7/2022 – L’exposition de collections privées dans les institutions publiques

Introduction

– Alice Ensabella, Du privé au public

 

L’exposition de collections privées dans les institutions publiques (dossier dirigé par Alice Ensabella)

– Kathryn Brown, Les arts de l’inégalité. Le pouvoir du collectionneur dans le domaine culturel et les risques du clientélisme

– Morgan Labar, La mise en visibilité de la collection Dakis Joannou : un enjeu pour l’écriture de l’histoire de l’art contemporain globalisé

– Gwendoline Corthier-Hardoin, La visibilité des expositions de collections privées en France. Entre stratégie de rayonnement, de programmation et de déclassification

– Veronica Locatelli, De la villa urbaine à la maison-musée : la Collezione Boschi Di Stefano de Milan

Du privé au public

par Alice Ensabella

 

— Alice Ensabella est maîtresse de conférences en histoire de l’art contemporain à l’université Grenoble-Alpes, membre du Laboratoire de recherches historiques Rhône-Alpes (LARHRA) et commissaire d’expositions indépendante. Ses recherches portent sur le collectionnisme et les réseaux économiques ayant soutenu les mouvements d’avant-garde pendant la première moitié du XXe siècle, avec une attention particulière à l’art métaphysique et au surréalisme. Les questions liées au collectionnisme, en particulier à la restitution de la démarche et du regard des collectionneurs, sont aussi au cœur de sa pratique curatoriale. —

 

Le présent numéro de la revue exPosition réunit différentes réflexions sur la question de l’exposition des collections privées dans des institutions publiques. Les contributions qui constituent ce dossier sont le fruit d’une journée d’études organisée en avril 2021, initialement prévue au musée de Grenoble, mais ensuite basculée en ligne en raison de la crise sanitaire. Cette journée, que j’ai co-organisée avec Sophie Bernard (musée de Grenoble) et Paula Barreiro Lopez (université de Toulouse), faisait partie des événements prévus dans le cadre de l’exposition alors en cours au musée, qui présentait la collection de 50 œuvres de Giorgio Morandi appartenant à la collection particulière du musicologue et historien de l’art italien Luigi Magnani[1].

La conception de cette exposition et les échanges avec les conservateurs du musée sont à l’origine des questionnements qui nous ont amenés à interroger les modalités de présentation des collections privées au grand public et ainsi les différentes versions d’une histoire ou d’un portrait de collectionneur qu’une exposition peut restituer.

En ce sens, la journée d’études avait été conçue comme un dialogue entre chercheurs – apportant des réflexions sur des aspects à la fois historiques, théoriques et critiques – et conservateurs, souvent confrontés à des contraintes d’ordre pratique et déontologique.

La présentation des collections privées dans des institutions publiques n’est certainement pas un sujet inexploré : il a fait l’objet de plusieurs publications, projets et manifestations scientifiques récents[2]. La raison principale de ce phénomène se trouve sans doute dans le fait qu’aujourd’hui les expositions et les accrochages permanents consacrés aux collections privées sont de plus en plus nombreux. Cette tendance montre d’une part un intérêt croissant du grand public pour l’histoire des collections et des collectionneurs ; de l’autre, elle relève d’une prise de conscience du rôle central des collectionneurs dans les systèmes artistiques de toute époque, qui participent à la création du goût, à l’enrichissement et au façonnement du patrimoine public.

En ce sens, la monstration d’une collection privée, qui quitte son lieu intime d’origine pour les grandes salles d’un musée, implique des questionnements, à la fois pratiques et intellectuels, sur les conséquences que ce passage peut avoir sur la nature même de la collection, tout comme sur les enjeux de la présentation au grand public d’un corpus constitué selon les affinités personnelles d’un particulier.

Dans la construction de ces récits, les choix pratiques, notamment liés au parcours de l’exposition, à la scénographie à adopter, sont fondamentaux et déterminent une prise de position dans la restitution de l’histoire d’une collection. Celle-ci peut opter pour une transposition très fidèle de sa présentation d’origine (je pense au mur de l’atelier d’André Breton au Centre Georges Pompidou, ou à la reconstitution de l’appartement de Léonce Rosenberg à la Fondazione Prada en 2018), ou s’en éloigner afin de traiter des aspects plus cachés de son histoire, comme les rapports des collectionneurs avec les artistes ou la chronologie des achats.

La plupart de ces questionnements tourne toutefois autour de la représentation de la figure du collectionneur. Présenter une collection privée implique en effet de restituer un portrait de celle/celui qui en est à l’origine. En ce sens, les circonstances de l’organisation de l’exposition sont cruciales : les enjeux d’un événement à vocation historique, reconstituant par exemple une collection privée ancienne aujourd’hui dispersée, ne peuvent pas être comparés à ceux d’une exposition présentant un prêt exceptionnel de la part d’un collectionneur ou marquant une donation.

Surtout dans ce dernier cas de figure, les expositions ou les accrochages permanents qui célèbrent les choix d’un particulier et son œil avisé peuvent facilement glisser vers un terrain plus insidieux, qui ouvre les portes à des dynamiques d’autoreprésentation et à la proclamation du collectionneur comme détenteur d’un savoir et d’un patrimoine présentés comme exemplaires. Les rapports de force entre les différents acteurs de ce système et leurs conséquences sociales mais aussi culturelles deviennent alors des aspects centraux dans la conception et l’analyse de ces dispositifs d’exposition.

Cette complexe question est abordée dans le texte de Kathryn Brown qui ouvre ce numéro de la revue et qui propose une analyse du pouvoir des méga-collectionneurs sur la scène contemporaine internationale à travers une lecture critique et problématisée des donations, des prêts et de l’ouverture des musées et fondations de la part des particuliers et des impacts que ceux-ci ont sur la culture contemporaine et sur l’accès au savoir du grand public.

La délicate question de l’autoreprésentation du collectionneur est également abordée dans la contribution de Morgan Labar. À travers l’exemple des expositions de la collection particulière du multimillionnaire Dakis Joannou et de la création de sa propre fondation (DESTE), l’auteur illustre les stratégies de légitimation mises en place par Joannou qui, associant son nom à ceux des grands artistes de l’art contemporain international, occidental et capitaliste, façonne son profil de collectionneur et se fait une place remarquable dans le système artistique international.

Les rapports qui s’instaurent entre les institutions publiques et les collectionneurs privés sont aussi l’expression des politiques culturelles de chaque pays et sont soumis aux différentes législations nationales.

Dans son texte, Gwendoline Corthier analyse le cas de la France, où la valorisation des collections particulières est devenue une tendance de plus de plus répandue.  L’autrice présente en effet un recensement des expositions consacrées aux collections privées sur le territoire national depuis les années 1950, contextualisant les circonstances spécifiques dans lesquelles ces expositions ont été organisées (prêts, donations etc.) et démontrant le poids que le patrimoine privé a eu dans l’enrichissement du patrimoine national dès l’après-guerre jusqu’à nos jours.

L’histoire de la patrimonialisation de la collection milanaise Boschi-Di Stefano, en partie préservée dans son lieu d’origine, l’appartement muséifié d’Antonio Boschi de Merida Di Stefano, fait l’objet du cas d’études proposé par Veronica Locatelli. Les différentes étapes de l’acquisition de cet impressionnant corpus d’œuvres de la part de la municipalité de Milan mettent l’accent sur les questionnements auxquels les conservateurs ont été confrontés, dans le double effort de préserver l’intégrité et l’identité de la collection d’une part, et de valoriser l’entrée dans le patrimoine d’un groupe d’œuvres historiquement remarquables de l’autre.

C’est avec un peu de regret qu’on signale l’absence de contributions de la part de conservateurs, dont les présentations et les échanges lors de la journée d’études ont été stimulants et précieux. Le but de cette journée étant celui de créer un pont entre deux univers qui, surtout en France, sont malheureusement très éloignés, leurs positions et leurs retours d’expérience auraient représenté une valeur ajoutée à ce dossier. Comme toutes les contributions le démontrent, un dialogue entre les conservateurs, les commissaires et les chercheurs autour de ces thématiques est non seulement souhaitable, mais devient en effet une nécessité, dans une perspective d’enrichissement et de responsabilisation des pratiques mutuelles.

 

Notes

[1] Giorgio Morandi. La collection de Luigi Magnani, exp., Grenoble, Musée de Grenoble, 2020.

[2] Voir le programme de la conférence Private Collecting, Public Display: Art Markets and Museums, Leeds, 30-31 mars 2017, ou de la journée d’études La visibilité des collections privées dans les institutions culturelles publiques, Montpellier, MO.CO., 18 novembre 2021.

 

Pour citer cet article : Alice Ensabella, "Du privé au public", exPosition, 6 décembre 2022, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles7/ensabella-prive-public/%20. Consulté le 13 octobre 2024.

Les arts de l’inégalité. Le pouvoir du collectionneur dans le domaine culturel et les risques de clientélisme

par Kathryn Brown

 

Kathryn Brown est professeure en histoire de l’art à l’Université de Loughborough (Grande-Bretagne). Elle est spécialiste de l’art moderne et contemporain, des marchés de l’art, et de l’analyse numérique de l’art. Elle est l’auteure de divers ouvrages, dont Women Readers in French Painting 1870–1890 (2012), Matisse’s Poets: Critical Performance in the Artist’s Book (2017), Digital Humanities and Art History (dir.) (2020), Henri Matisse (2021), et Dialogues with Degas: Influence and Antagonism in Contemporary Art (2023). Elle dirige la collection Contextualizing Art Markets (Bloomsbury Academic). —

 

Dans le monde de l’art, l’importance historique du mécénat est bien connue. Les noms des collectionneurs privés sont indissociables de l’identité de beaucoup de grands musées, il existe des musées dont ce qui fut la propriété d’un individu forme la base de la collection permanente : le musée Isabella Stewart Gardner (Boston), J. P. Morgan (Metropolitan Museum of Art, New York) et la collection Frick (New York) entre autres. La plupart des grandes collections nationales ont aussi leurs origines dans les expressions du goût et de la fortune de quelques privés (le musée du Prado à Madrid, le musée du Louvre à Paris, les Galeries des Offices à Florence). En outre, les legs des maisons royales, les noms des industriels et des hommes d’affaires sont aussi étroitement associés aux origines des collections dans les institutions publiques : on peut penser à la Galerie nationale de Londres, par exemple, qui s’est développée à partir de la collection de John Julius Angerstein ; ou aux musées Pouchkine et de l’Ermitage en Russie où l’on trouve les collections de Sergueï Chtchoukine et d’Ivan Morozov. Dans ces cas, la propriété privée est devenue propriété publique, et le monde privilégié de l’art semble être devenu un petit peu plus démocratique.

J’insiste sur le mot « semble » parce que les différences de richesse et de pouvoir qui ont permis la création des grandes collections d’art sont restées intactes et l’exemple de mécénat historique reste un point de référence pour justifier l’existence continue du pouvoir culturel parmi des particuliers fortunés[1]. La discussion suivante se concentre sur l’imbrication du privé et du public dans les musées contemporains. Est-ce que des Médicis modernes ont un rôle légitime à jouer dans les paysages culturels de nos jours ? Si les conservateurs sont chargés de créer des récits sur des histoires culturelles sous la direction plus ou moins interventionniste des mécènes privés, est-ce qu’ils peuvent garder la capacité de communiquer une vue critique et indépendante sur la genèse des collections et équilibrer les intérêts enchevêtrés – mais souvent contradictoires – des publics, des artistes, et des collectionneurs ? Comme la présidente-directrice du musée du Louvre, Laurence des Cars, l’a récemment noté, « les projets futurs [des musées] vont dépendre des ressources privées, plus que jamais et d’une manière spectaculaire[2] ».

Les dons généreux des collectionneurs privés aux musées publics aident à élargir la gamme de récits dont on peut se servir pour construire les histoires de l’art : cela implique non seulement l’appréciation de la genèse, du contexte, ou du style des œuvres elles-mêmes, mais aussi une connaissance du rôle que les objets d’art jouent dans les relations personnelles et dans l’économie du marché. Dans son livre Les Stars de l’art contemporain, Alain Quemin s’interroge sur la « starisation » des personnalités du monde de l’art[3]. Son étude ne porte pas seulement sur les artistes, mais aussi sur les galeristes et les méga-collectionneurs : des gens qui figurent typiquement dans les listes qui prétendent classer les individus les plus influents dans le domaine culturel (Larry’s List ; Art Power 100) et qui contribuent donc à créer des célébrités culturelles dans l’imaginaire du public (on peut penser, par exemple, aux collectionneurs comme François Pinault, Don et Mera Rubell, Bernard Arnault, ou Charles Saatchi qui ont souvent fait la une des journaux). Mais si les collectionneurs peuvent aider à renforcer la réputation des artistes en intégrant leurs œuvres dans leurs collections (par exemple, la relation étroite entre Eli Broad et Jeff Koons ou entre François Pinault et Damien Hirst), ce sont les collectionneurs qui ont pris de l’importance en tant que tels au XXIe siècle. Dans un ouvrage de 2015, Franz Schultheis, Erwin Single, Stephan Egger et Thomas Mazzurana ont étudié la dynamique sociale de la foire Art Basel. En observant les soirées privilégiées et les relations entre les collectionneurs et les galeristes, ils ont tiré la conclusion que « les consommateurs de l’art ont dépassé les producteurs et sont maintenant à l’avant-scène du monde artistique[4] ».

Un an plus tard, l’exposition L’Œil du collectionneur. Neuf collections particulières strasbourgeoises organisée par le musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg livrait un nouvel exemple de ce constat. L’événement était dédié aux collectionneurs contemporains qui étaient liés à la ville ou à la région et qui avaient une histoire avec le musée en tant que donateurs, prêteurs ou ambassadeurs. Les organisateurs de l’exposition ont noté le réseau d’intérêts qui se développe dans le cadre d’une institution publique dont la collection est :

« l’objet d’échanges entre une multitude d’acteurs qui garantissent le bon usage des deniers publics et entre, ad vitam æternam, dans le patrimoine collectif. […] Mettant, ou non, en avant une période, un mouvement, un medium, ces ensembles d’œuvres issus de choix personnels sont à lire comme autant de portraits en creux de leurs créateurs, ouvrant l’hypothèse de la collection comme expression d’une forme d’art à part entière. Ce projet atypique rappelle que les collections publiques et les collections privées sont unies par des liens forts faits d’inspirations réciproques, de regards complémentaires, du plaisir de célébrer et partager l’art avec le plus grand nombre[5]. »

Cette description accorde de l’importance aux personnalités des collectionneurs : les visiteurs au musée sont invités à apprécier des « portraits » des collectionneurs à travers leurs acquisitions. De plus, il existe une proximité entre l’institution et l’individu : les conservateurs mettent l’accent sur les inspirations réciproques, les regards complémentaires, et un désir commun de partager l’art.

Dans un article du journal Le Monde, Philippe Dagen a suggéré que l’exposition montrait le profil des collectionneurs essentiellement « bons » – c’est-à-dire qu’elle a privilégié le goût des amateurs dans le meilleur sens, les présentant comme des gens qui désiraient construire des collections cohérentes, qui ne suivaient pas la mode, et qui n’étaient pas motivés par la promesse de bénéfices financiers dans leur acquisition des œuvres d’art[6]. Dagen mettait aussi l’accent sur l’idée que ces individus allaient probablement laisser leurs collections au musée. Rendre hommage à ce groupe de collectionneurs n’était donc ni tout simplement un acte de justice, ni un discours critique de la part de l’institution, mais aussi un stratagème politique conçu pour soutenir l’avenir du musée.

Ce qui m’intéresse dans cet exemple est l’invitation qui était adressée au public et ce que le musée lui-même mettait en valeur en réalisant une telle exposition. Que voyait-on exactement ? Les visiteurs au musée étaient invités à se mettre à la place d’un collectionneur et ainsi à mieux comprendre ses préférences et ses motivations. Il ne s’agissait donc pas d’une « starisation » de l’artiste, mais du collectionneur – ou de manière plus cynique, d’un certain pouvoir d’achat. Cela soulève la question du véritable centre d’intérêt d’un musée. Est-ce qu’il met en premier plan les œuvres d’art, les biographies sociales des objets, ou l’histoire de l’argent et des goûts des collectionneurs privilégiés ? C’est une question que le groupe féministe américain, les Guerrilla Girls, a posé avec insistance ces dernières années avec ses projets intitulés History of Wealth and Power qui se sont déroulés avec et autour de plusieurs musées publics. Dans un Code de conduite présenté devant le Metropolitan Museum of Art en 2019, elles établissaient un lien entre les dons des collectionneurs privilégiés et la création des collections publiques déformées par le marché et par la vision du monde de groupes puissants[7].

On pourrait bien rétorquer que c’est bel et bien le rôle du musée d’éclairer les multiples histoires qui s’entrecroisent et se complexifient. Si l’on comprend mieux la contribution de l’art – et même de l’argent – à l’évolution des goûts changeants de la société, on met en évidence (à grande échelle) les courants des valeurs culturelles et (plus intimement) les relations entre individus. Les œuvres que Pablo Picasso a données à Guillaume Apollinaire, par exemple, témoignent non seulement des relations étroites entre deux amis, mais aussi du travail critique d’Apollinaire. Le poète a aidé à créer un marché pour les œuvres de Picasso et a été récompensé pour ses efforts et pour son soutien moral. Pour les publics contemporains, l’exposition des dessins et peintures qui faisaient partie de la collection privée d’Apollinaire révèle donc une histoire complexe et montre la capacité d’un collectionneur–critique d’art à influencer les goûts du public[8]. Mais il existe aussi des problèmes potentiels autour de l’exercice du pouvoir privé dans le cadre des institutions publiques et je voudrais approfondir deux thèmes : (1) les tensions qui naissent du contrôle du patrimoine public ; et (2) le clientélisme croissant dans les institutions culturelles.

Le contrôle du patrimoine public

On cite souvent des exemples historiques de mécénat quand on examine des relations entre des collectionneurs privés et des musées publics[9]. Mais les conditions sociales actuelles diffèrent sensiblement de l’âge d’or new-yorkais de la fin du XIXe siècle, par exemple. De plus, nous nous trouvons face à un marché de l’art de plus en plus mondialisé qui met l’accent sur la valeur de l’art contemporain – un domaine où les élites internationales se mêlent et où l’art est devenu un placement. Comme Hito Steyerl l’a suggéré en 2019 dans son livre Duty Free Art, le monde de l’art contemporain comprend une multitude de nouveaux sites d’expositions (y compris des ports francs cachés) et risque de devenir « un substitut au patrimoine mondial », un espace qui facilite des opérations financières plutôt que la durabilité des héritages culturels communs[10].

Dans le monde international de l’art contemporain, des individus ont souvent plus d’argent que les musées et peuvent, en conséquence, acquérir des œuvres qui sont au-delà des moyens des institutions publiques. Mais un legs important a le potentiel de changer le caractère d’un musée et donc de privilégier une histoire particulière de l’art. Un exemple bien connu est l’impact de la collection de Doris et Donald Fisher (co-fondateurs des magasins GAP) sur le musée d’art moderne de San Francisco[11]. Les Fisher ont siégé au conseil d’administration du musée et ont établi un partenariat avec l’institution en 2009. En 2016, le journaliste Charles Desmarais a examiné les conditions de cet accord (qui court sur 100 ans). Beaucoup des détails de l’arrangement n’ont pas été divulgués par l’institution, mais selon Desmarais, une exposition monographique de la collection Fisher (comprenant plus de 1 100 œuvres) doit être organisée tous les dix ans dans une aile du musée que les Fisher ont aidé à financer ; les galeries Fisher doivent exposer une majorité d’œuvres tirées de la collection en tout temps ; et un nombre inconnu des œuvres reste dans la possession privée de Doris Fisher[12]. Desmarais conclut qu’ « environ 60% des galeries intérieures de SFMOMA […] doivent adhérer – ou, au moins, répondre – à une histoire de l’art construite par deux collectionneurs astucieux mais implacablement privés[13] ».

Dans un tel cas, les visiteurs ne fréquentent pas seulement un espace culturel, mais aussi un champ d’activité économique. Si les musées ont une obligation envers la population, on a le droit de s’interroger sur une telle extension du goût privé dans cette sphère publique (même si l’institution est un partenariat public-privé). Qui a donc le droit de déterminer les histoires culturelles dans un État moderne et libéral ? Si les musées laissent le pouvoir aux intérêts privés, on risque d’écrire une histoire qui reflète essentiellement les intérêts intellectuels, politiques, économiques, et esthétiques d’une élite. Nizan Shaked pose cette question pertinente : pourquoi les particuliers « sans expérience ni dans l’art ni dans l’éducation, sont-ils autorisés à prendre des décisions critiques concernant des aspects de la société civile et du bien-être[14] ? »

Le problème de cette imbrication des intérêts privés et publics dans le monde muséal est encore plus visible dans le cadre du musée privé. On peut penser, par exemple, au musée fondé à Los Angeles par Paul et Maurice Marciano (les cofondateurs de la marque de mode Guess). La Fondation Marciano a ouvert ses portes en 2017 avec un grand gala ; sa collection était composée d’œuvres modernes et contemporaines portant des noms familiers : Yayoi Kusama, Ugo Rondinone, Cindy Sherman, Jim Shaw et Doug Aitken, entre autres. Mais en 2019 le musée a fermé soudainement. La raison présumée est que les employés du musée avaient l’intention de se syndiquer – mais les faits restent mystérieux[15]. Cette fermeture pose la question du rôle d’un musée dans la société : soit c’est un élément permanent du patrimoine, soit c’est un objet de vanité. Ce qui est important – et troublant – dans cet exemple est que le paysage culturel d’une ville peut changer radicalement selon les caprices de deux individus. Le musée lui-même s’était réjoui qu’ « une collection construite sur une passion pour l’art partagée par un couple [soit] devenue une partie essentielle du tissu culturel de San Francisco[16] ». Mais ce tissu s’est révélé beaucoup plus fragile qu’on pouvait le penser.

On pourrait objecter que la Fondation Marciano n’a jamais été un « musée » dans le sens habituellement donné à ce mot : deux particuliers ont simplement ouvert une vitrine pour exposer une collection privée qui restait à leur disposition personnelle. Cela serait sans doute un argument un peu naïf, mais on peut accepter néanmoins l’existence ici de tensions entre l’intérêt privé et l’intérêt public. Cependant, le danger ne se limite pas au cadre privé, et les visiteurs ne sont pas toujours conscients du grand nombre d’œuvres dans les institutions publiques qui restent effectivement la propriété – et donc sous le contrôle – des particuliers. En 2015, Georg Baselitz a indiqué son opposition aux lois de protection culturelle qui venaient d’être introduites en Allemagne. Pour protester contre cette loi, il a retiré les œuvres qu’il avait prêtées à long terme à de grands musées allemands comme la Pinakothek der Moderne à Munich, l’Albertinum à Dresde et les Kunstsammlungen Chemnitz[17]. Cette décision a modifié l’équilibre des biens communs de ces villes en retirant des œuvres qui étaient devenues une partie majeure du paysage culturel.

Un exemple plus compliqué est l’histoire de la collection Rudolf Staechelin, qui faisait partie des collections du Kunstmuseum de Bâle et du Musée d’art et d’histoire à Genève. L’héritier de la collection, Ruedi Staechelin, a retiré des œuvres de ces musées en 1997 pour protester contre les lois Unidroit (une mesure destinée à freiner le trafic illicite des biens culturels)[18]. Une grande partie de la collection a été transférée au Musée Kimbell, à Forth Worth aux États-Unis, où elle est restée jusqu’en 2002 ; plus récemment la collection a été présentée à Washington et à Madrid, et depuis 2019 un contrat de prêt à long terme a été signé avec la Fondation Beyeler en Suisse. Selon un communiqué de presse du musée, cet arrangement durera dix ans et pendant cette période aucune œuvre ne pourra être vendue[19]. Cette restriction est importante parce qu’en 2015 une peinture qui faisait partie de la collection originale, Nafea faa ipoipo ? (Quand te maries-tu ?) de Paul Gauguin, a été vendue pour la somme de 300 millions de dollars à l’émir du Qatar. Lorsque cette peinture a été exposée dans le cadre d’une exposition temporaire à Washington (Phillips Collection) – avant que l’acheteur n’ait pris possession de la toile – un critique, Philip Kennicott, a fait une remarque pertinente :

« Le public est indifférent à la provenance et lorsqu’il a vécu avec une œuvre d’art pendant quelques années, il sent à juste titre que cette œuvre fait partie des biens publics. Et elle l’est ou devrait l’être. Mais le prix astronomique de l’art aujourd’hui crée une tension entre les musées et les familles des collectionneurs d’origine qui ont rendu ces œuvres accessibles[20]. »

Ce qui est important dans ces exemples est le rapprochement croissant entre le musée et le marché. Les musées qui – selon le Conseil international des musées – sont censés créer un paysage culturel de longue durée sont, dans de tels cas, des théâtres fragiles à la merci des intérêts et des besoins financiers privés[21]. Comme je l’avance dans la section qui suit, cette tendance peut mener au clientélisme et à l’érosion de la confiance du public envers les institutions culturelles.

Le clientélisme et l’érosion de la confiance dans les institutions culturelles

Quelles sont les conséquences de ces évolutions pour notre conception du musée ? Est-ce qu’il reste une institution qui conserve le patrimoine pour le bien public à perpétuité, ou est-ce qu’il est devenu un site d’investissement pour une clientèle aisée ? En 2013, l’historien de l’art David Joselit offre un point de vue assez sombre dans son livre After Art : il soutient l’idée que l’art est devenu une devise internationale créée pour changer de mains facilement par-delà les frontières. Selon Joselit, cette tendance produit des résultats particuliers pour les musées : « Les musées nouveaux qui sont créés pour des villes autour du monde par les architectes-phares comme Frank Gehry, Renzo Piano, Jacques Herzog et Pierre de Meuron [fonctionnent] comme les banques centrales du monde artistique[22] ». Mais ce problème existe aussi dans les musées bien établis qui, selon Joselit, transforment du capital financier en capital culturel sous l’égide de la démocratie[23].

La logique qui soutient le mécénat contemporain mène à un problème important pour nos institutions publiques : le clientélisme. Comme l’a noté Luis Roniger, le clientélisme a des implications différentes selon la discipline qui l’interroge. Au fond cependant, il se réfère aux « relations asymétriques mais mutuellement bénéfiques du pouvoir et de l’échange ; un quiproquo non universaliste entre des individus ou des groupes des niveaux inégaux. Il implique l’accès arbitraire et sélectif aux ressources et marchés dont d’autres gens sont normalement exclus[24] ». En conséquence, ceux qui contrôlent des champs économiques ou politiques peuvent offrir un accès sélectif aux biens et aux services en anticipation d’un rendement souhaité.

Alors que le clientélisme est typiquement discuté dans un cadre politique, il est visible dans le monde des arts et il y produit des effets marquants. D’un côté, il existe la logique du philanthrocapitalisme selon laquelle un collectionneur met en place des prêts ou des donations dans l’attente d’obtenir certains bénéfices (outre des exemptions fiscales)[25]. Beaucoup de collectionneurs privés figurent, par exemple, dans les conseils d’administration des musées et, en même temps, font des dons ou des prêts aux institutions qu’ils aident à gérer.

En 2016, Cristina Ruiz (journaliste chez The Art Newspaper) remarque la tendance chez les conservateurs des institutions publiques à fournir leur expertise lors d’expositions organisées par les collectionneurs privés. Elle cite en ce sens la participation de Frances Morris – directrice de la Tate Modern – à une exposition de la collection George Economou à Athènes en 2016-17. En 2016 cette galerie privée a également consacré une exposition à l’art minimaliste, qui a été organisée par un autre conservateur de la Tate Modern, Mark Godfrey[26]. Ensuite, entre 2018 et 2019, la Tate Modern a réalisé l’exposition Magic Realism: Art in Weimar Germany 1919-33 avec des œuvres provenant de la collection Economou. Ce qui rend cette histoire plus compliquée est le fait que George Economou soit aussi membre du conseil d’administration de la Fondation Tate, qu’il ait fait des dons financiers au musée et qu’une salle du Blavatnik Building de Tate Modern porte son nom. L’imbrication du privé et du public ne peut pas être plus claire.

Nous pouvons toutefois comprendre le clientélisme également de l’autre côté de cette équation culturelle : dans ce cas, le public lui-même est compris comme un « client » des musées et de ses gérants, le patron (le musée et ses mécènes) prend le rôle d’une autorité qui domine ses clients (le public) dans une hiérarchie culturelle. Le public « bénéficie » des dons et des prêts aux musées soigneusement choisis par des mécènes et renonce en échange à son autonomie culturelle (et, on peut dire, à son autonomie de citoyen libre)[27]. Selon John P. McCormick, cette forme de clientélisme a ses origines dans un républicanisme aristocratique (voir, par exemple, les sociétés menées par des élites romaines ou florentines) dans lequel la tyrannie de la majorité était comprise comme la menace la plus importante pour la liberté républicaine[28]. Selon McCormick, dans un tel système les citoyens moins privilégiés sont soumis à la volonté de leurs « patrons », c’est-à-dire de leurs prétendus supérieurs sociaux, pour sauvegarder le pouvoir de l’oligarchie[29].

Ce modèle a un équivalent dans les contextes culturels d’aujourd’hui. On peut noter, par exemple, le rôle joué par des cercles des amis et des mécènes des musées qui (selon le niveau de souscription) font des dons, déterminent des achats, et peuvent influencer la stratégie du musée. Est-ce que ces cercles – et surtout l’exercice de contrôle qui s’ensuit – mettent en danger le caractère essentiellement public du musée en érodant la confiance du public dans ses institutions ? En effet, le public finance également les institutions culturelles, mais de manière beaucoup moins prestigieuse : sous forme de paiement de ses impôts. Les implications de ces distinctions financières mettent en lumière l’idée que les publics des musées ne sont pas égaux. En retirant le pouvoir au public et en le confiant aux élites sociales, les musées renforcent un modèle du spectateur : celui qui voit l’offre culturelle du musée, mais qui n’a pas le droit de participer à sa gestion ou de contribuer aux idées qui déterminent sa trajectoire culturelle à long terme. Pour revenir sur le point que j’ai soulevé dans l’introduction, il est légitime de se demander si l’exemple historique du mécénat conditionne les publics contemporains à accepter le contrôle culturel par des élites économiques dans des sociétés modernes[30].

S’il existe un déficit démocratique dans nos paysages culturels, est-ce que le grand public – et pas seulement des individus qui jouent des rôles prééminents dans les secteurs commerciaux – peut faire entendre sa voix dans des débats culturels, dans la gestion ou la programmation des musées publics ? Il y a eu bien sûr des exemples de l’exercice du pouvoir de la part des publics des musées sous diverses formes d’activisme. En Grande-Bretagne, par exemple, on peut citer des protestations contre les activités de parrainage de British Petroleum à la National Portrait Gallery et aux musées Tate en 2016 ; contre la représentation de la famille Sackler au conseil d’administration du musée Victoria & Albert en 2019 ; et contre le soutien du Turner Prize en 2019 par la société Stagecoach. Aux États-Unis, le milliardaire et collectionneur Leon Black – ancien président du conseil d’administration du MoMA – a démissionné en 2021 à cause de ses liens avec l’homme d’affaires et délinquant sexuel Jeffrey Epstein. Plus de 150 artistes ont demandé l’expulsion du collectionneur et certain d’entre eux ont signalé leur intention de mettre fin à leur collaboration avec le MoMA en cas d’inaction[31]. Dans tous ces exemples, les musées ont opéré des changements de gestion et de financement en réponse aux publics et aux artistes.

Si, selon le Conseil international des musées, l’une des missions d’un musée est d’ « encourager la diversité et la durabilité » et d’opérer avec « la participation de diverses communautés », il faut que nos institutions publiques restent indépendantes du pouvoir privé[32]. Comment atteindre ce but ? Même si une institution a besoin du soutien de fonds privés, qu’elle doit solliciter des prêts, ou qu’elle hérite d’une collection qui dérive de l’argent privé, l’œil critique du conservateur reste crucial. Même si l’on veut témoigner de plus de transparence dans la gestion de l’institution ou stimuler la diversité dans la programmation, les experts ont eux aussi un rôle actif à jouer – les historiens de l’art, les conservateurs, les critiques, les médiateurs culturels, et les directeurs des musées – pourvu que ces individus puissent garder leur indépendance.

Du point de vue du public, beaucoup d’initiatives ont été lancées depuis les années 1990 sous la bannière de « l’esthétique relationnelle » ou dans le but d’inclure des publics dans la création même de l’art[33]. On peut voir une extension de ces diverses pratiques dans l’association Arte Útil initiée par l’artiste Tania Bruguera qui vise à « promouvoir des moyens par lesquels l’art peut fonctionner effectivement dans la vie ordinaire[34] ». Bien que beaucoup de ces projets se déroulent avec la coopération des musées, la gestion de ces institutions et leurs relations quotidiennes avec les publics demeurent essentiellement inchangés.

Est-ce qu’il est possible de démocratiser la gestion des musées ? On peut penser aux tentatives d’un groupe de musées européens qui ont développé des stratégies démocratiques sous l’égide de « L’Internationale » en 2010[35]. L’historien culturel Nikos Papastergiadis a consacré un ouvrage aux activités de cette « confédération » qui étaient motivées par l’idée suivante : « Les directeurs des musées et des conservateurs ne peuvent pas se placer hors des communautés auxquelles ils sont censés appartenir et dont ils sont censés prendre soin. Le bien commun doit faire partie du tissu de l’organisation et de l’intelligence du musée[36] ». À l’inverse du modèle clientéliste que je viens de décrire, le but de L’Internationale était d’impliquer les membres du public comme constituants actifs de leurs institutions culturelles.

La tentative de L’Internationale pourrait servir comme un modèle pour la participation du public dans la construction de paysages culturels qui privilégient ses intérêts. On pourrait, par exemple, élargir le mandat de cette initiative en visant des grands musées publics. Cela nécessiterait le développement d’une relation entre les musées et les « micro-publics » dans la gouvernance institutionnelle : les cercles des mécènes pourraient être contrebalancés par des cercles des citoyens. Une telle adaptation de la notion d’assemblées de citoyens et de représentation des parties prenantes au contexte muséal aurait comme but de responsabiliser les institutions culturelles non seulement envers les grands investisseurs, mais aussi envers les diverses circonscriptions qui composent « l’intérêt général ». En adoptant le point de vue de John Dryzek selon lequel la légitimité démocratique découle d’une délibération authentique entre ceux qui sont touchés par des décisions collectives, on pourrait donc chercher à remplacer la gouvernance « descendante » des musées par un modèle participatif et innovant[37]. Cela pourrait inclure, par exemple, la représentation citoyenne dans les conseils d’administration des musées ; la création de conseils consultatifs composés de membres du public ; et des structures de gouvernance alternatives conçues pour promouvoir l’engagement actif des communautés dans la programmation et les acquisitions des œuvres d’art. En explorant des stratégies pour encourager la participation active des publics à la prise de décision institutionnelle, les musées pourraient développer « l’inclusion responsabilisée » d’une communauté dynamique et d’une citoyenneté diversifiée dans les paysages culturels[38].

Les enjeux sont élevés. Ils portent non seulement sur la création de cadres épistémiques de l’art, mais également sur les avenirs de la créativité elle-même[39]. Pour que les publics aient confiance en leurs institutions publiques et pour que les artistes aient la moindre possibilité d’une carrière, il nous incombe d’analyser les réseaux économiques et sociaux qui soutiennent l’extension du pouvoir privé dans les institutions publiques. Il faut rester également attentifs aux pressions financières et politiques qui s’exercent sur les institutions culturelles et qui s’étendent souvent dans la rhétorique des expositions. Plus important encore, cette constellation d’idées ouvre sur des questions qui informent la sphère culturelle et les rapports de pouvoirs entre les publics des musées.

 

Notes

[1] Je souhaite remercier Clara Tomasini pour son soigneux travail éditorial sur cet article. Voir, par exemple, les liens que Georgina Walker trace entre les collections contemporaines et le mécénat historique dans Walker G. S., The Private Collector’s Museum: Public Good versus Private Gain, Abingdon, Routledge, 2019. Pour une perspective contrastée, voir Shaked N., Museums and Wealth: The Politics of Contemporary Art Collections, Londres, Bloomsbury Academic, 2022, p. 4 et 52.

[2] Des Cars L., The Linbury Lecture at the National Gallery 2019. Telling the Nineteenth Century, Londres, The National Gallery, 2021, p. 29.

[3] Quemin A., Les stars de l’art contemporain. Notoriété et consécration artistiques dans les arts visuels, Paris, CNRS Éd., 2013. Voir aussi, Quemin A., Le monde des galeries : art contemporain, structure du marché et internationalisation, Paris, CNRS Éd., 2021, p. 263-274.

[4] Schultheis F., Single E., Egger S., Mazzurana T., When Art Meets Money: Encounters at the Art Basel, Cologne, Walter König, 2015, p. 99. Sauf indication contraire, toutes les traductions sont de l’auteure.

[5] L’œil du collectionneur, Musées de la ville de Strasbourg, 2016 : https://www.musees.strasbourg.eu/l-il-du-collectionneur (consulté en novembre 2022).

[6] Dagen P., « Strasbourg, à la gloire de ses collectionneurs d’art », Le Monde, 28 octobre 2016, en ligne : https://www.lemonde.fr/arts/article/2016/10/28/strasbourg-a-la-gloire-de-ses-collectionneurs-d-art_5021813_1655012.html (consulté en novembre 2022).

[7] J’ai analysé cet exemple dans « When Museums meet Markets », Journal of Visual Art Practice, vol. 19, no 3, 2020, p. 203–210. Voir aussi Brown K., « Disappearing Acts: fictitious capital, aesthetic atheism, and the artworld », Journal of Visual Art Practice, vol. 19, no 3, 2020, p. 225–240.

[8] Voir par exemple Apollinaire : le regard d’un poète, exp., Paris, Musée de l’Orangerie, Paris, 2016.

[9] Voir Shaked N., Museums and Wealth: The Politics of Contemporary Art Collections, Londres, Bloomsbury Academic, 2022, p. 101-107.

[10] Steyerl H., Duty Free Art: Art in the Age of Planetary Civil War, London, Verso, 2019, p. 80.

[11] Le cas des Fishers est étudié en détail par Shaked dans Museums and Wealth…, p. 15-52 (voir note 9).

[12] Pour plus de détails voir Desmarais C., « Unraveling SFMOMA’s deal for the Fisher collection », San Francisco Chronicle, 20 août 2016, en ligne : https://www.sfchronicle.com/art/article/Unraveling-SFMOMA-s-deal-for-the-Fisher-9175280.php (consulté en novembre 2022).

[13] Ibid.

[14] Shaked N., Museums and Wealth: The Politics of Contemporary Art Collections, Londres, Bloomsbury Academic, 2022, p. 29.

[15] Perman S., « Inside the Marciano Art Foundation’s spectacular shutdown », Los Angeles Times, 16 février 2020, en ligne : https://www.latimes.com/entertainment-arts/story/2020-02-16/la-et-cm-marciano-art-foundation-story-behind-the-closure (consulté en novembre 2022). Voir aussi Adam G., The Rise and Rise of the Private Art Museum, London, Lund Humphries, 2021, p. 77-78.

[16] Voir le site internet du SFMOMA: « The Fisher Collection at SFMOMA », https://www.sfmoma.org/artists-artworks/fisher-collection/ (consulté en novembre 2022).

[17] Neuendorf H., « He wasn’t bluffing: Georg Baselitz takes back his works from German museums », artnet news, 20 juillet 2015, en ligne : https://news.artnet.com/art-world/baselitz-removes-art-dresden-318191 (consulté en novembre 2022).

[18] Kaufman J. E., « Collection withdrawn from Swiss museums in protest against Unidroit », The Art Newspaper, 1er septembre 1997, en ligne : https://www.theartnewspaper.com/1997/09/01/collection-withdrawn-from-swiss-museums-in-protest-against-unidroit (consulté en novembre 2022).

[19] Fondation Beyeler, « The Rudolf Staechelin Collection », communiqué de presse, 30 août 2019.

[20] Kennicott P., « One last look at Switzerland’s $300m view », The Washington Post, 9 octobre 2015, en ligne : https://www.washingtonpost.com/ (consulté en novembre 2022).

[21] Le conseil international des Musées (ICOM) a adopté une nouvelle définition des musées, le 24 août 2022, en ligne : https://icom.museum/fr/ressources/normes-et-lignes-directrices/definition-du-musee/ (consulté en novembre 2022) : « Un musée est une institution permanente, à but non lucratif et au service de la société, qui se consacre à la recherche, la collecte, la conservation, l’interprétation et l’exposition du patrimoine matériel et immatériel. Ouvert au public, accessible et inclusif, il encourage la diversité et la durabilité. Les musées opèrent et communiquent de manière éthique et professionnelle, avec la participation de diverses communautés. Ils offrent à leurs publics des expériences variées d’éducation, de divertissement, de réflexion et de partage de connaissances ».

[22] Joselit D., After Art, Princeton, Princeton University Press, 2013, p. 1.

[23] Ibid., p. 71.

[24] Roniger L., « Political Clientelism, Democracy, and Market Economy », Comparative Politics, vol. 36, n° 3, avril 2004, p. 353-354.

[25] Voir Brown K., « Private Influence, Public Goods, and the Future of Art History », Journal for Art Market Studies, vol. 3, no 1, p. 8-12, en ligne : https://www.fokum-jams.org/index.php/jams/article/view/86 (consulté en novembre 2022).

[26] Ruiz C., « Why museum leaders are organizing shows for private collectors », The Art Newspaper, 4 octobre 2016, en ligne : https://www.theartnewspaper.com/2016/10/04/why-museum-leaders-are-organising-shows-for-private-collectors (consulté en novembre 2022).

[27] Lemieux V., « Le sens du patronage politique », Journal of Canadian Studies, vol. 22, n° 2, 1987, p. 5-18 ; Roniger L., « Political Clientelism, Democracy, and Market Economy », Comparative Politics, vol. 36, n° 3, avril 2004, p. 354. Voir aussi Briquet J.-L., Sawicki F., « Introduction », Briquet J.-L., Sawicki F. (dir.), Le Clientélistme politique dans les sociétés contemporaines, Paris, Presses universitaires de France, 1998, p. 1-5.

[28] McCormick J. P., « The New Ochlophobia: Populism, Majority Rule, and Prospects for Democratic Republicanism », Elazar Y., Rousselière G. (dir.), Republicanism and the Future of Democracy, Cambridge, Cambridge University Press, 2019, p. 125.

[29] Ibid., p. 132.

[30] Voir aussi Shaked N., Museums and Wealth: The Politics of Contemporary Art Collections, Londres, Bloomsbury Academic, 2022, p. 29-33.

[31] Bishara H., « Over 150 artists call for Leon Black’s removal from MOMA’s board over Jeffrey Epstein Financial Ties », Hyperallergic, 4 février 2021, en ligne : https://hyperallergic.com/619709/artists-call-for-leon-blacks-removal-moma-jeffrey-epstein/ (consulté en novembre 2022).

[32] Voir la nouvelle définition du musée citée ci-dessus (note 21).

[33] Bourriaud N., L’esthétique relationelle, Paris, Presses du réel, 1998 ; Kester G., The One and the many: Contemporary Collaborative Art in a Global Context, Durham ; Londres, Duke University Press, 2011 ; Brown, K., Interactive Contemporary Art: Participation in Practice, Londres, IB Tauris, 2014.

[34] Arte Útil : https://www.arte-util.org/about/activities/ (consulté en novembre 2022).

[35] Les musées concernés sont les suivants : Moderna galerija (Ljubljana) ; Museu d’Art Contemporani (Barcelone) ; Museum van Hedendaagse Kunst (Anvers) ; Van Abbemuseum (Eindhoven) ; Július Koller Society (Bratislava) ; Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia (Madrid); SALT (Istanbul) ; Muzeum Szutki Nowoczesnej (Varsovie).

[36] Papastergiadis N., Museums of the Commons: L’Internationale and the Crisis of Europe, Abingdon, Routledge, 2020, p. 10 : « Museum directors and curators cannot stand outside the communities that they are supposed to be part of and care for. The commons must be part of the fabric of museum organization and intelligence ».

[37] Dryzek J. S., Deliberative Democracy and Beyond: Liberals, Critics, Contestations. Oxford, Oxford University Press, 2002.

[38] La notion d’ « inclusion responsabilisée » est discutée par Edana Beauvais dans « Deliberation and Equality », Bächtinger A., Dryzek J. S., Mansbridge J., Warren M. E. (éd.), The Oxford Handbook of Deliberative Democracy, Oxford, Oxford Univesity Press, 2018, p. 144-155.

[39] Voir Brown K., « Art markets, epistemic authority, and the institutional curation of knowledge », Cultural Studies, février 2022, en ligne : https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09502386.2022.2030777?scroll=top&needAccess=true (consulté en novembre 2022).

 

Pour citer cet article : Kathryn Brown, "Les arts de l’inégalité. Le pouvoir du collectionneur dans le domaine culturel et les risques de clientélisme", exPosition, 6 décembre 2022, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles7/brown-arts-inegalite/%20. Consulté le 13 octobre 2024.

La visibilité des expositions de collections privées en France. Entre stratégies de rayonnement, de programmation et de déclassification

par Gwendoline Corthier-Hardoin

 

 — Gwendoline Corthier-Hardoin est docteure en histoire de l’art de l’École normale supérieure de Paris et de l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, où elle a mené une recherche sur les artistes collectionneurs en France des années 1860 aux années 1970. Son travail s’est attaché à étudier les acquisitions des artistes d’un point de vue esthétique, économique et sociologique. Elle a contribué à plusieurs revues et ouvrages dont Histoire de l’art (2021), Researching Art Markets. Past, Present and Tools for the Future (dir. Elisabetta Lazzaro, Nathalie Moureau, Adriana Turpin, 2021) ou encore Collectionner l’impressionnisme. Le rôle des collectionneurs dans la constitution et la diffusion du mouvement (dir. Ségolène Le Men et Félicie Faizand de Maupeou, 2022). Elle est actuellement chargée de recherche et d’expositions au Centre Pompidou-Metz.   —

 

En juin 2019 était inauguré le MO.CO. (Montpellier Contemporain) Hôtel des expositions à Montpellier, espace d’expositions dédié aux collections privées et publiques contemporaines du monde entier. La création de cette nouvelle structure, à l’image du projet d’ouverture du musée des collectionneurs à Angers[1], traduit un intérêt croissant pour les collections privées en France. Dans un contexte de raréfaction des fonds consacrés à l’acquisition d’œuvres, la visibilité de collections déjà constituées, entendue ici comme leur mise en exposition, représente un enjeu central pour les institutions culturelles publiques. Comme l’ont montré Judith Benhamou-Huet[2], Cyril Mercier[3], Anne Martin-Fugier[4], Kathryn Brown[5] ou encore Nathalie Moureau, Dominique Sagot-Duvauroux et Marion Vidal[6], les collectionneurs jouent aujourd’hui un rôle primordial comme instance de légitimation dans le monde de l’art, voire comme contrepoids des institutions publiques. Une situation qui conduit ces institutions à nouer des liens étroits avec des collectionneurs plus ou moins influents, et qui se matérialisent sous la forme d’expositions consacrées à leurs collections personnelles. Cette étude propose de mettre en lumière, grâce à un large dépouillement des programmations artistiques relatives aux institutions culturelles publiques françaises depuis les années 1950, comment les collections privées bénéficient d’une visibilité croissante dans la sphère publique. Cette visibilité témoigne d’une transformation progressive du paysage muséal en France, en même temps que de la frontière toujours plus poreuse entre acteurs publics et privés.

L’inventaire des expositions de collections privées

Afin d’analyser la visibilité des collections privées d’art contemporain d’un point de vue institutionnel, une liste des expositions des collections privées ayant eu lieu en France dans des structures publiques a été réalisée. Jusqu’ici, rares étaient les inventaires existant sur ce type d’événements. La plupart d’entre eux ont été effectués dans le cadre de recherches universitaires et s’inscrivent dans un champ de recherche délimité[7]. Nous avons complété ces travaux, en menant une recherche élargie à l’ensemble des expositions de collections privées d’art contemporain ayant eu lieu dans les institutions culturelles publiques françaises. Dans un premier temps, une liste des musées, centres et lieux d’art, ainsi que des FRAC existant sur le territoire français a été établie[8]. Dans un second temps, un dépouillement systématique des programmations relatives à ces institutions a été mené. Certaines d’entre elles sont disponibles en ligne[9], mais la majorité des programmations restent inaccessibles de prime abord. Le manque de temps, de moyens humains et budgétaires ; le désintérêt pour l’archivage ; ou encore les catastrophes naturelles et le piratage de données subis par certaines institutions, ont laissé dans l’ombre des décennies d’événements. Les institutions recensées ont donc été contactées individuellement, afin de recueillir une liste des expositions s’étant déroulées dans leurs lieux. Grâce à cette méthode, complétée par des articles de presse, les programmations de 61 musées, 13 FRAC, 29 centres d’art, 54 lieux d’art et 12 écoles d’art – soit 169 programmations d’institutions – ont pu être consultées[10]. Si cette liste n’est pas exhaustive, elle comprend la majorité des lieux conséquents d’art en France, susceptibles d’accueillir des collections privées. Par la suite, le dépouillement de ces programmations a permis de mettre au jour une liste de 339 expositions de collections privées ayant eu lieu dans 184 lieux sur le territoire français depuis les années 1950 (Fig. 1).

Fig. 1 : Cartographie des expositions de collections privées en France entre 1957 et 2022. Source : Gwendoline Corthier-Hardoin © OpenStreetMap contributors, © CARTO

L’hypothèse de ce travail se basait sur l’idée que les collectionneurs avaient gagné en visibilité au sein des institutions culturelles publiques, mais aucune enquête ne permettait de l’affirmer. Grâce à la collecte des données relatives aux expositions de collections privées, il est désormais possible d’analyser l’évolution de cette mise en visibilité, et de déconstruire certaines idées reçues sur le sujet, notamment des points de vue chronologique, géographique et économique.

Tout ne commence pas réellement avec Passions privées

L’exposition Passions privées, organisée en 1995 au musée d’Art Moderne de Paris, est communément considérée comme le point de départ de la visibilité des collections privées en France. Elle constitue, pour citer Stéphane Ibars dans le catalogue de l’exposition Collectionner au XXIe siècle, « un modèle en l’espèce tant les réflexions menées sur l’existence des collections privées d’art moderne et contemporain, leur constitution et leur médiatisation, ont permis d’imposer la figure du collectionneur au centre des nouveaux enjeux de l’art[11] ». Les motivations à l’origine de cette exposition sont à trouver dans le manque de visibilité des collectionneurs privés en France à cette période. Suzanne Pagé, commissaire de l’exposition, déclare à ce propos : « nous avons entamé une prospection systématique sur le terrain, privilégiant l’expérience directe et ignorant les allégations et autres a priori récurrents sur “l’absence bien connue de collectionneurs en France[12]” ». L’institution fait alors le pari de mettre en cause cette invisibilité, et dévoile qu’en réalité de nombreux amateurs existent sur le territoire français et soutiennent l’art contemporain. Si l’ampleur de cette exposition est inédite, son organisation doit néanmoins être appréhendée comme la résultante d’une évolution progressive du paysage muséal, des points de vue géographiques et temporels. En effet, plusieurs expositions de collections privées avaient eu lieu avant Passions privées.

En 1957 par exemple, l’événement Chefs-d’œuvre des Collections privées contemporaines du Tarn se tenait au musée Goya de Castres et, cinq ans plus tard, le musée des Arts décoratifs de Paris présentait Collections d’expression française. Au cours des années 1960, plusieurs institutions accueillaient par ailleurs la collection hollandaise Peter Stuyvesant. Entre 1964 et 1966 par exemple, les musées des beaux-arts du Havre et de Rennes, ainsi que le Centre Art et Recherches du Palais du Louvre, présentaient cette collection d’entreprise de tabac. Durant les années 1970, les collections de Suzy Solidor (1973), Gildas Fardel (1974), Pierre et Kathleen Granville (1974) étaient présentées au musée Grimaldi de Cagnes-sur-Mer, au musée d’Arts de Nantes et au musée des Beaux-arts de Dijon. Toutes étaient consacrées à la présentation des donations que ces collectionneurs avaient effectuées aux institutions. Une grande propension de la mise en visibilité des collections privées en France se déroule en effet à la suite d’une donation. Citons par exemple l’exposition après la donation d’Alexandre Iolas au Centre Pompidou en 1980, celle relative à la donation de Geneviève Bonnefoi à l’abbaye de Beaulieu la même année, ou encore Dons de la famille de Menil en 1984 et Donations Daniel Cordier : le regard d’un amateur en 1989, toutes deux au Centre Pompidou.

Parallèlement à ce type d’événements, se sont tenues des expositions proposant un regard novateur sur un courant ou un territoire spécifique de l’histoire de l’art, avec parmi elles Aspects historiques du constructivisme et de l’art concret —La Collection Mc Crory au Musée d’Art moderne de Paris en 1977, L’art depuis 1960. Collection Ludwig au CAPC de Bordeaux en 1979 ou encore Collection Pierre Restany « Une vie dans l’art » au Musée d’art moderne de Céret dix ans plus tard. Sans lister l’ensemble des expositions ayant eu lieu avant Passions privées, leur nombre (46 selon l’inventaire réalisé) révèle qu’une dynamique de collaboration entre le privé et le public était déjà à l’œuvre sur l’ensemble du territoire français avant 1995. En revanche, Passions privées fait figure d’événement catalyseur en raison de son envergure (92 collectionneurs prêtent alors des œuvres et 29 d’entre eux dévoilent leur identité). Par la suite, le nombre d’expositions de collections privées triple quasiment à partir des années 2000, pour atteindre son apogée dans les années 2010 (Fig. 2).

Fig. 2 : Histogramme des expositions de collections privées dans les institutions culturelles publiques en France par année. Source : Gwendoline Corthier-Hardoin

Si les collections privées contemporaines se donnent de plus en plus à voir au sein des institutions culturelles publiques, c’est entre autres parce que l’art contemporain, de manière générale, bénéficie de plus en plus de lieux d’accueil et de valorisation dans le domaine public. Non seulement de nombreuses institutions ayant accueilli des expositions de collections privées ont ouvert leurs portes depuis les années 1960, mais plusieurs fondations privées[13] et clubs de collectionneurs[14] ont également vu le jour, particulièrement dans les années 2000. En outre, les objectifs muséaux se sont progressivement modifiés. Les questions de rayonnement et de mécénat sont aujourd’hui indissociables des missions premières des musées (conservation, étude et diffusion des collections), entraînant une forte porosité avec le secteur privé[15].

Les collections les plus visibles : une question de rayonnement

La grande majorité des collections privées exposées en France sont françaises. Elles représentent 65% des collections présentées, suivies de collections allemandes (2%), suisses (2%), états-uniennes (2%) et néerlandaises (2%). Les dix collections les plus visibles en France, d’après l’inventaire constitué, sont celles de la Société Générale, de Jean Ferrero, de François Pinault, de Daniel Cordier, d’Agnès Troublé (agnès b.), de l’Adiaf, de Bernard Lamarche-Vadel, de Madeleine Millot-Durrenberger, de Marc Sordello et Francis Missana, puis de Nicolas Laugero Lasserre. Cette liste apparaît fortement hétérogène. De nombreuses différences séparent ces acteurs, de la nature de leur statut aux moyens financiers qu’ils possèdent en passant par le type d’œuvres collectionnées. Cependant, cette hétérogénéité témoigne des multiples enjeux rencontrés par les institutions culturelles publiques françaises, tant sur le plan du rayonnement – local et international – que sur celui de la programmation.

Créée en 1995, la collection d’entreprise Société Générale rassemble plus de 570 œuvres originales et 750 lithographies, éditions et sérigraphies, constituant l’un des plus importants ensembles d’art contemporain réuni par une banque en France. Ce n’est qu’à partir de 2005 que la Collection Société Générale bénéficie d’une visibilité au sein des institutions culturelles publiques, avec une exposition au musée des Beaux-Arts de Rouen cette année-là, puis en 2006 au musée d’Art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole et au musée des beaux-arts de Nancy, l’année suivante au musée d’Art moderne de Céret, en 2009 au centre de création contemporaine Olivier Debré de Tours, au Palais des Beaux-Arts de Lille et au musée des Beaux-Arts de Lyon en 2010, au musée d’Art moderne et d’Art contemporain (MAMAC) de Nice l’année suivante, et enfin au Lieu d’Art et Action Contemporaine de Dunkerque en 2014.

Le début de cette visibilité correspond à un moment particulier de l’histoire de la collection puisqu’à partir de 2004, la Société Générale mène une intense politique de mécénat auprès d’institutions telles que le musée des Beaux-Arts de Lyon, le Centre de création contemporaine Olivier Debré, ou encore le MAMAC de Nice. Ce mécénat se déroule fréquemment en parallèle des expositions dédiées à la collection Société Générale. Il s’agit, comme l’explique Angélique Aubert, responsable du mécénat artistique de l’entreprise en 2012, de privilégier des « musées en région pour exposer la collection[16] ». On assiste alors à une véritable volonté de diffusion géographique afin de valoriser le fonds constitué, et par extension la politique mécénale de la Société Générale.

Si ce rayonnement bénéficie aux collections privées, il permet également aux institutions et aux collectivités de jouir de retombées médiatiques et économiques. Lorsque l’homme d’affaires et milliardaire François Pinault expose sa collection en 2018[17] puis 2019, 2020 et 2021[18] à Rennes – ville dont il est originaire –, la municipalité ne cache pas ses ambitions. Nathalie Appéré, Maire de Rennes, déclare en 2018 :

« Accueillir la collection de François Pinault au Couvent des Jacobins, notre nouveau Centre des Congrès, c’est, pour Rennes, l’opportunité exceptionnelle de vivre au cœur de la création internationale. Pour les Rennaises et les Rennais, mais aussi pour celles et ceux qui viendront, à cette occasion, découvrir notre ville, cette exposition va constituer, j’en suis sûre, une expérience inoubliable, le point d’orgue d’un engagement résolu pour promouvoir l’art contemporain à Rennes[19] ».

La collection privée constitue alors un gage de renommée dont usent les municipalités pour promouvoir leur ville. Nombreux sont les exemples de cette utilisation du privé à des fins de rayonnement, comme lorsque la Maire de Paris, Anne Hidalgo, se réjouissait de l’ouverture de la Bourse de Commerce – Pinault Collection, considérée comme l’une des « marques » permettant de promouvoir l’art contemporain à Paris[20]. Un double bénéfice pour chacune des parties, posant toutefois la question de l’institutionnalisation progressive de ces mêmes collections, d’abord légitimées par les structures publiques.

La collection constituée à partir de 1983 par la créatrice de mode Agnès Troublé est un exemple supplémentaire de ce processus. Comprenant aujourd’hui environ 5 000 pièces, sa collection se déploie entre peintures, sculptures, photographies et vidéos. Jouissant d’une importante renommée dans le monde culturel, la collectionneuse a été fortement convoitée par les institutions publiques à partir des années 1990, et plus intensément à partir des années 2000 : Espace des arts de Chalon-sur-Saône et musée Picasso d’Antibes en 1992, Centre national de la photographie de Paris en 2000, Palais des arts de Nogent-sur-Marne en 2002, Les Abattoirs de Toulouse en 2004, Lille Métropole Musée d’Art moderne, d’Art contemporain et d’Art brut de Villeneuve-d’Ascq en 2015, Musée National de l’histoire de l’immigration de Paris en 2017, École nationale supérieure de la Photographie d’Arles en 2019. Cette série d’expositions met en exergue « sa curiosité insatiable et son œil décalé[21] » qui fonctionne comme un vecteur de légitimation de ses choix, et qui aboutit à l’ouverture à Paris, en 2020, d’un lieu consacré à sa collection : La Fab[22].

Ces quelques exemples révèlent combien la visibilité des collections privées repose sur des facteurs multiples, allant des enjeux de rayonnement, de légitimité et d’institutionnalisation, à des questions davantage économiques et politiques. Face à la baisse des budgets publics nationaux, et à un État parfois davantage « pourvoyeur de normes que de ressources » selon les mots de Sylvie Pflieger, Anne Krebs et Xavier Greffe[23], il apparaît complexe, pour les musées, d’être aussi réactifs sur le marché de l’art que les collectionneurs privés. En outre, les œuvres rassemblées par ces derniers exercent un pouvoir d’attraction tel qu’il permet de répondre aux attentes de fréquentation et de renommée demandées par les structures subventionneuses.

Un moyen d’explorer de nouveaux champs visuels pour les institutions

Il serait cependant réducteur d’expliquer la visibilité des collections privées dans les institutions culturelles publiques uniquement par le prisme du rayonnement, qu’il soit politique ou économique. La position du collectionneur lui permet d’opérer des choix personnels, à la différence des règles et limites qui incombent à la constitution d’une collection publique (inaliénabilité, historicité, cohérence…). Cette liberté propre au collectionneur privé l’amène à porter un regard singulier sur certaines œuvres, démarches ou courant artistiques, dont peuvent bénéficier les institutions culturelles publiques en les exposant, à l’image de la collection de Jean Ferrero principalement montrée sur la Côte d’Azur et qui promeut notamment l’École de Nice, ou des œuvres aborigènes rassemblées par Marc Sordello et Francis Missana.

Débutée dans les années 2000, la collection de Sordello et de Missana se compose d’une grande variété de pratiques artistiques (art aborigène « du désert » et art aborigène dit « urbain » notamment). Les deux collectionneurs se sont donnés pour mission de rendre visible leur collection afin de promouvoir l’art aborigène australien dans des espaces dédiés à l’art contemporain. Cette mise en visibilité se déploie principalement sur la côte sud-française : au MAMAC de Nice en 2007, à la Médiathèque Albert Camus d’Antibes en 2008 et en 2015, à la Médiathèque Jean d’Ormesson de Villeneuve-Loubet en 2015 également, à la Médiathèque Colette de Valbonne, ainsi qu’à la Médiathèque Sonia Delaunay de Biot la même année[24]. En 2016, la collection de Sordello et de Missana est présentée au musée océanographique de Monaco. Un objectif commun préexiste à ces événements, celui de faire sortir l’art aborigène des musées d’anthropologie. Autrement dit, la collection – au-delà d’être animée par des motivations fonctionnelles, sociales ou financières[25] – devient aussi le moyen d’étendre les frontières de l’art contemporain.

La visibilité de la collection de Bernard Lamarche-Vadel, écrivain et critique d’art, rejoint cet enjeu de déclassification. Cette collection a été exposée à six reprises (en 2003, 2004, 2009, 2011 et 2013), dans un même lieu, le Musée Nicéphore Niepce de Chalon-sur-Saône. Composée de près de 1 700 photographies, la collection de Lamarche-Vadel est mise en dépôt au sein de l’institution en 2003 par ses ayants droit, le collectionneur étant décédé trois ans plus tôt. Elle a non seulement permis d’enrichir le fonds muséal, mais surtout de repenser le parcours muséographique de l’institution. Sonia Floriant, chercheuse associée au musée, déclare à ce propos : « La collection Lamarche-Vadel nous sert de test pour poursuivre nos réflexions sur une nouvelle muséographie, sur l’idée qu’il faut “réinterpréter”, réviser la notion de collection[26] […] ». Des propos qui révèlent combien la monstration de collections privées peut aussi constituer, pour l’institution, un moyen de se questionner. À partir d’une approche transdisciplinaire, la collection privée est ici envisagée comme un outil de recherche sur l’appréhension et le rendu visuel d’une collection dans sa quasi-globalité, afin de proposer un display inédit, et par extension une réception nouvelle des œuvres par le public.

Une autre collection de photographies de près de 1 300 pièces, rassemblée par la Strasbourgeoise Madeleine Millot-Durrenberger, a elle aussi été régulièrement présentée au sein de structures publiques : l’École supérieure des beaux-arts de Nîmes (Esban) en 2005, à la Maison d’art Bernard-Anthonioz de Nogent-sur-Marne en 2008, à trois reprises à l’Institut Supérieur des Beaux-Arts (ISBA) de Besançon en 2012, 2014 et 2017, puis à la Maison de Saint-Louis, Centre d’art et de photographie de Lectoure en 2018. Chacune de ces expositions adoptait un point de vue spécifique sur la collection, qu’il soit formel ou conceptuel. Régulièrement commissaire de ces expositions, Millot-Durrenberger mène aussi une intense politique éditoriale grâce à sa maison d’édition créée en 1986. La visibilité de cette collection repose donc sur une démarche particulièrement active de la collectionneuse, qui semble non seulement chercher à exposer régulièrement les pièces rassemblées, mais également à faire émerger de nouveaux questionnements. Elle déclare à ce propos :

« Je diffuse les activités des artistes de ma collection en exposant et en publiant leurs œuvres. Par exemple, j’essaie de créer quelque chose qui montre de nouvelles idées en réunissant des philosophes, des universitaires, des écrivains ou des psychanalystes pour discuter des images créées par les artistes. J’organise également de nombreuses expositions avec les idées qui me viennent à l’esprit[27] ».

La collection Millot-Durrenberger est un exemple particulièrement significatif de l’ambiguïté relative au rôle des collections privées, celles-ci étant désormais envisagées comme des outils réflexifs et pédagogiques, au même titre que les collections muséales. Une confusion – ou complémentarité – renforcée par la position que s’octroient les collectionneurs en tant que commissaires d’expositions, à l’image des directeurs ou conservateurs d’institutions. Se pose en effet parfois la question d’une visibilité autonome des acquisitions effectuées par les collectionneurs privés, à travers les institutions publiques[28]. Du choix des œuvres présentées à celui de leur circulation par la suite – conservées en mains privées ou revendues sur le marché –, il existe une ambiguïté, voire un conflit d’intérêt, sur la question des artistes promus. Dans son article « When museums meet markets », Kathryn Brown explique :

« Le rôle de plus en plus puissant des collectionneurs privés – dont beaucoup gèrent désormais leurs propres musées – est un facteur qui a précipité de nouveaux changements dans les paysages culturels du monde entier. Comme les particuliers se tournent vers le marché pour élargir leurs collections, les artistes qui sont promus par des marchands et des maisons de vente aux enchères motivés par des considérations commerciales sont inévitablement ceux qui se frayent un chemin dans le plus récent des musées[29] ».

Autrement dit, la réitération d’expositions relatives aux collections privées questionne de manière sous-jacente la diversité culturelle proposée au sein des structures publiques, et par extension l’équilibre précaire de cette diversité depuis l’avènement des collections privées dans le secteur muséal.

Quelles collections pour quels enjeux ?

Si les collections précédemment mentionnées ont toutes bénéficié d’une forte visibilité en France grâce à des expositions, les motivations à l’origine de ces événements, comme leurs objectifs, diffèrent. On observe premièrement un contraste assez net entre des collectionneurs dotés de moyens conséquents qui montrent leurs collections par stratégies de visibilité (n’empêchant pas une démarche de mécènes engagés) et des collectionneurs plus locaux, présentant leurs collections au sein d’un territoire restreint parce qu’ils y sont implantés depuis plusieurs années. Deuxièmement, une distinction doit être faite entre les collections privées restées en main privées – visibles pour montrer l’engagement actuel d’un collectionneur – et celles rendues visibles à la suite d’une donation ou d’un dépôt – lorsque les institutions rendent hommage ou usent de ces collections pour repenser leur muséographie, à l’image de la collection de Daniel Cordier. Enfin, si certaines grandes collections privées se composent d’œuvres reconnues et établies sur la scène artistique contemporaine, d’autres se donnent pour missions de soutenir et de défendre des productions encore peu visibles dans le champ culturel français, à l’instar de Nicolas Laugero Lasserre œuvrant à la diffusion de l’art urbain. De nombreuses variables doivent ainsi être prises en compte pour comprendre la visibilité croissante des collections privées et les réactions qu’elles suscitent, du développement des institutions muséales aux enjeux historiographiques, en passant par les attentes des instances subventionneuses, des lieux d’accueil et du public.

En 2021, plusieurs voix s’élevaient en effet contre l’exposition des œuvres de Jeff Koons par François Pinault au Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem). Un tract intitulé « KOONS MUCEM WTF ? » (Fig. 3) s’insurgeait contre la mainmise du collectionneur sur une structure publique, accusant l’institution d’accueillir une exposition qui allait par la suite valoriser la cote d’œuvres appartenant à un acteur privé[30].

Fig. 3 : Tract des Occupant·es du FRAC PACA. Source : Occupant·es du FRAC PACA

Dans sa conférence sur « Le pouvoir du collectionneur dans le domaine culturel[31] », Kathryn Brown mettait en garde sur les dangers que peut représenter le mécénat privé, sur la « starisation » des personnalités du monde de l’art – les méga-collectionneurs –, sur le clientélisme des institutions, ainsi que sur l’extension du goût privé dans la sphère publique. Selon l’historienne de l’art, il ne doit pas être oublié que ces collections privées reflètent les intérêts intellectuels, sociaux et économiques d’une élite. Elle défendait par la même l’idée que les musées doivent pouvoir garder leur esprit critique, malgré la proximité aujourd’hui indéniable qu’il existe entre la sphère privée et les institutions culturelles publiques. Les expositions de collections privées en France montrent en effet combien cette proximité est de plus en plus présente, bien que les collectionneurs mis en lumière ne concernent pas majoritairement de méga-collectionneurs. En outre, elles révèlent combien il est déterminant de s’interroger sur ce qui est donné à voir, tant d’un point de vue social qu’historiographique.

 

Notes

[1] Le musée des collectionneurs, développé par la Compagnie de Phalsbourg, accompagnée de Steven Holl Architects et de Franklin Azzi Architectes, a pour but d’exposer les œuvres de collections privées. Son ouverture est prévue en 2026 à Angers.

[2] Benhamou-Huet J., Global Collectors = Collectionneurs du monde, Bordeaux, Cinq sens ; Paris, Phébus, 2008.

[3] Mercier C., Les collectionneurs d’art contemporain : analyse sociologique d’un groupe social et de son rôle sur le marché de l’art, thèse de doctorat de sociologie sous la dir. d’Alain Quemin, Université Sorbonne Nouvelle -Paris 3, 2012, 1 vol.

[4] Martin-Fugier A., Collectionneurs : entretiens, Arles, Actes Sud, 2012.

[5] Brown K., « Patrimony and Patronage: Collecting and Exhibiting Contemporary Art in France », présentation lors de la conférence Collecting and Public Display : Art Markets and Museums, Université de Leeds, 30-31 mars 2017 ; « Public vs private art collections: who controls our cultural heritage? », The Conversation, 11 août 2017, en ligne : https://theconversation.com/public-vs-private-art-collections-who-controls-our-cultural-heritage-80594 (consulté en novembre 2022).

[6] Moureau N., Sagot-Duvauroux D., Vidal M., Collectionneurs d’art contemporain : des acteurs méconnus de la vie artistique, Paris, Département des Études, de la Prospective et des Statistiques, 2015.

[7] Bissirier T., Une nouvelle génération de collectionneurs : motivations, comportements d’acquisition et pratiques de la collection chez les jeunes collectionneurs d’art contemporain en France, thèse de doctorat d’histoire de l’art sous la dir. de Cecilia Hurley et Sylvain Alliod, École du Louvre, 2019, 1 vol. ; Corthier-Hardoin G., Artistes collectionneurs : un oxymore ? Évolution du collectionnisme chez les artistes en France des années 1860 aux années 1970. Entre fraternité, dynamiques marchandes et stratégies de légitimation, thèse de doctorat d’histoire de l’art sous la dir. de Béatrice Joyeux-Prunel et Nathalie Moureau, École normale supérieure de Paris ; Université Paris Sciences et Lettres, 2022, 1 vol.

[8] Ont été pris en compte pour cette recherche les musées d’art contemporain, musées d’art moderne, musées des Beaux-Arts, musées d’archéologie, centres d’art contemporain (labellisés ou non), lieux publics accueillant de l’art contemporain (galeries municipales, artothèques, médiathèques), fonds régionaux d’art contemporain, scènes nationales (conventionnées ou non), établissements publics de coopération culturelles, écoles d’art. Les lieux à caractère privé ont été écartés de la liste.

[9] Voir par exemple le catalogue raisonné des expositions du Centre Pompidou, en ligne : http://catalogueexpositions.referata.com (consulté en novembre 2022).

[10] Environ 80 lieux n’ont pas donné de réponses : 38 écoles d’art, 37 lieux d’art municipaux, 17 musées et neuf FRAC.

[11] Ibars S., « Si une accumulation reflète une vie… », Collectionner au XXIe siècle, cat. exp., Avignon, Collection Lambert, 2019, p. 16.

[12] Pagé S., « Préface », Passions privées. Collections particulières d’art moderne et contemporain en France, cat. exp., Paris, Musée national d’Art moderne, 1995, p. 12.

[13] La fondation Maeght a ouvert ses portes en 1964 ; la fondation Cartier en 1984 ; la coopérative-musée Cérès Franco en 1993 ; la fondation Jean-Marc et Claudine Salomon et la fondation Kadist en 2001 ; la maison rouge – fondation Antoine de Galbert et la fondation Blachère en 2004 ; la fondation Clément en 2005 ; la fondation Ricard en 2007 ; la fondation Francès en 2009, la villa Datris ; l’institut culturel Bernard Magrez et le fonds Hélène et Édouard Leclerc en 2011 ; la fondation François Schneider en 2013 ; la fondation Louis Vuitton en 2015 ; la fondation Carmignac et Lafayette Anticipations en 2018 ; La Fab en 2020 ; la collection Pinault, le pôle culturel de l’Île Seguin ou encore la fondation Helenis en 2021.

[14] Comme l’association pour la Diffusion internationale de l’Art français (Adiaf), créée en 1994, suivie d’autres associations comme L’Œil Neuf, Les Centaures, le Club Buy Art d’Art Process, le Barter Paris, CLAC !, ART38, le Club Achetez de l’art ou encore Le Club Spring.

[15] Quemin A., « The Market and Museums: the Increasing Power of Collectors and Private Galleries in the Contemporary Art World », Journal of Visual Art Pratice, vol. 19, n°3, 2020, p. 211-224.

[16] Alliod S., « Trois questions à Angélique Aubert », La Gazette de l’Hôtel Drouot, n°25, 2012, en ligne : https://artstorming.fr/wp-content/uploads/2017/06/Gazette-Drouot_2012.pdf (consulté en novembre 2022).

[17] Debout ! : Pinault Collection, cat. exp., Rennes, Couvent des Jacobins, Musée des Beaux-Arts, 2018.

[18] Au-delà de la couleur : le noir et le blanc dans la collection Pinault, cat. exp., Rennes, Couvent des Jacobins, Musée des Beaux-Arts, 2021.

[19] « « Debout ! » Une exposition de la collection Pinault à Rennes », en ligne : https://www.tourisme-rennes.com/fr/decouvrir-rennes/actualites/exposition-collection-pinault/ (consulté en novembre 2022).

[20] « François Pinault installe sa collection à Paris, à la bourse du Commerce », en ligne : https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/francois-pinault-installe-sa-collection-a-paris-a-la-bourse-du-commerce_3279163.html (consulté en novembre 2022).

[21] Présentation de l’exposition Un regard sur la collection d’agnès b. au Lille Métropole musée d’Art moderne, d’Art contemporain et d’Art brut de Villeneuve-d’Ascq en 2015, en ligne : https://www.musee-lam.fr/fr/un-regard-sur-la-collection-dagnes-b (consulté en novembre 2022).

[22] « Une « fabrique culturelle et solidaire » : Agnès b. inaugure « La Fab. », sa fondation d’art contemporain », en ligne : https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/une-fabrique-culturelle-et-solidaire-agnes-b-inaugure-la-fab-sa-fondation-d-art-contemporain_3803165.html (consulté en novembre 2022).

[23] Pflieger S., Krebs A., Greffe X., « Quels designs économiques et financiers des musées face à la raréfaction des ressources publiques ? », Rapport pour le ministère de la Culture et de la Communication, Rapport de recherche Université Paris Descartes/CERLIS, mai 2015.

[24] Cérémonie aborigène : art aborigène contemporain : la collection Antiboise de Marc Sordello & Francis Missana, exp., Antibes, Médiathèque Albert Camus ; Villeneuve-Loubet, Médiathèque Jean d’Ormesson ; Valbonne, Médiathèque Colette ; Biot, Médiathèque Sonia Delaunay, 2015.

[25] Moureau N., Sagot-Duvauroux D., Vidal M., Collectionneurs d’art contemporain : des acteurs méconnus de la vie artistique, Paris, Département des Études, de la Prospective et des Statistiques, 2015, p. 42-52.

[26] Floriant S., « « Corpus » ou l’économie d’un système de visualisation de collections », La lettre de l’OCIM, n°102, 2005, p. 22-23, en ligne : https://ocim.fr/wp-content/uploads/2013/02/LO.1023-pp.20-26.pdf (consulté en novembre 2022).

[27] Shiboh M., « Une énigme insoluble. Interview with Madeleine Millot-Durrenberger », Iesa arts&culture, en ligne : https://www.iesa.edu/paris/news-events/une-enigme-insoluble (consulté en novembre 2022).

[28] Citons par exemple la célèbre exposition consacrée à Jeff Koons au château de Versailles en 2008, pour laquelle plusieurs œuvres de l’artiste appartenaient à François Pinault. Cette manifestation fut organisée par Jean-Jacques Aillagon, précédemment responsable du Palazzo Grassi.

[29] Brown K., « When museums meet markets », Journal of Visual Art Practice, vol. 19, n° 3, 2020, p. 203-210.

[30] « Quand le Mucem fait dans le bling-bling et le fric », Sudculture-solidaires13, en ligne : http://sudculture-solidaires13.com/quand-le-mucem-fait-dans-le-bling-bling-et-le-fric/ (consulté en novembre 2022).

[31] Brown K., « Le pouvoir du collectionneur dans le domaine culturel : enjeux et tendances », dans le cadre de la journée d’étude Du privé au public. Enjeux et stratégies dans la présentation des collections privées d’art contemporain dans les institutions publiques, 2021, en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=Vo5NAwjBe6o (consulté en juin 2022).

 

Pour citer cet article : Gwendoline Corthier, "La visibilité des expositions de collections privées en France. Entre stratégies de rayonnement, de programmation et de déclassification", exPosition, 6 décembre 2022, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles7/corthier-visibilite-expositions-collections-privees-france/%20. Consulté le 13 octobre 2024.