Livresque des profondeurs, une anthologie insolite (Bibliothèque Carré d’Art, Nîmes, 2013)

 par Bénédicte Tellier

 

Bénédicte Tellier est assistante principale de conservation du patrimoine et des bibliothèques au service patrimoine de la bibliothèque Carré d’Art de Nîmes. Au-delà du travail régulier de traitement des collections (images fixes) et d’accueil du public en salle, elle est chargée de la médiation et des missions éducatives proposées autour des collections patrimoniales. —

 

De l’attractivité des expositions « de livres »… à partir de l’exemple des fonds patrimoniaux de la Bibliothèque Carré d’Art de Nîmes 

L’écrit et ses supports fascinent. Les manuscrits de textes scientifiques ou sacrés, richement enluminés ou sur simples feuillets de parchemin, sont précieux par leur rareté due aux difficultés et au coût de fabrication. À ce titre, ils rejoignent durant le Moyen Âge les collections de « Trésors » de quelques riches seigneurs ou abbayes. Embellis d’illustrations délicates et couverts de reliures magnifiquement ornées, ils sont aux yeux de leurs possesseurs source d’orgueil car symbole de richesse. À partir du XVIIe siècle, les savants issus de la noblesse de robe s’attachent à constituer leur bibliothèque personnelle en rassemblant principalement les publications scientifiques nécessaires à leurs travaux. Au fil du temps, les hommes de sciences deviennent également bibliophiles. Certains sont passionnés par l’acquisition d’éditions rares au contenu faisant autorité quand d’autres s’intéressent à l’objet livre et à la variété des formes prises : éditions soignées, reliures travaillées, tirages limités ou exemplaires remarquables. Cette sacralité multiforme du livre perdure malgré une plus grande vulgarisation du savoir qui contribue à sa plus large diffusion auprès de tous les publics. Elle fascine mais tient aussi à distance. C’est pourquoi, aujourd’hui encore, rendre attractive au plus grand nombre une exposition de livres anciens ou contemporains provenant d’une collection patrimoniale, reste une gageure. Cependant, grâce aux nouveaux outils de médiation numérique, une approche plus riche et plus ludique est possible pour compléter la traditionnelle présentation en vitrine des originaux. Dès lors peut-être, l’appropriation des œuvres devient plus facile pour le visiteur. En effet, il découvre les originaux avec une certaine proximité malgré la distance induite entre lui et la vitrine, favorisant toujours une certaine sacralisation. C’est une expérience de ce type qui a été tentée avec l’exposition Livresque des profondeurs, une anthologie insolite organisée par la Bibliothèque Carré d’Art de Nîmes en 2013 (Fig. 1).

Fig. 1 : Affiche de l'exposition © Bibliothèque Carré d'Art de Nîmes
Fig. 1 : Affiche de l’exposition © Bibliothèque Carré d’Art de Nîmes

Bref historique des fonds patrimoniaux de la Bibliothèque Carré d’Art de Nîmes

La Bibliothèque Carré d’Art figure parmi les 54 bibliothèques classées par la loi du 20 juillet 1931 ; ses fonds sont, comme c’est souvent le cas, principalement constitués par les saisies de la Révolution française. Installée dès l’origine dans l’ancien Collège des Jésuites, elle prend le nom de Jean-François Séguier (1703-1784), naturaliste et « antiquaire » nîmois dont les collections constituent une part importante des fonds anciens[1]. Viendront s’ajouter au fil du temps, legs, dons, dépôts tels ceux des bibliothèques de l’Église Réformée ou de la Synagogue, ainsi que les acquisitions courantes.

Depuis 1993, Carré d’Art rassemble sur 5 200 m2 les collections patrimoniales et de lecture publique qui y trouvent les conditions d’une large diffusion. Le fonds ancien comprend une soixantaine d’incunables et environ 40 000 imprimés antérieurs à 1810, ainsi qu’un millier de manuscrits de toutes époques. La politique d’acquisition patrimoniale accorde une attention toute particulière aux créateurs nîmois et gardois et à l’identité locale : manuscrits et fonds d’archives provenant d’auteurs originaires de la ville, tels Jean Paulhan ou Marc Bernard, impressions nîmoises, fonds local, fonds spécialisé dans la tauromachie. La constitution d’une collection de livres d’artiste complète cette politique.

Deux missions opposées mais complémentaires, à concilier lors du choix thématique de l’exposition 

Conservation et médiation

La gestion de fonds patrimoniaux répond en priorité à des impératifs stricts de conservation matérielle nécessitant des espaces de stockage spécifiques, des conditions de manipulation particulières et une consultation réglementée, réservée à un public de chercheurs.

La question de leur valorisation et de leur médiation à destination d’un plus grand nombre d’usagers ne doit pas par pour autant être négligée. Pour répondre à cette mission première, la bibliothèque explore différentes possibilités malgré l’absence de salle d’exposition permanente des collections. Depuis ces vingt dernières années, des expositions temporaires ont été réalisées, présentant les différentes facettes du fonds : dernières acquisitions,  création contemporaine de livres d’artiste, sujets d’histoire locale ou relevant d’une spécialité de la bibliothèque (tauromachie, protestantisme, hebraïca…),  fonds de collectionneurs, etc[2]. Ces expositions s’accompagnent de visites commentées en direction du public scolaire et de groupes d’adultes. Des supports de médiation tels que catalogues, livrets pédagogiques ou livrets de visites sont également proposés ainsi que des ateliers (jeunesse ou adultes) pour enrichir la découverte (Fig. 2).

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Fig. 2 : Livret pédagogique à destination du jeune public © Bibliothèque Carré d'Art de Nîmes.
Fig. 2 : Livret pédagogique à destination du jeune public © Bibliothèque Carré d’Art de Nîmes.

En dehors de ces moments forts liés à une exposition, une médiation régulière sous forme de présentation commentée de sélections d’ouvrages illustrant divers thèmes de l’histoire du livre, est proposée aux groupes de scolaires, étudiants, adultes en réinsertion, professionnels, spécialistes. Celle-ci offre l’opportunité de faire découvrir les richesses de la bibliothèque telles que les manuscrits ornés ou enluminés, des livres d’heures, des incunables, de grands livres illustrés, quelques monuments typographiques des divers âges de l’imprimerie, des éditions anciennes originales et rares, souvent de provenance locale, sans oublier de somptueuses reliures ou les livres d’artistes.

Repérer et sélectionner les « trésors » à exposer pour une grande occasion

L’année 2013 marque les 20 ans de Carré d’Art conçu par l’architecte Sir Norman Foster au cœur