— Diplômée de l’école du Louvre, Anaïs Raynaud est attachée de conservation et cheffe de projet au département des Expositions et des Manifestations culturelles du musée des Arts et Métiers. Avant cela, elle a travaillé au MuCEM et au musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux.
Titulaire d’un master d’Histoire des Sciences et d’Épistémologie (Université Paris Diderot), Marjolaine Schuch est cheffe de projet au département des Expositions et des Manifestations culturelles du musée des Arts et Métiers.—
En octobre 2024, le musée des Arts et Métiers a ouvert une exposition consacrée à l’empreinte carbone (Fig. 1). C’est un événement conçu en interne par le département des Expositions et des Manifestations culturelles. En tant que cheffes de projet, nous assurons à la fois le développement des contenus – sans commissaires mais avec le soutien d’un conseil scientifique – et la création muséographique – aux côtés d’une agence de scénographie qui constitue la maîtrise d’œuvre. Nous avons par ailleurs bénéficié du mécénat de compétences d’un centre d’expertises en développement durable sur les contenus de l’exposition, notamment les quantifications qui y sont présentées. Cette exposition vise à déconstruire les présupposés et les idées reçues sur notre empreinte carbone, d’en décortiquer les mécanismes et de proposer aux visiteurs un espace de réflexion sur les actions à mener face au défi du réchauffement climatique. Le sujet, dans sa dimension scientifique et technique, s’insère logiquement dans la thématique du musée des Arts et Métiers. Cette institution, anciennement musée national des techniques, conserve et expose des jalons de l’histoire scientifique française et européenne. De la pascaline au cyclotron en passant par le cinématographe ou l’avion d’Ader, ces collections comptent près de 80 000 objets. La Révolution industrielle y tient une place importante, du fait d’un essor important de l’institution et de sa maison-mère, le Conservatoire national des arts et métiers, au XIXe siècle, essor tourné en partie vers l’exaltation de la puissance industrielle française (Fig. 2).
Le projet répond à un triple objectif : accompagner nos visiteurs vers le changement, relire les collections du musée à l’aune de cette question d’actualité et repenser nos pratiques professionnelles pour construire un musée plus en phase avec les principes du développement durable.
Cet objectif multiple nécessite de revoir un certain nombre de nos pratiques et de nos conceptions habituelles, en évitant un discours descendant que les visiteurs reçoivent au cours d’une visite passive ou à sens unique. Nous interrogeons également la position depuis laquelle nous, en tant que muséographes, approchons le sujet, imaginons des façons différentes de rapprocher un sujet et son public, plus proches, plus liés, plus engagés. Pour cela, il semble nécessaire de questionner deux valeurs encore souvent aujourd’hui cardinales pour les musées : l’objectivité et la neutralité. Nous rapprochant des musées de société ou des centres de culture scientifique et technique, qui assument leur subjectivité et leur engagement, nous souhaitons être acteurs du changement et partie prenante sur des questions de société[1]. Quitter la neutralité[2], avec tout ce qu’elle comporte de biais, conscients ou non, et arrêter de survoler les débats, de se penser au-dessus de la mêlée. Traiter un sujet comme celui de l’empreinte carbone est au contraire l’occasion de montrer que le musée, et ceux qui y travaillent, sont concernés et partagent les mêmes difficultés à penser et à s’engager dans le changement.
Engager les visiteurs
Avec ce projet, nous souhaitons nous éloigner d’un discours à sens unique, descendant, et d’une expérience de visite trop fléchée. Pour des raisons de contexte contraint, notamment d’une temporalité trop resserrée, nous n’avons pas pu engager un véritable processus de co-construction avec des groupes extérieurs au musée. Malgré cela, nous visons un fort engagement de nos visiteurs et nous avons l’ambition de leur proposer une exposition qui permette une mise en action, individuelle et collective, ce collectif nous incluant. Pour cela, il faut que les visiteurs aient de la place et des outils pour construire du sens, développer leurs réflexions et faire grandir leurs envies d’agir.
Nous avons souhaité nous placer dans une position ouverte, où le musée n’est pas le seul détenteur du savoir mais plutôt une ressource à partir de laquelle des points de vue et des positions peuvent émerger, avec autant de légitimité. Il s’agit ici de partager la production des savoirs et de déconstruire la position dominante du musée dans son rapport à son public. L’avis des visiteurs compte, que celui-ci soit motivé, argumenté, construit, ou plus émotionnel et sensible. Ces deux registres de réaction sont valables et il est possible ensuite d’en tirer du sens. Nous nous sommes inspirées de la notion de convivialité développée par Ivan Illitch[3], en créant un lieu d’échange et de discussion sans hiérarchie.
Comment ouvrir la production de discours, et donc de sens, aux visiteurs ? Dans l’exposition, cela passe par des dispositifs semi ou peu directifs qui permettent l’expression du public. Deux d’entre eux sont particulièrement structurants dans le parcours : l’un situé au milieu du parcours, la « caisse carbone », l’autre en fin de visite, le jeu de rôle « Futurs en construction » (Fig. 3). Le premier invite les visiteurs à choisir entre trois thématiques (l’habitat et l’équipement de la maison, les déplacements, l’habillement) et à scanner des objets pour en découvrir l’empreinte carbone. Les visiteurs sont ensuite invités à modifier ou non leurs choix en renonçant à certains objets ou en adoptant des alternatives. Il n’y a pas d’objectif explicite qui préside aux choix, les visiteurs sont invités à sélectionner les objets qui leur plaisent et qui correspondent à leurs pratiques. En associant visualisation du poids des choix et possibilité ouverte de les modifier, nous cherchons à éviter la posture du bon élève essayant de réussir le test mais plutôt à encourager les visiteurs à se questionner et à interroger leurs propres usages. Le second dispositif propose aux visiteurs d’incarner un industriel, un politique ou un citoyen devant décider de grandes orientations dans trois domaines d’émission : les transports, l’alimentation et le logement (Fig. 4).
Leur objectif commun est de réduire l’empreinte carbone collective située au centre du dispositif. À chaque tour de jeu, ils choisissent entre trois options, spécifiques à chaque rôle et à chaque tour de jeu. L’une des options maintient la situation actuelle, la deuxième initie un changement et la troisième s’engage plus franchement dans le sens d’une réduction des émissions. Chaque option s’accompagne d’informations complémentaires sur les avantages et les inconvénients. En apportant de la nuance et en élargissant à d’autres incidences que les seules conséquences environnementales, ces informations supplémentaires rendent la prise de décision moins évidente. Les visiteurs peuvent ainsi choisir de contribuer à l’objectif général ou de poursuivre des objectifs individuels. Chaque tour de jeu se termine par un sondage de satisfaction. Les joueurs expriment leur niveau de satisfaction face à l’évolution de la situation commune, c’est-à-dire de l’objectif de réduction de l’empreinte carbone. Si ce niveau est insuffisant et que l’insatisfaction gronde, le jeu est menacé et peut ne pas aller à son terme. Les visiteurs sont invités à faire attention aux affects des autres et à exprimer leur ressenti individuel sur la façon dont le jeu se déroule. Ainsi, ce sont eux qui fixent, en partie, la difficulté du jeu et son issue.
Ces deux dispositifs laissent ainsi de la place aux visiteurs pour qu’ils puissent construire et développer leurs opinions, y compris dans la défiance, le rejet et l’alternative.
D’autres interactifs permettent aux visiteurs de s’approprier (ou non) le propos de l’exposition. Les visiteurs peuvent s’exprimer sur les solutions qu’ils seraient prêts à adopter, ou emporter avec eux après l’exposition des défis sur différentes thématiques et différentes durées : ne pas prendre l’avion pendant l’année à venir, ne plus manger de viande qu’une fois par semaine, garder le même smartphone pendant quatre ans… Le parcours est ainsi ponctué de dispositifs de natures différentes pour rendre le visiteur acteur de sa visite (Fig. 5).
Relire les collections à l’aune des questions environnementales
Le lien entre le sujet de l’exposition – l’empreinte carbone – et les collections du musée est à la fois évident et au final, peu mis en avant par le musée des Arts et Métiers. Son identité, assumée, est celle d’un musée d’histoire des techniques avec une emphase importante sur le XIXe siècle occidental et la Révolution industrielle. Les bornes chronologiques du parcours permanent en témoignent, avec un premier jalon avant 1750, un deuxième pour la période 1750-1950 et un dernier après 1950. Le choix de placer la première rupture au milieu du XVIIIe siècle est une conséquence directe de la place de la Révolution industrielle dans le discours général[4].
Le parcours rétrospectif s’attache à présenter les périodes et les objets qui en font partie comme une succession continue et ininterrompue d’innovations et d’inventions. Le contexte de création et les conséquences techniques et industrielles de ces objets n’apparaissent peu ou pas du tout. On y parle encore moins des incidences sur l’environnement, des conséquences sociales, de ce que ces objets ont fait naitre en dehors du progrès technique auquel ils contribuent. Dans cette perspective, les liens entre les collections et le sujet de l’empreinte carbone, bien qu’évidents, restent invisibles aux yeux du public. Pour les rendre explicites, il est nécessaire de changer de posture et d’approche sur les collections pour leur redonner une actualité et une utilité discursive renouvelée au regard de la question environnementale.
L’équipe-projet de cette exposition se devait donc d’interroger la collection avec un regard situé, conscient de là où l’on se trouve et d’où l’on parle : nous sommes des professionnelles de musée fortement intéressées par les questions de société à une période où la crise environnementale est un sujet majeur qui interroge la pertinence et l’intérêt de nos pratiques et notre rôle. Cela a impliqué d’accepter de regarder différemment les objets de la collection et de ne pas seulement les considérer comme des jalons historiques figés, immuables et sur lesquels tout aurait été dit. Le défi est accepté de leur accoler un sens nouveau, complémentaire de leur place dans l’histoire des techniques et envisager des valeurs nouvelles : à côté de leur valeur historique, instaurer une valeur contemporaine renouvelée[5]. Le réfrigérateur à compresseur[6] trouve ainsi sa place dans la section consacrée au cycle de vie et permet de développer un discours sur l’empreinte de l’équipe domestique et l’accélération du taux de renouvellement de l’électro-ménager (Fig. 6). Le micro-ordinateur Macintosh Apple 512K de 1986[7] illustre les problématiques de recyclage et de décomposition des appareils électroniques.
Si nous pouvons porter un regard subjectif sur les collections dont nous avons la charge, nous devons aussi l’envisager pour nos visiteurs. Nous l’avons souligné plus haut, ils seront incités à se positionner sur les solutions pour diminuer l’empreinte carbone présentée dans l’exposition. Nous leur laisserons de la place pour s’exprimer. Loin d’être des objets intouchables dans leur neutralité, les collections s’ouvrent au jugement des visiteurs et se mettent au service de la construction d’un lien nouveau. Les visiteurs pourront ainsi ne pas les utiliser comme un livre d’images mais comme des outils pour construire du sens.
Cet exercice est ici développé dans le cadre d’un projet d’exposition temporaire, qui rend possible cette relecture des collections sans bouleverser le parcours de visite permanent, avec une durée limitée. Cette expérience pourra, nous l’espérons, nourrir la réflexion sur la présentation et la médiation des objets d’une partie au moins du parcours permanent. À ce titre, on peut considérer l’exposition comme un laboratoire, dont une partie des résultats pourrait à terme se transposer au reste du musée.
La sélection des objets se fait selon de nombreux critères. Le plus prégnant consiste à utiliser les collections comme une ressource à gérer de façon raisonnée. Les objets sont exposés plus pour illustrer des idées que pour leurs valeurs singulières (tel fabricant, tel lieu d’usage). Cela conduit à retenir au sein de typologies l’objet le plus adapté et à opérer des choix raisonnés en fonction de critères durables. Un modèle de roue hydraulique[8] a ainsi été choisi parce qu’il est en bon état et ne nécessite aucune intervention en vue de son exposition et qu’il a été prêté au printemps 2024, en amont de l’exposition, il a déjà une caisse de transport, ce qui évite de devoir fabriquer ou trouver un autre emballage. Il s’agit donc d’adopter une vision pragmatique et utilitariste des collections, en lien avec les différentes équipes (scientifique, régie des œuvres, restaurateurs…).
Faire des choix scénographiques différents
Le processus de construction de la scénographie a logiquement été marqué par le sujet de l’exposition et sa nature profondément réflexive. Dans une logique d’économie, nous avons été obligées de nous demander ce qui était indispensable, ce qui constituait la grammaire irréductible de l’exposition et ce que nous pouvions retrancher ou radicalement transformer.
Jusqu’où peut-on changer les codes esthétiques d’une exposition pour qu’elle soit encore réussie, tant du point de vue de l’expérience de visite que l’on souhaite proposer à notre public, que conforme aux attentes en matière d’écoresponsabilité ?
La maîtrise d’ouvrage classique a été complétée par l’adjonction d’une spécialiste de l’accompagnement en éco-production. Au-delà du calcul du bilan carbone final du projet durant son cycle de vie (conception, montage, exploitation et démontage), elle a accompagné le projet tout au long de sa réalisation afin de conseiller, d’alerter et d’éduquer les équipes en interne autant que la maîtrise d’œuvre sur les enjeux de l’éco-conception. Une grande partie de l’empreinte carbone d’une scénographie est liée à la fabrication de mobiliers neufs[9]. Nous avons donc décidé de valoriser deux pratiques d’ordinaire confinées aux coulisses de l’exposition : la location et la récupération de mobilier. Le concept scénographique proposé par l’agence retenue, la Fabrique créative, se fonde sur l’utilisation d’une ossature centrale composée d’échafaudages de chantier (Fig. 7).
Cette structure partitionne l’espace et accueille également les collections. Elle est louée le temps de l’exposition et réintégrera ensuite le circuit de location et d’utilisation. L’empreinte carbone de la structure sera ainsi divisée autant de fois qu’elle sera réutilisée. La location, une des solutions présentées dans l’exposition pour réduire notre empreinte carbone, est ici mise en œuvre de façon centrale. Au-delà de la location du matériel technique (éclairages, équipements multimédia), habituelle mais peu visible des visiteurs, nous assumons la location comme une pratique légitime, pertinente et source de créativité. La réutilisation du parc multimédia existant du musée se place dans la même logique de réduction d’achat neuf. La phase de production (fabrication et transport) représente jusqu’à 90% de l’empreinte carbone des appareils électroniques dont les écrans, les unités centrales, les players ou les vidéoprojecteurs. Depuis plusieurs années, le musée réalise un inventaire de son matériel qui est joint à chaque appel d’offre de conception et de réalisation et nous demandons à la maîtrise d’œuvre de s’appuyer le plus possible dessus avant d’envisager de la location ou de l’achat. Pour Empreinte carbone, l’expo !, l’ensemble du matériel audiovisuel (six écrans et six vidéoprojecteurs) provient du parc du musée. Dans la même veine, la récupération de matériaux et de mobilier est ici revendiquée comme une prise de position appuyée par un ensemble de critères, plus qu’une solution pragmatique défendue pour son seul intérêt économique. Ce n’est pas une option par défaut mais un vrai choix, adopté en connaissance des contraintes qu’il entraine. Si certaines sont assez légères, comme le fait de travailler avec des mobiliers potentiellement disparates, d’autres requièrent des changements plus lourds, comme de démonter différemment la précédente exposition de façon à pouvoir réutiliser autant que possible les matériaux et les transformer pour ce projet. Enfin, nous souhaitons dépasser le cadre de la récupération en interne en nous fournissant le plus possible auprès des circuits de seconde main, ce qui nécessite d’adapter la passation des appels d’offres en y intégrant des principes de l’économie circulaire[10]. Pour le lot agencement, qui comprend la fourniture des mobiliers de l’exposition, il semblait difficile d’exiger une fourniture intégrale en panneau de seconde main. Les gisements sont aléatoires et les entreprises ne connaissent pas, plusieurs mois à l’avance, le stock qu’elles auront. Pour pallier cet aléa, nous avons demandé un chiffrage dans la décomposition du prix global forfaitaire (DPGF) d’une fourniture de seconde main et nous avons également demandé aux entreprises de remplir un bordereau de prix unique (BPU) chiffrant la fourniture d’un panneau standard neuf dans les différents matériaux de la scénographie. Ainsi, en cas d’impossibilité d’obtenir un panneau de seconde main, nous savons déjà ce que coûtera son remplacement en neuf. Les services supports (bureau des achats, commission de marchés) ont été sensibles à la démarche et ont bien accueilli les modifications inhérentes sur les éventuels avenants. Les échanges sur ces questions ont été fructueux et nous ont permis d’ajouter les bons critères dans la notation des offres des candidats.
Nous proposons une médiation écrite qui permette aux visiteurs de forger leur opinion sur les collections et thématiques parcourues. Par exemple, les cartels sont semblables aux étiquettes énergétiques que l’on peut trouver dans les magasins d’ameublement ou d’électro-ménager, avec notamment un indicateur visuel, et peuvent être manipulées par les visiteurs pour prendre connaissance des informations essentielles de l’objet. Nous reprenons ce système pour les éléments scénographiques, les donnant à voir à nos visiteurs au même titre que les objets. Un travail sur les supports et les techniques d’impression a été fait pour trouver les combinaisons les plus vertueuses tout en étant compatibles avec la réglementation[11]. Nous nous sommes orientés vers des papiers kraft classés, des panneaux de bois brut peints ou en impression directe et des impressions sur des supports papier, limitant leur impact à la fabrication et augmentant les possibilités de les réemployer ou de les transformer pour un nouvel usage à la fin de l’exposition. Le musée démontre la faisabilité des solutions qu’il expose, leur donnant ainsi une crédibilité supplémentaire auprès des visiteurs (Fig. 8).
Pour la médiation, tout un corpus de « manips » a été imaginé, notamment autour de l’alimentation. Nous nous attachons à leur adéquation au propos de l’exposition, mais veillons également à conserver une certaine sobriété énergétique dans le choix des matériaux, des mécanismes, du nombre de dispositifs, et de la perspective d’une seconde vie après l’exposition (Fig. 9).
Nous réfléchissons à chaque étape du projet à nos pratiques en tant que muséographes. Avons-nous forcément besoin de tous les éléments que nous avons pris l’habitude d’installer dans une exposition ? C’est l’occasion d’imaginer des propositions plus créatives et plus cohérentes avec le projet. Nous avons ainsi transformé un dispositif initialement pensé sous la forme d’un multimédia interactif en une manip « low tech » où le visiteur relie des propositions à l’aide d’une ficelle. Sur proposition de nos prestataires, nous avons également simplifié certaines fabrications pour limiter l’ajout de matériaux et l’utilisation de produits de finition superflus. Cette démarche nous permet de consolider la légitimité des choix faits, car ceux-ci ont été mis à l’épreuve. Est-ce à dire que c’est une façon de quitter sa posture professionnelle, de la déranger et de la remettre (au moins partiellement) en cause ? Nous l’espérons.
Et après ?
Ce projet nous a incitées à repenser notre posture de maître d’ouvrage dans une dynamique plus ouverte, à nous remettre en question de manière permanente et surtout, de porter un regard nouveau sur le musée, sa collection, son image et son positionnement.
Nous mettons tout en œuvre pour développer l’engagement des visiteurs, afin qu’ils soient plus actifs au cours de leur visite avec un parcours qui leur offre des espaces pour construire du sens et susceptibles de la prolonger, de la faire vivre au-delà de la salle d’exposition.
Nous aimerions que cette exposition soit, plus que son aboutissement, un jalon important d’un processus réflexif continu d’amélioration et d’optimisation. Nous avons gardé ce cap durant toute la préparation de l’exposition, le garderons durant son exploitation (y compris au travers de la programmation pédagogique et culturelle qui y sera associée) et jusqu’après son démontage.
En cours de développement, l’exposition a été un laboratoire de pratiques et de réflexions. Nous nous sommes formées pour être outillées dans cette démarche. Les choix effectués pour ce projet et la méthodologie mise en œuvre vont être intégrés aux prochains projets, même si les thématiques ne seront pas centrées sur le changement climatique. Notre approche dépasse le cadre de l’exposition pour investir les autres activités associées du musée, comme la programmation événementielle et pédagogique. De nombreux choix se confrontent à leur mise en pratique, qui fera émerger, à n’en pas douter, d’autres questionnements. C’est tout l’intérêt d’adopter une posture réflexive : ce projet nous permet de repenser notre position de maître d’ouvrage dans une dynamique plus ouverte. Cette remise en question continue, qui peut apparaitre comme une démarche difficile et lourde, constitue pour nous une évidence afin de rester au service des visiteurs et de mettre le musée à la hauteur de l’enjeu collectif de la réduction drastique de notre empreinte carbone. En nous décentrant, en acceptant de questionner nos collections, notre institution et notre positionnement professionnel, nous espérons créer un espace de convivialité ouvert, dans lequel nos visiteurs peuvent imaginer d’autres façons d’être. Et en abandonnant un peu de notre neutralité, contribuer à en atteindre une autre.
Notes
* Tous les liens URL ont été consultés en novembre 2024.
Côté M. (dir.), La fabrique du musée de sciences et sociétés, Paris, La documentation française, 2011, p. 22. ↑
En tant qu’établissement recevant du public (ERP) de première catégorie, le musée des Arts et Métiers est soumis aux dispositions de l’arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d’incendie et de panique dans les ERP, livre II, titre 1er, chapitre III, articles AM 1 à 20. Ces dispositions obligent à recourir pour la quasi-totalité des éléments imprimés à des matériaux classés M1, c’est-à-dire non-inflammables et sans dégagement de fumées. ↑
Pour citer cet article : Anaïs Raynaud et Marjolaine Schuch, "Quitter la neutralité pour mieux l’atteindre ? L’exemple de l’exposition Empreinte carbone, l’expo ! au musée des Arts et Métiers (Paris, 2024-2025)", exPosition, 22 novembre 2024, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles9/raynaud-schuch-empreinte-carbone/%20. Consulté le 14 février 2025.
— Gaëlle Crenn est maîtresse de conférences en Sciences de l’information et de la communication et membre du Centre de Recherche sur les Médiations (CREM) à l’Université de Lorraine. Ses travaux de recherche portent sur les processus de patrimonialisation et les transformations muséales contemporaines. Elle travaille notamment sur les représentations de l’autre dans les musées d’anthropologie en Europe et dans le Pacifique, sur la muséologie collaborative, sur les représentations des histoires violentes au musée et sur les dispositifs scénographiques d’immersion. Elle a récemment dirigé un dossier consacré à l’émotion dans les expositions (avec Jean-Christophe Vilatte) pour Culture et Musée (n° 36, 2020), revue dont elle est devenue en 2021 directrice adjointe. —
Les expositions itinérantes ont la particularité d’être à la fois les mêmes et autres au cours de leurs pérégrinations dans différents lieux d’accueil. Selon les libertés prises par l’institution d’accueil – musées ou autre lieu d’exposition –, la présentation matérielle et le discours d’interprétation peuvent varier, transformant ainsi la forme et le sens suggéré de l’exposition. C’est finalement par un ensemble de réplications et de déplacements, entre fidélité et écarts au cours de ses occurrences successives que se trame le sens d’une exposition itinérante. L’itinérance peut dès lors se concevoir comme une médiation de l’exposition.
Considérant l’exposition comme média, Jean Davallon souligne que « dans une exposition, la signification est essentiellement dépendante de la mise en espace et en scène en tant qu’agencement des choses en vue d’en permettre l’accès[1] ». Dès lors, nous sommes amenés à nous demander quels changements l’itinérance produit sur la façon de mettre en scène le contenu de l’exposition pour en organiser l’accès. Œuvre dialogique, l’exposition prend sens à travers son adaptation aux espaces d’accueil et aux stratégies d’interprétations locales qui sont déployées, puis dans l’expérience des visiteurs. L’itinérance est aussi révélatrice de la position du musée, de la conception qu’il se forme de son propre rôle. L’analyse des variations entre l’exposition et ses (faux) « doubles » révèle des modifications dans les relations entre publics et « monde exposé[2] » que le musée « inscrit » dans son dispositif muséographique[3]. Elle met de plus au jour les catégories et typologies (des objets et des disciplines) auxquelles souscrivent les musées hôtes, et la conception même que les concepteurs se font du rôle du musée. C’est cette hypothèse que nous mettons à l’épreuve avec le cas de l’exposition Amazonie, le chamane et la pensée de la forêt présentée au musée d’Ethnographie de Genève (MEG) en 2016 puis à Montréal, au musée d’Histoire et d’Archéologie de Pointe-à-Callière (MPAC) en 2017[4].
L’itinérance de l’exposition comme médiation
L’exposition est présentée par le MEG comme une expérience immersive, proposant un discours à la fois engagé (délivrant un message de sensibilisation à la protection de la forêt et de ses habitants) et artistique (la communication insiste sur la présence d’œuvres d’art contemporain). Ce script idéal (au sens d’un parcours imaginé pour un visiteur idéal) semble en mesure de mettre à distance l’image idéalisée et nostalgique que (sup)porte l’Amazonie, et d’embrasser un discours décolonial, mettant en lumière les capacités d’initiative (agency) des habitants autochtones. Son concepteur, Boris Wastiau, directeur du MEG, a d’ailleurs engagé son musée dans une « stratégie de décolonisation[5] ». L’exposition s’inscrit dans un courant critique de l’anthropologie muséale, courant qui s’est développé depuis les années 1970.
Notre démarche consiste, à travers l’analyse du parcours, du choix des objets et de la scénographie dans ces deux lieux d’exposition, à éclairer ce qui se joue dans la (re-)médiation de cette exposition à travers son itinérance. Comme l’a analysé le chercheur Jean Davallon, l’exposition fait œuvre de médiation, en mettant en contact des contenus et des publics[6]. Le sens de l’exposition toutefois n’est pas contenu uniquement dans le texte mais aussi dans le paratexte : dans la matérialité. L’exposition est une œuvre ouverte, dont le sens est créé par la disposition physique des expôts dans un espace tridimensionnel pensé pour être traversé par les corps sensibles des visiteurs (idéaux), et par les expériences qu’y vivent les visiteurs (réels[7]). D’où une nécessaire attention à la finesse des dis-positions d’objets : relations, hiérarchies, stratégies de représentations, tactiques d’ostension[8]. Nous déployons, pour explorer l’exposition, une démarche comparative en trois temps. Nous observons en premier lieu le parcours, objet d’un consensus entre concepteurs[9], accompagné d’un ensemble de dispositifs de médiation, qui orientent l’attention des visiteurs de façon plus ou moins directive et explicite. Nous portons attention ensuite à la mise en scène des photographies, des films et des œuvres d’art, expôts importants de cette exposition multimédiatique. Nous explorons, enfin, la scénographie. Selon la chercheuse Cécilia Hurley-Griener, le terme de dispositif en scénographie doit se comprendre dans le sens double de ce qui « discipline » le regard et le comportement du visiteur, et de ce qui met un objet « sous les yeux[10] » (et, ajoutons-nous, aussi aux oreilles, en bouche, sous la main, etc.) de ce visiteur d’une façon optimale. Ces façons de donner à voir (et inversement de cacher) ont un caractère plus ou moins explicite et sont de ce fait plus ou moins aisément accessibles pour les visiteurs.
Dans cet article, nous verrons ainsi comment à travers les deux occurrences de l’exposition se construisent des narrations[11] différentes sur l’Amazonie, sur l’anthropologie et sur le musée lui-même. En outre, la mise en regard de l’exposition et de son « double » mettra en relief des différences dans la conception même de la médiation – plutôt transmissive ou plutôt active –, conceptions elles-mêmes révélatrices des positions institutionnelles distinctes des musées hôtes.
Le MEG et le MPAC sont des institutions récemment rénovées, qui toutes deux conçoivent des expositions réflexives et critiques. Elles s’inscrivent néanmoins dans des contextes historiques et des traditions muséologiques différents. Si la Suisse a entamé une relecture de son passé colonial, c’est, comme d’autres pays européens, à propos de populations distantes géographiquement, et, pour le cas helvétique, à propos de territoires n’ayant pas fait l’objet d’une domination coloniale directe. C’est donc principalement en relation à l’histoire des expéditions de collecte réalisées par des anthropologues affiliés au musée ou d’autres collectionneurs (diplomates, religieux, marchands, etc.) que le regard du musée sur les objets extra-européens est soumis à une réflexion critique. Bien différent est le contexte québécois, dans lequel s’est développée progressivement un dialogue, parfois malaisé, sur les relations entre les musées et les communautés autochtones présentes sur le territoire.
À partir d’une critique de la représentation des Autochtones au musée, critique venue des Autochtones eux-mêmes comme du monde académique, se sont développées à l’échelle de l’Amérique du Nord de nouvelles pratiques plus collaboratives entre musées et communautés sources[12]. C’est en dialoguant avec les représentants des Premières Nations que les professionnels des musées ont entamé une transformation de leurs pratiques[13]. Le réexamen des questions centrales touchant à la représentation des communautés par le musée, à l’accès aux collections, et aux rapports à la culture matérielle propre aux Autochtones a conduit à diversifier les façons de choisir, de manipuler, de conserver et de mettre en scène – ou à l’inverse de ne pas exposer – les patrimoines autochtones[14]. Par ailleurs, les communautés autochtones, contestant la légitimité même du musée à conserver leur patrimoine, ont développé de modèles alternatifs d’institutions, indépendantes et communautaires, de sauvegarde, de présentation et de transmissions de leur patrimoine[15].
Au Canada, ces réflexions ont conduit à un profond renouvellement des pratiques[16], récemment renforcé par les conclusions de la Commission Vérité et Réconciliation Canada (2015), qui a mis les musées au premier rang des institutions impliquées dans le travail de réconciliation des communautés autochtones et non-autochtones au sein de la nation[17]. C’est également selon ces principes collaboratifs qu’a été menée au Québec l’ambitieuse refonte de l’exposition semi-permanente C’est notre histoire. Premières Nations et Inuit au XXIe siècle au musée de la Civilisation[18]. Ces transformations ont en retour influencé les reformulations des discours anthropologiques qui se développaient dans les musées européens de façon générale[19], et en Suisse en particulier[20]. C’est donc au regard des courants de l’anthropologie muséale dans lesquels s’inscrivent les deux musées que nous analyserons en quoi l’exposition révèle des discours différents sur l’Amazonie, sur les peuples amérindiens qui l’habitent, et enfin sur le rôle du musée lui-même.
Exposer l’Amazonie : parcours d’ensemble et médiations
L’Amazonie est un sujet de fascination et sa mise en exposition pose de nombreux défis[21]. Marquées par la richesse et la complexité de son environnement, ses représentations sont nourries par les palimpsestes de récits d’anthropologues, d’explorateurs et de romanciers. Dans le même temps, elle reste largement méconnue, impénétrable, tout en étant déjà menacée de disparition[22]. Le MEG prend en 2016 l’initiative de lui consacrer une grande exposition temporaire à partir de ses riches collections[23], pour présenter :
« un témoignage sur l’histoire et le devenir des peuples autochtones qui, depuis l’arrivée des premiers colons sur leurs terres, survivent aux fronts pionniers, aux maladies exogènes, aux programmes de “pacification”, de sédentarisation et autres évangélisations dont ils ont fait l’objet[24] ».
Après Genève (20 mai 2016 – 8 janvier 2017), l’exposition est présentée au musée de Pointe-à-Callière, cité d’archéologie et d’histoire de Montréal (20 avril – 22 octobre 2017). Au cœur de l’exposition, sont présentés :
« des parures, des armes, des instruments de musique et des objets usuels illustrent les arts les plus raffinés d’une quinzaine de populations, parmi lesquelles les Wayana, les Yanomami, les Kayapó et les Shuar. Expression de la symbiose avec le monde de la forêt et des esprits, ces témoins de la culture matérielle permettent d’aborder la pratique du chamanisme, commune à toutes les populations du bassin amazonien[25] ».
Le parcours est complété par une introduction sur « l’histoire précolombienne de l’Amazonie, des origines à la conquête, ainsi qu’à celle des collections qui lui font écho, jusqu’à l’époque actuelle », et se conclut avec « des témoignages des populations amazoniennes permet[tant] d’aborder les questions de leur sauvegarde et de la disparition de la forêt[26] ». L’exposition présente également des photographies (issues du fonds du musée, d’ethnologues-photographes, ou encore un reportage du photographe genevois Aurélien Fontanet), des films contemporains (dont Amazonian shorts, huit courts-métrages de l’anthropologue suisse Daniel Schweizer), ainsi que des installations artistiques immersives réalisées spécialement pour l’exposition. Cinq thèmes sont abordés. L’histoire de l’Amazonie est tout d’abord présentée, à l’aide d’ « objets remarquables issus d’une trentaine d’ethnies de neuf pays du bassin amazonien[27] ». Sont ensuite déclinés quatre aspects centraux des cultures amazoniennes : l’animisme, « manière particulière de situer l’humain ou l’individu dans l’univers et d’en poser la raison d’être » ; le chamanisme, « qui peut être décrit comme la capacité de certains individus à “passer” les frontières d’un monde à un autre dans des circonstances particulières » ; le perspectivisme, « concept anthropologique utilisé pour rendre compte, dans un contexte animiste, de l’aptitude et de l’habileté des individus à se projeter dans la situation d’autrui et à imaginer son point de vue » ; et enfin la mythologie, « ensemble théoriquement infini d’histoires et de variations de ces histoires, transmises oralement[28] ».
La première des altérations que rencontre l’exposition itinérante est bien sûr celle qui résulte de son adaptation à l’espace d’accueil du musée hôte. Installée dans l’espace souterrain dévolu aux expositions temporaires, l’exposition se déploie à Genève dans une black box, selon un parcours chrono-thématique : partant de cinq siècles de découvertes et de conquêtes, il se conclut sur un état des lieux des conditions de vie des peuples d’Amazonie et sur leurs revendications, exprimées notamment par leurs chamanes. À Montréal, l’exposition est installée sur deux étages, que sépare un vestibule lumineux. La répartition sur deux niveaux est exploitée pour recomposer le parcours et instaurer une différence d’approche muséographique entre les deux parties : dans la première partie, sont exposés les éléments contextuels qui permettent d’appréhender la pratique anthropologique au cours de l’histoire de l’Amazonie, et d’introduire le chamanisme. La seconde est réservée à la présentation de la culture matérielle des quinze peuples amazoniens. Si l’on retrouve, comme à Genève, une ambiance sombre de forêt et de sous-bois, l’approche muséographique est cependant bien différente, puisqu’à un procédé général d’immersion succède un dispositif clivé, où se remarque une nette dichotomie entre « résonance » (« resonance ») et « émerveillement » (« wonder »), pour reprendre les catégories de Stephen Greenblatt : entre ce qui, d’une part, met en relation avec de multiples mondes, acteurs ou réseaux (premier niveau), et ce qui, d’autre part, arrête, exalte l’attention et l’unicité (second niveau[29]).
Le parcours à Montréal débute avec des images projetées sur une large table centrale évoquant le tracé sinueux d’un fleuve, au long duquel est retracée l’histoire des explorations et de la pratique anthropologique : en suivant ce « fleuve », on retraverse ainsi métaphoriquement les âges de la discipline (Fig. 1).
La présentation contextualise et historicise des pratiques scientifiques et muséales, des premières découvertes archéologiques jusqu’au présent. Elle plonge ainsi dans un temps plus lointain que les conquêtes de l’Occident, et s’intéresse à « la dimension immatérielle des objets matériels[30] ». Elle rend compte de la disponibilité des objets à de multiples usages, et établit, selon un « nouvel historicisme[31] », des liens entre usages anciens et contemporains. Les visiteurs rencontrent en descendant le « fleuve » de nombreux films et photographies de différentes époques présentant des portraits d’anthropologues et d’habitants. La présence des peuples autochtones y est affirmée à travers de nombreux portraits récents et en couleur, alors que ceux-ci n’apparaissent à Genève que dans l’ultime section du parcours. On y observe la mise en retrait des grandes figures d’explorateurs et d’ethnologues, qui étaient très présents en revanche dans le parcours à Genève. Du fait de l’histoire de la collection constituée à travers des expéditions successives, la présence des portraits des collecteurs, qu’il s’agisse de riches amateurs mécènes ou d’anthropologues, renforçait à Genève la légitimité du musée sur son territoire. À Montréal, à l’inverse, où sont favorisées des photographies contemporaines des sujets amazoniens, c’est une vision de l’anthropologique plus globale et plus axée sur la période contemporaine qui se dessine. La réorganisation du parcours s’accompagne ainsi de plusieurs déplacements disciplinaires : de l’ethnologie (située) vers l’archéologie et l’anthropologie (globales), de la géographie à l’histoire.
Comme nous l’avons noté, l’exposition à Genève est dans son ensemble immersive. D’après la présentation du dossier de presse :
« les scénographes [Bernard Delacoste et Marcel Croubalian[32]] ont structuré l’espace d’exposition en quatre volumes bien distincts : une large allée sinueuse évoquant les méandres d’un affluent de l’Amazone ; une haute canopée au travers de laquelle percent les rayons d’un soleil qui se déplace d’heure en heure ; une zone de forêt dense évoquée par des textiles ajourés ; et finalement, en fin de parcours, une structure évoquant la forme d’une maison traditionnelle circulaire yanomami, dite xabono[33] ».
L’idée est de plonger d’emblée le visiteur « au cœur de la forêt amazonienne, [d’offrir] une expérience unique et multi-sensorielle[34] », voire une transe. Comme l’indiquent les panneaux[35], l’exposition s’inspire des travaux de l’anthropologue Philippe Descola[36], et vise à faire ressentir aux visiteurs les continuités qui transcendent la dichotomie cartésienne homme-nature sur laquelle la modernité occidentale s’est bâtie : continuité ou ambivalence entre homme et animal, voire animal et végétal ; continuité ou contiguïté autorisant des passages entre monde matériel et monde spirituel.
Dans cette section, l’œuvre des artistes visuels Gisela Motta et Leandro Lima Amoahiki : les arbres du chant chamanique yanomami, installation d’images projetées sur une toile faite de multiples couches de tissu, évoque la texture de la forêt et la présence des esprits chamaniques[37]. À la toute fin du parcours, leur installation Xapiri (Fig. 2) se compose de plusieurs panneaux verticaux sur lesquels sont projetés des vidéos, entre lesquels se glissent les visiteurs, et d’un accompagnement sonore. Un cartel en détaille le principe :
« Xapiri : rendre compte de l’expérience chamanique.
Xapiri (2013) est un film présenté comme documentaire expérimental par ses auteurs. Il s’agit aussi d’une œuvre clairement artistique. Sa direction a été partagée entre les artistes visuels Gisela Motta et Leandro Lima, les spécialistes en communication Laymert Garcia dos Santos et Stella Senra, ainsi que l’anthropologue Bruce Albert, qui a dédié sa carrière aux Yanomami. Le scénario est issu de leur collaboration avec le chamane yanomami Davi Kopenawa. Le défi de ce film était improbable : rendre compte de l’expérience chamanique, en elle-même indicible, en images pour un public qui n’en a aucune expérience » (Cartel).
Un effort important a été consacré à la dimension sonore de l’exposition, une série de seize contes sonores conçue par une équipe de chercheurs et chercheuses spécialistes des sons du bassin amazonien se déployant dans tout l’espace. Ils forment un environnement sonore subtil dans lequel les visiteurs sont immergés. Évoquant la relation que la musique permet d’établir entre les humains, les animaux et les esprits, ces contes devaient, selon la muséologue du MEG Madeleine Leclair, inonder la forêt de sons « comme un “Pierre et le Loup” amazonien[38] ». Ces créations sonore et multimédia au statut hybride – document, archive, installation, œuvre – sont d’un genre similaire aux installations intégrées dans la nouvelle exposition permanente du musée en 2014[39]. Il n’est pas certain cependant que les visiteurs en perçoivent pleinement le sens. En effet, les concepteurs à Genève ont fait le choix de ne pas leur proposer d’explications détaillées, privilégiant, en cohérence avec la logique immersive, une découverte pourrait-on dire « im-médiate » (sans médiation) des dispositifs. D’après Madeleine Leclair, les retours sur l’exposition révèlent cependant que beaucoup de visiteurs n’ont pas remarqué les contes sonores. Trop abstraits, ceux-ci auraient plutôt dilué l’intention de l’exposition. Le son (émis du haut) est venu de plus se surajouter, mais sans leur correspondre, aux objets (présentés, eux, à hauteur d’homme), introduisant ainsi une nouvelle dissonance cognitive et aggravant la confusion.
Ces œuvres immersives possèdent pourtant des cartels détaillés, à l’exemple de celui de l’installation finale (voir ci-dessus[40]), mais on observe que ceux-ci restent descriptifs et ne portent pas de signe d’adresse à l’attention des visiteurs[41]. À l’inverse, à Montréal, tous les panneaux indiquent systématiquement de façon très explicite, et même injonctive, les usages inscrits dans le dispositif : on trouvera par exemple accompagné d’un pictogramme de casque audio : « ÉCOUTEZ le chant du bâton de pluie et REGARDEZ deux extraits de “Fraternelle Amazonie” », ou encore « RESSENTEZ… ». Par rapport à Genève, toute la médiation textuelle est ainsi repensée et renforcée, pour composer un système de guidage explicite de l’usage des dispositifs. Le musée s’appuie en cela sur les principes classiques de l’interprétation développées par le chercheur canadien Freeman Tilden, souvent mobilisés au MPAC : le visiteur a besoin que l’on dirige son attention sur ce que l’environnement (ici, l’évocation du fleuve et d’une dense forêt) recèle de curieux, d’intéressant, pour stimuler sa curiosité[42].
L’approche muséographique et le guidage des visiteurs se distinguent ainsi nettement dans les deux occurrences, entre immersion à Genève et interprétation à Montréal, même si la dimension immersive subsiste à Montréal – dans la première partie, par les jeux de lumière qui inondent le décor et les toiles brunes évoquant les troncs de sous-bois ; dans la seconde partie, par une scénographie engageante (voir infra). On observe de même entre les deux lieux des différences, voire des inversions, dans la manière de mobiliser les photographies et les films.
L’anthropologue Christopher Morton souligne que « l’anthropologie est une pratique hautement visuelle[43] ». La discipline entretient avec la photographie « une relation intellectuellement ambivalente », du fait de la fascination des anthropologues pour « le mixte puissant du médium, entre véracité optique et […] mutisme du sens[44] ». Aussi la photographie entretient-elle avec l’anthropologie « des interconnexions historiques et méthodologiques[45] » dont il importe d’éclairer la trace dans les expositions. À Genève, la part belle est faite aux photographies prises par des ethnologues historiquement liés au musée. Elles sont exposées comme des œuvres d’art, par des tirages soignés, de grande taille, espacés les uns des autres. Sont ainsi mis à l’honneur à la fois l’engagement des ethnologues et les qualités artistiques de leurs œuvres, l’exposition se faisant galerie d’exposition et mémorial honorant leur mémoire. La légitimité institutionnelle du musée s’en trouve par-là renforcée. À Montréal, l’attention portée aux œuvres filmiques et photographiques tend à s’effacer devant celle portée à leurs sujets. Les photographies sont présentées comme des documents, éventuellement sous la forme de fac-similés et de reproductions. Des nombreux albums de la baronne russe Nadine de Meyendorff, exploratrice et mécène du MEG, il ne subsiste à Montréal qu’une photographie. À Genève, de grands portraits en noir et blanc d’Amérindiens de l’ethnologue et militant genevois René Fuerst (Fig. 3) étaient disposés près d’une vidéo du « fleuve » ; ils ne sont repris à Montréal qu’en vignettes de taille plus modeste (Fig. 4).
Une exception cependant : les tirages de la célèbre photographe brésilienne (née en Suisse) Claudia Andujar sur les Yanomami restent dans les deux cas mises en valeur en tant qu’œuvres esthétiques saisissantes, aptes à faire ressentir aux visiteurs les effets d’une transe chamanique. Dans l’ombre d’une évocation de sous-bois à Genève, rapprochés à Montréal d’un rare film documentaire montrant un chamane au travail[46], les grands formats argentiques restent des œuvres, plus que des artefacts[47]. Selon le muséologue Nuno Porto, « il n’existe pas d’espace d’exposition “neutre[48]” ». Le dispositif dans son ensemble peut ici être appréhendé comme une installation (comme en art contemporain) dans laquelle « le contenu et la forme se [mêlent] l’un à l’autre, cadrant ainsi l’expérience de visite[49] ». Il permet de communiquer aux visiteurs une expression esthétique des modifications des effets de conscience et de la spiritualité de toute expérience chamanique[50].
Plus précisément, la disposition générale des photographies et des films contemporains dans le parcours modifie l’importance accordée à la place actuelle et la capacité d’initiative (agency) des communautés autochtones. À Genève, dans la première section du parcours, la mise en regard d’un film (récent, en couleur) de descente d’un fleuve et de grands portraits d’autochtones (en noir en blanc) tend à magnifier les individus, mais entretient aussi un rapport distancié et esthétisant avec eux, d’autant plus que ces clichés peuvent être rapprochés, par le choix du noir et blanc, des clichés anthropologiques plus anciens qui introduisent la section historique[51]. Comme nous l’avons déjà souligné, c’est uniquement à la fin du parcours que l’on découvre des photographies et des portraits filmés en couleur, montrant les autochtones dans leur environnement contemporain. Cette organisation peut faire courir le risque de renforcer la vision des autochtones – que l’anthropologie muséale a souvent produite[52] – comme peuples lointains à la fois dans l’espace et dans le temps, dont la culture s’est figée dans le passé, tout en activant la nostalgie pour un âge d’or et une innocence perdue. À Montréal, des photographies et des films récents (et en couleur) montrant des autochtones sont mêlés à ceux des anthropologues, contribuant à mettre ceux-ci sur un pied d’égalité avec leurs sujets d’étude en les rassemblant au sein d’un même tableau : ils sont ensemble « ici » (here) et pas seulement vus de « là-bas » (there), pour reprendre la formule de l’anthropologue Clifford Geertz[53] à propos de l’écriture de l’ethnographie. Ce dispositif, qui atteste la contemporanéité des savants avec leurs sujets d’observation, est renforcé par des films dans lesquels des autochtones miment, à l’aide de menus objets (telle une manivelle de bambou), les ethnologues qui les filment[54] (Fig. 5). Ce dispositif engendre un puissant effet de miroir qui incite à réfléchir sur la nature du travail anthropologique, sur la place qu’y occupent les uns et les autres.
À Genève, on découvre dès la section introductive des effets personnels d’anthropologues mis sous vitrine, afin de proposer une réflexion, au double sens du terme, sur l’anthropologie : le visiteur se voit en reflet, comme dans un miroir, et est amené à questionner les relations que la pratique de l’anthropologie induit entre l’observateur/collectionneur et les sujets de son observation. À Montréal, cette dimension réflexive est plus accentuée encore du fait de la présence des films d’anthropologues mimés par leurs sujets d’observation. Ce dispositif génère un questionnement sur les rapports – plus ou moins inégaux, plus ou moins critiques – entre scientifiques et communautés sources, réflexion centrale dans la muséologie collaborative nord-américaine. Plutôt que pour mettre à l’honneur les anthropologues collecteurs historiquement attachés au musée, les images sont employées pour valoriser l’anthropologie comme pratique, si ce n’est égalitaire, du moins collaborative. Est aussi soulignée par ces films la générosité des peuples qui acceptent de dévoiler leur culture, y compris dans ses aspects rituels les plus sacrés/secrets[55]. À Montréal, l’engagement des anthropologues envers et aux côtés des communautés qu’ils étudient est également mis en avant, ainsi que leur amour sincère de l’Amazonie et de ses habitants, car, comme le rappelle l’anthropologue australien Howard Morphy, les anthropologues furent souvent, au début de la pratique, les « premiers défenseurs de la cause[56] » des Autochtones. Enfin, à Montréal, la présence par l’image et la voix des leaders de communautés dans les vidéos au début du parcours met d’emblée en évidence leurs rôles dans des structures politiques qui articulent l’action locale à une dimension globale (les événements internationaux, l’ONU). Sont ainsi accentuées l’actualité de leurs revendications et leur résilience. Au-delà d’une rencontre avec les peuples d’Amazonie, l’exposition propose ainsi par son parcours et son approche muséographique une histoire de la discipline anthropologique dans ses rapports avec le musée. Elle permet d’en considérer les présupposés, la dimension critique et réflexive, tantôt sous une forme plutôt linéaire à Genève, où le fil chronologique s’arrête sur des grandes figures locales, tantôt sous une forme plus critique et distanciée à Montréal.
Le choix des dispositifs qui clôturent les parcours s’inscrivent également dans ces perspectives. À Genève, les visiteurs quittent l’exposition en traversant une œuvre immersive, que le magazine du musée présente comme « un ovni expérimental […] à cheval entre travail de terrain et traitement post-tournage des images et des sons, appliquant des outils technologiques modernes à la captation d’un rituel naturel[57] ». L’œuvre est évocatrice finalement d’une Amazonie insaisissable, magique et intemporelle. À Montréal, les concepteurs font quant à eux le choix de reprendre en fin de parcours un portrait en couleur du jeune Kayapó Xikrin[58] (Fig. 6). La photographie, projetée sur le mur[59], montre le jeune garçon trônant sur un fauteuil de plastique, chaussé de tongs de plastiques vertes (des Hawaïana que l’on retrouve dans une petite vitrine devant la photo), tandis que l’on distingue à l’arrière-plan, pendue au montant d’une habitation, une parure de plumes très élaborée. La photo est accompagnée d’un texte invitant à penser à la valeur de la rencontre, au futur de ces peuples ainsi qu’au nôtre. L’installation synthétise un regard proche et incarné des peuples autochtones, évitant toute folklorisation, tournant résolument le regard vers le futur, proposant, finalement, un sens autre à ce que serait l’ « Amazonie ».
Scénographie, conception du patrimoine et engagement du musée
Concernant la scénographie, les choix opérés dans les deux lieux pour présenter la culture matérielle des quinze peuples amazoniens révèlent des façons distinctes d’établir un rapport entre le visiteur et l’objet, qui sont liées à des conceptions différentes d’envisager le rôle social du musée.
De façon paradoxale, l’exposition au MEG associe à une approche immersive d’ensemble une scénographie plutôt esthétisante pour les objets culturels exposés (parures, armes, objets de la vie quotidienne, objets rituels, etc.). Présentés sous des vitrines, dans la troisième section, ils sont groupés par usage et soigneusement éclairés pour en détailler les qualités formelles (Fig. 7). Selon le magazine du musée, « c’est donc un chemin chaotique mais chatoyant qu’emprunte le visiteur au cours de sa découverte initiatique[60] ».
À l’inverse, à Montréal, une conception d’ensemble plus distanciée s’accompagne d’une scénographie favorisant la proximité et l’engagement des visiteurs avec les objets, majoritairement rassemblés au second niveau de l’exposition. C’est là qu’a été placée la structure conique formée de lattes de bois ajourées évoquant la maison de réunion des villages amazoniens. Dans l’exposition de Genève, cette structure abritait, à la fin du parcours, des photographies et des données socio-économiques contemporaines. Elle introduisait une rupture totale avec la déambulation forestière précédente. D’ailleurs, la structure bloquait quasiment le visiteur dans sa progression, l’obligeant à un détour pour y pénétrer. À Montréal, la « maison » fait aussi obstacle au visiteur, mais elle reste traversable et visitable, au profit d’un engagement tout autre avec les objets qu’elle abrite, une « exceptionnelle collection de masques mehinako, utilisés pour la cérémonie de l’Atuxuà[61] ». À la différence des premières parures exposées, dans une pénombre qui exhaussait la délicatesse et la sophistication de leurs couleurs et de leurs formes, ces figures ne sont pas en plumes et sont de facture et de style variable. La structure qui les protège marque leur caractère secret et sacré, tout en permettant aux visiteurs de les voir de près, en face-à-face : ils vivent une rencontre. La structure abritant de plus une petite vitrine dans sa partie centrale, les visiteurs doivent la traverser en longeant les côtés. Ils peuvent ainsi s’approcher et observer en détail sur les deux côtés, ces figures frappantes, souvent anthropomorphes. La « maison » forme à la fois un espace de réclusion (de mise à l’écart et de protection), de passage, et de transition (entre les règnes des humains et celui des esprits). Dans ces conditions, la relation directe avec ces figures étranges fait ressentir leur nature spirituelle, leur pouvoir sacré. Par cette présentation des objets aptes à favoriser leur découverte et à faire ressentir leur statut et leur charge, la scénographie montréalaise témoigne de l’empreinte dans le contexte québécois des approches autochtones de la muséologie, développées au cours des dernières décennies par les collaborations entre musées et communautés sources.
La dernière section de l’exposition rassemble à Montréal d’autres masques cérémoniels dans une scénographie qui permet, là aussi, de faire ressentir aux visiteurs la charge spirituelle dont ils sont dotés, leur « part immatérielle[62] ». Il s’agit de masques de paille de grande taille[63]. Ils sont disposés sur une estrade, ce qui en accentue la puissance expressive, et sont présentés dans une position oblique rappelant leur allure lorsqu’ils sont portés par des danseurs. Ils sont accompagnés de films projetés directement derrière eux sur le mur, films qui en re-contextualisent les conditions d’usage rituel (Fig. 8).
Cette disposition tente de faire comprendre les conditions d’usage et la fonction sociale des masques, le film apportant des éléments de contexte (les cérémonies) et « donnant vie » aux figures immobiles. À Genève, ces masques spectaculaires étaient présentés verticalement derrière des vitrines, en conclusion – et point d’orgue – du parcours. Les vitrines permettaient d’exhausser leur valeur esthétique, en les mettant simultanément à distance (derrière la paroi protectrice de verre) et en lumière (offerts à la vue, révélant leurs qualités formelles dans cet écrin), selon la scénographie occidentale classique. Au MPAC, dans les sections finales du parcours, les concepteurs font le choix de pointer l’attention des visiteurs sur le caractère problématique de la présence de ces masques cérémoniels au musée. Les cartels rappellent que l’usage habituel est d’abandonner ou de détruire les masques après les cérémonies, ajoutant que certains mêmes ne sont pas censés être vus par les femmes. Leur présence pourrait donc, d’une part, être considérée comme un manque de respect à l’égard des communautés, et entraîner, d’autre part, un contresens en termes d’interprétation : dans la mesure où ils ont été pensés, non pour être conservés, mais précisément pour être consommés, voire consumés, de façon performative, dans les cérémonies, ils ne devraient pas être conservés, ni a fortiori exposés dans les musées[64]. Leur exposition ne saurait en aucun cas rendre compte avec justesse du sens de ce patrimoine, ni rendre justice à leur fonction sociale dans les communautés d’origine. Sauf à penser, comme l’avance ici le musée, que « la conservation à une si grande distance de leur lieu de production et d’usage est considérée comme une forme de destruction[65] ». Avec cette formulation, jusqu’alors inédite (à notre connaissance) dans le monde muséal, le MPAC suggère une articulation nouvelle entre la culture matérielle et ses conditions de patrimonialisation, une articulation qui lui permet fort opportunément de justifier la conservation et l’exposition des artefacts en son sein. S’inspirant des apports de la muséologie collaborative pratiquée avec les communautés sources au Canada, le musée prend le parti d’affronter l’épineuse question de la légitimité à conserver des objets rituels conçus initialement pour être détruits[66] ; à défaut de réellement la discuter, il l’énonce à l’intention des visiteurs et prend position. Une question essentielle au monde muséal actuel est ainsi révélée et offerte à la réflexion du public.
Par les choix scénographiques privilégiés, les catégories disciplinaires (art / anthropologie) et la relation des visiteurs aux contenus exposés sont, d’un lieu à l’autre, déplacées et reconfigurées. Les concepteurs s’engagent à Montréal plus explicitement sur la voix de la réflexivité muséale, en privilégiant « un design d’exposition qui implique les visiteurs et présente des mises en scène évocatrices qui rendent l’autorité du musée moins opaque[67] ». En pointant les apories de la présence des masques, ils ré-ouvrent le questionnement, déjà exploré notamment par l’anthropologue Franz Boas, sur une possible dérive objectiviste dont est porteuse en elle-même l’exposition muséale et sur la capacité du musée à rendre compte d’une culture par la seule exposition de ses artefacts[68]. En introduisant, par des touches qui restent encore légères, un dialogue entre les manières de la muséologie occidentale et de la muséologie autochtone de penser la présence de l’objet au musée, et en introduisant par-là une réflexion sur la légitimité de la présence des objets autochtones au musée, le musée de Montréal s’ « autochtonise[69] » : il fait place aux voix autochtones et restaure un équilibre entre les représentations des diverses communautés en présence.
L’analyse de l’exposition en itinérance éclaire la façon dont celle-ci fait médiation, et ce à différents niveaux. À un premier niveau, les choix de parcours, d’objets (nous avons pris en compte en particulier les photographies, les films ainsi que les installations artistiques immersives) et de scénographie conduisent à dessiner des perspectives distinctes sur l’Amazonie, la façon de considérer ses peuples autochtones, et l’histoire de l’anthropologie. À un second niveau, en fonction des dispositifs de médiation textuelle et du rapport au contenu exposé proposé à l’intérieur de chaque exposition, se révèlent des positions institutionnelles différentes concernant le rôle même du musée : à une approche plus descriptive, constative, déployée à Genève, par laquelle il s’agit de montrer les artefacts des sociétés lointaines et de rendre compte du rôle du musée, répond à Montréal une mise en perspective plus réflexive et critique sur la façon dont l’anthropologie a construit ses objets au fil de son histoire, et sur la façon dont le musée aujourd’hui les expose.
C’est en définitive la conception même de la médiation qui trouve, dans la tension entre ses options, une place élargie. Dans le monde muséal existe une tendance à restreindre la médiation à une dimension purement instrumentale. Il est possible à l’inverse de la considérer de façon plus large comme le moyen d’interpeller le public, afin que celui-ci adopte lui-même une posture réflexive, et de positionner le musée comme acteur de transformation sociale. Il s’agirait ce faisant de re-politiser la médiation[70], en tant que moyen de rendre plus compréhensible pour les visiteurs les processus de représentation de l’Autre à l’œuvre au musée.
L’exposition à Montréal bouscule la médiation muséale transmissive classique : elle procure un engagement physique et esthétique plus convaincant à l’égard des pratiques chamaniques et des objets sacrés ; elle active un dialogue entre les visiteurs et les peuples d’Amazonie, leurs contemporains ; elle questionne, enfin, les pratiques de l’anthropologie muséale (place de l’anthropologue, conservation de la culture matérielle). Le MPAC paraît s’investir plus fortement comme médiateur d’un engagement envers les peuples autochtones eux-mêmes ; il se fait la caisse de résonance de leurs revendications, là où le MEG reste plutôt dans la monstration, même si le récit est attentif à historiciser les objets et l’histoire du musée (première partie) et à mettre en scène l’autonomie et la capacité d’initiative des peuples (dernière partie). À Montréal, la scénographie engageante favorise un script postcolonial dans lequel l’agency des sujets trouve place. Aussi le visiteur peut-il ressentir, à son terme, que « la question “et maintenant ?” est posée non seulement au public général mais d’abord et avant tout aux musées eux-mêmes [et] que, dans cette histoire, il s’agit des gens plus que des objets[71] ».
Finalement, à travers ces parcours d’exposition, le musée de Genève s’affirme plutôt comme une institution patrimoniale qui a permis, grâce à des anthropologues engagés, de préserver des collections précieuses, tandis qu’à Montréal le musée est plutôt une institution engagée, donnant voix aux peuples autochtones victimes d’abus et de déni, en témoignant de la richesse de leur culture aujourd’hui. L’itinérance d’une exposition est une médiation, par où le musée hôte non seulement suggère de nouvelles lectures des contenus, mais aussi énonce son positionnement institutionnel, affirme la conception qu’il se fait de sa mission. En circulant, l’exposition et ses « doubles » – qui n’en sont jamais d’exactes décalques – initient alors une conversation sur le sens de l’œuvre, ainsi ouverte, qu’elle constitue. Aussi, par leur circulation, les expositions temporaires forment-elles à chaque occurrence une « zone de contact[72] » où se négocient et s’influencent réciproquement diverses traditions muséographiques locales et des manières de montrer l’Autre. Nul doute qu’un examen de l’exposition dans sa présentation au Château de Nantes en 2019[73] aura révélé de nouvelles significations proposées aux visiteuses et visiteurs, résonnant avec les courants muséologiques et l’historiographie de l’anthropologie en France.
Notes
[1] Davallon J., « Pourquoi considérer l’exposition comme un média ? », Médiamorphoses, n° 9, 2003, p. 25-28, citation p. 26.
[2] Davallon J., L’exposition à l’œuvre. Stratégies de communication et médiation symbolique, Paris, L’Harmattan, 1999.
[3] Noordegraaf J., Strategies of Display. Museum Presentation in Nineteenth and Twentieth-Century Visual Culture, Rotterdam, Museum Boijmans Van Beuningen ; nai010 Publishers, 2012.
[6] Davallon J., L’exposition à l’œuvre. Stratégies de communication et médiation symbolique, Paris, L’Harmattan, 1999.
[7] Noordegraaf J., Strategies of Display. Museum Presentation in Nineteenth and Twentieth-Century Visual Culture, Rotterdam, Museum Boijmans Van Beuningen ; nai010 Publishers, 2012.
[8] Pavese F., « L’opération scénographique : le façonnage des objets en musealia », Mariaux P.-A. (dir.), L’objet de la muséologie, Neuchâtel, Institut d’Histoire de l’art et de Muséologie, 2005, p. 102-118.
[9] Le Marec J., « Le parcours : drôle de temps pour une rencontre », La Lettre de l’OCIM, n° 155, 2014, p. 5-15.
[10] Hurley-Griener C., « Jalons pour une histoire du dispositif », Culture et musée, n° 16, 2010, p. 207-218.
[11] Chaumier S., « Les écritures de l’exposition », Hermès, vol. 61, n° 3, 2011, p. 45-51.
[12] Peers L., Brown A. K. (dir.), Museums and Source Communities, New York, Routledge, 2003 ; Sebastiani S., « Questions aux musées d’anthropologie : une introduction », Passés futurs, n° 6, 2019, p. 1-19, en ligne : https://www.politika.io/fr/numero-revue-pf/vitrines-lhumanite (consulté en janvier 2021) ; Lonetree A., Decolonizing Museums: Representing Native America in National and Tribal Museums, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 2012.
[13] Onciul B., Museums, Heritage and Indigenous Voice. Decolonizing Engagement, New York, Routledge, 2015 ; Ames, M., « Are Changing Representation of First Peoples in Canadian Museums and Galleries Challenging the Curatorial Prerogative? » West R. (dir.), The Changing Presentationof the American Indian: Museums and Native Cultures, Washington, National Museum of the American Indian ; University of Washington Press, 2004, p. 73-162.
[14] Denzin N., Lincoln Y., Smith L. (dir.), Handbook of Critical & Indigenous Methodologies, Thousand Oaks, Sage Publications, 2008.
[15] Child B., « Creation of the Tribal Museum », Sleeper-Smith S. (dir.), Contesting Knowledge. Museums andIndigenous Perspectives, Lincoln, University of Nebraska Press, 2009, p. 251-256.
[16] Dubuc É., Turgeon L., « Musées d’ethnologie : nouveaux défis, nouveaux terrains », Ethnologies, vol. 24, n° 2, 2002, p. 5-18 ; McMaster G., « Our (Inter) Related History », Jessup L., Baggs S. (dir.), On Aboriginal Representation in theGallery, Hull, Canadian Museum of Civilization, 2002, p. 3-8 ; Bibaud J., « Muséologie et Autochtones du Québec et du Canada. De la crise à la “décolonisation tranquille” », Cahiers du MIMMOC, 2015, n° 5, en ligne : http://journals.openedition.org/mimmoc/2169 (consulté en janvier 2021).
[18] Desmarais L., Jérôme L., « Voix autochtones au musée de la Civilisation de Québec : les défis de la muséologie collaborative », Recherches amérindiennes au Québec, vol. 48, n° 1-2, 2018, p. 121–131, en ligne : https://doi.org/10.7202/1053709ar (consulté en janvier 2021) ; Jérôme L., Kaine E., « Représentations de soi et décolonisation dans les musées : quelles voix pour les objets de l’exposition C’est notre histoire. Premières Nations etInuit du XXIe siècle (Québec) ? », Anthropologie et Sociétés, vol. 38, n° 3, 2014, p. 231-252. Jérôme L., « Peuples autochtones et musées : 25 ans de relations au musée de la Civilisation », Robitaille M.-P. (dir.), Voyage au cœur des collections des Premiers Peuples, Québec, Septentrion et Musée de la Civilisation, 2014, p. 111-123.
[19] Van Geert F., Du musée ethnographique au musée multiculturel. Chronique d’une transformation globale, Paris, La Documentation Française, 2020 ; Thomas D. (dir.), Museums in Postcolonial Europe, Londres ; New York, Routledge, 2010.
[20] Je me permets de renvoyer à un précédent article : Crenn G., « Reformulating the museum discourse in critical ethnology exhibitions. Limits and ambiguities in the reform at the Museum der Kulturen, Basel and the musée d’Ethnographie de Neuchâtel », ICOFOM Study Series: The Predatory Museum, 45, 2017, p. 37-46, en ligne : https://journals.openedition.org/iss/299 (consulté en janvier 2021).
[21] La Fondation Cartier a par exemple consacré deux expositions à l’Amazonie : Yanomami, l’esprit de la forêt (14 mai – 12 octobre 2003) ; La lutte Yanomami (30 janvier – 10 mai 2020).
[22] Voir par exemple Rêves d’Amazonie, cat. exp., Daoulas, Abbaye de Daoulas, 2005.
[23] Le fonds amazonien du musée compte 5000 pièces. Selon le dossier de presse, « l’exposition présente près de 500 objets, photographies et films se déployant sur 1000 m2, autant de témoignages des cultures amérindiennes telles qu’elles ont été observées du 18e au 21e siècle ». MEG, Dossier de presse « Amazonie. Le chamane et la pensée de la forêt du 20 mai 2016 au 8 janvier 2017 », 2016, en ligne: http://www.ville-ge.ch/meg/pdf/presse_12.pdf (consulté en janvier 2021).
[25] Château des ducs de Bretagne à Nantes « Amazonie. Le chamane et la pensée de la forêt (du 15 juin 2019 au 19 janvier 2020)», en ligne : https://www.chateaunantes.fr/expositions/amazonie/ (consulté en janvier 2021).
[27] MEG, Dossier de presse« Amazonie. Le chamane et la pensée de la forêt. Du 20 mai 2016 au 8 janvier 2017 », 2016, en ligne: http://www.ville-ge.ch/meg/pdf/presse_12.pdf (consulté en janvier 2021).
[29] Greenblatt S., « Resonance and Wonder », Karp I., Lavine S. D., (dir.), Exhibiting Cultures. The Poetics and Politics of Museum Display, Washington, Smithonian Institution Press, 1991, p. 42-56, citation p. 54.
[30] Leblic I., « Introduction : La part “d’immatériel” dans les objets de culture dite “matérielle” », Le Journal de la Société des Océanistes, n° 136-137, 2013, en ligne : http://jso.revues.org/6839 (consulté en janvier 2021).
[31] Greenblatt S., « Resonance and Wonder », Karp I., Lavine S. D. (dir.), Exhibiting Cultures. The Poetics and Politics of Museum Display, Washington, Smithonian Institution Press, 1991, p. 42-46, citation p. 54 : « New historicism ». Sur la question de l’historicité en anthropologie, voir par exemple Turnbull P., « Autralian Museums, Aboriginal Skeletal Remains, and the Imagining of Human Evolutionary History, c. 1860-1914 », Museums and Society, vol. 1, n° 13, 2015, p. 72-87.
[32] Les architectes Bernard Delacoste et Marcel Croubalian (MCBD Architectes) de Genève.
[33] MEG, Dossier de presse « Amazonie. Le chamane et la pensée de la forêt Du 20 mai 2016 au 8 janvier 2017 », 2016, en ligne : http://www.ville-ge.ch/meg/pdf/presse_12.pdf (consulté en mars 2020).
[36] Descola P., Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.
[37] Gisela Motta et Leandro Lima vivent et travaillent à São Paulo. C’est à la suite de la visite du village yanomami de Watoriki, dans l’État de Roraima, qu’ils produisent cette œuvre retraçant leur expérience.
[38] Madeleine Leclair, MEG. Communication au Séminaire « Réécrire le passé colonial : enjeux contemporains des collections de musée », organisé par Felicity Bodenstein et Benoît de L’Estoile, Séance 5 : Muséographies de l’immatériel, École Normale Supérieure, Paris, 13 septembre 2017.
[39] On pense en particulier à l’installation vidéo d’Ange Leccia, dans l’espace d’introduction du parcours permanent, qui berce les visiteurs d’images de ressac marin, et à la chambre sonore, où ils peuvent s’immerger dans un bain d’images et de son en marge du parcours de visite. Voir le site du MEG, en ligne : https://www.ville-ge.ch/meg/ (consulté en janvier 2021). Voir aussi Magnol J., « Au MEG, Ange Leccia célèbre la mer partagée par toutes les civilisations », Genève active, 11 mai 2015, en ligne : https://www.geneveactive.ch/article/au-meg-ange-leccia-celebre-la-mer-partagee-par-toutes-les-civilisations/ (consulté en janvier 2021).
[40] Il existait d’ailleurs également un cartel assez détaillé introduisant les contes, mais, comme le reconnaît M. Leclair, il était mal placé et peu visible.
[41] Ces textes sont d’ailleurs les mêmes que ceux du dossier de presse, au point qu’on peut se demander s’ils n’en seraient pas directement issus. Cette identité entre textes de communication (dossier de presse) et textes de médiation dans l’exposition (cartel) pose question sur la conception qu’a le musée de la nature du travail de médiation muséale.
[42] Tilden F., Interpreting Our Heritage: Principles and Practices for Visitor Services in Parks, Museums, and Historic Places, Chapell Hill, University of North Carolina Press, 1957.
[43] Morton C., « Photography, Anthropology of », H. Callan (dir.), The International Encyclopedia of Anthropology, Chapel Hill, John Wiley & Sons, 2018.
[46] La générosité de la communauté qui a permis de réaliser et transmettre ce film est d’ailleurs explicitement soulignée à Montréal.
[47] On doit à l’anthropologue américain James Clifford ce partage entre œuvre et artefact dans les musées d’anthropologie. Clifford J.,Malaisedans la culture. L’ethnographie, la littérature et l’art au XXe siècle, Paris, ENSB-A, 1996.
[48] « There is no such thing as a “neutral” […] exhibition space », Porto N., « From Exhibiting to Installing Ethnography: Experiment at the Museum of the University of Coimbra, Portugal, 1999-2005 », Basu P., Macdonald S. (dir.), Exhibition Experiments, Oxford, Blackwell, 2007, p. 175-196, citation p. 176.
[49] « Content and form [melt] with one another, thus framing the visiting experience », ibid., p. 187.
[51] Même si à l’entrée de l’exposition le public trouve d’abord des portraits en couleurs de chamanes.
[52] Fabian J., Time and the Other: HowAnthropology Makes its Object, New York, Columbia University Press, 1983 ; Bensa A., La fin de l’exotisme. Essais d’anthropologie critique, Paris, Anacharsis, 2006.
[53] Geertz C., Works and Lives. The Anthropologist as Author, Stanford, Stanford University Press, 1988.
[54] « Imitation de tournage », film, extrait de Yopi : Chez les Indiens du Brésil, tourné par l’anthropologue Felix Speiser, 1924, MEG (cartel).
[55] Notamment un rare film de transe chamanique. Sur les objets secrets/sacrés, voir Jordanova L., « Objects of Knowledge: A Historical Perspective on Museums », Vergo P. (éd.), The New Museology, Londres, Reaktion Books, 1989, p. 22-40.
[56] Morphy H., « The Displaced Local. Multiple Agency in the Building of Museum’s Ethnographic Collections », Message K., Witcomb A. (éd.), International Handbook of Museum Studies. T. 1 : Museum Theory, Hoboken, Wiley, 2015, p. 365-387, citation p. 371 : « The most supportive of the Aboriginal cause ».
[57] Cereghetti S., Arpin L., « Dédicace aux esprits de la forêt », Totem, le magazine du musée d’Ethnographie de Genève, n° 72, p. 16-17, citation p. 17.
[59] La photographie d’environ 2 m de large couvre tout un pan du mur de la salle.
[60] Rostain S., Delpuech A., « L’appel de la forêt. Ou quand Genève se tropicalise », Totem, le magazine du musée d’Ethnographie de Genève, n° 72, p. 5-7, citation p. 6.
[61] « Une cérémonie visant à s’attirer les bonnes grâces des esprits et à favoriser le retour de l’âme volée, qui a lieu tous les cinq à sept ans », selon le cartel.
[62] Leblic I., « Introduction : La part “d’immatériel” dans les objets de culture dite “matérielle” », Le Journal de la Société des Océanistes, n° 136-137, 2013, en ligne : http://jso.revues.org/6839 (consulté en mars 2020).
[63] Ces masques, qui sont de catégorie « mâle et femelle », dépassent la taille humaine.
[64] C’est la position que soutient par exemple l’anthropologue Monique Jeudy-Ballini. Voir Jeudy-Ballini M., « Muséographier l’émotion esthétique ? Réflexions à propos d’un exemple océanien », THEMA. La revue des musées de la civilisation, n° 2, 2015, p. 45-54.
[66] Cette question a pris une importance renouvelée à la suite de la parution en novembre 2018 du Rapport Sarr-Savoy commandé par le président de la République française : « Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle (http://restitutionreport2018.com/). Voir par exemple le débat : König V., et alii, « Les collections muséales d’art “non-occidental” : constitution et restitution aujourd’hui », Perspective, 1, 2018, p. 37-70, en ligne : https://journals.openedition.org/perspective/7833 (consulté en janvier 2021).
[67] « Exhibition designs that engage visitors by presenting evocative displays that render the museum’s authority less opaque ». Butler S. R., « Reflexive Museology. Lost and Found », Message K., Witcomb, A. (éd.), International Handbook of Museum Studies. T.1 : Museum Theory, Hoboken, Wiley, 2015, p. 159-182, citation p. 159.
[68] Kalinowski I., « Franz Boas. Le musée d’Histoire naturelle de New York et la galerie de Dresde », Revue germanique internationale, n° 21, 2015, p. 113-132, citation p. 131.
[69] Phillips R. B., Museum Pieces: Toward the Indigenization of Canadian Museums, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2011.
[70] Casemajor N., Dubé M., Lafortune J.-M., Lamoureux È. (dir.), Expériences critiques de la médiation culturelle, Québec, Presses de l’université Laval, 2017.
[71] « “What now ?” In the end, this question is posed not only to the general public, but, first and foremost, to museums themselves [and] the visitor leaves the exhibition with a feeling that, in this story, it is more about people than it is about objects ». Formule de Manuela Françozo à propos d’une autre exposition sur l’Amazonie qui s’inscrit dans une veine critique similaire : Françozo M., « What Now? The Insurrection of Things in the Amazon, Museum der Kulturen, Basel, Switzerland », Curator, vol. 56, n° 4, 2013, p. 451-459, citation p. 458.
[72] Voir Clifford J., Routes. Travel and translation in the late twentieth century, Cambridge, Harvard University Press, 1997.
[73] Château des ducs de Bretagne à Nantes, « Amazonie. Le chamane et la pensée de la forêt (du 15 juin 2019 au 19 janvier 2020) », 2019, en ligne : http://www.chateaunantes.fr/fr/evenement/amazonie (consulté en janvier 2021).
Pour citer cet article : Gaëlle Crenn, "L’itinérance comme médiation. Le cas de l’exposition Amazonie, le chamane et la pensée de la forêt (musée d’Ethnographie de Genève, 2016 ; musée de Pointe-à-Callière, Montréal, 2017)", exPosition, 27 septembre 2021, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles6-2/crenn-itinerance-mediation/%20. Consulté le 14 février 2025.