Pierre Huyghe : l’exposition qui n’existait pas

par Mickaël Pierson

 

Mickaël Pierson est historien de l’art. Il est l’auteur d’un doctorat en art, esthétique et sciences de l’art de l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne sur le thème : De la salle obscure à l’exposition et au-delà : appropriation et réinterprétation du cinéma par les artistes plasticiens 1986-2016. Il travaille sur les circulations entre le cinéma et les arts plastiques et la redéfinition des pratiques artistiques. En 2013, il organise avec Fleur Chevalier et Marie Vicet les journées « Du studio au plateau de télévision : appropriations, détournements et réinterprétations par les artistes » à l’INHA à Paris. Ses textes ont été publiés dans diverses revues (Chimères, L’Art même, Magazine du Grand Palais, Marges, exPosition) et ouvrages consacrés aux travaux de divers artistes (Brice Dellsperger, Nicolas Rubinstein, Francesco Vezzoli, Bill Viola…).

 

La question de l’exposition ou de la ré-exposition peut s’avérer complexe dans le cadre d’œuvres pensées pour un contexte, un espace et un temps spécifiques. C’est une problématique à laquelle se retrouve régulièrement confronté l’artiste français Pierre Huyghe (né en 1962). Depuis le début des années 1990, une large partie de ses projets revêt une dimension éphémère et performative. Sa pratique se heurte à des problèmes similaires à ceux des premiers artistes de la performance : un art éphémère qui ne s’incarne pas nécessairement en un objet et se trouve donc difficile à exposer (et par là-même à vendre). Comme pour ces derniers, la photographie, puis l’enregistrement filmé peuvent s’offrir, pour Huyghe, comme des moyens de transcrire l’événement[1]. Des gestes simples (de discrètes actions sur l’espace et le mobilier urbains comme Daily Event 1, 2, 3 en 1994 ; le traçage d’un nouveau sentier avec Or en 1995) ou plus complexes (Extended Holidays en 1996, une exposition qui prend la forme d’un voyage de vacances pour quelques étudiants) sont traduits par une ou plusieurs images fixes ou en mouvement. D’autres actions ne donnent lieu, à leur issue, à aucun objet. Les Passagers (1996) propose à quelques participants d’effectuer un trajet nocturne en bus à travers une ville tandis qu’une captation filmée du même trajet de jour est diffusée à l’intérieur du véhicule. Cet événement est documenté[2], mais il n’en résulte à ce jour pas d’œuvre à exposer.

Du fait de la nature de son travail, la question de l’exposition est un nœud central dans la carrière de Pierre Huyghe. Quelle forme et quel format donner à l’éphémère pour le faire exister dans l’espace d’exposition ? L’œuvre en tant qu’objet à exposer vient régulièrement chez lui évoquer et redoubler un événement réel passé. L’ « objet d’art » est ainsi non pas une répétition, mais une transcription nécessaire dudit événement. En parcourant le travail de l’artiste, nous viendrons montrer comment les premières tentatives d’enregistrement d’un événement laissent volontairement de la place au contexte dans lequel celui-ci s’inscrit. Dans ses projets ultérieurs, la traduction filmique de l’événement flirte volontiers avec sa dimension fictionnelle. La captation ne permettant jamais réellement une transcription littérale, Huyghe exploite finement la distance entre celle-ci et l’événement pour l’emmener ailleurs. Cet aspect devient primordial lorsque le format de l’œuvre résiste, comme nous le verrons, à l’exposition dans son espace conventionnel. Chez Huyghe, l’œuvre n’est ainsi pas nécessairement la même à chacune de ses présentations. Ce qui amène à se poser la question de la rétrospective et de sa possibilité, pour une œuvre aussi mouvante et évolutive.

Filmer le réel : les traces d’une action et son contexte

La vidéo et le film apparaissent tôt chez Huyghe non seulement comme des relais nécessaires à la traduction de l’œuvre en un objet, mais aussi en tant que sièges de discours sur la construction des images et des récits contemporains. À l’exception de captations de jeunesse lors de voyages et de recherches (le montage d’archives filmiques À Part, 1986-1987), l’artiste réalise sa première vidéo en 1994. Dévoler[3] montre Huyghe, dans deux brèves séquences, déposer un objet dans un magasin, soit ajouter un stock improbable au lieu de le voler[4]. La captation de l’action est ici relativement brute.

Par la suite, son rapport à l’image en mouvement se complexifie. Remake[5] (1994-1995) est le retournage en intégralité et à l’identique (scénario, mise en scène, montage) du film Fenêtre sur cour (1954) d’Alfred Hitchcock dans un immeuble d’une banlieue parisienne en cours de construction avec ses habitants. Le principe et l’intérêt résident moins dans le film en tant que résultat, que dans le film en tant que partition et projet. L’artiste dira plus tard : « ce qui m’intéressait était d’étudier comment une fiction, comment une histoire, pouvait en fait produire un certain type de réalité. […] nous pouvons appeler cette fiction une “partition[6]” ». Le scénario original est ici pris comme une partition à redéployer pour questionner le réel. La prise en main de la fiction et du dispositif originel par les nouveaux interprètes et les conditions du retournage prennent autant d’importance que la trame narrative. Remake comprend le processus complet qui mène au remake exposé sous forme filmique.

Le débordement et les passages incessants entre fiction et contexte de l’œuvre sont mis en avant dans L’Ellipse[7] (1998) qui, sous la forme d’une triple projection, rend compte de la tentative de combler une ellipse narrative dans le film L’Ami américain (1977) de Wim Wenders. Huyghe filme l’acteur Bruno Ganz effectuant le trajet de son personnage de l’appartement à un hôtel à Paris, jamais tourné ou finalement exclu du montage. Sur les écrans latéraux, on découvre deux séquences du film de Wenders, tandis que sur l’écran central l’acteur américain traverse, vingt ans plus tard, le pont le menant au lieu de rendez-vous du personnage. Ce que montre ce segment contemporain de l’installation n’est pas seulement le fragment omis dans le film initial, mais aussi les écarts temporels entre les deux tournages et la fiction en butte avec le réel (Ganz heurté par un « vrai » cycliste), soit la réalité de ce déplacement dans l’espace et dans le temps (le vieillissement du comédien est aisément perceptible). La vidéo est une trace, l’enregistrement d’une action précise qui, plutôt que de l’abstraire, laisse de la place et met en exergue le réel et ses accidents.

Fictionnaliser le document 

Photographies et enregistrements filmés dépassent souvent dans le travail de Huyghe la simple transcription documentaire pour intégrer en eux la part de fiction que l’événement met en place. En 1993, La Toison d’or[8] est une manifestation à Dijon : l’artiste demande à un groupe d’adolescents de revêtir les costumes des animaux qui figurent sur les armoiries de la ville. Le blason dijonnais inspira aussi la création d’un parc d’attraction récemment fermé. De même, « La Toison d’or » est le nom d’un centre commercial de la ville. Ces personnages, représentations symboliques de la cité, investissent le jardin de l’Arquebuse. En amont de la manifestation, on trouvait à l’office de tourisme un dépliant montrant des vues de l’événement avant même qu’il n’ait eu lieu. La documentation précède ici l’action. L’image précède l’œuvre qui est à venir[9].

Une problématique similaire se pose dans les vidéos et films ultérieurs de l’artiste. L’image en mouvement peut être l’enregistrement plus ou moins fidèle de l’action[10], elle peut aussi volontairement proposer une bifurcation[11] pour emmener cette action ailleurs. Huyghe n’hésite pas à creuser et travailler l’intervalle entre la réalité de l’événement et sa captation. En 2005, Huyghe entreprend une expédition en Antarctique à bord du Tara, voilier de Jean-Louis Etienne destiné à la recherche scientifique et la défense de l’environnement. Deux présupposés donnent lieu à ce voyage : l’un scientifique, l’autre fictionnel. Du fait de la fonte des glaces, de nouvelles îles, ne figurant sur aucune carte, apparaissent. Il s’agit alors d’aller découvrir et de cartographier une île qui sera enregistrée auprès des autorités chiliennes[12] sous le nom de Isla Ociosidad/Île de l’Oisiveté. Aux côtés de cette recherche scientifique, l’artiste propose une quête fondée sur la rumeur de l’apparition d’une nouvelle espèce animale : un mythique pingouin albinos errant sur l’île. Plusieurs œuvres évoquent ce voyage : une photographie (A Journey that wasn’t, 2008), une sculpture sonore animatronique de l’animal (Creature, 2005) et un pavillon mobile reprenant la forme de l’île (Terra Incognita/Isla Ociosidad Pavilion, 2006[13] avec François Roche, R&Sie(n) architectes).

Un film d’une vingtaine de minutes, A Journey that wasn’t (2005)[14], retrace aussi l’expédition. Mais ce film ne peut être résumé ou réduit au documentaire. Il est autre chose : tout autant fiction et dérive que transcription. Aux images de l’expédition se mêlent des plans tournés plus tard la même année sur la patinoire de Central Park à New York. Des volumes évoquant les reliefs de l’île récemment découverte en recouvrent la surface, tandis qu’un orchestre interprète une partition écrite d’après les données topographiques de l’île.

« Les intensités sonores déclenchent des variations lumineuses éclairants par moments l’étendue noire sur laquelle l’animal automate se déplace. Pendant que le public assiste à une équivalence de l’expédition, l’événement est diffusé live à la radio[15]. »

Si l’artiste emploie le terme d’ « équivalence » pour la transcription new-yorkaise de l’expédition, il peut être appliqué également au film qui en est tiré. Face à une impossibilité à représenter réellement et fidèlement le voyage, Huyghe opte pour une transcription et une représentation du lieu découvert sous la forme d’un spectacle musical, puis de divers objets d’exposition. Le film A Journey that wasn’t déborde le seul voyage pour embrasser la globalité de l’expérience : le voyage comme expérience et sa représentation spectaculaire. À la différence de nombreux performeurs, le film ou la vidéo s’éloigne du document, du seul témoignage pour construire un objet et une fiction parallèles à une expérience bien réelle. Une distance similaire s’applique d’ailleurs, nous le verrons plus loin, à la nécessité de réexposer les œuvres dans les expositions de l’artiste.

Quand l’œuvre résiste à l’exposition

L’écart volontaire entre un événement et sa transcription sous la forme d’un objet qui puisse être ré-exposé devient récurrent dans le travail de l’artiste, notamment dans les cas où une captation filmique ou vidéographique est moins évidente. Huyghe participe en 2012 à documenta 13, l’exposition quinquennale à Cassel. L’artiste fait le choix d’investir le compost du Karlsaue Park de la ville. La légende de l’œuvre, telle que mentionnée aujourd’hui dans les catalogues, est surprenante : « Untilled, 2011-2012 : entités vivantes et choses inanimées, fabriquées ou non. Variable[16]. » Il dépose dans le compost une large quantité d’éléments : divers objets, végétaux, un homme, une chienne sevrant un chiot, des fragments d’œuvres d’anciennes éditions de documenta (un des 7000 Oaks de Joseph Beuys de 1982, un banc coloré en rose par Dominique Gonzalez-Foerster pour Park – A Plan for Escape en 2002). Plutôt qu’un objet figé, Huyghe compose un nouvel écosystème dont il choisit les éléments qu’il distille mais dont il ne contrôle pas le développement[17] : untilled signifie « non cultivé ».

« L’ensemble des opérations qui se produisent n’a pas de script. […] Il y a des rythmes, automatismes et accidents, transformations invisibles et continues, mouvements et processus, mais pas de chorégraphie […]. Les rôles ne sont pas distribués, il n’y a pas d’organisation, pas de représentation, pas d’exposition. […] La colonie [d’abeilles] pollinise des plantes aphrodisiaques et psychotropes. […] Il y a myrmécochorie : les fourmis dispersent des graines. […] C’est sans fin, incessant[18]. »

L’œuvre n’est plus ici un objet, ni même un espace, mais l’ensemble des relations et interconnexions qui se développent en cet espace. La visite d’Untilled lors de documenta 13 pouvait ainsi avoir un caractère déceptif. Qu’y avait-il à observer si ce n’est un biotope en cours de construction ? Une construction en partie visible, mais rarement spectaculaire. La présence, largement commentée par la critique de Human, un lévrier à la patte colorée en rose – écho à la couleur du banc de Gonzalez-Foerster, mais aussi à celle des fleurs cultivées dans le compost – était aléatoire, dépendant de la venue, régulière mais contrôlée par la réglementation sur la protection animale, de la chienne et de ses déplacements indéterminés. L’élément le plus immédiatement identifiable en tant qu’œuvre était Untilled (Liegender Frauenakt[19]) (2012) : la reproduction d’une sculpture d’une femme nue accoudée dont le visage était recouvert par une ruche et une colonie d’abeilles. Cette statue pouvait apparaître comme un centre ou un pôle marquant la constitution de l’environnement Untilled : les abeilles pollinisant l’espace et entremêlant ainsi la végétation originelle et celle importée par l’artiste. Une autre œuvre – Plan for Untilled (2012), un tapis de laine tissé à la main – dévoilait un schéma ou une carte des différents éléments de l’intervention artistique. Entre ce que l’œil du visiteur pouvait percevoir lors de sa visite et l’ampleur réelle du geste artistique révélée par ce schéma, le fossé était large. Untilled dépasse le seul visible comme elle dépasse aussi les limites chronologiques de l’exposition. L’œuvre est datée de 2011-2012. Elle précède ainsi documenta 13[20] car l’intervention sur le compost, la culture ou la non culture a été commencée bien avant l’ouverture de l’exposition. De la même manière, elle ne s’achève pas à sa clôture. Si une partie des éléments n’est plus présente sur le site (Untilled (Liegender Frauenakt), l’humain, la chienne), d’autres (les végétaux, possiblement certains petits animaux…) en restent indissociables et continuent à y croître et à y mourir.

Que peut-on à nouveau exposer d’Untilled à l’issue de documenta 13 ? Nous aborderons plus loin la façon dont Huyghe « déplace » une telle intervention au sein même du musée. Cette question se pose d’ailleurs pour bon nombre des projets de l’artiste. Huyghe n’a jamais dissimulé une certaine proximité théorique avec la pensée de Daniel Buren.

« Depuis les années 1960, écrit Dorothea Von Anthelmann, les travaux in situ de Daniel Buren se caractérisent par la suspension des frontières entre œuvre, support, cadre et lieu. Le lieu d’élaboration de l’œuvre devient partie intégrante de l’œuvre elle-même, qui se situe dans une interaction constante entre le site et sa transformation artistique[21] ».

Ce rapport au site peut également rapprocher Huyghe des artistes du Land Art,  et notamment de Robert Smithson. Ce dernier reste une figure dont l’œuvre atteste, dès 1968, d’une dialectique entre interventions, souvent monumentales, sur sites (parmi lesquelles Asphalt Rundown, 1969, ou Spiral Jetty, 1970), et non-sites (des fragments de sites rassemblés dans des bacs géométriques, parfois en présence de cartes et photographies[22].

Évoquer la présence du site dans un lieu éloigné, une telle question se pose chez Huyghe depuis longtemps. Streamside Day en 2003 en est un exemple majeur. Invité à la DIA Foundation en 2002, l’artiste découvre, lors d’un trajet vers DIA Beacon dans l’État de New York, le complexe de Streamside Knolls en cours de construction dans la ville de Fishkill. L’artiste propose aux responsables du programme immobilier d’organiser un festival pour la communauté qui s’y installe. Le Streamside Day a lieu le 11 octobre 2003 : arbre commémoratif, déguisements, parade, discours, dîner et feu d’artifice rythment cette journée. Il s’appuie, pour la construction de cet événement, tant sur l’histoire locale et nationale que sur des référents cinématographiques[23]. Le projet de l’artiste ne se limite pas à une seule journée, mais à inventer cette célébration et à en faire une date récurrente pour cette communauté. Il s’agit pour lui de créer ce rassemblement et de laisser aux membres de Streamside la charge de le reconduire d’année en année et de l’inscrire dans le calendrier.

Huyghe tire un film de cet événement. Aux images documentaires de la fête, Streamside Day[24] (2003) mêle des plans évoquant le passé des lieux (une nature idyllique vierge de présence humaine) et le récit fictif d’une famille venant s’installer dans la ville. Une nouvelle fois, le film ne peut se résumer à la seule documentation d’un événement pourtant bien réel, mais en donne une transcription qui confine au mythe au sens premier du terme : « récit fabuleux, transmis par la tradition, qui met en scène des êtres incarnant sous forme symbolique des forces de la nature, des aspects de la condition humaine[25] ».

Lors de sa première présentation au DIA Center for the Arts à New York en 2003, le film est accompagné d’un dispositif qui tente de reproduire la notion même d’une célébration cyclique intégrée dans le calendrier. L’exposition Streamside Day Follies s’offre tout d’abord comme un espace vide à l’exception de rails suspendus au plafond. Cinq parois automatisées se détachent du mur et se déplacent dans l’espace. L’une des faces de ces cloisons mobiles est couverte d’une surface réfléchissante colorée, l’autre est blanche. Ces cloisons, suspendues à quelques centimètres du sol, se meuvent lentement le long des rails avant de former un pavillon destiné à la projection du film. L’espace mural laissé vacant par les parois mobiles révèle la présence de dessins liés au projet. À la fin du film, les cloisons se détachent et retournent à leur positionnement initial. Ce pavillon temporaire évoquait tout autant l’œuvre permanente de Dan Graham placée sur le toit de l’espace d’exposition (Two-Way Mirror Cylinder Inside Cube and a Video Salon: Rooftop Urban Park Project for DIA Center for the Arts, 1981-1991) que le projet utopique de Huyghe de concevoir un pavillon de projection évolutif pour la communauté de Streamside[26]. Cette chorégraphie de l’espace de l’exposition, cette alternance entre espace vide et composition d’un espace de projection est une manière de mettre en scène le rituel qu’est l’œuvre : une célébration à réitérer annuellement, mais qui n’est ni transférable ni « exposable ».

L’exposition au DIA Center for the Arts est la seule à avoir bénéficié d’un dispositif aussi complexe de monstration pour cette œuvre. Les présentations ultérieures furent plus simples, mais néanmoins très précises. Le film Streamside Day s’accompagne désormais de plusieurs éléments à même de recontextualiser la célébration : le Streamside Day Calendar (2003), un calendrier commémorant l’événement ouvert à la page du mois d’octobre sur laquelle la fête est signifiée ; Nœud 01 pour Streamside Community Center (2003, avec Roche&Sie(n) architectes), un dessin mural représentant le possible pavillon communautaire de projection ; et enfin un arbre poussant dans les environs de Streamside Knolls. Si pour des raisons pratiques, l’arbre est souvent omis des présentations, le dessin mural et le calendrier sont des indispensables à l’exposition du film[27]. Huyghe fit pourtant le choix de présenter seulement le film pour sa rétrospective au Centre Pompidou à Paris en 2013.

Une rétrospective impossible ?

Pour un artiste dont l’œuvre est déjà complexe à présenter lors de sa première exposition, la rétrospective est un enjeu majeur. Ajoutons que certains de ses travaux n’avaient jamais été réexposés jusqu’alors[28]. D’autant plus que Huyghe est plutôt rétif à la question de la rétrospective, comme le précise Randy Kennedy :

« Trop de rétrospectives d’art contemporain, déclare l’artiste, ont commencé à “ressembler à Un Jour sans fin avec Bill Murray”. Ce qui a commencé à l’intéresser, c’est l’idée de faire une exposition qui ressemble à une sorte de corps étranger logé dans un musée, comme par accident[29] ».

L’exposition du Centre Pompidou condense 52 œuvres. Refusant un parcours linéaire, la rétrospective, itinérante à Cologne et à Los Angeles, adopte un parcours labyrinthique dans lequel les « œuvres se fondent les unes dans les autres pour une expérience en partie chorégraphiée et en partie laissée au hasard[30] ». L’artiste utilise et redéploye les cimaises de la rétrospective de Mike Kelley qui avait eu lieu dans les mêmes salles et qui venait de se terminer. Ces cloisons temporaires déplacées, parfois découpées pour ouvrir de nouvelles circulations, laissant les tranches et les accidents de coupe visibles, donnent un aspect de chantier ou de décharge d’œuvres (pour reprendre l’analogie avec le compost de Cassel) à l’exposition.

La rétrospective de Huyghe n’est pas organisée de manière chronologique et la logique thématique des rassemblements d’œuvres n’est pas immédiatement apparente. L’exposition s’ouvre avec la performance Name Announcer (2011) : à l’entrée de la rétrospective, une personne demande le nom des visiteurs y pénétrant, puis l’annonce à voix haute. Cette première œuvre exposée n’est présente que de manière intermittente : elle peut être absente, invisible lors du passage du visiteur dans l’exposition. Les deux éléments exposés suivants ne sont pas de la main de l’artiste. Après l’entrée, dans une salle qui précède immédiatement le grand espace d’exposition, sont montrés Mère Anatolica 1 (1975), une sculpture délabrée de Parvine Curie présente dans le collège que fréquenta Huyghe, et des extraits de conférences de l’Institut des hautes études en arts plastiques où il fut élève. À de rares exceptions près[31], les films sont projetés à même les cimaises, non repeintes pour l’occasion, portant les marques de leur précédente utilisation, et à proximité immédiate d’autres œuvres. Cela permet de souligner des liens plus ou moins évidents entre des projets parfois assez éloignés[32]. Mais cela renforce aussi l’aspect sépulcral que pouvait avoir cette rétrospective, qui soulève ainsi volontairement le problème inhérent de l’exposition pour les projets de Huyghe.

Qu’exposer quand une œuvre ne peut être déplacée ou n’existe plus ? Aux restes des cimaises de l’exposition précédente se mêlent des fragments d’œuvres de Huyghe. Une extension de la rétrospective à l’extérieur du Centre Pompidou (tout en lui étant immédiatement jointive) a été aménagée. Au fond de cet espace, on découvre Untilled (Liegender Frauenakt) issu d’Untilled. Face à cette sculpture, un étrange climat fait de neige, de brouillard et de précipitations programmé se développe. Il s’agit de L’Expédition scintillante. Acte 1. Untitled (Weather Score) (2002).

L’Expédition scintillante est une exposition de Huyghe qui eut lieu à la Kunsthaus de Bregenz en 2002. À la manière d’un opéra, elle déployait sur les étages du musée trois séquences préfigurant une expédition à venir. L’acte 1 se fondait sur le climat décrit par Edgar Allan Poe dans le roman Les Aventures d’Arthur Gordon Pym (1838). Ce climat (neige, brouillard, pluie) était reproduit dans la salle dans laquelle Untitled (Ice Boat), un bateau fait de glace, fondait au fur et à mesure de l’exposition (jusqu’à disparaître totalement laissant un espace quasi vide) tandis qu’une radio diffusait Radio Music de John Cage. L’Expédition scintillante fonctionnait sur le principe de la disparition, il n’était donc pas envisageable de reproduire le bateau de glace ultérieurement. Il ne fut donc jamais remontré. Untitled (Weather Score) n’avait pas non plus été réexposé jusqu’alors. L’œuvre n’est donc qu’une fraction de la version initiale exposée à Bregenz : un vestige.

Le seul fragment de L’Expédition scintillante qui ait trouvé une forme durable est Untitled (Light Box) : une boîte produisant de la lumière sur de la fumée au son des Gymnopédies 3 et 4 d’Erik Satie. Exposée à de nombreuses reprises, elle est montrée dans la rétrospective parisienne aux côtés de la projection de A Journey that wasn’t. Les deux projets sont en effet intimement liés. L’Expédition scintillante préfigure un voyage en Antarctique, le fantasme. A Journey that wasn’t le réalise. C’est la première fois que les deux œuvres sont montrées à proximité l’une de l’autre. Elles fonctionnent en alternance : lorsque qu’Untitled (Light Box) termine son cycle, la projection du film commence et ainsi de suite. Le troisième acte de L’Expédition scintillante est lui aussi remontré pour la première fois depuis 2002. Untitled (Black Ice Stage) est une patinoire noire sur laquelle une danseuse vient régulièrement évoluer au son de Music for Airports 4 de Brian Eno. Elle est située dans la rétrospective entre Untitled (Weather Score) et la black box contenant le film et la boîte lumineuse.

À la manière d’Untitled (Weather Score) et de son bateau manquant, d’autres œuvres étaient lacunaires dans l’exposition. Ghost Room (2004) est une vaste structure gonflable de la forme d’une salle d’exposition que l’artiste avait fait léviter en dehors du Castello di Rivoli où son empreinte avait été prise. Elle est ici présentée dégonflée telle une peau morte ou un souvenir impossible à reproduire. L’exposition se voit aussi animée de manière régulière par le déplacement d’un homme portant alternativement un masque animalier renvoyant à La Toison d’or ou le masque Players (2010) en forme de livre ouvert recouvert de LED qu’on retrouve dans l’événement et le film The Host and the Cloud (2009-2010). L’homme est parfois accompagné de Human, la chienne à la patte rose apparue à la documenta en 2012. Celle-ci gambade librement dans l’exposition sous l’œil d’abord interloqué des visiteurs[33]. Elle s’étend parfois sur une fourrure déposée dans un coin de l’espace et qui évoque fortement la sculpture À Rebours (2012) mais désossée de sa structure[34]. La patte rose de Human rend ainsi plus compréhensible la présence de tas de sable d’une couleur identique dans l’exposition. Chienne et sable sont une évocation du biotope Untilled, déjà remémoré par Untilled (Liegender Frauenakt) à l’extérieur.

La documenta de Cassel se voit aussi intégrée dans la rétrospective avec le film A Way in Untilled[35] (2012). Comme les films précédemment cités, celui-ci dépasse le seul document pour tenter de mettre en œuvre sous forme de film les processus en cours dans le projet de l’artiste. A Way in Untilled n’est pas Untilled et ne peut l’être. Mais comme l’indique son titre, il tente de se frayer un chemin dans Untilled. Il passe ainsi de l’environnement au microcosme indiquant le processus de naissance et de germination à l’œuvre autant qu’il montre les figures identifiables du projet (sculpture et chienne), soutenu par un montage sonore minutieux, à même de révéler ce qui n’est pas immédiatement visible.

L’ambiance générale de la rétrospective au Centre Pompidou est assez lourde, accentuée par les cimaises désaxées et délabrées, ainsi que la présence intermittente de Music for Airports 4 de Brian Eno et la tonalité sombre de certaines œuvres. Autant que la relecture d’une vingtaine d’années de carrière, la rétrospective montre aussi le musée comme un lieu d’embaumement. L’espace labyrinthique que constitue l’exposition devient alors comme un cimetière des projets de l’artiste dont il ne reste plus que des états figés ou des fragments métonymiques. « Seul n’existe d’ailleurs pour lui que le projet abouti[36], » précise Roxana Azimi. La rétrospective est alors une balade entre les fantômes des projets passés et un manifeste même de sa pratique.

L’itinérance de l’exposition au Ludwig Museum de Cologne en 2014 produit un effet fort différent. Si l’artiste déplace en Allemagne les cimaises de l’exposition parisienne, la rétrospective n’y est pas rejouée de la même manière. Ce sont, à de rares exceptions près, les mêmes œuvres qui sont présentées. Mais, en partie du fait d’un espace d’exposition différent, un sens et une humeur autres émergent. Laurence Bertrand Dorléac note à propos des expositions itinérantes : « Une exposition est ancrée dans un lieu ; si vous changez de lieu, elle change de sens. […] Le lieu doit s’imposer pour une raison ou pour une autre, […] à chaque fois, c’est une autre expérience[37] ».

À la différence du vaste espace cubique du Centre Pompidou, celui de Cologne est tout en longueur. Les choix scénographiques de l’artiste imposent une fois l’exposition terminée de la retraverser quasi intégralement pour en sortir. La sculpture délabrée de Parvine Curie n’est pas présente au Ludwig Museum. L’exposition s’ouvre, passée la performance Name Announcer, sur une nouvelle version de Timekeeper (1999) : un trou creusé dans le mur qui révèle les couches successives de peintures des expositions précédentes[38]. Viennent ensuite des œuvres présentées bien plus loin lors de la version parisienne de la rétrospective (un aquarium, Shore (2013), The Host and the Cloud…). Le visiteur s’enfonce plus profondément de salles en salles, avec une ouverture sur un jardin du musée pour observer Untilled (Liegender Frauenakt). Si Untitled (Black Ice Stage) est toujours présente, elle a adopté une nouvelle forme. La patineuse évoluant par intermittence et la musique sont absentes. La patinoire est recouverte d’une épaisse et rocailleuse glace la mettant hors d’usage et nécessitant une température assez basse dans la salle qui l’accueille, à même de la maintenir en l’état. Cela renforce la dimension multi-sensorielle de l’exposition[39] et l’analogie avec le spectacle musical donné sur la patinoire de Central Park pour A Journey that wasn’t. La rétrospective s’achève en un cul-de-sac dans une salle projetant en alternance ce film et diffusant les circonvolutions lumineuses et colorées de Untitled (Light Box), faisant de ces deux œuvres jumelles les clefs de voûte et de compréhension de la pratique de l’artiste. Au cénotaphe muséal parisien répondait une grotte dans laquelle s’enfoncer, en quête des origines et de l’orientation du travail, avant de devoir rebrousser chemin pour regagner le jour et observer d’un œil différent et éclairé les œuvres déjà vues.

La rétrospective s’offre ainsi comme errance ou comme traversée, toutes deux créatives et toutes deux montrant un artiste désireux aussi bien de souligner la difficulté à exposer son travail que de le raconter autrement. Celui-ci disait déjà en 2006 :

« C’est lié à mon intérêt pour le jeu, l’extension, le déplacement en général. Travailler sur une rétrospective, c’est faire réapparaître des œuvres et continuer de les raconter. Le “RE” est présent. C’est aussi une mécanique que j’ai pratiquée avec Remake évidemment, mais aussi avec Blanche-Neige Lucie ou The Third Memory, un jeu avec les célébrités et les icônes de la culture populaire. Mais c’est sa part de devenir qui est intéressante, étendue à de nouvelles possibilités[40]. »

Si l’œuvre de Pierre Huyghe résiste au musée, elle y pénètre et produit parmi les expositions les plus riches et les plus fascinantes, tout en prenant parfois l’institution et le créateur à leur propre piège. Lors d’une de mes visites à la rétrospective un jour d’automne 2013, une œuvre parvint à littéralement s’échapper de la rétrospective : Human qui trouva le chemin de la sortie du musée et s’enfuit dans les rues de Paris, son gardien à ses trousses, ainsi que plusieurs touristes sortant du musée en courant pour immortaliser de leur appareil photo « l’événement ».

 

Notes

[1] Azimi R., « Pierre Huyghe », Le Journal des arts, n° 333, 22 octobre – 4 novembre 2010, p. 35 : Pierre Huyghe préfère le terme événement à celui de performance qu’il juge peu approprié pour sa pratique : « C’est un mot trop scénarisé, fermé à l’interprétation, comme celui de “performance” ».

[2] L’œuvre est précisément décrite dans certains textes agrémentés d’une photographie. Cf. « Passagers/Pierre Huyghe », Entre-deux.org, 2001, en ligne : https://www.entre-deux.org/cp_projets/passagers/ (consulté en février 2021).

[3] Dévoler, 1994, action, film, Betacam SP, couleur, son, 2 x 10 secondes.

[4] Huyghe P., « Dévoler », Pierre Huyghe, cat. exp., Paris, Éd. du Centre Pompidou, 2013, p. 10 : « Dévoler est un geste en réponse à la demande d’un premier ministre de retrouver confiance dans la consommation. Acte d’inversion. L’artiste se déleste d’un objet dans son lieu d’achat ».

[5] Remake, 1994-1995, film, Betacam SP, couleur, son, 100 min.

[6] Baker G., « An interview with Pierre Huyghe », October, n° 110, automne 2004, p. 84 : Pierre Huyghe à propos de Streamside Day (2003) : « What interested me was to investigate how a fiction, how a story, could in fact produce a certain kind of reality. […] we can call this fiction a “score” ».

[7] L’Ellipse, 1998, triple projection vidéo du film super 16 mm transféré sur Beta numérique, couleur, son, 13 min.

[8] La Toison d’or, 1993, événement, Jardin de l’Arquebuse, Dijon.

[9] Cf. « Liste chronologique des œuvres », Pierre Huyghe, cat. exp., Paris, Éd. du Centre Pompidou, 2013, p. 227.

[10] C’est le cas pour In the Belly of Anarchitect (2004) avec Rirkrit Tiravanija et Pamela M. Lee qui est la captation d’un événement à la galerie de Portikus à Francfort-sur-le-Main ou de This is not a Time for Dreaming (2004), enregistrement d’un spectacle de marionnettes dans lequel le public et la structure temporaire (conçue avec Michael Meredith) l’accueillant apparaissent.

[11] L’un des néons de l’artiste se nomme Yo no poseo el jardίn de senderos que se bifurcan (2007) d’après la nouvelle Le jardin aux sentiers qui bifurquent de Jorge Luis Borges (1941).

[12] L’île est située dans la partie chilienne de l’Antarctique.

[13] Créé pour Celebration Park au musée d’Art moderne de la ville de Paris, exposition itinérante à la Tate Modern de Londres, en 2006, cet objet n’existe plus à l’issue de ces expositions.

[14] A Journey that wasn’t, 2005, film super 16 mm et vidéo HD transférés sur vidéo HD, couleur, son, 21 min. 41.

[15] Pierre Huyghe, « Double Negative. A Journey that wasn’t. 14 octobre 2005 », Pierre Huyghe, cat. exp., Paris, Éd. du Centre Pompidou, 2013, p. 109.

[16] « Liste chronologique des œuvres », Pierre Huyghe, cat. exp., Paris, Éd. du Centre Pompidou, p. 235.

[17] Comme dans les aquariums qu’il conçoit depuis 2010.

[18] Pierre Huyghe, « Untilled, 2011-2012 », Pierre Huyghe, cat. exp., Paris, Éd. du Centre Pompidou, p. 186.

[19] Untilled (Liegender Frauenakt), 2012, moulage en béton avec une structure autour de la tête entourée d’une ruche, cire, abeilles. Sculpture : 75 x 145 x 45 cm ; socle : 30 x 145 x 55 cm ; dimensions de la ruche variables.

[20] documenta 13, Kassel, 9 juin – 16 septembre 2012.

[21]  Hantelmann D. (von), « Situated cosmotechnologies. Pierre Huyghe’s Untilled and After Alife Ahead », Pierre Huyghe, cat. exp., Londres, Koenig Books, 2019, p. 14 : « Since the 1960s, Daniel Buren’s in situ works have been characterized by the suspension of the boundaries between work, carrier, frame and place. The place where the work is developed becomes an integral part of the work itself, which is situated in a constant interplay between the site and its artistic transformation ».

[22] Lailach M., Land Art, Cologne, Taschen, 2007, p. 86 : selon Robert Smithson : « Le non-site (un earthwork dans un espace clos) est une image logique en trois dimensions qui, tout en étant abstraite, représente un site réel. C’est à travers cette métaphore en trois dimensions qu’un site peut représenter un autre site qui ne lui ressemble pas ».

[23] Les costumes portés par les enfants lors de la célébration et les images du film de l’artiste peuvent renvoyer tant à la faune locale qu’à l’imaginaire véhiculé par les films de Walt Disney, Bambi (David D. Hand, 1942) en premier lieu.

[24] Streamside Day, 2003, film super 16 mm et vidéo transférés sur Beta numérique, couleur, son, 26 min.

[25] Cf. « mythe », Rey A., Rey-Debove J. (dir.), Le Nouveau Petit Robert, dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1993, p. 1465.

[26] Huyghe P., « Streamside Community Center, 2003 », Pierre Huyghe, cat. exp., Paris, Éd. du Centre Pompidou, 2013, p. 128 : « Cet environnement construit au cœur de la forêt joue sur la complexité et les mouvements entre ce qui est dedans, dehors. […] Cette cage peut se plier topologiquement en fonction de ces deux mouvements, afin qu’ils puissent se mêler ou être ambigus. […] Scénario 2 : Chaque année, à la date anniversaire, un bâtiment automate s’ouvre. Le film de l’événement y est présenté ».

[27] Le Mac/Val de Vitry-sur-Seine fit le choix d’une simple présentation du film, sans ses éléments de contexte, pour son accrochage des collections L’Effet Vertigo en 2015.

[28] Dont une large partie de L’Expédition scintillante (2002) sur laquelle nous reviendrons.

[29] Kennedy R., « Pierre Huyghe’s Unpredictable Retrospective », New York Times, 3 September 2014 : « Too many contemporary-art retrospectives, he said, have begun to feel “like Groundhog Day with Bill Murray.” What began to interest him, he said, was the idea of making an exhibition that felt like some kind of foreign body lodged in a museum, as if by accident ».

[30] Farago J., « Pierre Huyghe at Lacma – a sometimes baffling but always engaging retrospective », The Guardian, 4 décembre 2014 : à propos de l’itinérance de la rétrospective au Lacma de Los Angeles : « works bleed into one another, for an experience that’s partly choreographed and partly left to chance ».

[31] A Journey that wasn’t qui bénéficiait d’une projection grand format en black box, Blanche-Neige Lucie (1997) et A Forest of Lines (2008) diffusés comme à leur habitude sur moniteurs.

[32] Par exemple A Journey that wasn’t (2005) et L’Expédition scintillante, Acte 2. Untitled (Light Box) (2002) ; La Toison d’or (1993) et Streamside Day (2003) ; RSI, un bout de réel (2006), De Hory Modigliani (2007), The Host and the Cloud (2010) et Zoodram 4 (after The Sleeping Muse by Constantin Brancusi, 1910) (2011).

[33] Avant de devenir un phénomène critique marqué et une sorte de must have de l’exposition cf. Lequeux E., « L’exposition Pierre Huyghe, un étonnant phénomène », Le Monde, 30 décembre 2013 : « Fourmis, araignées, bernard-l’hermite, sans oublier Human, l’étrange chien blanc à patte rose dont la photo inonde les réseaux sociaux… ».

[34] À Rebours, 2012, objet, fourrure, structure, 60 x 60 x 100 cm. Une fourrure est enroulée autour d’un objet lui donnant la forme d’un animal agenouillé la tête entre les pattes. La notice de l’œuvre précise qu’il en existe « 5 variantes ». Cf. « Liste chronologique des œuvres », Pierre Huyghe, cat. exp., Paris, Éd. du Centre Pompidou, 2013, p. 235.

[35] A Way in Untilled, 2012, film, vidéo HD, couleur, son, 14 min.

[36] Azimi R., « Pierre Huyghe », Le Journal des arts, n° 333, 22 octobre – 4 novembre 2010, p. 35.

[37] Bertrand Dorléac L., Descola P., Georgel P., Preti M., « Qu’est-ce qu’exposer ? », Perspective, n° 1, 2015, en ligne : https://journals.openedition.org/perspective/5785?lang=en (consulté en février 2020).

[38] Un Timekeeper avait été réalisé au Centre Pompidou, de même que dans de nombreuses expositions de l’artiste.

[39] C’est cette version de l’œuvre qui sera présentée au Lacma à Los Angeles la même année, une itinérance de l’exposition que nous n’avons pu voir. Elle était néanmoins similaire à celles de Paris et de Cologne dans son côté fragmenté, non chronologique et ouverte sur l’extérieur. Seules les cimaises de l’exposition Mike Kelley avaient été allongées pour correspondre à la taille du bâtiment américain. Des œuvres de 2014 y avaient été ajoutées : les aquariums Nympheas Transplant et le film Untitled (Human Mask).

[40] Obrist H.-U., « Entretien avec Pierre Huyghe », Pierre Huyghe, Celebration Park, cat. exp., Paris, Paris musées, 2006, p. 121.

 

Pour citer cet article : Mickaël Pierson, "Pierre Huyghe : l’exposition qui n’existait pas", exPosition, 27 septembre 2021, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles6-2/pierson-huyghe-exposition/%20. Consulté le 4 décembre 2024.

Poser, exposer, réexposer : transformation des regards à/sur l’œuvre

par Maki Cappe

 

Maki Cappe est doctorante en Philosophie de l’art à Paris IV, sous la direction de Marianne Massin, et rattachée au Centre Victor Basch. Ses recherches portent sur la pratique de l’installation et, plus particulièrement sur la manière dont cette pratique met à l’épreuve la notion d’œuvre, ou ce que désigne et circonscrit cette notion en regard à l’installation qui n’est plus assimilable à un objet posé devant soi/ extérieur à soi – le titre de sa thèse est : « La question de l’œuvre à l’épreuve des installations contemporaines ». Par ailleurs, elle est enseignante-intervenante en TD Philosophie de l’art à Paris 1 et en prépa beaux-arts privée. Depuis 2019, elle est co-curatrice, avec Mailys Lamotte-Paulet, artiste, d’un cycle d’expositions qui ont lieu au Laboratoire de la Création et dont le principe consiste à inviter un artiste à exposer une œuvre qui ne sera visible qu’un soir (le temps du vernissage) et qui sera accompagnée d’un texte écrit par ses soins à la suite de discussions avec l’artiste, tentant d’explorer les enjeux de cette œuvre au sein de cette temporalité particulière. —

 

 

L’exposition de l’art contemporain : vers une poïetique de l’ex-poser

Étymologiquement composé du préfixe ex- qui entend le mouvement d’extraction, d’être « à l’extérieur », « hors », et du radical ponere lequel signifie « poser », « mettre », le verbe exposer se conçoit comme l’action de poser à l’extérieur. Un extérieur que l’on peut, par usage, admettre comme « à la vue d’un public » et hors des murs de l’espace intime que serait, par opposition, l’atelier. L’exposition, résultat et accomplissement du geste d’ex-poser des œuvres, apparaît ainsi aujourd’hui comme un moyen pour le spectateur d’avoir accès aux œuvres et comme moyen pour l’artiste de « montrer », en rendant public, son travail.

Ainsi, si exposer est le fait de poser à l’extérieur, comment envisager le radical, la racine de cet acte qu’est, plus simplement, celui de poser ? Quels passages s’opèrent en effet de l’action de poser ou de disposer dans l’espace intime de l’atelier à celle d’exposer, de « rendre public » ? Quels enjeux sont associés à ce geste ou à cette succession de gestes et de moments construisant l’ex-position d’une œuvre pour un artiste ? Doit-on ou peut-on, à ce propos, considérer que l’œuvre est la version publique de ce qui, posé dans l’espace intime de l’atelier, serait susceptible de ne rester qu’au stade de simple « objet » ? Son exposition au public est-elle sinon déjà une forme de réexposition si l’on envisage le mouvement premier de renverser l’acte poïetique en réception esthétique, autrement dit, que l’artiste en est le premier spectateur et l’atelier le premier espace de dialogue ?

Au Grand Palais, du 18 juillet au 23 août 2020, la nef s’exposait en atelier évoluant jour après jour[1] sous les élaborations plastiques (construction, déconstruction, exposition) de l’artiste Franck Scurti. Un lieu d’exposition devenu atelier ou un atelier exposé, non à la manière d’une reconstitution comme l’atelier de Brancusi, annexe du Centre Georges Pompidou, mais dans son activité créatrice vivante, comme espace proprement poïetique, espace de création « en cours ». Cette proposition artistico-institutionnelle venait questionner de plein fouet le geste d’ex-poser. L’installation de l’atelier et celle des œuvres cohabitaient et coexistaient dans un même espace-temps, faisant littéralement fusionner l’intime et le public dans une dynamique non binaire, non dichotomique et non hiérarchisée.

Sous les yeux des spectateurs aguerris, les objets sont posés au sol, sur une table, à plat, exposés sur des cimaises, composés entre eux, puis déplacés par l’artiste ou ses assistants sans que l’on ne sache à quel moment ils se stabilisent dans un état conceptuellement clair et saisissable. Où s’arrête le geste de poser, où commence celui d’exposer ? Ce déplacement dans l’espace, métaphoriquement intime de l’atelier sous la nef, se meut et se mue en véritable performance artistique sous les yeux du public. Marcher, faire ou poser, deviennent, sous les projecteurs de l’art, les gestes chorégraphiques d’une exposition en constante évolution. Il n’est plus question de chercher la bonne place pour les œuvres, il s’agit de performer le verbe « ex-poser ». L’exposition apparaît ainsi comme une finalité sans fin. Elle a lieu en se constituant comme telle, elle se réalise au double sens de s’opérer et de s’accomplir.

Seule et unique œuvre exposée au spectateur sous une modalité classique, c’est-à-dire installée en dehors de la délimitation bornée de l’espace d’atelier et de ses aléas, De la maison au Studio, débutée en 2012, vient rejouer par son dispositif et son propos, l’appréhension d’un état de l’œuvre non stabilisé, en constante compo/expo-sition. Un fil de 45 mètres de lacets attachés entre eux et parsemés de nombreux déchets et objets divers trouvés tout au long des déplacements quotidiens de l’artiste entre son atelier et son domicile est accroché sous la coupole de la nef. Nourri et agrandi aux dimensions du lieu pour l’occasion de son exposition, le fil apparaît donc comme une œuvre-trace qui pourtant n’a pas pu et ne pourra jamais être réexposée telle qu’elle. En effet, celui-ci sera dorénavant trop long pour pouvoir pendre aux dimensions exactes d’un plafond d’une dizaine de mètres seulement. Son identité est à présent inextricablement augmentée des dimensions de son exposition au Grand Palais. Plus que de porter la trace de son exposition comme état transitoire, sa constante alimentation vient nouer ensemble l’intime et le public à deux niveaux : du domicile à l’atelier, et de l’atelier au musée.

L’exemple caractéristique de cette exposition nous permet ainsi d’envisager d’ores et déjà une conception contemporaine plus communément admise de l’exposition pensée comme une finalité sans fin, comme une manière d’advenir en états temporaires, introduisant le mouvement et le temps au sein d’une conception qui prenait pour acquis l’exclusion mutuelle des espaces et les dichotomies du poïetique (création) et de l’esthétique (réception), mais aussi de l’art (expérience esthétique) et de la vie (expérience quotidienne).

Depuis la fin du XXe siècle, l’art a subi simultanément de profondes mutations du point de vue des formes et des contours des œuvres qui le composent. Le cadre du tableau ou le socle de la sculpture, qui permirent longtemps de délimiter l’espace de l’expérience esthétique d’avec celui de l’espace environnant, se sont ouverts à l’espace et au temps du spectateur. Le white cube en est ainsi devenu le représentant canonique, garant d’une tension artistique ambiante[2]. Fantasmé comme une pure instance de délimitation physique, le cadre est devenu, à partir entre autres du minimalisme, l’opérateur métaphorique et conceptuel qu’il a toujours été. L’expérience des œuvres débordant l’objet pour se nourrir du cartel et de l’ « immatériel » qui l’environne, qu’il s’agisse du contexte artistique, de la disposition spatiale, du concept, etc.

Arrêtons-nous un peu plus longuement sur ce point tournant qu’a été le minimalisme. En rendant l’œuvre indissociable de son contexte d’installation et, par voie de conséquence, de l’expérience qu’en fait le spectateur, le minimalisme donne à repenser historiquement le passage à l’ex-position. Pour Donald Judd, artiste-théoricien et pionnier du mouvement, la réduction de l’œuvre à des formes tridimensionnelles très basiques, ce qu’il appelle ses objets spécifiques (référence à l’article du même nom : Specific Objects publié en 1965), sert à révéler, en quittant le mur où régnaient des tableaux de plus en plus vidés de configurations signifiantes, l’espace environnant auquel le spectateur est forcé de se confronter. Chez Carl Andre, des éléments alignés au plancher forcent le spectateur à une déambulation entravée et s’attaquent simultanément à la spécificité du médium sculpture et aux particularités physiques du lieu d’exposition. Dans son travail, la sculpture s’horizontalise tout en s’aplanissant. L’appréhension du médium se renouvelle par le biais du corps et de la marche à côté, autour ou sur, une sculpture fatalement désacralisée qui redéfinit ses axes et ses limites d’objet. Il s’agit pour Carl Andre d’envisager une sculpture qui ne soit plus reliée inconsciemment à la verticalité, à l’édifice, à l’architectural.

Ainsi le minimalisme cristallise, dans la diversité des stratégies et des pratiques qui le circonscrivent, avec une certaine évidence, les relations complexes que l’objet artistique exposé entretient avec son espace de monstration.

L’œuvre minimaliste, en essentialisant le rapport à l’espace réel, abolit, d’une certaine manière, son autonomie d’objet, voire son indépendance. Plusieurs questions sur le statut de cet objet apparaissent alors légitimes. Si ce dernier devient un simple « révélateur » de l’espace environnant, que reste-t-il de sa tradition de médium (peinture ou sculpture), de son histoire et de sa capacité à réclamer une expérience spécifique ? Ce que demande le minimalisme, c’est la considération d’une œuvre ici et maintenant, d’une œuvre qui est installée dans l’espace/temps réel et qui, pour reprendre la célèbre critique du minimalisme que Michael Fried effectue dans Art and Objecthood, intensifie théâtralement la durée[3] et s’affirme dans la littéralité de son objectité[4] : « L’œuvre littéraliste dépend du spectateur[5]» écrit-il.

Loin de récuser l’accusation, Donald Judd insiste sur cette particularité de sa production :

« L’installation de mon travail et de celui d’autres artistes coexiste avec sa création même. L’œuvre n’est pas spatialement, socialement, temporellement désincarnée, comme dans la plupart des musées. L’environnement joue un rôle essentiel dans mon travail : l’installation suscite autant de réflexion que l’œuvre elle-même[6]. »

Introduisant ainsi l’importance de la présentation des œuvres, Donald Judd va même jusqu’à envisager un statut pérenne des installations :

« Il faut qu’il existe quelque part un endroit où l’installation soit bien faite et permanente. […] J’ai toujours eu besoin de voir mon travail dans mon propre espace pour le comprendre et pour pouvoir concevoir d’autres œuvres […] Il est urgent de protéger mon œuvre de façon à ce qu’elle puisse durer dans les conditions qui furent celles de sa création[7]. »

Les propos de Donald Judd semblent en effet réclamer une sorte d’espace axiomatique avec lequel dialoguerait l’œuvre, une œuvre programmatiquement insituée c’est-à-dire indissociablement attachée au lieu pour lequel elle a été imaginée et dans lequel elle a été créée. C’est probablement dans cette optique que fut mise sur pied en 1971 la Judd Foundation dans la ville de Marfa. Aujourd’hui considéré comme un lieu d’exposition incontournable en plein milieu du Texas rural, cet espace fut investi par l’artiste pionnier du minimalisme en réaction aux institutions muséales qu’il estimait impropres à exposer correctement les œuvres minimalistes[8]. En partenariat avec la Dia Art Foundation qui rachètera la base militaire pour en faire le principal lieu de stockage et de présentation des collections, Judd a ainsi pu acquérir un certain nombre de bâtiments (supermarché, banque, hôtel) laissés à l’abandon pour en faire, de façon durable, des installations monumentales spécifiques au site[9] comme pour y installer ses œuvres et celles de ses congénères (Carl Andre, John Chamberlain, Dan Flavin, etc.). On subodore déjà qu’une telle orientation va poser un problème de taille à toute entreprise de réexposition, laquelle n’aurait d’autres enjeux que des intérêts économico-culturels : faire circuler des biens célèbres appartenant à l’histoire de l’art contemporain et susceptibles d’attirer un grand public en les amputant des liens invisibles qui conditionnent pourtant profondément leur expérience esthétique.

Ainsi l’œuvre minimaliste, par le biais de l’ancrage au site, introduit-elle une pensée de l’œuvre comme une « œuvre-lieu[10] ».

Les relations complexes entre l’œuvre et le site (ou le lieu) n’ont fait que s’accentuer avec l’arrivée de nouvelles pratiques comme l’installation ou la performance. L’œuvre, plus que de s’étendre à l’espace du spectateur, se fait environnement artistique dans l’installation et événement avec la performance. Plus les contours de l’œuvre englobent l’expérience du spectateur et plus les espace/temps poïetique (création) et esthétique (réception) s’associent. Pamela Bianchi, dans son étude consacrée à ces passages significatifs de l’espace contenant à l’espace-œuvre, écrit que :

« dans cette perspective, l’espace de l’art se présente avec une double nature : il est à la fois un composant de l’œuvre et un paramètre (dispositif) du récit expographique. Il s’agit d’une sorte de processus évolutif en chaîne (sorte de syllogisme) où, d’abord l’œuvre se fait exposition, ensuite, l’espace se fait œuvre et, enfin, l’espace se fait exposition[11] ».

Or, quand nous en arrivons à ce dernier stade, nous comprenons aisément qu’une réexposition est impensable car insensée. Dès lors que l’espace se fait exposition, chaque réitération d’une œuvre, traversant les différents maillons de la chaîne dont parle Pamela Bianchi, adopte nécessairement toujours une nouvelle identité ; il s’agit d’une exposition unique à part entière, car irréductible à d’autres espaces.

Dans le champ des pratiques contemporaines, la performance rencontre les mêmes obstacles à une réexposition que l’installation. Pensons par exemple à l’environnement performatif créé par l’artiste Tino Sehgal à l’occasion de la carte blanche qui lui a été confiée au Palais de Tokyo à la fin de l’année 2016. L’artiste explique comment ses performances sont indissociablement liées à leur lieu d’occurrence :

« Je mets mon travail en liaison avec ce temple de l’objet qu’est le musée et je remplace l’objet par un autre type de produit, plutôt immatériel, comme des situations, des expériences[12] ».

Nous pourrions pour évoquer ce type de production emprunter le terme parlant et imagé d’ « exp’œuvre[13] » qu’utilise Pamela Bianchi pour parler de la présentation de la performance. L’œuvre, loin de l’objet traditionnel, devient en effet elle-même l’exposition. Si ex-poser correspond bien originairement à l’idée de poser à l’extérieur, nous devons concéder que les mutations de l’œuvre d’art et de ses formes viennent redéfinir l’exposition comme acte profondément poïetique. Tirant son étymologie du latin opera, l’œuvre est bien également ce qui est à l’œuvre. Elle se manifeste à la fois, et simultanément, à elle-même et au public. Son essence d’œuvre n’est alors plus à situer en deçà ni au-delà de son exposition mais elle fusionne avec ce moment pour en faire une sorte d’ « événement » où elle s’affirme comme extériorité.

De l’exp’œuvre aux problématiques de la réexposition ; expériences et identité(s) de l’œuvre en question

Si nous souhaitions ainsi repenser le passage allant du geste de poser à celui d’exposer (créer l’œuvre puis la présenter) à l’aune de l’histoire de l’art et des perturbations qu’y ont créées les pratiques contemporaines, c’est parce que nous comprenons fatalement que l’œuvre, débordant les contours de l’objet vers l’immatériel enveloppant et le in situ, pose le problème de sa réexposition. Pamela Bianchi remarque ainsi que, aujourd’hui :

« l’espace d’exposition (alternatif, non ordinaire, institutionnel, etc.) participe activement à la définition statutaire de la proposition artistique temporaire (in-situ ou non) qu’il accueille. En ce sens, les modes d’occupations spatiales peuvent modifier temporairement la nature de l’espace investi[14] ».

Est-il donc encore possible de réexposer une œuvre aujourd’hui eu égard au fait que le concept même d’œuvre est devenu inséparable de son ex-position ? Et, si nous pouvons bien encore envisager une réexposition en ces termes alors, qu’advient-il de l’œuvre, de son identité, quand chaque exposition semble en redéfinir de nouveaux contours, voire quand chaque exposition est la pleine manifestation de l’œuvre ? « Que reste-t-il d’une œuvre d’art, une fois qu’on l’a exposée des dizaines de fois, une fois que l’on a pris conscience de toutes les transformations dont elle était l’objet lors de ses expositions[15] ? » demande fort à propos Jérôme Glicenstein.

Existe-t-il encore un cadre qui puisse retenir l’essence de l’œuvre et lui permettre d’être réexposée, d’être toujours la même ? Que risque l’œuvre soumise à plusieurs expositions ? Nous tenterons d’appréhender ces questions à partir cette fois d’un cas plus pratique de curation d’expositions.

Lorsque nous[16] avons initié le projet des expositions avec Le Laboratoire de la Création[17], l’idée directrice était de proposer aux artistes d’exposer une œuvre qui ne serait visible qu’un soir et qui serait accompagnée d’un texte censé rendre compte des enjeux de l’œuvre et de sa monstration au sein de ce dispositif temporellement particulier. Des vernissages il ne reste que l’écrit, publié sur le site mais aucune image ne l’accompagne car nous avons favorisé l’intensité d’une rencontre ponctuelle en durée limitée au sein d’un dispositif confrontant : le face à face avec une seule œuvre, quelle que soit sa dimension ou son procédé. Nous ne sommes ni commissaires, ni galeristes. Les expositions n’ont aucune thématique, le lieu lui-même n’est ni un cube blanc ni un lieu fortement atypique (du moins de l’intérieur car il s’agit de l’ancien château d’eau du Palais Royal). À l’origine, le concept de la réexposition n’était pas au cœur de nos considérations pour ce projet. Mais il est apparu rapidement assez central puisque les paramètres imposés, notamment le temps court de présentation et l’absence de traces photographiques de l’œuvre, ont porté tous les artistes, jusqu’à présent, à réexposer une pièce telle quelle ou à en proposer une nouvelle version. Les œuvres sont mises à l’épreuve de ce dispositif de médiation particulier dont l’intensification temporelle a fait surgir une série de réflexions et ouvert de nouvelles perspectives sur la réexposition.

Tout d’abord, revenons un instant sur la problématique de l’in situ révélée par le renouvellement du contexte. Julia Gault, exposée en novembre 2019, Jean-François Leroy, en décembre 2019 et Vera Kox en février 2020, ont tous les trois proposé des pièces qui obligent une remobilisation de cette expression introduite avec le minimalisme et que nous pouvons ici penser à nouveaux frais. Expression qui recouvre, selon l’acception admise précédemment dans son usage courant, le lien inextricable de l’œuvre à son espace d’ex-position, le sous-entendu de ce terme étant alors que l’œuvre aurait bien été faite pour cet espace particulier, que l’espace d’exposition (le site) en serait tout à la fois l’origine et la finalité. Or, pour chacun de ces artistes, le rapport au lieu, s’il est évidemment revendiqué à l’origine de la pièce, ne l’est pas pour les mêmes raisons ni de la même manière. Dès lors que le « site » en question renvoie aux particularités d’un espace topographique, le terme n’est plus toujours assumé. Il semble donc important non seulement de le repenser, mais également d’envisager que, ce qu’il dessine en creux d’une œuvre, est peut-être moins relié à l’espace du spectateur qu’à sa temporalité. Jean-Marc Poinsot est sans doute l’auteur qui a le plus œuvré à redynamiser en profondeur les problématiques de l’in situ en affirmant que le rapport œuvre/lieu ou la notion d’œuvre-lieu souffrait d’un contresens. Ainsi écrit-il dans Les cahiers du musée national d’Art moderne :

« Il faut en finir avec l’idée selon laquelle le site, le cadre d’implantation, voire le contexte contiendraient l’œuvre. C’est bien au contraire l’œuvre qui contient les traits ou fragments du site dans lequel elle est implantée. […] En effet, le réel (entendu ici comme cadre ou lieu précis) est tout à fait interchangeable, si tous les traits ou fragments que l’œuvre in situ avait intégrés lors de sa première apparition sont toujours maintenus dans la nouvelle mise en vue[18]. »

En réalité, cette question de l’in situ s’avère bien plus complexe qu’il n’y paraît. À partir du moment où les contours de l’œuvre se dissolvent dans l’espace réel du spectateur, il apparaît difficile d’affirmer que cette dernière reste parfaitement autonome. Car l’œuvre n’est plus simplement l’objet, elle s’hybride dans la subjectivité de l’expérience sensible. Il faut alors, avec Jean-Marc Poinsot, distinguer les conditions de l’in situ du point de vue de la création, des répercussions et des échos se manifestant du côté de la réception car, comme il en propose le constat suivant :

« Pour certains artistes l’exposition sera dissociée en une première occurrence par laquelle l’œuvre advient et prend une forme qui, malgré les variables ultérieures dues aux particularités des contextes successifs d’exposition, restera en quelque sorte garante du sens et de l’effet à produire. […] D’autres gèrent l’espace de réitération comme l’espace de leur propre discours. Ils se donnent la possibilité de ne jamais tenir le même discours[19]. »

Cette différence de conception et d’interprétation de l’in-situ, avec les conséquences qu’elle peut avoir sur la réexposition, nous pouvons la retrouver en comparant par exemple les propositions de Julia Gault et de Jean-François Leroy. Julia Gault avait proposé, sous le titre La constance de l’eau, une sculpture-performative : un sac en plastique transparent rempli d’eau et finement percé laissait un mince filet désagréger la grille faite de boudins de terre crue qui la recouvrait. La pièce avait émergé pour la première fois quelques mois auparavant, en bord de Seine et en extérieur pour son exposition à ThunderCage[20]. Ici, le in situ tirait parti du hasard heureux d’un lieu associé (historiquement) à l’eau. Une fois libérée de son premier contexte d’occurrence, l’œuvre acquiert une forme d’autonomie lui permettant de mettre l’emphase sur son statut temporel d’événement. Car c’est en effet le temps plus que l’espace qui l’active. Ce qui caractérise cette œuvre n’est pas la résonance première au lieu, c’est la situation et la durée de son délitement ainsi intensifié.

Jean-François Leroy présentait pour sa part une pièce intitulée Punctum réactivé. Originairement créée in situ pour une chapelle en 2012 (à l’occasion de l’événement L’art dans les chapelles), la première occurrence en portait simplement le titre unique de Punctum. Un morceau de lino coloré revêtait le sol et les murs du lieu en un prosaïque drapé qui dialoguait pudiquement avec la charge symbolique du lieu sacré. Exposée une seconde fois dans une galerie, la pièce avait cette fois-ci été faite par les galeristes eux-mêmes. Faute d’avoir pu se rendre sur place, l’artiste n’avait contrôlé de son œuvre exposée que le dessin résumant dans les grandes lignes une « manière » d’habiter l’espace. Sous un même titre (Punctum), l’œuvre avait, en deux expositions, changé d’apparence (le lino noir ayant remplacé le précédent coloré) et été augmentée d’un protocole (dessiner schématiquement une « manière d’occuper l’espace » et confier son ex-position). Pour sa troisième exposition, au Laboratoire de la Création, l’œuvre Punctum avait troqué le lino pour de la moquette. À cette occasion, le protocole d’installation avait, finalement et au dernier moment, été réalisé par l’artiste lui-même. Le texte exposé en regard de l’œuvre au moment de l’exposition posait une analogie avec le bateau mythique de Thésée dont les pièces avaient toutes été changées au fil de la traversée. Nous arrivons au cœur de la question de la réexposition : s’agissait-il du même bateau ? Jusqu’où le titre de l’œuvre lui permettait-il de conserver la même identité ? Qu’est-ce qui constituait l’essence de cette œuvre ? Cette exposition était, en outre, l’occasion de sensibiliser le spectateur à la question identitaire de l’œuvre et de ses mutations.

Pour Julia Gault, la réexposition était donc une manière de rejouer la temporalité de la pièce éphémère dans un cadre autre et des circonstances différentes. L’isolement de l’œuvre et la durée brève de sa monstration imposés par le dispositif intensifiaient en effet l’attention portée au processus de destruction de la terre par l’eau. De surcroît, d’une exposition à l’autre, seule diffère la manière dont le processus de délitement de la matière a lieu. Le sol peint de la galerie a empêché l’eau et la terre crue de se mélanger naturellement en une flaque de boue, comme l’y conduisait irréversiblement l’intentionnalité entropique de la pièce. Le phénomène avait réussi la première fois pour l’exposition en extérieur et sur revêtement de bitume. Si cette œuvre existe ainsi principalement par son caractère conceptuel entropique (l’appréhension de son essence temporelle précaire par le spectateur), force est de constater que la réexposition met en exergue des expériences de l’œuvre variées ou différentes et plus ou moins satisfaisantes pour l’artiste.

Jean-François Leroy nous invitait plutôt à questionner l’identité même de l’œuvre puisqu’il semble tout à fait contradictoire de parler de ré-exposition quand chaque présentation en propose une version différente. Nous parlerions bien plus volontiers de nouvelles occurrences d’une œuvre qui allonge ainsi son « pedigree » tout en demeurant toujours nouvelle et (re)découverte, par l’artiste comme par le spectateur, au moment de chaque exposition. L’expérience de l’œuvre ne se modifie pas comme c’est le cas pour Julia Gault, elle est inévitablement renouvelée simultanément aux occurrences supplémentaires d’expositions de l’œuvre. C’est probablement dans l’ajout à la fois innocent et joueur du Punctum réactivé pour l’occasion du Laboratoire de la Création que se joue cette conception particulière de la réexposition. L’artiste parlant volontiers plutôt d’ « occupation de l’espace » que d’ « installation » pour cette pièce, nous pourrions considérer alors que l’exposition réactive la fonction œuvre, qu’elle réactive la pièce comme Punctum tout en la réinventant presque totalement (matériaux, agencement, concept). L’occupation matérielle de l’espace se fait œuvre quand l’exposition en est l’avènement, presque plus que l’événement.

Dépassant les particularités de chaque exposition, dans un cas comme dans l’autre, l’œuvre n’existe en tant que telle qu’au moment de son ex-position. En dehors de la monstration, il n’y a que des matériaux (une moquette roulée, des blocs de terre crue, des sacs plastiques). Bernard Guelton, dans son ouvrage L’exposition : interprétation et réinterprétation, part de l’expérience concrète de reproduction et de réexposition d’œuvres contemporaines in situ pour dégager les traits et les enjeux propres à ce type d’œuvre. Ainsi écrit-il que :

« [L]a matérialisation n’est pas la rematérialisation d’une même œuvre, mais la mise en œuvre d’un principe qui se réalise dans le contexte de l’exposition. Comme souvent, la théâtralité n’est pas produite à partir du principe d’une reproductibilité complète d’une œuvre, mais sur la base de la reprise ou du ré-agencement de certains éléments antérieurs. Elle est présente avant tout comme une manifestation forte d’une condition de la représentation[21]. »

Cette idée de « matérialisation » d’une même œuvre était également visible chez Vera Kox qui présentait sous le titre On the spot ce que l’on pourrait appeler un « assemblage sculptural ». Une composition déjà exposée dans une galerie mais agrémentée cette fois de nouveaux éléments. Chez Vera Kox comme pour les autres artistes exposés si ce n’est davantage, l’atelier est un espace de production d’éléments autonomes qui seront assemblés à la manière d’une composition picturale dans le lieu d’exposition. Aucune œuvre n’est constituée physiquement en dehors de son espace d’exposition. « Présentifiée matériellement », si l’on peut dire, par des coulées de plâtre qui soudent temporairement les éléments qui la composent, chaque sculpture offre un assemblage unique accordé au lieu de présentation. Elle ne pourra pas être répétée à l’identique, le plâtre devant à chaque fois être détruit. À nouveau, la réflexion sur la notion de réexposition est ici subtilisée pour être envisagée du côté d’un dialogue, d’une composition de matériaux spécifique « qui a déjà eu lieu » auparavant, pour des expositions antérieures. Pour autant, certains éléments comme la coulée de plâtre ancrant l’installation sculpturale en un état ici et maintenant ou les billes de silicate qui, disposées sur le plâtre de façon à absorber son humidité, intensifiaient la temporalité par un lent changement de couleur, manifestent le caractère indubitablement éphémère et inédit de l’œuvre. Pareillement à Jean-François Leroy, le titre vient ici indiquer la conception d’une œuvre in situ élargie sous l’éclairage ponctuel des spots (métaphore des lieux d’expositions) qui vient acter l’assemblage en œuvre dans la brièveté d’un état évolutif.

Dans les expositions du Laboratoire de la Création, le temps court alloué aux présentations permet de saisir et d’exploiter un « état intermédiaire » assumé. L’œuvre exposée est à la fois entièrement présente et pourtant – comme le révèlent les textes qui l’accompagnent – également ailleurs, c’est-à-dire, dans ses autres formes et états passés ou futurs. En ce sens, interroger ce qui fait œuvre ou ce qu’est l’œuvre ici et maintenant permet de mettre en évidence les constituants et les forces qui la sous-tendent, sans que cela l’amoindrisse dans sa présente itération. Du côté des artistes, le type de présentation imposé par Le Laboratoire de la Création a parfois permis de mettre à l’épreuve la résilience identitaire d’une œuvre. Ce fut le cas pour Cyril Zarcone dont la pièce Assemblage en arche apparaissait plus conventionnelle dans notre contexte : il s’agissait d’un élément sculpté, complètement achevé en atelier, sans que ne semble être envisagé, comme ce fut le cas pour les autres, le caractère insitué de l’œuvre. Toutefois, si le spectateur avait face à lui une sculpture, celle-ci était en réalité une composante d’une installation comprenant six autres éléments semblables, un ensemble conçu en vue d’une présentation ultérieure à la Galerie Éric Mouchet à Paris[22]. Pour l’artiste, l’enjeu de la participation aux expositions du Laboratoire de la Création était de voir si cet élément sculptural pouvait soutenir son état d’isolement. Percevrait-on une carence formelle, liée à l’absence des six autres composantes avec lesquelles elle devait former un tout signifiant ? Percevrait-on les références au monde du jardin, à l’architecture antique ou au kitsch, qui animaient la création de cette série et constituaient la thématique de son exposition Côté Jardin à la Galerie Éric Mouchet ? Quelques semaines après le passage au Laboratoire de la Création, la pièce était à nouveau réexposée seule, l’artiste ayant réalisé qu’elle pouvait survivre formellement et conceptuellement à cette situation d’isolement : l’ex-poser l’avait (re)définie comme œuvre. De façon générale, nos discussions avec les artistes à la suite des expositions ont révélé qu’ils avaient de leurs œuvres une conception ouverte et en (trans)formation perpétuelle. Et ce sont ces transformations des regards à l’œuvre, sur l’œuvre ici et maintenant, comme sur son appréhension en tant que concept, que nous souhaitons donner à voir et à penser avec le projet des expositions au Laboratoire de la Création.

De l’unité multiple d’une œuvre à ses multiples identités d’œuvre, la question de la réexposition s’avère véritablement féconde aujourd’hui. Nous avons ainsi tenté de montrer que les propositions artistiques, rabattant l’espace-temps de la création sur celui de l’exposition, permettaient d’appréhender une exposition comme un événement. Ainsi que l’écrit Fabien Faure : « le lieu de l’œuvre que l’esthétique contemporaine a parallèlement pensé, avec ses outils et ses visées propres, comme une ontologie de l’acte créateur » permet de mettre au jour « cette propriété fondamentale de la création, qui est de donner lieu[23] ».

Les concepts d’exp’œuvre (Pamela Bianchi) ou d’œuvre-lieu (Fabien Faure), s’ils introduisent un éclairage pertinent pour penser la problématique d’une réexposition, eu égard aux enjeux de la création contemporaine et de ses productions, s’avèrent probablement trop spécifiques et restrictifs pour notre réflexion. En effet, l’hétérogénéité des conceptions introduites par le biais des expositions du Laboratoire de la Création nous permet, à défaut d’adopter un nouveau concept de substitution à la notion d’œuvre ainsi qu’un nouveau paradigme d’appréhension, de rebattre les cartes de la distinction initialement organisée dans le temps et dans l’espace que composent ces trois gestes établis en prélude : poser, exposer, réexposer.

Si l’art, pour le dire un peu schématiquement, a traditionnellement été du côté de la formation et de l’information (donner une forme à la matière), nous pourrions peut-être davantage le penser, à la suite de notre exposé, du côté de la trans-formation. Transformation(s) d’une œuvre dont les réitérations donnent lieu à de multiples expériences ou mutations identitaires à travers le concept d’une œuvre qui « a lieu » (pour reprendre le titre de l’ouvrage de Jean-Marc Poinsot) plus qu’elle n’ « est ». Il apparaît nécessaire de changer de regard sur l’œuvre et de l’envisager entourée d’une membrane flexible, sans pour autant abandonner cette notion qui, dans sa visée ontologique, nous permet de penser plus profondément certains enjeux de l’art contemporain, de son exposition et de ses réexpositions aujourd’hui.

Notes

[1] Au jour le jour : titre donné à l’événement. L’installation de l’atelier et des œuvres était cependant ouverte au public uniquement les week-ends.

[2] « Le cube blanc […] est l’ “en puissance” de l’art. C’est cette dimension inchoative qui lui confère son caractère “sacramentel” : il “artifie” » écrit Patricia Falguières dans la préface de O’Doherty B., White Cube. L’espace de la galerie et de son idéologie, Zurich, JRP Ringier, 2008, p. 8.

[3] Fried M., Contre la théâtralité, Paris, Gallimard, 2007, p. 139 : Fried oppose ainsi une « présenteté continue et entière » qui caractérise l’expérience temporelle des œuvres picturales modernistes avec les œuvres minimalistes qui instaurent quant à elles une expérience qui « persiste dans le temps, et cette composante de l’interminable, qui est au cœur de l’art et de la théorie littéralistes, est essentiellement une donnée du caractère interminable et infini de la durée ». C’est ce caractère interminable et infini de la durée qui en introduit pour l’auteur la théâtralité.

[4] Ibid., p. 119 : « Cette “condition du non-art” est ce que j’appelle, dans le contexte, “objectité”. Tout se passe comme si l’objectité était seule à même, dans les circonstances présentes, d’exprimer l’identité d’une chose, de la définir sinon comme non art, du moins comme n’étant ni peinture, ni sculpture ; ou comme si une œuvre d’art – une peinture ou une sculpture moderniste, pour être précis – n’était pas essentiellement un objet ».

[5] Ibid., p. 134.

[6] Judd D., Écrits 1963-1990, Paris, Daniel Lelong éd., 1991, p. 69.

[7] Ibid., p. 69-70.

[8] On retrouve les critiques de Donald Judd à l’encontre des institutions muséales dans ses Écrits 1963-1990.

[9] Nous n’avons pas ici clairement évoqué la distinction entre in situ et site-specificity. Ce dernier terme étant apparu pour parler, par exemple, des œuvres du land art de R. Smithson ou de R. Serra implantées dans un site extra-institutionnel (Spiral Jetty au Great Salt Lake, aux États-Unis, en 1970) et rendues visibles au public essentiellement par le moyen de la photographie. Nous préfèrerons utiliser le terme générique « in situ » qui englobe davantage de problématiques quant à la qualité et à la notion « spécifique » du lieu.

[10] Terme utilisé par Fabien Faure pour parler du travail de Richard Serra (Spin Out 1972-1973), Faure F., Richard Serra : ma réponse à Kyoto, Lyon, Éd. Fage, 2008, p. 54.

[11] Bianchi P., Espaces de l’œuvre, espaces de l’exposition. De nouvelles formes d’expérience dans l’art contemporain, Saint-Denis, Connaissances et Savoirs, 2016, p. 18.

[12] Propos recueillis par Deman S., « Tino Sehgal – Zéro photo, zéro vidéo », ArtsHebdoMedia, n° 10, 2010, en ligne : https://www.artshebdomedias.com/article/021010-tino-sehgal-zero-photo-zero-video/?fbclid=IwAR2qsOTUcRux5axYAKcnZF9GAhiaaGw5rceV7nRx_VcWyu6WCYGoWtRDatI (consulté en juin 2019).

[13] Bianchi P., « Exposer la performance : une nouvelle interface spatiale », Les chantiers de la création, n° 8, 2015, en ligne : http://journals.openedition.org/lcc/1055 (consulté en janvier 2019) : « Dans une exp’œuvre se produit une fusion entre des réalités diverses, entre l’œuvre, l’espace d’exposition, libéré de la logique traditionnelle et le corps du public qui donne vie à une sorte d’exposition in situ ».

[14] Bianchi P., Espaces de l’œuvre, espaces de l’exposition. De nouvelles formes d’expérience dans l’art contemporain, Paris, Connaissances et Savoirs, 2016, p. 16.

[15] Glicenstein J., L’art : une histoire d’expositions, Paris, Presses universitaires de France, 2009, p. 216.

[16] Maïlys Lamotte-Paulet, artiste diplômée des Beaux-arts et moi-même, doctorante en philosophie de l’art à la Sorbonne Paris IV.

[17] Le Laboratoire de la Création attribue des espaces de travail, des résidences artistiques et organise des expositions depuis 2002. Maïlys Lamotte-Paulet et moi-même avons entrepris ce projet d’expositions (un artiste, une œuvre, un soir, un texte) en décembre 2019 dans la galerie du Laboratoire de la Création au 111 rue Saint-Honoré 75001. Liste des expositions sur le site du Laboratoire de la Création (www.laboratoiredelacreation.org).

[18] Poinsot J.-M., « L’in situ et la circonstance de sa mise en vue », Les cahiers du musée national d’Art moderne, n° 27, printemps 1989, p. 72.

[19] Poinsot J.-M., Quand l’œuvre a lieu. L’art exposé et ses récits autorisés, Dijon, Les presses du réel, 2008, p. 38.

[20] Espace d’exposition public situé à Aubervilliers. Le principe des expositions consiste à inviter deux artistes à investir « en duel » un carré de bitume en extérieur situé sous une passerelle, en bord de rive, et dont les œuvres seront visibles pour les spectateurs-promeneurs urbains. Julia Gault y exposait en septembre 2019.

[21] Guelton B., L’exposition : interprétation et réinterprétation, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 51.

[22] Exposition personnelle de l’artiste : Côté Jardin, exp., Paris, Galerie Éric Mouchet, 2019.

[23] Faure F., Richard Serra : ma réponse à Kyoto, Lyon, Éd. Fage, 2008, p. 157.

Pour citer cet article : Maki Cappe, "Poser, exposer, réexposer : transformation des regards à/sur l’œuvre", exPosition, 10 février 2021, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles6-1/cappe-poser-exposer-reexposer/%20. Consulté le 4 décembre 2024.