 1998, p. 72.
  46. Voir Farkas J.-B., Mollet-Viéville G., « À propos des “énoncés d’art” », Critique, n° 759-760 : À quoi pense l’art contemporain ?, août-septembre 2010, p. 733.
  47. « Ice Watch [a touché] des centaines de milliers de personnes en ligne (via les médias et les publications du studio qui a partagé des informations du GIEC durant l’installation – le compte Instagram du studio compte 500 000 followers) et hors ligne (visites sur place). Cette installation […] a optimisé chaque étape et a réparti ses impacts sur un grand nombre de visiteurs locaux », explique Alice Audouin. Voir Audouin A., Osset P., « Qu’est-ce que l’éco-conception ? », Impact Art News, septembre 2020, en ligne : https://artofchange21.com/fr/quest-que-leco-conception/. Or, d’après la note de synthèse du studio, l’empreinte carbone de l’installation, à réception de l’œuvre, n’a pas été calculée. Quid du coût du déplacement du public, des relais médiatiques, des consultations en ligne, etc. ?
  48. Cosson C., Férale. Réensauvager l’art pour mieux cultiver la terre, Arles, Actes Sud, 2023, p. 34.
  49. Plus c’est facile, plus c’est beau : prolégomènes à la plus belle exposition du monde, cat. exp., Montpellier, FRAC Languedoc-Roussillon, 2017, [n. p.].
  50. Blazy M., Noël en août/Dégustation rouge (Parco Arte Vivente, Turin, 2009), Michel Blazy, cat. exp., Paris, Le Plateau, Manuella Éd., 2015, p. 214 ; voici la description du projet p. 213 : « Plants de tomates récoltées en août sur sapins de Noël morts » ; en 2022 à Montpeyroux, Noël en septembre a été activée à la suite de son acquisition par le centre national des Arts plastiques en 2021 parmi 14 autres « œuvres temporaires et réactivables pour l’espace public ». Cette variante est réalisée avec des graines de haricots rouges d’Espagne (voir en ligne : https://www.cnap.fr/inauguration-de-noel-en-septembre-par-michel-blazy-montpeyroux).
  51. Ramade B., Infortunes de l’art écologique américain depuis les années 1960 : proposition d’une réhabilitation critique, thèse de doctorat en esthétique sous la dir. de Jacinto Lageira, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 2013, 1 vol., p. 260, 176, 259.
  52. Blazy M., « Lignes de travail et points de mire », Michel Blazy, cat. exp., Albi, Centre départemental d’Art contemporain etc., 2003, p. 7.
  53. Farkas J.-B., Mollet-Viéville G., « À propos des “énoncés d’art” ? », Critique, n° 759-760 : À quoi pense l’art contemporain ?, août-septembre 2010, p. 721.
  54. Cosson C., Férale. Réensauvager l’art pour mieux cultiver la terre, Arles, Actes Sud, 2023, p. 35.
  55. Ibid., p. 33.
Pour citer cet article : Benjamin Arnault, "Notes sur les apports écologiques d’œuvres allographiques", exPosition, 15 décembre 2024, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles9/arnault-notes-apports-ecologiques-oeuvres-allographiques/%20. Consulté le 18 janvier 2025.

Jeff Koons (Centre Pompidou, Paris, 2014-15) : une rétrospective amnésique

par Hélène Trespeuch

 

Hélène Trespeuch est maître de conférences en histoire de l’art contemporain à l’Université Paul-Valéry – Montpellier 3. Elle est la fondatrice et la directrice de la revue exPosition. Elle est également l’auteure de La crise de l’art abstrait ? Récits et critiques en France et aux États-Unis dans les années 1980 (PUR, 2014). Plusieurs de ses articles récents portent sur le simulationnisme et ses représentants.

 

Avant même le vernissage de la rétrospective Jeff Koons à Paris en 2014, les médias évoquaient déjà une exposition « blockbuster[1] ». Né en 1955, l’artiste américain connaît en effet depuis de nombreuses années une puissante renommée médiatique, en raison notamment d’une efficace stratégie d’autopromotion, basée entre autres sur la diffusion très contrôlée de photographies le mettant en scène et des prix faramineux atteints par ses œuvres[2]. Dès la fin du mois d’avril 2015, à la clôture de la rétrospective, le Centre Pompidou pouvait s’enorgueillir, presque sans surprise, d’avoir enregistré un nouveau record d’entrées pour une exposition consacrée à un artiste vivant, avec plus de 650 000 visiteurs[3]… Avec une durée moyenne de visite d’environ 20 minutes, rétorqueront certains[4]. Certes. Une des activités prisées par une large partie des visiteurs consistait à se prendre en photo devant les œuvres miroitantes de l’artiste, activant ainsi à merveille ces invitations au narcissisme[5].

Pour Scott Rothkopf[6], le commissaire principal de cette exposition – qui n’a été initiée ni par le Centre Pompidou, ni par le Guggenheim Museum de Bilbao qui l’a également accueillie, mais par le Whitney Museum à New York –, il s’agissait surtout de réparer une injustice. Il note :

« En dépit de sa renommée, il est étonnant que Koons n’ait jamais bénéficié d’une rétrospective à New York, ville où il vit et travaille depuis près de 40 ans. Certains de ses contemporains, comme Cindy Sherman et Richard Prince, ont déjà eu par deux fois cet honneur, notamment avec les premières rétrospectives de leurs œuvres organisées par le Whitney Museum of American Art[7]. »

Vouloir organiser une rétrospective au Whitney Museum pour l’un parce que d’autres ont déjà bénéficié d’un tel honneur institutionnel – Cindy Sherman (1954) en 1987 et Richard Prince (1949) en 1992 – peut apparaître comme un argument un peu faible. Il est sans doute plus intéressant de se demander si la production artistique de Jeff Koons méritait l’organisation d’une exposition d’une telle ampleur qui, au-delà du coût qu’elle a représenté (ne serait-ce que pour assurer ses œuvres), tend à faire entrer Jeff Koons dans l’histoire de l’art, en montrant un ensemble de séries ayant marqué sa carrière dans plusieurs musées internationaux prestigieux. En effet, de telles institutions, comme le Centre Pompidou, ont indubitablement un pouvoir de légitimation : toute rétrospective d’un artiste vivant organisé en ces lieux peut se lire comme un engagement institutionnel en faveur de la reconnaissance d’un artiste important pour l’histoire de l’art contemporain. Jusqu’à présent, Jeff Koons bénéficiait essentiellement d’une reconnaissance médiatique et commerciale qui suffisait à faire de lui un artiste important. Il lui manquait les faveurs de l’institution pour simplement espérer inscrire plus durablement son œuvre dans l’histoire[8].

Un des principaux intérêts de cette rétrospective, largement souligné par ses organisateurs, consistait justement à inviter le public à faire l’examen critique de cette production artistique dans toute sa diversité, en faisant fi du filtre médiatique et économique. En effet, les polémiques autour du travail de Jeff Koons ont eu tendance, dès le début de sa carrière, à conduire nombre d’amateurs d’art à se limiter à un jugement préconçu de son travail, souvent négatif, reposant parfois sur une méconnaissance de son œuvre. Alain Seban, le président du Centre Pompidou, notait ainsi dans son avant-propos du catalogue :

« De série en série, d’entretien en entretien, d’apparition en apparition, il [Koons] fixe une position incomparable dans le champ de l’art contemporain, au point que l’analyse critique s’en trouve prise au dépourvu et souvent bien en mal d’appréhender les fondements de sa démarche. […] Il appartient désormais au public de juger sur pièce une œuvre bien plus complexe et profonde que l’apparence ne le laisse supposer, une œuvre qui défie le jugement et le goût, et marque de manière résolument emblématique le débat nécessaire sur la création de notre temps[9]. »

Scott Rothkopf, le commissaire principal de l’exposition, faisait une observation identique quelques pages plus loin :

« Les débats passionnés que suscite […] la “question Koons” justifient à eux seuls cet examen attendu de longue date d’une carrière artistique qui, indubitablement, est l’une des plus durables et des plus importantes de l’après-guerre. […] Qui plus est, aussi évident que cela puisse paraître, le spectacle d’œuvre originales réunies en un même lieu demeure une expérience irremplaçable. Pour percevoir, analyser et exprimer un jugement, il faut faire l’expérience directe de l’œuvre ; telle est la raison d’être des musées et, en particulier, de cette rétrospective[10]. »

Pour que l’entreprise de légitimation devienne opérante, créer cette occasion de confrontation aux pièces de Jeff Koons était effectivement un préalable indispensable. Mais il n’était néanmoins pas suffisant : il restait à accompagner ces œuvres d’un discours qui permette au spectateur de mesurer le poids historique de Jeff Koons, d’évaluer sa singularité dans l’histoire des 35 dernières années, d’apprécier la manière dont il a pu redéfinir le paysage artistique contemporain. Sur ce point d’historiographie, les organisateurs de la rétrospective ont fait un choix très surprenant en refusant manifestement de contextualiser le travail de l’artiste, pour mieux le placer hors du temps, du moins hors du cadre de production de ses œuvres.

Le paradoxe d’une rétrospective sans effort de contextualisation

Quelle était la physionomie de la scène artistique sur laquelle s’est développé son travail ? À quoi ressemblait le monde de l’art new-yorkais des années 1980, 1990, ou encore 2000 ? Comment Jeff Koons s’y est-il fait un nom ? Quels artistes fréquentaient-ils ? Quels étaient les principaux enjeux artistiques de ces différentes décennies, ou plus largement les défis artistiques, théoriques, mais aussi économiques et politiques que les artistes américains devaient alors relever ? Comment Jeff Koons s’est-il positionné sur ce terrain-là ? À quoi a ressemblé sa réception en France ? Ces données ont été occultées, pourtant elles ont déjà été rassemblées, en partie, dans l’imposante monographie trilingue que les éditions Taschen ont consacrée à l’artiste en 2009, plus précisément dans les textes qu’a écrits l’historienne de l’art et critique d’art Katy Siegel pour introduire chacune de ses séries[11]. L’exposition entendait focaliser son attention sur le travail de Jeff Koons, refusant d’adopter une perspective plus large.

Le parcours proposé par l’exposition était chronologique, présentant les unes après les autres les séries de l’artiste, depuis les Inflatables de 1978-1979 jusqu’aux Gazing Ball de 2013. À l’exception de deux espaces relativement clos[12], l’exposition proposait un parcours sous forme de U inversé, permettant ainsi une circulation fluide des visiteurs[13]. Seules quelques cimaises et des textes sur les murs permettaient de marquer le passage d’une série à une autre, en en présentant les enjeux de manière souvent judicieuse, mais en s’adressant essentiellement à un public de connaisseurs. Ainsi pour les séries Pre-New et The New, on pouvait lire :

« Souhaitant rompre avec l’aspect ludique de sa première série Inflatables, Jeff Koons travaille désormais avec des appareils électroménagers […] Koons en dispose différents modèles [d’aspirateurs] dans des vitrines en plexiglas éclairées par des tubes fluorescents évoquant l’œuvre de Dan Flavin. À travers de telles combinaisons, Jeff Koons semble assujettir le vocabulaire de la sculpture minimaliste à l’esthétique du display commercial, révélant non sans impertinence leurs accointances formelles.

C’est que Koons ne s’intéresse pas aux grandes utopies modernistes, mais bien à une certaine forme d’hédonisme. »

Des données qui auraient pu servir un effort de contextualisation étaient donc bien présentes à travers l’évocation du rapport de Jeff Koons à Dan Flavin, au minimalisme, et plus largement encore au modernisme –, mais non développées. Ces textes véhiculaient ainsi un discours qui n’était destiné qu’aux spectateurs ayant des connaissances approfondies de l’histoire de l’art contemporain, laissant les autres dans l’appréciation de leur ignorance. Plus loin dans l’exposition, la présentation de la série Antiquity (2009-2014) suivait la même logique en se clôturant sur ces phrases :

« Avec Metallic Venus et Pluto and Proserpina, Jeff Koons interprète dans un langage qui lui est propre deux célèbres thèmes de l’histoire de la sculpture. Balloon Venus fait quant à elle fusionner le vocabulaire plastique de l’artiste avec les formes archaïques de la célèbre statuette paléolithique dite vénus de Willendorf. »

Certes, le travail de médiation est difficile : présenter l’ensemble d’une série en quelques phrases synthétiques compréhensibles d’un large public, sans pour autant simplifier à outrance des données parfois complexes est une tâche ardue. Néanmoins, ce constat ne manque pas de piment dans une rétrospective de Jeff Koons qui déclarait :

« L’art peut être un discriminateur terrible. Il peut servir à élever les gens et à leur donner un sentiment de puissance, ou à les rabaisser et à les affaiblir. Et la corde raide entre les deux, c’est l’histoire culturelle de chacun. […] l’histoire culturelle de chacun est parfaite, elle ne peut rien être d’autre que ce qu’elle est – elle est la perfection absolue[14]. »

Il aurait donc mieux valu omettre certains détails (la Vénus de Willendorf par exemple) ou accorder davantage de place à quelques précisions nécessaires (sur la nature du minimalisme par exemple) afin de ne pas verser dans un entre-soi particulièrement déplacé dans une rétrospective Jeff Koons.

Au vu de ces éléments, l’absence de contextualisation déjà évoquée ne peut manifestement pas s’expliquer par une volonté d’éviter qu’une accumulation de données ne surcharge le spectateur : des précisions pointues lui étaient bien données pour chaque nouvelle série, sans qu’il puisse d’ailleurs en mesurer véritablement la pertinence si ses connaissances en histoire de l’art n’étaient pas suffisantes.

Le catalogue d’exposition, qui se dote de deux essais des commissaires (dont Bernard Blistène pour le Centre Pompidou) et de huit autres textes de théoriciens de l’art américains ou allemands, est présenté par Scott Rothkopf, le commissaire général, comme « l’un des principaux objectifs de cette rétrospective », à savoir « la production d’un ouvrage de référence et de belle facture, susceptible de contribuer à l’appréciation de l’œuvre de Jeff Koons, tant auprès du grand public que des chercheurs[15] ». Comptabilisant plus de 300 pages, le catalogue offre en effet un vaste espace de développement. Pourtant, là encore, les efforts de contextualisation, d’inscription du travail de l’artiste dans une scène artistique particulière, ne sont pas de mise, à l’exception du texte de l’historienne de l’art Pamela M. Lee, « Amour et basket-ball » qui revient sur la réception de l’exposition Made in Heaven à la Sonnabend Gallery de New York en 1991. Une vaste polémique s’était alors développée face aux photographies et sculptures de cette série présentant les ébats de l’artiste avec la Cicciolina (Ilona Staller), une actrice de films pornographiques italienne devenue sa femme[16]. L’article rappelle à juste titre que cette exposition avait rebattu les cartes de la « guerre culturelle » (culture war) déclenchée quelques années auparavant dans les États-Unis de Ronald Reagan par la censure conservatrice des photographies d’Andres Serrano et Robert Mapplethorpe[17]. Dans le texte de Scott Rothkopf, qui s’étend sur plus de 20 pages, apparaissent bien quelques comparaisons entre l’œuvre de Jeff Koons et celle d’autres artistes contemporains, mais elles restent sporadiques et servent essentiellement de faire-valoir à l’artiste exposé. L’œuvre canonique de deux artistes morts, Duchamp et Warhol, est préféré, pour mieux tenter d’inscrire Jeff Koons dans une tradition historique incontestable.

Le fascicule distribué lors de l’exposition ne délivrait pas davantage d’informations sur le contexte de développement du travail artistique de Jeff Koons[18]. Alors que dans la majorité des expositions du Centre Pompidou, cet outil de médiation présente un texte explicatif pour chaque section de l’exposition, il se contentait ici, après une présentation globale en première page, de dresser une liste laconique de dates prétendues significatives dans la carrière de l’artiste. On apprend ainsi qu’en 2002 il s’est marié avec Justine Wheeler. En revanche, l’année 1987 n’apparaît pas. C’est pourtant cette année-là que le Centre Pompidou présentait pour la première fois des œuvres de Jeff Koons, lors de l’exposition Les Courtiers du désir, organisé par la Georges Pompidou Art and Culture Foundation. Il s’agissait certes d’une exposition collective, Jeff Koons n’était pas le seul artiste. Est-ce l’unique raison expliquant cette omission ? Étrangement, le commissaire français de la rétrospective, Bernard Blistène, ne semble plus frappé d’amnésie lorsque sur le site internet du Centre Pompidou – et non dans le catalogue de l’exposition –, il présente brièvement l’exposition en rappelant au public que Jeff Koons a déjà exposé à plusieurs reprises ses œuvres dans l’institution parisienne[19]. Dans l’entretien qui suit ce court texte, Bernard Blistène interroge Jeff Koons sur ses influences artistiques, en tentant de ne pas retomber sur le sempiternel duo Duchamp-Warhol pour s’intéresser par exemple à l’intérêt qu’a pu porter l’artiste aux artistes de Fluxus, ou encore à sa définition de l’avant-garde[20]. De ces échanges constructifs, il ne reste malheureusement rien dans son article pour le catalogue d’exposition. Intitulé « Enjoy ! », celui-ci revient sur le projet artistique de Koons : celui d’un art consensuel, universel revendiquant un plaisir déculpabilisé[21] – « une célébration affriolante de la fin de l’histoire[22] ». L’artiste aurait-il exercé une quelconque censure sur les textes du catalogue ?

Cette volonté de faire abstraction du cadre historique dans lequel s’est développé le travail de Jeff Koons pour mieux se confronter à ses œuvres, à sa vision de l’art (dans l’article de Bernard Blistène), à son enfance (dans celui de Jeffrey Deitch), ou encore sa technique (dans celui de Michelle Kuo) sert l’image établie d’un artiste self-made-man qui serait apparu du jour au lendemain, et surtout tout seul, dans le monde de l’art new-yorkais, avec pour seules armes (et non les moindres) sa formation artistique auprès d’Ed Paschke à Chicago[23] et son talent inné pour le commerce (qu’il a démontré en vendant tout d’abord des cartes d’abonnement au bureau des adhésions du Museum of Modern Art de New York (MoMA), avant de devenir courtier en matières premières à la fin des années 1970). C’est sans doute un choix assez commun dans les discours qui entourent la rétrospective d’un artiste vivant. Il s’agit certainement de justifier l’organisation d’une telle rétrospective internationale, en suggérant que l’artiste concerné a déjà su se faire une place dans la grande histoire – celle qui permet à un artiste vivant de se comparer à des morts (en l’occurrence Duchamp et Warhol), sans s’attarder sur la petite, trop peu ambitieuse. Dans cette optique hypothétique, les organisateurs ont jugé sans doute nécessaire d’insister sur la singularité de l’artiste en question, sur sa position de supériorité par rapport au contexte qui a vu naître et se développer sa production artistique. Dans le cas présent, il s’agissait d’éviter de réduire Jeff Koons à la décennie 1980, aux États-Unis de Reagan, aux débats sur l’héritage des avant-gardes, sur le postmodernisme, sur le repositionnement des acteurs du monde de l’art face au boom du marché de l’art, ou encore au simulationnisme (autrement appelé « Neo-Geo »). À l’issue de la vingtaine de pages de l’article de Scott Rothkopf, qui s’annonce comme la démonstration de l’immense singularité de Jeff Koons – dont l’œuvre serait incomparable à celle des autres de son temps car celui-ci aurait repoussé comme jamais les limites de l’art et du monde de l’art –, cette hypothèse trouve sa confirmation :

« Qualifier Koons de reflet d’une époque n’est pas affirmer qu’il lui tend un miroir. Et faire de Koons le symbole d’une décennie à laquelle sont associés l’économie reaganienne, les yuppies et la crise du sida revient à peu près à faire de Jean-Honoré Fragonard l’emblème de la France des années 1780. Il serait plus réconfortant de choisir une incarnation dans le genre de Willem De Kooning, dont les toiles sont caractéristiques des années 1950 sans avoir été entachées du fléau du maccarthysme ou de la ségrégation raciale, par exemple. Nous avons néanmoins tendance à reconnaître aux artistes la capacité de cristalliser la nocivité d’une époque, surtout s’ils le font avec la limpidité singulière de Koons. En ce sens, il ressemble davantage aux peintres de la Neue Sachlichkeit [Nouvelle Objectivité] de l’Allemagne des années 1920, qui ont perpétué une figuration potentiellement réactionnaire tout en reflétant les mœurs complexes de leur société, avec toute l’ambiguïté éthique que cela impliquait.

Les années 1980 ont passé, Koons est resté[24]. »

L’argumentaire est malhabile, vraisemblablement parce que Scott Rothkopf pense, à tort, qu’associer l’art de Jeff Koons aux années 1980 le dessert. C’est tout le contraire[25]. Son art tout entier, et même sa personnalité artistique, ont été façonnés par cette décennie, en réaction contre un certain nombre d’éléments qui étaient alors au cœur des discussions. Certes, son œuvre ne peut être limitée à ces années-là, mais occulter ce contexte revient à empêcher la compréhension d’une part significative de l’art de Jeff Koons – et par là même la portée historique ultérieure des choix qu’il a faits à ce moment de sa carrière. Pour le mesurer, il importe à présent de se concentrer sur cette partie de son travail, décisive, présentée en tout début d’exposition.

Le terreau déterminant des années 1980

Dans les années 1980, la scène artistique occidentale est profondément bouleversée par un désenchantement idéologique généralisé qu’accompagne une sévère remise en cause de la logique passée des avant-gardes du XXe siècle (et l’influence qu’elles ont eue sur l’écriture de l’histoire de l’art). Autrement dit, dans une société où les utopies dogmatiques ne font plus recette, la logique sectaire et autoritaire des avant-gardes, leur vision linéaire et téléologique de l’histoire de l’art, leur foi démesurée dans le pouvoir de l’art à changer le monde sont rejetées, en tant que conceptions dangereuses et vaines de l’art[26]. Mais sans ces regroupements d’artistes, mus par des ambitions esthétiques et socio-politiques communes et prêts à engager un combat tant artistique qu’idéologique, le monde de l’art contemporain pourra-t-il encore s’affirmer comme une zone de contestation, de résistance, de contre-pouvoir critique ? Cette question s’est imposée très tôt, avec angoisse, à nombre d’acteurs du monde de l’art effrayés par le retour en force de la peinture, qui plus est figurative, sur le devant de la scène. Après avoir été combattu vigoureusement sur la scène artistique américaine des années 1960-1970, en raison de sa complicité plus ou moins assumée avec le marché – le tableau étant un objet facilement commercialisable – ce médium était désormais célébré par le monde de l’art contemporain, assurant la gloire d’un Jean-Michel Basquiat, d’un Keith Haring, ou encore d’un Anselm Kiefer. Quant à la figuration que les avant-gardes abstraites du début du XXe siècle avaient tenté de présenter comme obsolète, elle apparaissait désormais comme le mode d’expression dominant[27]. Cette situation fut perçue par nombre de critiques d’art de l’époque comme un nouveau « retour à l’ordre », rappelant l’abandon par de nombreux artistes dans les années 1920 des prétentions plastiques avant-gardistes pour renouer avec un certain académisme formel[28].

Dans ce paysage, Jeff Koons a pu apparaître comme le parangon de cette nouvelle scène artistique : non pas en tant que peintre, car ses œuvres relèvent majoritairement de la sculpture, mais parce qu’il semblait alors assumer clairement – et avec un certain plaisir provocateur – les règles capitalistes du monde de l’art, piétinant apparemment les prétentions critiques des avant-gardes du passé[29]. Il n’était toutefois pas le seul à l’époque : tous les artistes dits « simulationnistes » – parmi lesquels figurent des peintres et des sculpteurs, tels que Ashley Bickerton, Ross Bleckner, Peter Halley, Sherrie Levine[30], Haim Steinbach, Philip Taaffe ou Meyer Vaisman et auxquels Jeff Koons a été associé dans la seconde moitié des années 1980 – incarnaient alors sur la scène américaine cette nouvelle orientation d’une partie de l’art contemporain. Ils ne formaient pas un groupe autoconstitué, mais plusieurs événements – auxquels Jeff Koons a participé – ont contribué à en faire un ensemble cohérent.

Le premier événement est un débat organisé en mai 1986 à la Pat Hearn Gallery à New York et retranscrit quelques mois plus tard dans la revue Flash Art sous un titre révélateur : « De la critique à la complicité ». À cette occasion, le sculpteur Haim Steinbach déclare notamment assumer parfaitement les règles du capitalisme et l’entreprise de séduction dans laquelle il s’engage en tant qu’artiste :

« Un déplacement s’est opéré dans les activités du nouveau groupe d’artistes dans la mesure où il s’intéresse à la question du lieu du désir, que j’entends comme le plaisir que procurent les objets et les marchandises, y compris ce que nous appelons les œuvres d’art. Nous avons davantage le sentiment d’être complice de la production du désir, ce que nous appelons traditionnellement les beaux objets séducteurs, que de nous trouver quelque part à l’extérieur de ce champ[31]. »

Aucun des autres intervenants à la table-ronde ne conteste cette position, qui prend pourtant à revers toute la tradition critique des avant-gardes, notamment celles qui, dans les années 1960-1970, s’étaient engagées à remettre en cause le règne de l’œuvre-objet (à travers performances, œuvres protocolaires, etc.). La complicité décomplexée avec le marché semble de mise dans ce « nouveau groupe d’artistes ».

Un autre acte fédérateur a lieu en septembre 1986. Une exposition consacrée à ces jeunes artistes ouvre à l’Institute of Contemporary Art de Boston : Endgame, Reference and Simulation in Recent Painting and Sculpture – un titre qui précipite l’idée selon laquelle un nouveau mouvement serait né, le « simulationnisme ». Puis en octobre 1986, Jeff Koons, aux côtés d’Ashley Bickerton, Peter Halley et Meyer Vaisman, quitte la jeune galerie alternative International with Monument située dans le quartier d’East Village à New York pour rejoindre la prestigieuse Sonnabend Gallery à Soho, un quartier plus chic. C’est la consécration. Quelques mois plus tard, au printemps 1987, Jeff Koons présente son œuvre pour la première fois au Centre Pompidou lors de l’exposition collective Les courtiers du désir – un titre encore une fois très évocateur[32].

La rétrospective du Centre Pompidou en 2014 a donné l’occasion à ceux qui connaissaient cette histoire du début de la carrière de Jeff Koons – presque entièrement passée sous silence dans l’exposition et le catalogue[33] – de la confronter aux œuvres qu’il réalise à l’époque. Cette période qui s’étend de la fin des années 1970 à la fin des années 1980 s’avère être la partie la plus intéressante de sa production, car la moins univoque. Dans la série des Inflatables (1979) comme dans Pre-New / The New (1979-1987) – réunies dans la première salle –, Jeff Koons tente de redéfinir la sculpture en opérant un mélange habile et visuellement convaincant entre l’art minimal et le readymade, autrement dit entre deux types de production artistique qui ont participé à un bouleversement radical de la sculpture au XXe siècle : le readymade, parce qu’il érige un objet non artistique, usuel, banal en œuvre d’art ; l’art minimal, car il fait dialoguer l’œuvre et son espace d’exposition, invitant ainsi le spectateur à ne plus concentrer son regard seulement sur l’objet matériel. En effet, Jeff Koons associe dans Inflatables des objets gonflables readymades (représentant principalement des fleurs) à des miroirs, observables par exemple dans les sculptures minimalistes de Robert Morris (Mirrored Cubes, 1965-1971) ou Robert Smithson (Mirror Vortex, 1964). La mollesse des formes plastiques colorées offre ainsi un contraste avec la rigidité rectiligne des miroirs froids. Dans les deux séries suivantes, ce sont des objets électroménagers qui dialoguent avec les tubes fluorescents. Ceux-là renvoient visuellement – surtout dans Pre New (1979-1980), car ils sont accrochés au mur – au travail minimaliste de Dan Flavin chez qui cet objet manufacturé devient un outil artistique à même de sculpter un espace par la lumière. Cette dimension poétique est absente du travail de Koons ; le tube lumineux est chez lui renvoyé à sa fonction pratique, ce qu’affirme la série The New (outre son titre) en disposant les aspirateurs sur les tubes, alignés à l’horizontal, dans un caisson de Plexiglas : il s’agit de mettre en valeur l’objet readymade grâce à la lumière, comme dans un supermarché, pour mieux susciter le désir du consommateur-collectionneur.

Toutefois, ce sont les séries Equilibrium (1983-1993) et Luxury and Degradation (1986) exposées au Centre Pompidou à la suite des premières séries, dans deux espaces distincts – qui sont sans doute les plus intéressantes de la carrière de Jeff Koons, dans la mesure où elles contredisent en partie l’image de l’artiste ayant très tôt renoncé à toute prétention critique pour s’adonner à un art divertissant répondant aux attentes du plus grand nombre, qui s’impose à partir de 1987. Elles sont en effet marquées par un héritage conceptuel, celui-là même qu’on pouvait observer quelques années plus tôt chez l’appropriationniste Richard Prince, un ami de Jeff Koons.

La série Equilibrium est composée de trois types d’objets différents. Les premiers sont des ballons de basket immergés dans des aquariums, qui ne subissent pourtant pas les effets de la poussée d’Archimède[34]. Les seconds sont des posters Nike des années 1980, réimprimés par Jeff Koons à partir des fichiers d’origine, présentant de célèbres joueurs – noirs – incarnant des héros (Moïse, Frankenstein, etc.) ou, plus largement, dans des postures et des décors renvoyant visuellement à une certaine forme de réussite sociale (roi sur son trône, secrétaire à la Défense, assemblée d’hommes en costume-cravate, etc.). La troisième catégorie d’objets est constituée de sculptures en bronze représentant à taille réelle des objets permettant à l’être humain, dans leur matériau originel, de survivre dans l’eau (canot de sauvetage, tuba, etc.). Commentant cette série dans la monographie consacrée à l’artiste aux éditions Taschen, la critique américaine Katy Siegel évoque un « projet conceptuel au sein duquel les œuvres reliées entre elles seraient exécutées dans différents médiums et regroupées sous un thème commun[35] ». En effet, ces différents groupes d’œuvres sont reliés par une démarche intellectuelle critique visant à déconstruire les rêves utopiques sur lesquels se construit la publicité, experte du désir :

« Nike évoque un rêve que les superstars de la NBA incarnent pour des millions de gens, particulièrement pour de jeunes noirs. […] Les choix de Koons mettent en avant la manière dont ces athlètes exclusivement noirs sont présentés non pas seulement comme des stars, mais aussi dans des rôles où la revendication de pouvoir et de respectabilité devient le reflet d’un système social traditionnel qui refuse en réalité tout pouvoir et respect à la majorité des noirs américains.

[…] Les posters font miroiter l’idée “Je suis une star, tu peux toi aussi être une star” à de jeunes hommes qui statistiquement n’ont pratiquement aucune chance de devenir riches et puissants, par le sport ou par tout autre moyen. Koons ne se contente pas de dénoncer la pauvreté des options sociales ouvertes aux noirs américains, il voit aussi une analogie entre les espoirs que des enfants mettent dans le sport et la manière dont certains enfants blancs de la middle class américaine espèrent exploiter l’art au profit d’une ascension sociale[36]. »

Ainsi, les ballons de basket immergés anormalement dans l’eau sans qu’ils ne remontent à la surface seraient à la fois ce symbole d’un rêve impossible, d’une possible noyade, que viennent accentuer ce gilet de sauvetage et tuba en bronze qui ne sauvent plus de vie, parce que transformés dans une matière plus respectable, plus artistique – le bronze –, ils entraîneraient tout utilisateur au fond de l’eau.

Dans la série Luxury and Degradation (1986), Jeff Koons, à l’instar d’un artiste conceptuel tel que Hans Haacke, mène l’enquête. Il entend révéler à travers la reproduction sur toile de publicités d’alcool de l’époque qu’il y a une corrélation entre le degré d’abstraction des images et le public visé : les publicités les plus littérales vantent les produits les moins chers destinés à une catégorie sociale peu fortunée ; les plus sophistiquées ciblent une élite, financière et culturelle. Ainsi, I Could Go for Something Gordon’s (1986) reprend une publicité pour du gin présentant une femme entièrement vêtue de blanc, sur une plage, tenant à la main palette et pinceau, face à son tableau de chevalet ; derrière elle, assis sur le sable, un homme, en jean et chaussures bateau, la regarde, admiratif. Bien qu’appartenant à la série The New, la rétrospective du Centre Pompidou avait judicieusement réuni dans cette même salle l’œuvre New ! New too ! de 1983 qui apportait un pendant éloquent à celle déjà mentionnée. En effet, celle-ci reproduit une affiche publicitaire, moins subtile, destinée manifestement à un autre public, présentant deux cannettes de gin tonic et de vodka tonic plongées dans de la glace, à côté de morceaux de citrons, sous un slogan limité à « New ! New too ! ». À l’extrême opposé se trouve Stay in Tonight, une œuvre qui reprend une publicité pour la liqueur Frangelico, quasi abstraite, où n’apparaît qu’un flot d’alcool en gros plan. À ces affiches-tableaux, Koons associait dans cette série différentes sculptures reproduisant des objets destinés à contenir de l’alcool (carafe, seau, etc.), respectant deux principes qui deviennent des lignes directrices de son travail : une extrême fidélité à l’original (déjà observée dans la série Equilibrium), limitée par la transformation du matériau de l’objet originel. Si le bronze avait été choisi dans Equilibrium, Jeff Koons opte ici pour l’inox : ce matériau commun, offrant néanmoins des effets de brillance (donc de séduction), permet d’effacer la hiérarchie qui existait initialement entre les objets reproduits. La carafe d’origine en cristal de baccarat n’a assurément plus le même prestige – mais c’est une œuvre d’art.

Toute cette série propose ainsi un commentaire critique sur la manière dont la publicité cible diverses classes sociales et creuse leurs différences en leur proposant, souvent dans des lieux qui leur sont destinés, des modèles de communication visuelle particuliers. Jeff Koons utilise lui-même ce terme de « classe », déclarant : « Quand j’ai travaillé avec des publicités pour des alcools, le but n’était pas tant de guider le spectateur que de cerner les structures de classe[37]. » Pour expliquer les raisons qui l’ont guidé vers l’inox pour les sculptures de sa série, il emploie le terme de « prolétaire » : « L’argent est la matière des théières et des plateaux. L’inox est le luxe du prolétaire[38]. » Cette terminologie marxiste peut étonner, surtout lorsqu’elle est mise en relation avec le discours dominant des simulationnistes de l’époque (dont fait partie Jeff Koons) qui assument la complicité avec les règles du marché capitaliste, sans intention critique. En effet, le positionnement de l’artiste à l’époque est encore ambigu, et donc passionnant, parce qu’il conjugue avec une grande intelligence provocation, séduction et contestation. Il invite ainsi à revoir une certaine image de l’artiste qui s’est construite très peu de temps après ses premières séries, comme le suggère Katy Siegel :

« Pour un artiste qu’une vision réductrice a parfois décrit comme un flagorneur des riches, en particulier pendant l’ère Reagan, Koons ne présente pas seulement un regard sceptique, mais même une bonne dose d’hostilité à l’égard des structures dominantes du pouvoir[39]. »

Il ne s’agit néanmoins pas de prouver l’impossible en tentant de faire de Koons un artiste marxiste. Si ses œuvres peuvent être appréciées d’un large public, sur le plan marchand, elles s’adressent sans ambiguïté à une élite financière. En outre, elles reposent sur une vaste exploration des mécanismes du désir tels qu’ils existent dans une société capitaliste, ce qui les rend parfaitement adaptées à ce système qu’elles participent à mettre en lumière. Pour autant, si cet élément s’impose comme le fil directeur de son œuvre, il est important de prendre conscience du potentiel critique qui l’accompagnait au début de sa carrière, qui disparaît par la suite. Son travail connaît en effet une rupture importante à la fin des années 1980, précisément au moment où Jeff Koons accède à une certaine gloire médiatique personnelle, après avoir attiré l’attention du monde de l’art autour de son travail en étant associé aux simulationnistes. Avec les séries Banality (1988), Made in Heaven (1991), Celebration (1994-1995) et Easyfun (1999-2000) – qui marquaient justement le tournant du U dans l’espace d’exposition –, Jeff Koons abandonne manifestement ces ambitions conceptuelles critiques pour se livrer à un art plus opportuniste et populiste, comme s’il s’était décidé à incarner tout ce dont on l’avait accusé auparavant (au même titre d’ailleurs que les autres simulationnistes) : rompre avec les ambitions critiques des avant-gardes, assumer une complicité décomplexée avec le marché, etc. Ainsi, après avoir posé un regard relativement critique sur le désir capitaliste dans ses premières œuvres, Jeff Koons livre à la scène artistique, et au marché de l’art en particulier, des œuvres qui nourrissent en même temps qu’elles révèlent nos désirs les plus primaires et les plus faciles à assouvir – la série Made in Heaven (1991), célébrant les ébats sexuels des Jeff Koons et de son épouse, marquent en cela une rupture éloquente.

Si Jeff Koons mérite son exposition au Centre Pompidou, c’est parce qu’il incarne en partie cette décennie des années 1980 si singulière, parce qu’il a su tirer son épingle du jeu d’une scène artistique en perte de repères et de modèles. Après avoir tenté au début de la décennie de sauver en quelque sorte un art critique, il a renoncé. Qu’a-t-il proposé à la place ? Non pas, comme le soutient Scott Rothkopf, un dépassement des limites de l’art jamais observé auparavant, mais un savant mélange des apports de la modernité et de l’académisme. Il a renoncé aux critères intemporels du beau, y préférant le populaire kitsch ; il a renoncé aux ambitions critiques de l’art, y préférant la « célébration » « easyfun » – pour reprendre le titre de ses séries – de la culture populaire, associée aux effets de séduction du clinquant, des surfaces miroitantes ; il a remis au goût du jour la valorisation du métier (durée de réalisation de ses œuvres, souci des finitions, etc.). Néanmoins, il a su échapper à l’image d’un artiste réactionnaire en convoquant l’héritage de Duchamp (en raison de ses readymades) et celui de Warhol (en raison de son intérêt pour la culture visuelle populaire) et en faisant régulièrement l’objet de polémiques, voire de scandales, comme les grands artistes qui ont marqué l’histoire de la modernité, tels Manet, Matisse, Picasso, etc. Mais si Jeff Koons s’avère un artiste intéressant, c’est surtout en tant qu’artiste pompier – même si cet adjectif peut paraître anachronique pour qualifier un artiste du XXIe siècle – car il est formidablement représentatif des attentes, des goûts d’une époque post-utopique. Ses recettes sont connues et éprouvées, mais aucun artiste avant lui n’avait eu l’idée d’œuvrer avec ces différents ingrédients.

 

Notes

[1] Dommergue B., « Le Centre Pompidou devait-il succomber au « Made in Koons » », blog diffusé sur le site de Mediapart, 21 novembre 2014, en ligne : https://blogs.mediapart.fr/bertrand-dommergue/blog/211114/le-centre-pompidou-devait-il-succomber-au-made-koons (consulté en juin 2017).

[2] La rétrospective présentait à ce propos une sélection d’annonces publicitaires publiées dans diverses revues d’art (Arts ou Artforum) en novembre 1988. Toutes mettaient en scène l’artiste dans des postures gratifiantes, notamment devant des élèves d’une classe de primaire. Ainsi était annoncée la nouvelle exposition de l’artiste à la galerie Sonnabend à New York – sans montrer une seule de ses œuvres.

[3] Périer M., « Record de fréquentation pour l’exposition Jeff Koons à Pompidou », Le Figaro, 29 avril 2015, en ligne : http://www.lefigaro.fr/arts-expositions/2015/04/29/03015-20150429ARTFIG00121-record-de-frequentation-pour-l-exposition-jeff-koons-a-pompidou.php (consulté en juin 2017).

[4] Parise C., « Jeff Koons, la rétrospective gonflée à bloc », Le Mag de myartmakers.com, 23 février 2015, en ligne : http://www.myartmakers.com/le-mag/jeff-koons/ (consulté en juin 2017).

[5] Certains de ces selfies ont, qui plus est, été encouragés par le Centre Pompidou à Paris et le Whitney Museum à New York. Voir le site du Centre Pompidou https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/cyX6p86/rnX6nA7 pour l’organisation d’un concours de selfies #LoveKoons à l’occasion de la saint Valentin. Voir également l’article : Freeman N., « The Whitney Begged Teens to Take Jeff Koons Selfies in Pro-Selfie Propaganda », Observer, 21 octobre 2014, en ligne : http://observer.com/2014/10/the-whitney-begged-teens-to-take-jeff-koons-selfies-in-pro-selfie-propaganda/ (consulté en juin 2017).

[6] Scott Rothkopf est un jeune commissaire d’expositions américain, né en 1976. Après avoir été rédacteur en chef de la revue Artforum de 2004 à 2009, il a rejoint le Whitney Museum en tant que conservateur. Il y a organisé notamment une exposition de Glenn Ligon (2011) et Wade Guyton (2012). Après la rétrospective Jeff Koons, il est devenu conservateur en chef en 2015.

[7] Rothkopf S., « Avant-propos », Jeff Koons, la rétrospective, cat. exp., Paris, Centre Pompidou, et alii, 2014-2015, p. 7.

[8] Naturellement, l’œuvre de Jeff Koons a été présenté dans des musées à de nombreuses reprises par le passé. Une rétrospective de son travail avait déjà été présentée à Chicago, sa ville natale, en 2008. Néanmoins, celle de 2014-2015 est la plus complète et a une portée internationale.

[9] Seban A., « Avant-propos », Jeff Koons, la rétrospective, cat. exp., Paris, Centre Pompidou, et alii, 2014-2015, p. 4-5.

[10] Rothkopf S., « Avant-propos », ibid., p. 7.

[11] Voir Holzwarth H. W. (éd.), Jeff Koons, Cologne, Taschen, 2009.

[12] L’un présentait la série Equilibrium (1983-1993) et l’autre les œuvres sulfureuses de la série Made in Heaven (1991), mettant en scène les ébats sexuels de l’artiste avec la Cicciolina. La première salle offrait trois entrées possibles, alors que la seconde n’en proposait qu’une seule, interdite aux mineurs et surveillée par un gardien.

[13] Le plan de l’exposition est présenté dans le fascicule lié à l’exposition, téléchargeable à l’adresse suivante : https://www.centrepompidou.fr/media/document/41/c8/41c850b230e510e081a22bfe2f5c1308/normal.pdf (consulté en juin 2017).

[14] Jeff Koons, à propos de la série Banality (1988), cité dans Holzwarth H. W. (éd.), Jeff Koons, Taschen, Cologne, 2009, p. 252.

[15] Rothkopf S., « Remerciements », Jeff Koons, la rétrospective, cat. exp., Paris, Centre Pompidou, et alii, 2014-2015, n. p.

[16] Lee P. M., « Amour et basket-ball », ibid., p. 228-233.

[17] La photographie la plus polémique d’Andres Serrano (1950) est Piss Christ, une photographie de 1987 qui présente un crucifix plongé dans un mélange d’urine et de sang de l’artiste. Plusieurs œuvres de Robert Mapplethorpe (1947-1989) ont également fait l’objet de polémiques, notamment parce qu’elles mettaient en lumière des pratiques sexuelles sado-masochistes.

[18] Ce fascicule reste consultable en ligne à l’adresse suivante : https://www.centrepompidou.fr/media/document/41/c8/41c850b230e510e081a22bfe2f5c1308/normal.pdf (consulté en juin 2017).

[19] Blistène B., présentation de l’exposition Jeff Koons, en ligne : https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/cABRrbG/rRLxo6k (consulté en juin 2017) : « En 1987, sous l’impulsion du grand Walter Hopps, directeur de la Menil collection de Houston, le Centre Pompidou réunissait dans une exposition de groupe au titre affriolant – Les courtiers du désir – cinq artistes dont un homme jeune de trente-deux ans, enchanté de cette participation : Jeff Koons. En 2000, dans une exposition de groupe intitulée Au-delà du spectacle, j’invitais au Centre Pompidou, avec la complicité du non moins grand Philippe Vergne, un homme mature de quarante-cinq ans, toujours enchanté d’intervenir : Jeff Koons. Aujourd’hui, l’institution consacre, sous l’égide de Scott Rothkopf et moi-même, un homme mûr de cinquante-huit ans, encore plus enchanté de cette rétrospective : Jeff Koons. »

[20] Ibid., Entretien avec Jeff Koons, non daté : « JK – […] Après avoir passé du temps à Chicago, je suis retourné à New York, car j’avais besoin d’une connexion plus forte à l’art européen, entre autres à Fluxus, qui m’intéressait… Je voulais me faire le défenseur d’idées dans leur forme pure. BB – Vous citez souvent Fluxus et son influence sur votre travail ou sur votre processus de création, mais je dois dire que physiquement, visuellement, il n’y a aucun rapport entre le travail de vos débuts et ce que Fluxus faisait au même moment. JK – Cela a peut-être à voir avec une certaine avant-garde. Avec Fluxus, on trouve cette tradition de l’avant-garde et des artistes qui sont dans la revendication, qui croient à la revendication, qui créent leur propre réalité. »

[21] Blistène B., « Enjoy ! », Jeff Koons, la rétrospective, cat. exp., Paris, Centre Pompidou, et alii, 2014-2015, p. 11-16.

[22] Ibid., p. 13.

[23] Ed Paschke (1939-2004) est un peintre américain, lié à la ville de Chicago, et notamment au groupe des Imagistes de Chicago. Son travail figuratif est marqué par une double influence du Pop art et du surréalisme.

[24] Rothkopf S., « Sans limites », Jeff Koons, la rétrospective, cat. exp., Centre Pompidou, Paris, et al., 2014-2015, p. 39.

[25] C’est ce que démontre justement Pamela M. Lee dans son article déjà mentionné (voir note 16, p. 233). Bernard Blistène note quant à lui que « Koons s’est vite attaché à réconcilier les contraires en fin connaisseur de l’art de son temps […] Koons exprime et incarne la quintessence du postmodernisme » (voir note 21, p. 13).

[26] Sur ces éléments très généraux, je me permets de renvoyer aux analyses de mon ouvrage : Trespeuch H., La crise de l’art abstrait ? Récits et critiques dans les années 1980, en France et aux États-Unis, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, notamment au chapitre 2, « Repenser l’histoire de l’art du XXe siècle », p. 47-83.

[27] Voir ibid., chapitre 1, notamment p. 35-45. Voir également Debrabant C., La peinture à l’épreuve du postmodernisme – États-Unis – Europe, 1962-1989, thèse de doctorat d’histoire de l’art sous la dir. de P. Dagen, Université de Paris I, 2014.

[28] Voir, par exemple, Buchloh B., « Figures d’autorité, chiffres de régression. Notes sur le retour de la représentation dans la peinture européenne », Buchloh B., Formalisme et historicité, autoritarisme et régression. Deux essais sur la production artistique dans l’Europe contemporaine, Le Vésinet, Éd. Territoires, 1982, p. 13-63.

[29] Voir par exemple Foster H., « The Future of an Illusion, or The Contemporary Artist as Cargo Cultist », Endgame, Reference and Simulataion in Recent Painting and Sculpture, cat. exp., Boston, The Institute of Contemporary Art, 1986, p. 91-105. Nombre de développements de cet article sont repris dans Foster H., Le retour du réel. Situation actuelle de l’avant-garde, Bruxelles, La Lettre volée, 2005 (1996), p. 136-149. Voir également Trespeuch H., « Appropriationnisme versus simulationnisme : vraie et fausse avant-gardes ? », Schneller K., Théodoropoulou V. (dir.), Au nom de l’art. Enquête sur le statut ambigu des appellations artistiques de 1945 à nos jours, actes de colloque (Paris, institut national d’Histoire de l’Art – INHA, 2011), Paris, Presses universitaires de la Sorbonne, 2013, p. 85-96.

[30] Sur l’affiliation de Sherrie Levine au simulationnisme, voir Trespeuch H., « Sherrie Levine, de l’appropriationnisme au simulationnisme », Marges, n° 17 : « Remake, reprise, répétition », 2013, p. 44-53, en ligne : http://marges.revues.org/127 (consulté en juin 2017).

[31] Steinbach H., cité dans Steinbach H., Koons J., Levine S., Taaffe P., Halley P., Bickerton A., « De la critique à la complicité », Harrison C., Wood P. (éd.), Art en théorie, 1900-1990, Paris, Hazan, 1997 (1992), p. 1173.

[32] Voir Halle H., « Les courtiers du désir », Les courtiers du désir, cat. exp., Paris, Centre Pompidou, 1987, p. 13 : « […] le lieu de codification traditionnel de l’art, c’est-à-dire le musée, est devenu lui-même une place de courtage du désir. […] La pratique artistique a toujours positionné ses produits comme objets du désir. […] Mais tous ces classements hiérarchiques s’écroulent sous le choc des tendances déshistoriques. De plus en plus, le centre de gravité de la pratique artistique se déplace de l’objet vers la place de courtage où se font les transactions sur l’art. »

[33] Voir Rothkopf S., « Avant-propos », Koons, la rétrospective, cat. exp., Paris, Centre Pompidou, et alii, 2014-2015, p. 26, 33. Scott Rothkopf fait brièvement allusion au contexte de ce début de carrière en évoquant le « buzz critique » dont bénéficie Jeff Koons en 1986 et, plus tard, en indiquant très vaguement que les œuvres de l’artiste ont suscité à l’époque des commentaires de critiques d’art interrogeant le « fétichisme de la marchandise » observé également chez Bickerton, Steinbach et McCollum.

[34] Pour réaliser ces installations, Jeff Koons a collaboré avec Richard P. Faynman, prix Nobel de physique en 1965.

[35] Siegel K., dans Holzwarth H. W. (éd.), Jeff Koons, Taschen, Cologne, 2009, p. 165.

[36] Ibid., p. 168.

[37] J. Koons cité dans ibid., p. 202.

[38] J. Koons cité dans ibid., p. 206.

[39] Ibid., p. 210.

 

Pour citer cet article : Hélène Trespeuch, "Jeff Koons (Centre Pompidou, Paris, 2014-15) : une rétrospective amnésique", exPosition, 25 septembre 2017, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles3/trespeuch-koons-pompidou-paris-2014/%20. Consulté le 18 janvier 2025.